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27/06/2024 | FRANCE | N°23/09958

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-2, 27 juin 2024, 23/09958


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-2



ARRÊT

DU 27 JUIN 2024



N° 2024/432









Rôle N° RG 23/09958 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BLWEE







[B] [Y]

[G] [Y]

[D] [Y]





C/



[U] [S]

S.C.I. [Adresse 13]





















Copie exécutoire délivrée

le :

à :



Me Rachel COURT-MENIGOZ de la SELARL CABINET FRANCOIS & ASSOCIES



Me

Yves SOULAS de la SARL ATORI AVOCATS





Décision déférée à la Cour :



Ordonnance de référé rendue par le Président du tribunal judiciaire de MARSEILLE en date du 13 juillet 2023 enregistrée au répertoire général sous le n° 22/06395.





APPELANTS



Monsieur [B] [Y]

né le [Date naissance ...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-2

ARRÊT

DU 27 JUIN 2024

N° 2024/432

Rôle N° RG 23/09958 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BLWEE

[B] [Y]

[G] [Y]

[D] [Y]

C/

[U] [S]

S.C.I. [Adresse 13]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Rachel COURT-MENIGOZ de la SELARL CABINET FRANCOIS & ASSOCIES

Me Yves SOULAS de la SARL ATORI AVOCATS

Décision déférée à la Cour :

Ordonnance de référé rendue par le Président du tribunal judiciaire de MARSEILLE en date du 13 juillet 2023 enregistrée au répertoire général sous le n° 22/06395.

APPELANTS

Monsieur [B] [Y]

né le [Date naissance 3] 1975 à [Localité 14], demeurant [Adresse 5]

Madame [G] [Y]

née le [Date naissance 2] 1945 à [Localité 14], demeurant [Adresse 12]

Madame [D] [Y]

née le [Date naissance 6] 1979 à [Localité 14], demeurant [Adresse 10]

représentés par Me Rachel COURT-MENIGOZ de la SELARL CABINET FRANCOIS & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

et assistés de Me Nicolas AYNES de l'AARPI FAIRWAY, avocat au barreau de PARIS, plaidant

INTIMES

Monsieur [U] [S]

né le [Date naissance 1] 1945 à [Localité 14], demeurant [Adresse 9]

S.C.I. [Adresse 13]

Prise en la personne de son représentant légal en exercice

dont le siège social est situé [Adresse 12]

représentés par Me Yves SOULAS de la SARL ATORI AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE substitués par me Damien NOTO, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 21 mai 2024 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Mme NETO, Conseillère, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

M. Gilles PACAUD, Président

Mme Sophie LEYDIER, Conseillère

Mme Angélique NETO, Conseillère rapporteur

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Julie DESHAYE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 27 juin 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 27 juin 2024,

Signé par M. Gilles PACAUD, Président et Mme Julie DESHAYE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

La société civile immobilière (SCI) [Adresse 13] (AR 120) a été créée le 28 janvier 1992 par M. [Z] [Y] et M. [U] [S]. Elle a notamment pour objet la propriété, l'administration par le bail et la location des immeubles qu'elle possède. Elle est propriétaire de 27 appartements.

Messieurs [Y] et M. [S] détenaient chacun 10 parts sur les 20 parts sociales de la société.

[Z] [Y], qui a toujours géré la société, est décédé le [Date décès 8] 2017.

Depuis ce décès, le capital de la société AR 120 est répartie de la manière suivante :

- 10 parts sociales en pleine propriété pour M. [U] [S] ;

- 10 parts sociales en usufruit pour Mme [G] [Y] ;

- 5 parts sociales en nue-propriété pour Mme [D] [Y] ;

- 5 parts sociales en nue-propriété pour M. [B] [Y].

La gérance de la société AR 120 a été confiée à M. [S] par suite d'une décision prise par l'assemblée générale le 2 novembre 2017.

Se prévalant de manquements commis par M. [S] et d'une mauvaise gestion, les consorts [Y] l'ont, par acte d'huissier en date du 12 décembre 2022, assigné ainsi que la société AR 120 devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Marseille aux fins notamment d'entendre ordonner la révocation de M. [S] de ses fonctions de gérant, désigner un administrateur ad hoc avec pour mission de convoquer les associés à une assemblée générale aux fins de nommer un nouveau gérant et suspendre les effets de la décision de l'assemblée générale du 24 octobre 2022.

A titre reconventionnel, M. [S] et la société AR 120 ont demandé à ce que Mme [G] [Y] soit condamnée à verser une provision de 6 000 euros à valoir sur le remboursement des sommes indûment prélevées sur le compte courant de la société en décembre 2022, janvier et février 2023.

Par ordonnance en date du 13 juillet 2023, ce magistrat a :

- débouté les consorts [Y] de leurs demandes ;

- débouté M. [S] de sa demande provisionnelle reconventionnelle ;

- dit n'y avoir lieu à faire droit aux demandes respectives des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné in solidum les consorts [Y] aux dépens.

En premier lieu, il a considéré que la révocation de M. [S] de ses fonctions de gérant ne se justifiait pas par des fautes qu'il aurait commises dans l'exercice de ses fonctions de nature à porter atteinte aux intérêts de la société et susceptibles de la mettre en péril. Il a relevé que les travaux de rénovation à réaliser dans deux des biens immobiliers appartenant à la société pour un montant de 90 000 euros avaient été votés par l'assemblée générale le 18 mars 2022, de sorte que les consorts [Y] n'étaient pas fondés à discuter tant leur nécessité que les devis établis par la société Maçonnerie Bâtiment § [J], et ce, peu important que M. [S] détiendrait des parts sociales dans ladite société. Il a en effet estimé que la preuve n'était pas rapportée d'une surévaluation du coût des travaux dans le but de favoriser les intérêts de M. [S] au détriment de la société AR 120 dans laquelle il détenait la moitié des parts sociales. Il a souligné que l'arrêt des travaux était imputable à l'insuffisance de trésorerie de la société AR 120 et à l'absence de concours bancaire.

Il a également considéré que cette révocation ne se justifiait pas par l'existence d'un différend opposant les associés de nature à entraîner la paralysie du fonctionnement de la société dès lors que les immeubles étaient gérés par un mandataire professionnel, que M. [S] ne se contentait que d'affecter les dividendes, que la mésentente n'était apparue qu'à l'occasion du financement d'une partie des travaux qui ne concernaient que deux appartements sur les 27 que possédait la société et que sa trésorerie était en augmentation constante depuis le 31 décembre 2022.

Il a relevé que cette révocation ne se justifiait pas plus par le non-respect par M. [S] des dispositions de l'article 1856 du code civil en l'absence de tenue de toute comptabilité ainsi que de l'établissement, l'approbation et les redditions des comptes, dès lors que les consorts [Y] avaient connaissance de la situation financière de la société, Mme [G] [Y] établissant toujours des chèques pour son compte et M. [B] [Y] ayant procédé au dépôt de la déclaration fiscale de 2019.

Il a donc conclut au fait que la révocation de M. [S] à ses fonctions de gérant de la société AR 120 se heurtait à des contestations sérieuses.

En second lieu, il a considéré que la demande de suspension des effets de la décision de l'assemblée générale du 24 octobre 2022, en ce qu'elle avait décidé de suspendre la distribution des dividendes tant que la société n'aurait pas une trésorerie de 80 000 euros, se heurtait à des contestations sérieuses dès lors qu'il n'appartenait pas au juge des référés de se prononcer sur le point de savoir si la décision qui avait été prise était contraire à l'article 37 relatif à la répartition du bénéfice distribuable, et que le gérant devait accomplir tous les actes de gestion que demande l'intérêt de la société et permettre l'achèvement des travaux afin de respecter les engagements contractuels de la société à l'égard des tiers.

En troisième lieu, il n'a pas fait droit à la demande reconventionnelle dès lors que la preuve n'était pas rapportée, à l'évidence, que Mme [G] [Y] percevait tous les mois 2 000 euros de dividendes et qu'une autre somme de 2 000 euros était versée tous les mois sur un autre compte bancaire dont le bénéficiaire n'était pas identifié, sachant que les consorts [Y] soutenaient qu'il s'agissait de M. [S].

Suivant déclaration transmise au greffe le 26 juillet 2023, les consorts [Y] ont interjeté appel de cette décision en toutes ses dispositions dûment reprises, sauf en ce qu'elle n'a pas fait droit à la demande reconventionnelle.

Aux termes de leurs dernières écritures transmises le 1er décembre 2023, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des prétentions et moyens, ils sollicitent de la cour qu'elle :

- infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions dûment reprises, sauf en ce qu'elle n'a pas fait droit à la demande reconventionnelle ;

- statuant à nouveau,

- ordonne la révocation de M. [S] de ses fonctions de gérant de la société AR 120 avec prise d'effet au jour du prononcé de la décision à intervenir ;

- désigne un administrateur ad hoc avec pour mission de convoquer les associés de la société AR 120 à une assemblée générale aux fins de désigner un nouveau gérant, qui devra se tenir au plus tard un mois suivant la décision à intervenir, et jusqu'à ce que les associés nomment un nouveau gérant, d'assurer la gérance de la société ;

- suspende les effets de la décision de l'assemblée générale du 24 octobre 2022 ;

- déboute les intimés de leurs demandes ;

- condamne M. [S] à leur payer à chacune la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- le condamne aux dépens de première instance et d'appel.

Sur la révocation des fonctions de gérant de M. [S], ils fondent leur demande sur les dispositions de l'article 834 du code de procédure civile en raison de l'urgence et de l'existence d'un différend.

Concernant l'urgence, ils se prévalent d'une gestion irrégulière et d'une paralysie du fonctionnement de la société.

Sur le premier point, ils exposent tout d'abord que la gestion qui est faite est préjudiciable à l'intérêt social de la société AR 120. Ils soulignent que M. [S] a fait appel à la société Maçonnerie Bâtiment § [J], dont le siège social est situé à la même adresse que celui de la SCI Berenger Invest, dans laquelle M. [S] est associé et qui est dirigée par M. [E] [M], qui n'est autre que la personne qui était en charge des travaux, pour réaliser des travaux à un coût exorbitant de plus de 230 000 euros dans deux des 27 appartements de la société AR 120. Ils relèvent que pour ces deux chantiers, la société a dépensé la somme totale de 176 162,10 euros. Ils soutiennent que, contrairement à ce qu'a jugé le premier juge, les devis n'ont pas été soumis à l'assemblée générale. Ils relèvent que, lors de l'assemblée générale du 18 mars 2022, soit la première qui a été réunie depuis 2017, il n'a pas été question d'autoriser les travaux, qui avaient déjà commencé, mais d'autoriser la société AR 120 à emprunter une somme de 90 000 euros pour poursuivre les travaux, faute de trésorerie suffisante. Ils indiquent que ce prêt n'a pas été accordé dès lors que les enfants ont refusé de souscrire une assurance décès pour la totalité des sommes empruntées sachant qu'ils ne détiennent que 50 % du capital social en nue-propriété. Ils exposent que les travaux n'ont pas pu être achevés et que les biens en question ne peuvent être loués.

Ensuite, ils se prévalent de l'absence de gestion de la société faute de comptabilité de compte-rendu de l'activité, de l'établissement et de l'approbation des comptes sociaux et de la convocation des associés aux assemblées générales. Ils soulignent que la société a réalisé une perte de 1 878 euros en 2022 et a été contrainte de suspendre la distribution des dividendes. Ils relèvent n'avoir aucune visibilité sur l'état des finances de la société depuis avril 2023. Ils insistent sur le fait que, sans l'intervention d'un juge, la société sera contrainte de vendre certains de ses actifs et appartements, ce qui est contraire à son intérêt social.

Sur le deuxième point, ils insistent sur la mésentente entre les associés égalitaires à l'origine de désaccords systématiques contraires aux intérêts de la société. S'ils indiquent avoir voté à l'unanimité l'autorisation donnée au gérant de faire expertiser les biens de la société AR 120 en vue de sa dissolution, cela ne traduit pas l'absence de mésentente. Ils soulignent que les assemblées générales annuelles de 2022 et 2023 démontrent une situation de blocage entre les associés, concernant notamment les questions portant sur la révocation du gérant et la dissolution de la société.

Concernant l'existence d'un différend, ils se prévalent de désaccords persistants sur la gestion et de la mésentente entre associés égalitaires. Ils soulèvent les mêmes moyens que ceux développés ci-dessus. Ils indiquent avoir, lors de l'assemblée générale du 24 octobre 2022, interrogé M. [S] sur le choix de l'entreprise de travaux, la sécurisation du financement des travaux et le séquencement des travaux, questions qui révèlent l'existence d'un sérieux différend.

Concernant la mesure de révocation sollicitée, ils indiquent que la cause légitime de cette mesure résulte des manquements répétés et de la passivité fautive de M. [S].

Tout d'abord, ils font état de l'absence de tenue de comptabilité en méconnaissance des dispositions légales et statutaires dès lors que M. [S] a demandé, à deux reprises, aux associés de se faire remettre des documents comptables. Ils démentent le fait que M. [B] [Y] soit l'interlocuteur de l'expert-comptable et soulignent que le fait pour Mme [G] [Y] de disposer d'une procuration bancaire n'est pas de nature à décharger M. [S] de ses obligations légales et statutaires.

Ensuite, ils insistent sur l'absence d'établissement, d'approbation et de reddition des comptes en méconnaissance des dispositions légales et statutaires, faisant observer que M. [S] n'a jamais établi, depuis qu'il gère la société, le moindre document comptable ou social, de sorte qu'ils ignorent tout de la situation financière de la société. Ils insistent sur le fait qu'il n'a jamais fait droit à leur demande de communication et de mise à disposition des documents de la société. Ils démentent le fait que Mme [G] [Y] soit destinataire des relevés du compte bancaire de la société et qu'elle dispose des codes d'accès au portail internet.

Par ailleurs, ils se prévalent de l'absence de convocation des associés aux assemblées générales pendant plusieurs années, faisant observer que les assemblées générales qui se sont tenues en 2022 n'avaient pas pour objet de rendre compte de l'activité de gérance, de voter et de discuter des comptes de la société et que celle de 2023 n'est pas de nature à régulariser l'absence de convocation entre 2017 et 2022.

Enfin, ils insistent sur l'irrégularité manifeste de la tenue de l'assemblée générale du 24 octobre 2022 dès lors que :

- la copie de la requête et de l'ordonnance sur requête en en date du 13 octobre 2022, autorisant un huissier de justice à assister à l'assemblée générale du 24 octobre 2022 et d'établir un procès-verbal de constatation, ne leur pas été remise avant la tenue de ladite assemblée ;

- la distribution de dividendes a été suspendue alors même que cette question ne figurait pas à l'ordre du jour, qu'elle n'a pas été soumise à un vote de l'assemblée générale et qu'elle n'a même pas été discutée, et ce en violation des dispositions légales et statutaires ;

- cette question ne relevait pas des pouvoirs du gérant mais d'une décision collective de l'assemblée générale, tel que cela résulte de l'article 37 des statuts.

Sur la suspension des effets de l'assemblée générale du 24 octobre 2022, ils fondent leur demande sur les dispositions de l'article 835 alinéa 1 du même code en raison d'un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser.

Sur la demande reconventionnelle de provision, ils font valoir que les associés ont décidé, à l'unanimité, il y a 10 ans, la distribution par la société de dividendes mensuelles sous forme d'acompte, de sorte qu'ils percevaient, au même titre que M. [S], 2 000 euros par mois. Ils soulignent que la décision qui a été prise par le gérant constitue une violation manifeste aux dispositions statutaires.

Aux termes de leurs dernières écritures transmises le 3 novembre 2023, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des prétentions et moyens, M. [S] et la société AR 120 demandent à la cour de :

- confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle n'a pas fait droit à la demande reconventionnelle ;

- statuant à nouveau,

- condamner Mme [G] [Y] au paiement d'une provision de 6 000 euros au profit de la société AR 120 à titre de remboursement des sommes indûment prélevées par cette dernière sur le compte courant de la société en décembre 2022, janvier et février 2023 ;

- condamne solidairement les appelants à leur verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- les condamne solidairement aux dépens.

Ils contestent les demandes formées par les appelants pour plusieurs motifs.

Tout d'abord, ils insistent sur l'absence d'urgence et le bon fonctionnement de la société. Ils relèvent que la gestion des biens de la société est confiée à l'agence Aria, gestionnaire de biens, et que l'activité de la société génère des revenus locatifs, ce que révèlent les comptes de la société qui est passé d'un solde créditeur de 35 231,04 euros en novembre 2022 à 78 938,80 euros en avril 2023. Ils soulignent également que, lors des dernières assemblées, les associés sont parvenus à des accords sur certaines questions, ce qui démontre qu'il n'y a aucun blocage ou risque de paralysie de la société, et ce, quand bien même ils ne sont pas entendus sur les questions de la révocation du gérant et son remplacement.

Ensuite, ils exposent, qu'en application de l'article 30 des statuts le gérant peut, dans ses rapports avec les associés, accomplir tout acte de gestion que demande l'intérêt de la société et, dans ses rapports avec les tiers, il engage la société par les actes entrant dans l'objet social. Ils soutiennent que c'est en application de cet article que la réalisation de travaux de rénovation a été décidée dans deux appartements, celui situé [Adresse 4], au regard du risque d'effondrement du plafond et d'éléments de structure au niveau de la terrasse, et celui situé [Adresse 11], au regard de la nécessité de procéder au ravalement de la façade de l'immeuble et à la réfection de l'appartement situé au rez-de-chaussée. Ils exposent avoir fait appel à la société Maçonnerie Bâtiment § [J], en mars 2021, après avoir refusé le devis d'une autre entreprise. Ils soulignent que les devis initiaux et ceux complémentaires sont parfaitement justifiés compte tenu de l'ampleur des travaux à réaliser. Pour les travaux de ravalement, ils indiquent avoir fait appel à un maître d'oeuvre et qu'une demande de subvention a été déposée. Ils révèlent que la valeur locative devait passer de 287, 23 euros à 700 euros par mois concernant le premier bien et de 496,35 euros à 900 euros par mois concernant le deuxième bien. Ils insistent sur le fait que c'est uniquement l'attitude des appelants qui a fait échouer la demande de prêt faite au nom de la société et, dès lors, la poursuite des travaux. Ils font valoir que M. [M] n'est aucunement associé de la société Maçonnerie Bâtiment § [J] et que, ni M. [M], ni M. [S], n'ont de lien avec ladite société. Ils soulignent que M. [O] a considéré que les prix étaient cohérents avec les prestations réalisées. Ils ne comprennent pas les contestations des appelants dès lors qu'il était convenu que les questions de l'entretien des biens et la réalisation des travaux relevaient des pouvoirs du gérant tandis que les consorts [Y] étaient chargés de la comptabilité, Mme [G] [Y] ayant disposé, jusqu'en octobre 2023, d'un chéquier de la société.

Enfin, ils contestent tout manquement du gérant mettant en péril les intérêts et le bon fonctionnement de la société et, dès lors, justifiant sa révocation. Ils soulignent que la prétendue absence de comptabilité s'explique par le fait que le siège de la société se situe au domicile de Mme [G] [Y], laquelle est destinataire des envois de la banque, outre le fait qu'elle dispose des codes d'accès au portail internet lui permettant de consulter les comptes et passer des opérations. Ils indiquent que M. [B] [Y] s'occupe seul de la comptabilité de la société depuis plusieurs années en étant l'interlocuteur de l'expert-comptable, ce que révèlent les échanges de mails qui sont intervenus entre les associés en mai 2020, novembre 2022 et janvier 2023. Ils exposent que cette critique n'est faite que depuis que M. [S] a émis le souhait de reprendre la gestion de la société en conformité avec les statuts et qu'il a été prévu d'inscrire à la prochaine ordre du jour la question de la désignation d'un commissaire aux comptes afin de permettre un contrôle renforcé de la comptabilité. Par ailleurs, ils relèvent que les appelants ne sont pas fondés à reprocher au gérant l'absence d'établissement, d'approbation et de reddition des comptes en assemblée générale, et ce, alors même que cela n'a jamais été fait et que la comptabilité a toujours été tenue par M. [B] [Y], de même que c'est lui qui effectuait les déclarations fiscales. Ils soulignent que l'assemblée générale du 8 novembre 2023 permettra aux associés de se prononcer sur ce point. En outre, ils font valoir que des assemblées générales se sont bien tenues en 2022 et qu'une assemblée générale est prévue en 2023, faisant observer que, par le passé, aucune assemblée générale n'était tenue. Enfin, ils relèvent l'absence d'irrégularité résultant de l'assemblée générale du 24 octobre 2022 en ce que l'ordonnance rendue sur pied de requête est exécutoire au seul vu de la minute. Ils soulignent que la suspension du versement des dividendes a été décidée par M. [S] en vertu de ses pouvoirs de gérant, de sorte que le fait pour lui d'informer les associés de cette décision n'impliquait aucunement que cette question soit inscrite à l'ordre du jour. Ils insistent sur le fait que cette décision a été prise dans l'unique but de reconstituer la trésorerie de la société qui a été mise à mal par le comportement des appelants qui ont refusé de faire le nécessaire pour permettre à la société d'obtenir un prêt bancaire afin de poursuivre les travaux. Ils soulignent que cette décision a permis une augmentation de la trésorerie de la société.

Ils justifient leur demande reconventionnelle par le fait que Mme [G] [Y] n'a pas hésité, malgré la décision prise par le gérant, à mettre en place un virement de 2 000 euros par mois de la société vers le sien à compter du mois de décembre 2022. Ils exposent qu'elle a ainsi perçu 6 000 euros en fraude aux droits de la société et de ses associés. Ils relèvent que les appelants n'ont jamais contesté le fait pour Mme [G] [Y] d'avoir perçu ces sommes, et ce, contrairement à ce que le premier juge a jugé.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 7 mai 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la révocation des fonctions de gérant et la désignation d'un administrateur ad hoc afin de convoquer une assemblée générale en vue de la désignation d'un nouveau gérant

Il résulte de l'article 834 du code de procédure civile que, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

L'urgence est caractérisée chaque fois qu'un retard dans la prescription de la mesure sollicitée serait préjudiciable aux intérêts du demandeur.

Une contestation sérieuse survient lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.

Si une mesure est justifiée par l'existence d'un différend opposant les parties, le juge des référés ne peut pas se déclarer incompétent au motif qu'il existe une contestation sérieuse.

C'est au moment où la cour statue qu'elle doit apprécier non seulement l'urgence mais également l'existence d'un différend ou d'une contestation sérieuse, le litige n'étant pas figé par les positions initiale ou antérieures des parties dans l'articulation de ces moyens.

Par ailleurs, en application de l'article 1851 du code civil alinéa 1, sauf disposition contraire des statuts, le gérant est révocable par une décision des associés représentant plus de la moitié des parts sociales. Si la révocation est décidée sans juste motif, elle peut donner lieu à des dommages-intérêts. L'alinéa 2 dispose que le gérant est également révocable par les tribunaux pour cause légitime, à la demande de tout associé.

Il en résulte que la demande en justice de la révocation d'un gérant n'est recevable que si elle est fondée sur une cause légitime, laquelle s'apprécie, non pas seulement en fonction du comportement de l'intéressé, mais aussi et surtout en considération des conséquences pour l'intérêt social ou le fonctionnement de la société.

Enfin, distinct de l'administrateur provisoire dont la nomination suppose que soient réunies cumulativement deux conditions relatives à la gravité de la crise sociale, de nature à rendre impossible le fonctionnement normal de la société, et à l'urgence, du fait d'un péril imminent menaçant celle-ci, le mandataire ad hoc, chargé d'un mandat judiciaire spécial d'accomplir un acte déterminé peut être nommé par un juge lorsqu'est rapportée la preuve d'un dysfonctionnement. Il faut par ailleurs que la demande soit conforme à l'intérêt social. Autrement dit, elle ne doit pas être motivée par la satisfaction d'un intérêt personnel.

La désignation d'un mandataire ad hoc doit demeurer exceptionnelle, au même titre que les autres immixtions de tiers dans la société.

Si la demande peut être faite devant le juge des référés, il reste que ce dernier ne sera pas compétent dès lors que la mission confiée au mandataire ad hoc dépasse le cadre d'un simple mandat d'administration courante et de simples mesures conservatoires. Il en est ainsi si la mission confiée au mandataire judiciaire risque de préjudicier au principal et de constituer une mesure irréversible.

En l'espèce, il convient de relever que les appelants, qui se prévalent de l'existence d'un différend les opposant au gérant de la société AR 120, tenant à une mauvaise gestion de nature à compromettre son intérêt social et fonctionnement, exposent qu'il est urgent de révoquer M. [S] de ses fonctions de gérant pour juste motif et, partant, de désigner un administrateur ad hoc avec pour mission de convoquer les associés à une assemblée générale aux fins de désigner un nouveau gérant.

Or, la demande de révocation sollicitée par les appelants excèdent les pouvoirs du juge des référés. En effet, le caractère provisoire des décisions qu'il rend lui interdit de prendre des mesures de nature à produire des conséquences irréversibles. Tel est le cas d'une révocation judiciaire d'un gérant fondée sur une cause légitime qui relève de l'appréciation des juges du fond. De plus, le juge des référés ne saurait contrôler les motifs de la révocation envisagée par les associés sans s'immiscer dans le fonctionnement social et sans réaliser un contrôle d'opportunité qui n'appartient qu'aux juges du fond.

En revanche, le juge des référés a compétence pour désigner, à la demande d'un associé, un mandataire ad hoc chargé de convoquer les associés à une assemblée générale ayant pour ordre du jour la révocation éventuelle du mandat de gérant et la nomination, le cas échéant, d'un nouveau gérant. Dans ce cas, il n'a pas à apprécier les motifs de la révocation mais seulement la conformité de la demande dont il est saisi au regard de la préservation de l'intérêt social de la société, et non pour servir des intérêts propres, et ce, quel que soit l'ordre du jour pour lequel un associé demande la désignation d'un administrateur ad hoc chargé de convoquer une assemblée générale.

Dès lors que les motifs avancés par les appelants pour justifier leur demande de révocation judiciaire formée à l'encontre de M. [S] sont les mêmes que les raisons pour lesquelles ils sollicitent la désignation d'un administrateur ad hoc, il y a lieu de rechercher si les conditions requises pour une telle désignation sont remplies en l'espèce, à savoir une mésentente entre deux blocs d'associés égalitaires de nature à compromettre le fonctionnement de la société et son intérêt social.

Concernant l'atteinte causée au fonctionnement normal de la société AR 120, les statuts confèrent au gérant, dans les rapports entre associés, le pouvoir d'accomplir tous les actes de gestion que demande l'intérêt de la société et, dans les rapports avec les tiers, le pouvoir d'engager la société par les actes entrant dans l'objet social, et notamment emprunter, donner mainlevée de toute inscription et confier à des mandataires associés ou non des pouvoirs spéciaux. Ils stipulent également que les associés sont réunis en assemblée générale par le gérant et qu'il est tenu par les soins de la gérance une comptabilité régulière détaillant les recettes et dépenses de la société, outre le fait qu'il doit, à la clôture de chaque exercice, dresser l'inventaire, le compte d'exploitation générale, le compte de profits et pertes ainsi que le bilan de la société.

Dès lors que ces statuts ne comportent pas de clause limitative de pouvoirs, il est admis qu'entrent dans l'objet social tous les actes de gestion nécessaires à l'intérêt de la société, à savoir contracter des emprunts pour financer des acquisitions immobilières, acquérir des biens dans les conditions prévues dans l'objet social, sélectionner des locataires, encaisser des loyers immobiliers, régler les dépenses, engager des travaux nécessaires sur le patrimoine immobilier, tenir une comptabilité, rédiger un rapport écrit annuel sur l'activité de la société et les perspectives d'avenir, réunir les associés en assemblée générale ou les consulter par écrit ainsi que répondre aux questions écrites posées par les associés.

S'il est admis, que jusqu'à la convocation des associés à l'assemblée générale du 8 novembre 2023, ces derniers n'ont jamais été réunis afin d'approuver les comptes annuels de la société, il n'en demeure pas moins que M. [S] justifie que les biens appartenant à la société AR 120 sont gérés par une agence immobilière, la société Aria, suivant un mandat de gestion, que des loyers sont encaissés, ce que révèle l'existence de bénéfices distribuables qui ont été répartis entre les associés, jusqu'à la décision qui a été prise par le gérant, lors de l'assemblée générale du 24 octobre 2022, de suspendre cette distribution, que les consorts [Y], et en particulier Mme [G] [Y], ont toujours eu accès aux comptes bancaires et documents sociaux de la société dont le siège social se situe à son domicile, et que la comptabilité de la société est tenue, notamment par M. [B] [Y] qui effectue les déclarations fiscales. C'est ainsi que, lors de l'assemblée générale du 24 octobre 2022, M. [S] a demandé à M. [B] [Y] de lui remettre les archives comptables depuis 2017, qui se trouvent au siège social de la société, ainsi que le mot de passe pour pouvoir accéder aux services des impôts. De plus, le conseil des consorts [Y] indique, dans un courrier en date du 25 octobre 2023, d'une part, avoir transmis à M. [S], en novembre 2022, les archives comptables de la société depuis 2017, les factures de l'année 2022, les déclarations fiscales et les avis d'imposition via un lien de téléchargement sécurisé et, d'autre part, que Mme [G] [Y] déposera à l'agence Aria à l'attention de M. [S] le chéquier de la société en sa possession dans un délai de 15 jours.

Il en résulte, qu'alors même que la société AR 120 a toujours fonctionné sans tenue de l'assemblée générale des associés et sans remise par le gérant, à la clôture de chaque exercice, de documents sociaux (inventaire, compte d'exploitation générale, compte de profits et pertes et bilan de la société), que ce soit du temps où elle était gérée par feu M. [Z] [Y] ou depuis qu'elle est gérée par M. [S], à compter du 2 novembre 2017, le seul fait pour le gérant de ne pas avoir accompli les actes de gestion prévus par les statuts ou la loi ne caractérise pas des irrégularités de gestion impactant le fonctionnement normal de la société.

Cela est d'autant plus vrai qu'à partir du moment où les consorts [Y] ont critiqué la manière dont M. [S] gérait la société, soit après le refus de la banque, en juillet 2022, d'accorder un prêt à la société et la décision, lors de l'assemblée générale du 24 octobre 2022, de suspendre la distribution des bénéfices de la société, par des versements mensuels, M. [S] a convoqué les associés à une assemblée générale du 8 novembre 2023 avec pour ordre du jour l'examen du rapport de la gérance sur l'activité de la société au cours de l'exercice clos le 31 décembre 2022, l'approbation des comptes annuels du même exercice, l'approbation de la liasse 2072, le quitus à la gérance, l'affectation du résultat du même exercice clos, la nomination d'un commissaire aux comptes, l'examen du rapport spécial de la gérance sur les conventions visées à l'article L 612-5 du code de commerce, les pouvoirs pour les formalités et les questions diverses. M. [S] a également fait droit à la demande M. [B] [Y], par courrier en date du 26 octobre 2023, de compléter l'ordre du jour de manière à ce que les associés puissent se prononcer sur des résolutions tenant à l'approbation des loyers bruts de deux appartements, la révocation du gérant, la désignation d'un nouveau gérant en sa personne, la dissolution amiable de la société ou des questions diverses concernant les comptes sociaux de 2021 et 2022 ainsi que les travaux qui ont été réalisés. Aucune des parties n'apporte de précisions sur la tenue ou non de l'assemblée générale du 8 novembre 2023 et, le cas échéant, sur les résolutions qui ont été votées.

Il reste que les consorts [Y] reprochent à M. [S] d'avoir engagé des travaux sur deux des 27 biens appartenant à la société AR 120 à un prix exorbitant afin de favoriser ses propres intérêts au détriment de ceux de l'intérêt social de la société. Les travaux en question ont été décidés par M. [S] sans qu'aucune assemblée générale des associés n'ait été préalablement réunie afin de les approuver. En effet, alors même que les devis et factures de travaux ont été établis entre les mois de mars 2021 et juillet 2022, les associés se sont réunis en assemblée générale, le 18 mars 2022, afin d'autoriser, à l'unanimité, M. [S] à emprunter au nom de la société AR 120 au maximum 90 000 euros pour la réalisation des travaux.

Alors même que les travaux nécessaires au patrimoine immobilier font partie des actes de gestion que peut faire un gérant, les consorts [Y] soutiennent que M. [S] a commandé les travaux auprès de la société Maçonnerie § Bâtiment [J], présidée par M. [H] [J], qui a son siège social à la même adresse que celle de la société civile immobilière Berenger Invest, à savoir [Adresse 7], ayant quatre associés, M. [M], associé gérant, Mme [F] épouse [V], M. [V], et M. [S]. Le seul fait pour les sociétés Maçonnerie § Bâtiment [J] et Benreger Invest d'avoir leurs sièges sociaux à la même adresse ne permet pas d'attester de la volonté de M. [S] de privilégier ses propres intérêts au détriment de la société AR 120 dans laquelle il associé à hauteur de moitié. Cela est d'autant plus vrai que M. [S] produit aux débats un avis technique donné par M. [K] [O], dans un courrier en date du 24 mai 2023, sur le coût des travaux. Ce dernier indique que les prix proposés d'un montant d'environ 60 000 euros toutes taxes comprises, suivant devis établis les 2 mars et 26 avril 2021, pour la rénovation de l'appartement de type 2 situé dans l'immeuble [Adresse 4], sont conformes aux prix pratiqués, de même que les travaux de ravalement des façades de l'immeuble situé [Adresse 11], pour lesquels une mission de maîtrise d'oeuvre a été confiée à un cabinet, d'un montant d'environ 50 000 euros toutes taxes comprises, suivant devis en date du 28 mars 2022. Or, les appelants, qui critiquent les prix qui ont été pratiqués, n'allèguent ni ne démontrent que les travaux commandés par M. [S] n'étaient pas nécessaires.

La preuve n'est donc pas rapportée de travaux commandés par M. [S] inutiles et/ou à un prix exorbitant afin de favoriser ses propres intérêts personnels au détriment de l'intérêt social.

S'il est apparu que la société AR 120 ne disposait pas de trésorerie suffisante pour financer les travaux ainsi entrepris, il n'en demeure pas moins que les associés ont accepté lors de l'assemblée générale du 28 mars 2022, que M. [S] contracte un prêt de 90 000 euros pour le compte de la société AR 120. Cette résolution, prise à l'unanimité, révèle que les appelants n'entendaient pas, à ce moment-là, critiquer la décision qui a été prise par le gérant de réaliser des travaux. Il apparaît que les divergences entre les associées sont nées à partir du moment où la banque a refusé le prêt sollicité faute pour les consorts [Y] d'avoir accepté de souscrire une assurance-décès portant sur la totalité de la somme empruntée, M. [S] ne pouvant y souscrire en raison de son âge. En effet, faute de prêt pour financer les travaux, M. [S] a informé les associés réunis lors de l'assemblé générale du 24 octobre 2022 de sa décision de les financer avec les fonds propres de la société dès qu'ils seraient provisionnés dans les comptes de la société. Il a, par la même occasion, informé les associés de sa décision de suspendre toute distribution des bénéfices jusqu'à ce que la trésorerie de la société soit reconstituée à hauteur de 80 000 euros. C'est en réaction à cette dernière décision que les associés ont initié une action en justice aux fins d'obtenir la révocation de son mandat de gérant.

Les associés font grief à M. [S] d'avoir pris une décision qui n'entrait pas dans les actes de gestion qu'il pouvait accomplir en tant que gérant. L'article 37 des statuts énonce que s'il résulte des comptes de l'exercice, tels qu'ils sont approuvés par l'assemblée générale, l'existence d'un bénéfice distribuable, l'assemblée décide soit de le distribuer, soit de le reporter à nouveau, soit de l'inscrire à un ou plusieurs postes de réserve dont elle règle l'affectation et l'emploi.

Or, lors de l'assemblée générale du 24 octobre 2022, il n'a pas été question d'approuver le moindre compte, le premier compte annuel portant sur l'exercice clos au 31 décembre 2022 devant être soumis à l'assemblée générale du 8 novembre 2023. De plus, la décision qui a été prise s'explique par la nécessité de financer des travaux en cours au moyen des fonds propres de la société AR 120 à la suite du refus de la banque de lui consentir un prêt. En outre, cette décision a permis à la société AR 120 de passer d'un solde créditeur de 35 231,04 euros en novembre 2022 à 78 038,90 euros en avril 2023. Il n'est donc pas exclu que la décision prise par le gérant puisse s'analyser, non pas comme une décision relevant de l'assemblée générale des associés, mais comme un acte de gestion commandé par l'intérêt de la société.

Il résulte donc de l'ensemble de ces éléments que la preuve d'un dysfonctionnement anormal de la société AR 120 n'est pas rapportée.

Concernant la conformité de la demande de désignation d'un mandataire ad hoc à l'intérêt social, les appelants relèvent qu'ils ne disposent que de la moitié des parts sociales, et ce, alors même qu'un gérant est révocable par une décision des associés représentant plus de la moitié des parts sociales.

Il n'en demeure pas moins que M. [S] ne s'est jamais opposé à inscrire à l'ordre du jour les questions portant sur sa révocation en tant que gérant et, le cas échéant, sur la désignation d'un nouveau gérant. C'est ainsi que ces questions ont été soumises au vote des assemblées générales des 24 octobre 2022 et 8 novembre 2023.

Si les consorts [Y] ne sont pas parvenus à révoquer M. [S] de son mandat de gérant, faute de disposer de plus de la moitié des parts sociales, la nomination d'un mandataire ad hoc n'est pas un moyen de départir deux blocs égaux en droit, pas plus que de protéger les minoritaires contre les majoritaires ou de sanctionner un abus de minorité. En effet, s'il est possible de nommer un mandataire ad hoc chargé de convoquer les associés à une assemblée générale avec pour ordre du jour un certain nombre de questions, et en particulier celles qu'un gérant refuse de soumettre au vote, ce mandataire ne pourra jamais voter aux lieu et place d'un associé. Tout comme la révocation judiciaire d'un gérant relève de l'appréciation des juges du fond, les abus d'égalité, de majorité et de minorité relèvent du contentieux de l'abus du droit de vote, en application de l'article 1833 du code civil, qui énonce que la société est gérée dans son intérêt social.

En l'occurrence, M. [S] n'ayant jamais refusé d'inscrire à l'ordre du jour la question de la révocation par les associés de son mandat de gérant, la désignation d'un mandataire ad hoc aux fins de désigner un nouveau gérant ne se justifie pas, au regard de l'intérêt social, tant que M. [S] n'aura pas été révoqué de ses fonctions.

De plus, dès lors qu'il résulte de ce qui précède que les appelants disposaient de l'ensemble des archives de la société de 2017 à novembre 2022, et notamment les comptes sociaux et documents comptables, que les bénéfices de la société faisaient l'objet d'une répartition mensuelle, jusqu'à ce que M. [S] décide d'en suspendre la distribution, lors de l'assemblée générale du 24 octobre 2022, et qu'aucune irrégularité manifeste de gestion n'est établie, pas plus que de décisions qui auraient été prises par M. [S] dans l'unique but de satisfaire ses intérêts personnels au détriment de l'intérêt social, la mésentente existante entre les associés depuis l'année 2022 n'apparaît pas de nature à compromettre l'intérêt social.

Au contraire, cette mésentente a conduit M. [S], non seulement à se conformer aux statuts en convoquant les associés à des assemblées générales, mais également à suspendre la distribution des bénéfices de manière à ce que la société AR 120 puisse satisfaire ses engagements à l'égard de l'entreprise en charge des travaux tout en évitant des difficultés financières qui pourraient nuire à son fonctionnement voire l'atteindre dans son existence même.

Ainsi, les appelants n'établissent pas que leur demande de désignation d'un mandataire ad hoc se justifie au regard de la préservation de l'intérêt social de la société. Au contraire, cette demande apparaît être animée par leur désir servir des intérêts propres à la suite d'un conflit opposant les consorts [Y] et M. [S] sur la distribution des bénéfices de la société AR 120.

En conséquence, il y a lieu de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a débouté les consorts [Y] de leurs demandes tendant à obtenir la révocation de M. [S] de ses fonctions de gérant de la société AR 120 et la désignation d'un administrateur ad hoc chargé de convoquer les associés à une assemblée générale avec pour ordre du jour de désigner un nouveau gérant.

Sur la suspension des effets de l'assemblée générale du 24 octobre 2022 portant sur la suspension du versement des dividendes

L'article 835 alinéa 1 du code de procédure civile dispose que le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le dommage imminent s'entend du dommage qui n'est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer et le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit.

Si l'existence de contestations sérieuses n'interdit pas au juge de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser un dommage imminent ou un trouble manifestement illicite, il reste qu'une contestation réellement sérieuse sur l'existence même du trouble et sur son caractère manifestement illicite doit conduire le juge des référés à refuser de prescrire la mesure sollicitée.

La cour doit apprécier l'existence d'un dommage imminent ou d'un trouble manifestement illicite au moment où le premier juge a statué, peu important le fait que ce dernier ait cessé, en raison de l'exécution de l'ordonnance déférée, exécutoire de plein droit.

Il est admis que le juge des référés peut suspendre les effets d'une décision prise lors d'une assemblée générale dès lors que la preuve d'un trouble manifestement illicite ou d'un dommage imminent est rapportée.

En l'espèce, il n'est pas discuté que la société AR 120 a distribué, de manière régulière, depuis dix ans, à ses associés, des bénéfices sur une base mensuelle. Ces versements mensuels s'élevaient à 2 000 euros depuis le mois de mars 2021.

Or, il résulte de ce qui précède que, lors de l'assemblée générale du 24 octobre 2022, M. [S] a informé les associés de sa décision de suspendre toute distribution des bénéfices jusqu'à ce que la trésorerie de la société soit reconstituée à hauteur de 80 000 euros.

Les associés affirment que cette décision a été prise en violation des dispositions légales et statutaires.

Tout d'abord, il apparaît qu'un huissier de justice a été désigné par ordonnance sur requête afin d'assister à l'assemblée générale et d'établir un procès-verbal de constatation. Il résulte de l'article 495 que l'ordonnance sur requête est exécutoire immédiatement au seul vu de la minute, soit sur simple présentation de l'ordonnance, et que copie de la requête et de l'ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée à peine de nullité. En application de ces dispositions, il est admis qu'aucune notification ou signification préalable de la décision à celui contre lequel l'exécution est poursuivie n'est requise préalablement à son exécution. La minute de l'ordonnance doit donc être présentée au moment de l'exécution de la mesure à la personne à laquelle elle est opposée. En l'occurrence, la remise d'une copie de la requête et de l'ordonnance à la personne à laquelle elle était opposée, à savoir la société AR 120, représentée par M. [S], au moment de l'exécution de la mesure n'est pas discutée, sachant que cette formalité n'a pas à être satisfaite envers tous les défendeurs potentiels au procès potentiel évoqué pour justifier la requête. Faute pour les consorts [Y], en tant qu'associés de la société AR 120, d'établir, avec l'évidence requise en référé, d'une irrégularité résultant de l'absence de remise d'une copie de la requête et de l'ordonnance sur requête avant la tenue de l'assemblée, aucun trouble manifestement illicite ne résulte de la présence d'un huissier de justice lors de l'assemblée générale du 24 octobre 2022.

Ensuite, les associés soutiennent que la suspension de la distribution des bénéfices a été décidée par le gérant sans que cette question n'ait été soumise au vote de l'assemblée générale. Or, dès lors que les statuts ne comportent pas de clause limitative de pouvoirs, il est admis que le gérant peut accomplir seul tous les actes de gestion nécessaires à l'intérêt de la société. Les appelants n'établissent pas que la suspension de la distribution de dividendes ne peut s'analyser comme un acte de gestion justifé par l'intérêt de la société. Dans ces conditions, aucun trouble manifestement illicite ne résulte de la décision qui a été prise par M. [S].

Enfin, les appelants se prévalent de l'article 37 des statuts qui stipule que, s'il résulte des comptes de l'exercice, tels qu'approuvés par l'assemblée générale, l'existence d'un bénéfice distribuable, l'assemblée décide soit de le distribuer, soit de le reporter à nouveau, soit de l'inscrire à un ou plusieurs postes de réserve dont elle règle l'affectation et l'emploi. Or, dès lors qu'il est acquis qu'aucun compte n'a été soumis à l'assemblée générale depuis que la société AR 120 existe, la violation des dispositions de l'article 37 des statuts, qui suppose que des comptes soient approuvés par l'assemblée générale, n'est pas démontrée avec l'évidence requise en référé, et ce, d'autant que les associés ont décidé, en dehors de toute assemblée, de répartir les bénéfices de la société AR 120 par des versements mensuels pendant dix ans. La preuve d'un trouble manifestement illicite caractérisé par la violation des dispositions statutaires n'est donc pas rapportée.

Dans ces conditions, il y a lieu de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu de suspendre les effets de l'assemblée générale du 24 octobre 2022 portant sur la décision prise par le gérant de suspendre le versement des dividendes.

Sur la demande reconventionnelle de provision formée à l'encontre de Mme [G] [Y] à valoir sur les dividendes indûment perçues en décembre 2022, janvier et février 2023

Par application de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Il appartient au demandeur d'établir l'existence de l'obligation qui fonde sa demande de provision tant en son principe qu'en son montant et la condamnation provisionnelle, que peut prononcer le juge des référés sans excéder ses pouvoirs, n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.

Une contestation sérieuse survient lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.

C'est au moment où la cour statue qu'elle doit apprécier l'existence d'une contestation sérieuse, le litige n'étant pas figé par les positions initiale ou antérieures des parties dans l'articulation de ce moyen.

En l'espèce, Mme [G] [Y], qui ne discute pas avoir prélévé 6 000 euros sur le compte courant de la société AR 120 à raison de 2 000 euros par mois en décembre 2022, janvier et février 2023, explique ces versements par l'illicéité de la décision prise par M. [S] de suspendre le versement des dividendes mis en place depuis plusieurs années.

Or, étant donné que la décision prise par M. [S] n'a pas été suspendue, faute de preuve d'un trouble manifestement illicite ou d'un dommage imminent, l'obligation de la société AR 120 de distribuer des dividendes en décembre 2022, janvier et février 2023 se heurte à une contestation sérieuse.

En revanche, en passant outre la décision prise par le gérant, l'obligation de Mme [G] [Y] de restituer la somme indûment prélevée de 6 000 euros sur le compte courant de la société AR 120 ne se heurte à aucune contestation sérieuse.

Il y a donc lieu d'infirmer l'ordonnance entreprise de ce chef. Mme [G] [Y] sera condamnée à restituer, à titre provisionnel, à la société AR 120 la somme de 6 000 euros à valoir sur des sommes indûment prélevées sur son compte bancaire.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Succombant en appel, il y a lieu de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a condamné in sodidum les consorts [Y] aux dépens. Elle sera en revanche infirmée en ce qu'elle n'a pas alloué à M. [S], concerné à titre personnel par la mesure de révocation sollicitée, une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure pour les frais exposés non compris dans les dépens.

Les consorts [Y] seront condamnés in solidum aux dépens de la procédure d'appel.

En outre, l'équité commande de les condamner in solidum à verser à M. [S] la somme de 3 000 euros pour les frais exposés en première instance et en appel non compris dans les dépens en application de l'article 700 du code de procédure civile.

En revanche, en tant que parties perdantes, les consorts [Y] seront déboutés de leur demande formée sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :

- débouté M. [S] de sa demande reconventionnelle de provision ;

- dit n'y avoir lieu de faire droit à la demande de M. [S] formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

La confirme en toutes ses autres dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne Mme [G] [Y] à restituer à la SCI AR 120, à titre provisionnel, la somme de 6 000 euros à valoir sur les sommes indûment prélevées sur son compte bancaire ;

Condamne in solidum Mme [G] [Y], Mme [D] [Y] et M. [B] [Y] à verser à M. [U] [S] la somme de 3 000 euros pour les frais exposés en première instance et en appel non compris dans les dépens en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute Mme [G] [Y], Mme [D] [Y] et M. [B] [Y] de leur demande formée sur le même fondement ;

Condamne in solidum Mme [G] [Y], Mme [D] [Y] et M. [B] [Y] aux entiers dépens de la procédure d'appel.

La greffière Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-2
Numéro d'arrêt : 23/09958
Date de la décision : 27/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-27;23.09958 ?
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