COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Rétention Administrative
CHAMBRE 1-11 RA
ORDONNANCE
DU 27 JUIN 2024
N° 2024/ 913
N° RG 24/00913 - N° Portalis DBVB-V-B7I-BNJAV
Copie conforme
délivrée le 26 Juin 2024 au MP et par fax à :
- l'avocat
-le chef du service de la PAF de l'aéroport [8]
-le CRA
-le JLD/TJ
-le retenu
Signature,
le greffier
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance rendue par le Juge des libertés et de la détention d'AIX-EN-PROVENCE en date du 25 Juin 2024 à 12h14.
APPELANT
X se disant Madame [Y] [V]
née le 18 Septembre 1984 à [Localité 6] (Ghana)
de nationalité Ghanéenne
Comparante en personne,
assistée de Maître Charlotte MIQUEL, avocat au barreau d'Aix-en-Provence, commis d'office, et de Monsieur [R] [O], légionnaire du régiment de la légion étrangère d'[Localité 3], parlant la langue TWI (dialecte du GHANA), ayant préalablement prêté serment d'apporter son concours à la Justice en son honneur et sa conscience, intervenant par téléphone;
INTIME
MONSIEUR LE CHEF DU SERVICE DE LA POLICE AUX FRONTIERES DE L'AEROPORT DE [8]
Représenté par Monsieur [E] [U], Brigadier-Chef de police;
MINISTÈRE PUBLIC :
Avisé et non représenté;
DÉBATS
L'affaire a été débattue en audience publique le 27 Juin 2024 devant, M. Guillaume KATAWANDJA, Conseiller à la cour d'appel délégué par le premier président, assisté de Mme Himane EL FODIL, Greffier.
ORDONNANCE
Contradictoire,
Prononcée par mise à disposition au greffe le 27 Juin 2024 à 14h55,
Signée par M. Guillaume KATAWANDJA, Conseiller, et Mme Himane EL FODIL, Greffier.
PROCÉDURE ET MOYENS
Vu les articles L.341-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) ;
Vu la décision de refus d'entrée sur le territoire français prise le 21 juin 2024 à 20h00 par le Brigadier-Chef de police [J] [L], notifiée le même jour à 20h25 à X se disant Mme [Y] [V];
Vu la décision de placement en zone d'attente prise le 21 juin 2024 à 21h35 par le Brigadier-Chef de police [J] [L], notifiée le même jour à 21h35 à X se disant Mme [Y] [V] ;
Vu l'ordonnance du 25 Juin 2024 rendue par le Juge des libertés et de la détention d'AIX-EN-PROVENCE décidant le maintien de X se disant Mme [Y] [V] dans les locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire et constituant une zone d'attente jusqu'au 3 juillet 2024 à 21h35 au plus tard ;
Vu l'appel interjeté le 26 juin 2024 à 8h00 par Me Héloïse GOUDON, avocate de X se disant Mme [Y] [V] ;
X se disant Mme [Y] [V] a comparu et a été entendue en ses explications. Elle déclare: 'Je m'appelle [Z]. Je suis née le 02 novembre 1987 à [Localité 4] au GHANA. Dans mon pays, ça va mal se passer pour moi pareil pour le Maroc. Au GHANA, j'ai des problèmes avec mon mari et la famille de mon mari. Au Maroc, je n'ai pas de problème. Je suis venue en France, car mon amie m'a dit que c'est très calme et qu'il n'y a pas de problèmes.Je suis allée à l'école jusqu'à l'âge de 16 ans. Les cours étaient en anglais et en langue TWI. Je ne veux pas retourner au GHANA à cause de mon mari. Je me suis enfuie du GHANA à cause de mon mari et j'ai changé de nom pour pas que mon mari me retrouve. Si je rentre au GHANA je serai grandement en danger et mon mari risque de me tuer.'
Son avocate a été régulièrement entendue. Elle demande à la cour d'infirmer l'ordonnance déférée, de déclarer la procédure irrégulière et dire n'y avoir lieu à maintenir l'appelante en zone d'attente. A ces fins, elle fait valoir que l'ordonnance du premier juge est irrégulière en ce qu'elle ne mentionne pas l'intervention d'un interprète lors du débat. Elle indique en outre que la requête aux fins de maintien en zone d'attente est irrégulière en ce qu'elle fait état, de manière erronée, d'un placement en zone d'attente le 3 juin 2024 alors que l'appelante est arrivée sur le territoire français le 21 juin 2024. Elle soutient que la demande ne prévoit aucune date de fin de maintien en zone d'attente. De plus, elle expose que la notification de la décision de placement en zone d'attente et des droits afférents a été réalisée par le truchement d'un interprète en langue anglaise par téléphone, sans que ne soit établie la nécessité du recours à ce moyen de télécommunication. Elle considère que cela fait grief à l'appelante, soutenant que cette dernière a pour langue maternelle le ghanéen et parle un anglais approximatif. Elle argue enfin de l'incompatibilité de l'état de santé de X se disant Mme [Y] [V] avec un transport aérien, des conditions d'hygiène au centre de rétention administrative de [Localité 7] incompatibles avec une fin de grossesse et des garanties de représentation dont dispose l'appelante, qui bénéficie d'un hébergement chez une amie en région parisienne.
Le président a mis dans le débat la question de la recevabilité du moyen tiré de l'irrégularité de l'ordonnance du premier juge, faute de mention de la présence d'un interprète lors du débat, moyen soulevé après l'expiration du délai d'appel de 24 heures.
Le représentant du chef du service de la police aux frontières de l'aéroport de [8] a été régulièrement entendu. Il déclare: 'A son arrivée à l'aéroport, elle a déclaré parler anglais. L'erreur sur le métier de la retenue apparaît sur le visa usurpé ainsi que le passeport usurpé. S'agissant de l'attestation d'hébergement, il y figure le nom usurpé. Elle est admissible au GHANA dans son pays d'origine. Elle a refusé à 2 reprises d'embarquer pour le Maroc, le 24 à 19h et le 25 mai elle n'a pas pu car elle est partie à l'hôpital. Il n'y pas d'autres dates. Il y a une décision de rejet d'asile qui a été rendue.'
MOTIFS DE LA DÉCISION
1) Sur la recevabilité du recours
Selon les dispositions de l'article L342-12 du CESEDA, 'Les ordonnances du juge des libertés et de la détention mentionnées à la présente section sont susceptibles d'appel devant le premier président de la cour d'appel ou son délégué.
L'appel peut être formé par l'étranger, le ministère public et l'autorité administrative compétente.
Le premier président de la cour d'appel ou son délégué est saisi sans forme et doit statuer dans les quarante-huit heures de sa saisine.'
Aux termes des dispositions de l'article R342-10 du même code, 'L'ordonnance du juge des libertés et de la détention est susceptible d'appel devant le premier président de la cour d'appel ou son délégué, dans les vingt-quatre heures de son prononcé, par l'étranger, le préfet de département et, à [Localité 10], le préfet de police. Lorsque l'étranger n'assiste pas à l'audience, le délai court pour ce dernier à compter de la notification qui lui est faite. Le délai ainsi prévu est calculé et prorogé conformément aux articles 640 et 642 du code de procédure civile.
Le ministère public peut interjeter appel de cette ordonnance selon les mêmes modalités lorsqu'il ne sollicite pas la suspension provisoire.'
Selon les dispositions de l'article R342-11 du même code, 'A peine d'irrecevabilité, la déclaration d'appel est motivée. Elle est transmise par tout moyen au greffe de la cour d'appel qui l'enregistre avec mention de la date et de l'heure.
Le greffier de la cour d'appel avise immédiatement le greffier du tribunal judiciaire qui lui transmet sans délai le dossier.'
En l'espèce, l'ordonnance entreprise a été rendue le 25 juin 2024 à 12 heures 14. Mme [Y] [V] a interjeté appel le 26 juin 2024 à 8 heures 00 en adressant au greffe de la cour d'appel, par l'intermédiaire de son avocate, une déclaration d'appel motivée.
Son recours sera donc déclaré recevable.
2) Sur le moyen tiré de l'irrégularité de l'ordonnance du premier juge faute de mention de l'intervention d'un interprète lors du débat contradictoire
Ce moyen sera déclaré irrecevable. En effet, si les date et heure de notification de la décision querellée n'apparaissent pas en procédure, il est constant que X se disant Mme [Y] [V] a interjeté appel de l'ordonnance par l'intermédiaire de son avocate le 26 juin 2024 à 8h00, date et heure qui devront être considérées comme le moment auquel la susnommée a eu connaissance de la décision attaquée. Le moyen susvisé a été invoqué ce jour après 9h30, heure de début de l'audience, soit plus de 24 heures après la prise de connaissance par l'appelante de l'ordonnance du premier juge.
3) Sur le moyen tiré de l'irrégularité de la requête aux fins de maintien en zone d'attente
Aux termes de l'article L 342-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile le maintien en zone d'attente au-delà de quatre jours à compter de la décision de placement initiale peut être autorisé, par le juge des libertés et de la détention statuant sur l'exercice effectif des droits reconnus à l'étranger, pour une durée qui ne peut être supérieure à huit jours.
L'article L 342-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que la requête aux fins de maintien en zone d'attente expose les raisons pour lesquelles l'étranger n'a pu être rapatrié ou, s'il a demandé l'asile, admis, et le délai nécessaire pour assurer son départ de la zone d'attente.
L'article R342-2 du CESEDA dispose qu'à peine d'irrecevabilité, la requête est motivée, datée, signée et accompagnée de toutes pièces justificatives utiles, notamment d'une copie du registre prévu au second alinéa de l'article L. 341-2.
La requête critiquée a été établie le 24 juin 2024 par le Brigadier-Chef de police [E] [M], en poste au sein du service de la police aux frontières de l'aéroport de [8], dûment habilité selon la note de service en date du 5 octobre 2023 émanant du Commissaire de police [N] [K], chef du service susvisé. Elle rappelle que X se disant Mme [Y] [V] a été placée en zone d'attente le 21 juin 2024 à 21h35 et tend à solliciter la prolongation de la mesure au-delà du délai initial de quatre jours. Si elle vise le 3 juin 2024 comme terme du maintien en zone d'attente ainsi prolongé, cette date constitue une simple erreur matérielle, le terme maximum du maintien en zone d'attente éventuellement prolongé étant le 3 juillet 2024.
Le moyen sera donc rejeté.
4) Sur le moyen tiré du recours à un interprète par téléphone sans nécessité
En application de l'article L. 141-3 du CESEDA, lorsque les dispositions du présent code prévoient qu'une information ou qu'une décision doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits dans cette langue, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire.En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur une liste établie par le procureur de la République ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger.
L'article L 343-1 du CESEDA dispose que l'étranger placé en zone d'attente est informé, dans les meilleurs délais, qu'il peut demander l'assistance d'un interprète et d'un médecin, communiquer avec un conseil ou toute personne de son choix et quitter à tout moment la zone d'attente pour toute destination située hors de France. Il est également informé des droits qu'il est susceptible d'exercer en matière de demande d'asile. Ces informations lui sont communiquées dans une langue qu'il comprend. Mention en est faite sur le registre mentionné au second alinéa de l'article L. 341-2, qui est émargé par l'intéressé.
L'article L342-9 du CESEDA prévoit qu'en cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d'inobservation des formalités substantielles, le juge des libertés et de la détention saisi d'une demande sur ce motif ou qui relève d'office une telle irrégularité ne peut prononcer la mainlevée du maintien en zone d'attente que lorsque cette irrégularité a eu pour effet de porter atteinte aux droits de l'étranger.
En l'espèce, si le conseil de l'appelante soutient que cette dernière a pour langue maternelle le 'ghanéen' et parle approximativement l'anglais, il ressort de la décision de refus d'entrée que l'intéressée a déclaré au poste frontière en langue anglaise être enceinte de six/sept mois. En outre, lors de son audition le 22 juin 2024 à 10h30 par le Brigadier-Chef de police [E] [M], assisté d'un interprète en langue anglaise, X se disant Mme [Y] [V] a exposé parler l'anglais. Enfin, cette dernière a exposé à l'audience de la cour avoir été scolarisée jusqu'à l'âge de 16 ans et que les enseignements étaient dispensés en anglais et en langue TWI. Il est donc établi que l'intéressée maîtrise la langue anglaise, qui est au demeurant la langue officielle du Ghana.
La décision de placement en zone d'attente et les droits afférents ont été notifiés à X se disant Mme [Y] [V] le 21 juin 2024 par le truchement de la plateforme téléphonique ISM, association agréée par l'administration, et par Mme [P], interprète en langue anglaise.
Si aucun élément de la procédure ne démontre la nécessité de recourir à un interprète par téléphone, cette seule circonstance est insuffisante à établir un grief au préjudice de X se disant Mme [Y] [V].
Surtout, il sera observé que l'intéressée a sollicité après la notification de la décision de refus d'entrée le bénéfice du jour franc, faisant ainsi obstacle à son retour immédiat vers le Maroc. Elle indique ensuite avoir déposé une demande d'asile depuis la zone d'attente. Ainsi, l'appelante a pu exercer les droits lui étant ouverts après en avoir reçu notification en langue anglaise, qu'elle a déclarée comprendre.
Le moyen sera donc rejeté.
5) Sur la prolongation du maintien en zone d'attente
Vu l'article L342-1 du CESEDA;
Aux termes des dispositions de l'article L342-10 du CESEDA, 'L'existence de garanties de représentation de l'étranger n'est pas à elle seule susceptible de justifier le refus de prolongation de son maintien en zone d'attente.'
Selon les dispositions de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de ses prétentions.
Il importe de rappeler que le juge saisi d'une demande de maintien en zone d'attente statue au regard de l'exercice effectif des droits reconnus à l'étranger au sein de la dite zone, son office ne portant pas sur la compatibilité de l'état de santé de l'étranger avec les modalités de transport envisagées en vue de son éloignement du territoire.
En zone d'attente, X se disant Mme [Y] [V] se voit reconnaître le droit d'être assisté par un médecin, conformément aux dispositions de l'article L343-1 du CESEDA. Or, il est établi qu'elle a été examinée le 24 juin 2024 par le professeur [S] [A], gynécologue obstétricien à l'hôpital [9] de [Localité 7], qui a conclu à la compatibilité de son état de santé avec son maintien dans la zone d'attente du centre de rétention administrative de [Localité 7]. Son droit à la santé a donc été respecté, l'intéressée ne produisant au demeurant aucun document établissant l'incompatibilité de son état avec un voyage par transport aérien.
De la même manière, elle ne soumet au débat aucun élément de nature à étayer ses allégations quant à l'incompatibilité de son état de santé avec les conditions matérielles du centre de rétention administrative de [Localité 7].
Enfin, il convient de rappeler que l'existence d'éventuelles garanties de représentation ne suffit pas à justifier un refus de maintien en zone d'attente.
Par conséquent, l'ordonnance du premier juge sera confirmée.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort, après débats en audience publique,
Déclarons recevable l'appel formé par X se disant Mme [Y] [V],
Rejetons les moyens soulevés,
Confirmons l'ordonnance du Juge des libertés et de la détention d'AIX-EN-PROVENCE en date du 25 Juin 2024,
Les parties sont avisées qu'elles peuvent se pourvoir en cassation contre cette ordonnance dans un délai de 2 mois à compter de cette notification, le pourvoi devant être formé par déclaration au greffe de la Cour de cassation, signé par un avocat au conseil d'Etat ou de la Cour de cassation.
Le greffier, Le président,
Reçu notification et copie le :
X se disant Madame [Y] [V]
née le 18 Septembre 1984 à [Localité 6] (Ghana)
de nationalité Ghanéenne
assisté de , interprète en langue TWI (dialecte du Ghana).
Interprète
COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
Service des Rétentions Administratives
[Adresse 5]
Téléphone : [XXXXXXXX02] - Fax : [XXXXXXXX01]
Aix-en-Provence, le 27 Juin 2024
- Maître Charlotte MIQUEL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
- le directeur de la zone d'attente
- le directeur de la PAF
- Monsieur le Procureur Général
- JLD TJ D'Aix-en-Provence
N° RG : N° RG 24/00913 - N° Portalis DBVB-V-B7I-BNJAV
OBJET : Notification d'une ordonnance
J'ai l'honneur de vous notifier l'ordonnance, ci-jointe, rendue le 27 Juin 2024, suite à l'appel interjeté par X se disant Mme [Y] [V] contre l'ordonnance du Juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence en date du 25 juin 2024.
Le Greffier
VOIE DE RECOURS
Nous prions Monsieur le directeur de la zone d'attente de bien vouloir indiquer au retenu qu'il peut se pourvoir en cassation contre cette ordonnance dans un délai de 2 mois à compter de cette notification, le pourvoi devant être formé par déclaration au greffe de la Cour de cassation.