La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/06/2024 | FRANCE | N°23/09081

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-2, 27 juin 2024, 23/09081


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-2



ARRÊT

DU 27 JUIN 2024



N° 2024/424









Rôle N° RG 23/09081 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BLS4I







[F] [M]





C/



[L] [E]

[B] [E]



























Copie exécutoire délivrée

le :

à :



Me Nicolas SIMON DE KERGUNIC



Me Anaïs COHEN








r>











Décision déférée à la Cour :



Ordonnance de référé rendue par Monsieur le Président du Tribunal de proximité d'ANTIBES en date du 31 Mai 2023 enregistrée au répertoire général sous le n° 12-23-000035.





APPELANTE



Madame [F] [M],

demeurant [Adresse 1]



représentée par Me Nicolas SIMON DE KERGUNIC de la SELA...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-2

ARRÊT

DU 27 JUIN 2024

N° 2024/424

Rôle N° RG 23/09081 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BLS4I

[F] [M]

C/

[L] [E]

[B] [E]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Nicolas SIMON DE KERGUNIC

Me Anaïs COHEN

Décision déférée à la Cour :

Ordonnance de référé rendue par Monsieur le Président du Tribunal de proximité d'ANTIBES en date du 31 Mai 2023 enregistrée au répertoire général sous le n° 12-23-000035.

APPELANTE

Madame [F] [M],

demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Nicolas SIMON DE KERGUNIC de la SELARL AVOCALEX, avocat au barreau de GRASSE, plaidant

INTIMÉES

Madame [L] [E]

née le 06 Avril 1966 à [Localité 5],

demeurant [Adresse 7]

représentée par Me Anaïs COHEN de la SELARL ARCOLIA, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant

Madame [B] [E]

née le 15 Février 1959 à [Localité 6],

demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Anaïs COHEN de la SELARL ARCOLIA, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 Mai 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Sophie LEYDIER, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Sophie LEYDIER, Présidente

Mme Angélique NETO, Conseillère

Mme Florence PERRAUT, Conseillère

Greffier lors des débats : Mme Caroline VAN-HULST.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 27 Juin 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 27 Juin 2024,

Signé par Mme Sophie LEYDIER, Présidente et Mme Caroline VAN-HULST, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

Exposé du litige :

Par contrat en date du 4 mai 2016, monsieur [R] [E] a confié à monsieur [N] [S] [I] et son épouse madame [F] [S] [I] le gardiennage et l'entretien de sa propriété dénommée [8], située [Adresse 2] à [Localité 4], prévoyant qu'en contrepartie de leurs services, les époux [S] [I] auraient la jouissance, en tant qu'accessoire de leur contrat de travail, de la maison de gardien se trouvant sur la propriété.

M.[R] [E] est décédé le 21 juin 2021, laissant pour héritières ses deux filles Mme [L] [E] et Mme [B] [E].

Par lettre recommandée avec accusé de réception (LRAR) du 14 mars 2022, Mmes [L] et [B] [E] ont notifié à Mme [F] [M], divorcée [S] [I], son licenciement en tant que gardienne et lui ont demandé de restituer le logement mis à sa disposition, à l'issue du délai de préavis de trois mois, soit jusqu'au 14 juin 2022.

Par LRAR du 1er août 2022, Mmes [L] et [B] [E] ont demandé à Mme [F] [M] de quitter les lieux, en lui accordant un dernier délai jusqu'au 20 octobre 2022, tout en lui précisant qu'elle devrait régler ses charges pendant cette période, faute de quoi il lui serait réclamé une indemnité d'occupation de 1 300 euros par mois.

Par LRAR du 4 octobre 2022, le conseil de Mmes [L] et [B] [E] a mis en demeure Mme [F] [M] de quitter les lieux avant le 30 octobre suivant, l'informant qu'à défaut, une procédure judiciaire serait engagée à son encontre.

Par acte d'huissier en date du 26 octobre 2022, Mmes [L] et [B] [E] ont fait sommation à Mme [F] [M] de déguerpir et de restituer les clés.

Par acte en date du 18 janvier 2023, Mmes [L] et [B] [E] ont fait assigner Mme [F] [M] devant le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité d'Antibes, aux fins principalement de voir :

- constater qu'elle est occupante sans droit ni titre de la maison située [Adresse 1] à [Localité 4] et d'ordonner son expulsion des lieux, ainsi que celle de tous occupants de son chef, avec le concours de la force publique, et ce, sous astreinte de 50 euros par jour de retard,

- juger que, par application des dispositions de l'article L 412-1 du code des procédures civiles d'exécution, le délai de deux mois suivant le commandement sera supprimé, compte tenu de l'urgence,

- prononcer sa condamnation à leur payer :

* une indemnité d'occupation provisionnelle de 1 300 euros par mois, jusqu'à son départ effectif,

* des dommages et intérêts pour le préjudice financier subi à hauteur de 11 355,48 euros,

* des dommages et intérêts pour le préjudice moral subi à hauteur de 20 000 euros,

* la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

* l'intégralité des dépens.

Par ordonnance contradictoire en date du 31 mai 2023, ce magistrat a :

- constaté que Mme [F] [M] était occupante sans droit ni titre des locaux situés [Adresse 1] à [Localité 4], appartenant à Mmes [L] et [B] [E],

- à défaut de libération volontaire, ordonné son expulsion, ainsi que celle de tous occupants de son chef, avec l'éventuelle assistance de la force publique et d'un serrurier, en cas de besoin,

- rappelé que l'expulsion ne pourrait intervenir qu'à l'issue du délai de deux mois après le commandement d'avoir à libérer les lieux qui serait délivré conformément aux dispositions des articles L 412-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution et à l'issue du délai de grâce,

- rappelé que le sort des meubles était régi par les articles L 433-1 et L 433-2 du code des procédures civiles d'exécution,

- fixé le montant de l'indemnité d'occupation mensuelle provisionnelle à la somme de 1 300 euros par mois et condamné Mme [F] [M] à payer cette somme à Mmes [L] et [B] [E],

- condamné Mme [F] [M] à payer à Mmes [L] et [B] [E] la somme provisionnelle de 2 000 euros à valoir sur leur préjudice moral,

- condamné Mme [F] [M] à payer à Mmes [L] et [B] [E] la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à référé sur les autres demandes de dommages et intérêts formées par les parties,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- condamné Mme [F] [M] aux entiers dépens.

Le premier juge a considéré :

- que Mmes [L] et [B] [E] établissaient leur qualité de propriétaires de la villa occupée sans droit ni titre par Mme [F] [M] depuis l'expiration du délai de préavis, prolongé jusqu'au 30 octobre 2022, suite à son licenciement,

- que Mme [F] [M] savait que son départ était inéluctable depuis le 12 février 2022 et qu'elle avait de fait déjà bénéficié de larges délais aux fins de relogement,

- que si Mme [F] [M] contestait l'évaluation de la valeur locative du logement, elle ne produisait aucun élément au soutien de cette contestation, tandis qu'il convenait de tenir compte des caractéristiques des lieux occupés, situés dans un quartier privilégié,

- que les demandes de dommages et intérêts concernant les dépenses courantes engagées par les propriétaires ou les frais d'électricité se heurtaient à des contestations sérieuses, de même que la demande reconventionnelle de dommages et intérêts formée par Mme [F] [M],

- qu'à l'évidence, le maintien dans les lieux de Mme [F] [M] avait causé à Mmes [L] et [B] [E] un préjudice moral puisqu'elles avaient été contraintes d'initier une procédure, source de tracas, alors qu'elles ne résidaient pas sur place.

Par déclaration reçue au greffe le 7 juillet 2023, Mme [F] [M] a interjeté un appel de cette décision, limité aux chefs par lesquels le premier juge a :

- constaté qu'elle était occupante sans droit ni titre du logement susvisé et ordonné son expulsion,

- fixé l'indemnité d'occupation à la somme de 1 300 euros par mois à compter du 1er novembre 2022,

- prononcé sa condamnation à payer à Mmes [L] et [B] [E] :

* la somme provisionnelle de 2 000 euros à valoir sur leur préjudice moral,

* la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à référé sur sa demande provisionnelle de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral,

- rejeté sa demande de délai pour quitter les lieux.

- prononcé sa condamnation aux entiers dépens.

Par dernières conclusions transmises le 6 mai 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus amples exposé des prétentions et moyens, elle demande à la cour d'infirmer la décision entreprise, de juger que la demande de condamnation au versement d'une indemnité d'occupation se heurte à une contestation sérieuse, et en conséquence de la rejeter ;

Subsidiairement, elle demande à la cour de fixer le montant de l'indemnité d'occupation due par Mme [F] [M] à la somme de 800 euros par mois à compter de novembre 2022, et reconventionnellement, de :

- condamner Mmes [L] et [B] [E] à lui verser une provision de 10 000 euros à valoir sur son préjudice moral, outre une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mmes [L] et [B] [E] aux entiers dépens de l'instance,

- voir ordonner la compensation des créances pécuniaires réciproques ;

Sur l'appel incident formé par les intimées, l'appelante sollicite :

- la confirmation de l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a fixé le point de départ de l'indemnité d'occupation au 1er novembre 2022,

- le rejet des demandes formées par Mmes [L] et [B] [E] à leur verser des dommages et intérêts provisionnels pour préjudice financier à hauteur de 65 712,48 euros et pour préjudice moral à hauteur de 20 000 euros, comme se heurtant à une contestation sérieuse,

- de voir juger que la cour n'est pas saisie de la demande de condamnation sous astreinte de 50 euros par jour jusqu'à son départ des lieux, faute d'avoir été formulée dans les premières conclusions d'intimées et, en tout état de cause, de la rejeter,

- le rejet de toutes les autres demandes formées par Mmes [L] et [B] [E].

Par dernières conclusions transmises le 3 mai 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus amples exposé des prétentions et moyens, Mmes [L] et [B] [E] demandent à la cour :

- de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :

* jugé que Mme [F] [M] est occupante sans droit ni titre de la maison situé [Adresse 1] à [Localité 4],

* ordonné en conséquence son expulsion, ainsi que celle de tous les occupants de son chef, au besoin avec le concours de la force publique,

* condamné Mme [M] à leur verser une indemnité provisionnelle mensuelle d'occupation à hauteur de 1 300 euros jusqu'à la libération

complète des lieux et à en acquitter le paiement intégral à titre provisionnel,

* condamné Mme [M] à leur verser des dommages et intérêts pour préjudice moral à titre provisionnel,

* condamné Mme [M] à leur verser la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de l'infirmer en ce qu'elle :

* a fixé le point de départ de l'indemnité d'occupation due au 1er novembre 2022,

* a limité les dommages et intérêts pour préjudice moral dus, à titre provisionnel, à la somme de 2 000 euros,

* les a déboutées de leur demande de dommages et intérêts pour préjudice financier à titre provisionnel,

Et, statuant à nouveau,

- d'assortir l'expulsion de Mme [M] d'une astreinte de 50 euros par jour de retard et se déclarer compétente pour la liquider,

- de débouter Mme [M] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral, à titre provisionnel, en présence d'une contestation sérieuse,

- de fixer le point de départ de l'indemnité d'occupation au 17 juin 2022, date de la fin de son préavis,

- de juger que les demandes de dommages et intérêts formulées par elles ne se heurtent à aucune contestation sérieuse,

- de fixer le quantum des dommages et intérêts pour préjudice moral à leur payer, à titre provisionnel, à la somme de 20 000 euros,

- de condamner Mme [M] à leur payer la somme de 52 912,48 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice financier subi, et ce à titre provisionnel,

- de condamner Mme [M] à leur payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre à l'intégralité des dépens.

L'instruction de l'affaire a été déclarée close par ordonnance en date du 7 mai 2024.

MOTIFS :

Sur la révocation de l'ordonnance de clôture

L'ordonnance de clôture a été notifiée aux conseils des parties le 7 mai 2024 à 8h18.

Les dernières conclusions de l'intimé ont été transmises postérieurement le 7 mai 2024 à 12h50.

A l'audience, avant le déroulement des débats, les conseils des parties ont indiqué souhaiter la révocation de l'ordonnance de clôture pour admettre les dernières conclusions de l'appelante, en réponse à celles des intimées transmises le 3 mai précédent.

Ainsi, de l'accord de toutes les parties, l'ordonnance de clôture rendue le 7 mai 2024 a été révoquée et la procédure, à nouveau clôturée avant l'ouverture des débats, l'affaire étant en état.

Sur l'occupation sans droit ni titre et l'expulsion

Aux termes de l'article 835 alinéa 1 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le trouble manifestement illicite visé par ce texte désigne toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit. Pour en apprécier la réalité, la cour d'appel, statuant en référé, doit se placer au jour où le premier juge a rendu sa décision et non au jour où elle statue. Enfin, le juge des référés apprécie souverainement le choix de la mesure propre à faire cesser le trouble qu'il constate.

Aux termes de l'article 544 du code civil, la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements.

En l'espèce, en l'état des chefs visés dans la déclaration d'appel et des dernières conclusions de l'appelante, la cour constate que la décision entreprise n'est plus critiquée en ce qu'elle a :

- jugé qu'elle était occupante sans droit ni titre de la maison située [Adresse 1] à [Localité 4],

- ordonné son expulsion des lieux,

- jugé que, par application des dispositions de l'article L 412-1 du code des procédures civiles d'exécution, le délai de deux mois suivant le commandement sera supprimé, compte tenu de l'urgence,

- rejeté sa demande de délai pour quitter les lieux.

Dans leurs dernières écritures, les intimées sollicitent notamment la confirmation de l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :

* jugé que Mme [F] [M] est occupante sans droit ni titre de la maison situé [Adresse 1] à [Localité 4],

* ordonné en conséquence son expulsion, ainsi que celle de tous les occupants de son chef, au besoin avec le concours de la force publique,

mais, elles demandent son infirmation en ce qu'elle a fixé le point de départ de l'indemnité d'occupation due au 1er novembre 2022.

Ce chef de l'ordonnance entreprise sera examiné ci-après au paragraphe concernant la provision à valoir sur l'indemnité d'occupation.

Les intimées sollicitent en outre de voir la cour assortir l'expulsion de Mme [M] d'une astreinte de 50 euros par jour de retard et de se déclarer compétente pour la liquider.

Comme le fait exactement valoir l'appelante, cette demande n'a pas été formée dans leurs premières conclusions transmises le 2 novembre 2023, ni dans le délai d'un mois qui leur était imparti pour former un appel incident, ce délai ayant commencé à courrir le 5 octobre 2023, date de ses premières conclusions, de sorte qu'elle sera déclarée irrecevable en application des dispositions de l'article 905-2 du code de procédure civile.

En conséquence, en l'état des pièces produites et des dernières écritures des parties, l'ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu'elle a :

- jugé que Mme [F] [M] est occupante sans droit ni titre de la maison situé [Adresse 1] à [Localité 4],

- ordonné en conséquence son expulsion, ainsi que celle de tous les occupants de son chef, au besoin avec le concours de la force publique,

- rejeté la demande de délai pour quitter les lieux formée par Mme [F] [M].

Sur les demandes de provisions et de compensation

Aux termes de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable (...) le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence (...) peuvent accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution d'une obligation, même s'il s'agit d'une obligation de faire.

L'absence de constestation sérieuse implique l'évidence de la solution qu'appelle le point contesté. Il appartient au demandeur d'établir l'existence de l'obligation qui fonde sa demande de provision tant en son principe qu'en son montant, laquelle n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée. C'est enfin au moment où la cour statue qu'elle doit apprécier l'existence d'une contestation sérieuse, le litige n'étant pas figé par les positions initiales ou antérieures des parties dans l'articulation de ce moyen.

La demande de provision relative à l'indemnité d'occupation :

En l'espèce, il résulte des pièces régulièrement produites et des explications des parties :

- que par LRAR du 1er août 2022, Mmes [E] ont informé Mme [M] qu'elles lui laissaient un nouveau délai jusqu'au 30 octobre 2022 pour se reloger et déménager, pendant lequel elle devrait régler ses charges, en précisant 'faute de quoi, nous vous demanderons de régler une indemnité d'occupation de 1 300 euros par mois',

- qu'un avis de valeur locatif établi le 25 août 2023 par l'agence Cap Invest&Patrimoine, requise par Mme [M], mentionne que :

* la maison occupée par elle est de type 4 en R+1, d'une surface de 52 m2 environ, avec une cour sur l'avant côté Sud et une terrasse sur l'arrière d'environ 25 m2, comprenant au rez-de-chaussée un séjour avec cuisine et une chambre, et à l'étage deux chambres, dont l'une avec salle de bain et WC indépendant,

* la maison (de gardien) est dans un état de dégradation et de dysfonctionnement général très avancé (absence de chauffage en raison du dysfonctionnement de la chaudière, l'électricité ne semble pas conforme, humidité importante sur les murs périphériques de la maison, sols à l'étage et douche en mauvais état),

* compte tenu des critères habituels et des termes de comparaison en sa possession, un bien identique en état correct pourrait être loué 1 000 euros par mois hors charges, mais qu'en l'état, il est impropre à la location, et nécessite des grosses réparations,

les photographies annexées mettant en évidence la vétusté de cette maison de gardien et les désordres susvisés,

- que les photographies figurant dans les constats des commissaires de justice du 2 novembre 2022 et du 25 novembre 2022 mettent en évidence que la maison de gardien est ancienne et qu'elle n'était plus alimentée en eau et en électricité à ces dates,

- que Mmes [E] sont conscientes de l'importance des travaux à réaliser dans leur propriété, notamment dans la maison de gardien occupée par Mme [M], puisqu'elles ont elles-mêmes indiqué qu'en raison notamment de la vétusté des installations électriques et des risques en découlant pour la sécurité, elles avaient été contraintes d'interrompre la fourniture d'électricité.

Contrairement à ce que soutient l'appelante, il n'est pas sérieusement contestable qu'en s'étant maintenue sans droit ni titre dans les lieux, elle est redevable, à l'égard des propriétaires, d'une indemnité d'occupation.

Si le premier juge a exactement estimé que le point de départ de cette indemnité d'occupation devait être fixé au 1er novembre 2022, date jusqu'à laquelle les propriétaires avaient autorisé Mme [M] à se maintenir dans les lieux sans lui préciser qu'elle devrait régler une telle indemnité, son montant doit être ramené à 900 euros par mois, en raison du mauvais état du bien occupé, mais tout en tenant compte de la jouissance des extérieurs dans une grande propriété située dans un quartier privilégié.

En conséquence, l'ordonnance entreprise sera infirmée sur le montant de l'indemnité d'occupation, mais confirmée sur le point de départ de la condamnation prononcée à l'encontre de Mme [M].

La demande de provision formée par l'appelante au titre d'un préjudice moral :

Contrairement à ce que soutient l'appelante, il n'est nullement démontré, avec l'évidence requise en référé, que les coupures d'électricité subies par elle en octobre et en novembre 2022 témoignent d'une volonté des propriétaires de l'expulser sauvagement de la maison de gardien qu'elle occupait alors sans droit ni titre depuis plusieurs mois, puisqu'il résulte des pièces produites (notamment des échanges de courriers et mails) que l'installation électrique présentait une certaine vétusté et des défaillances qui se répétaient depuis plusieurs mois, engendrant un risque et des dangers en cas d'accident domestique, dont elle avait été avertie par plusieurs courriers, dont un adressé à son conseil le 24 novembre 2024, avant qu'il ne soit procédé à une coupure définitive de l'alimentation générale de la propriété à la fin de la semaine de ce même mois.

Il s'ensuit que le préjudice moral de Mme [M] résultant de l'impossibilité de bénéficier de l'électricité du fait des propriétaires est sérieusement contestable, de sorte que c'est à bon droit que le premier juge a rejeté sa demande de provision à ce titre.

En conséquence, l'ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur la demande provisionnelle de dommages et intérêts formée par Mme [F] [M].

Les demandes de provisions formées par les intimées

Contrairement à ce que soutiennent les intimées, les pièces produites par elles n'établissent nullement que le maintien dans la maison de gardien de Mme [F] [M] les a empêchées de vendre leur propriété comme elles le souhaitaient.

Il n'est pas davantage démontré, avec l'évidence requise en référé, que les charges d'eau, d'électricité, d'assurances, les taxes foncières et d'habitation ainsi que leur imposition sur la fortune immobilière en partie dû en raison de la valeur de la propriété dont les intimées ont hérité, soient partiellement ou en totalité imputables au maintien dans les lieux sans droit ni titre de Mme [M].

C'est donc à juste titre que le premier juge a estimé que la demande de provision au titre des dépenses courantes et des charges de cette propriété se heurtait à des contestations sérieuses.

Les pièces produites à l'appui de leur demande de provision portée à la somme de 52 912,48 euros au titre du préjudice financier invoqué par les intimés, n'établissent pas davantage que ces frais soient partiellement ou en totalité imputables au maintien dans les lieux sans droit ni titre de Mme [M], de sorte que cette demande de provision doit être rejetée.

Si Mmes [E] font état de nombreuses difficultés les ayant opposées à Mme [M] qui auraient, selon elles, entraîné une angoisse très importante, pour porter leur demande de provision à la somme de 20 000 euros au titre du préjudice moral qu'elles invoquent, elles ne produisent aucune pièce établissant la réalité des angoisses alléguées, ni l'existence d'un préjudice spécifique imputable à Mme [M], étant observé que le décès de M. [E] et les difficultés financières relatives à sa succession, à l'épuisement des liquidités permettant d'entretenir les biens immobiliers qui en font partie, et les revenus de Mme [L] [E] et de Mme [B] [E] constituent à priori des événements et une situation dont Mme [M] ne peut être tenue pour responsable.

Ainsi, contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, il n'est nullement démontré, avec l'évidence requise en référé, que les tracas de Mmes [E] ont entraîné pour elles un préjudice moral imputable à Mme [M], de sorte qu'il existe une contestation sérieuse sur l'obligation de cette dernière à devoir indemniser un tel préjudice.

En conséquence, l'ordonnance entreprise sera infirmée en ce qu'elle a condamné Mme [F] [M] à payer à Mmes [L] et [B] [E] une provision de 2 000 euros au titre d'un préjudice moral, et ces dernières seront déboutées de leur demande de provision à hauteur de

20 000 euros à ce titre.

La demande de compensation

Dans la mesure où seule Mme [F] [M] est condamnée à verser à Mmes [L] et [B] [E] une indemnité d'occupation provisionnelle, il n'y a pas lieu à compensation des créances pécuniaires réciproques, cette demande étant donc sans objet.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Il convient de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a condamné Mme [F] [M] aux dépens, ainsi qu'à régler à Mmes [L] et [B] [E] une indemnité de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Chaque partie succombant partiellement en ses prétentions devant la cour, il convient de condamner d'une part, Mme [F] [M], et, d'autre part Mmes [L] et [B] [E], par moitié aux dépens d'appel, et de rejeter leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Rappelle que l'ordonnance de clôture rendue le 7 mai 2024 a été révoquée et la procédure, à nouveau clôturée avant l'ouverture des débats, l'affaire étant en état,

Statuant dans les limites de l'appel,

Infirme l'ordonnance entreprise, seulement en ce qu'elle a :

- fixé le montant de l'indemnité d'occupation mensuelle provisionnelle à la somme de 1 300 euros par mois et condamné Mme [F] [M] à payer cette somme à Mmes [L] et [B] [E],

- condamné Mme [F] [M] à payer à Mmes [L] et [B] [E] la somme provisionnelle de 2 000 euros à valoir sur leur préjudice moral,

La confirme pour le surplus des dispositions frappées d'appel,

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Déclare irrecevable la demande formée par Mmes [L] et [B] [E] tendant à voir assortir la mesure d'expulsion prononcée à l'encontre de Mme [F] [M] d'une astreinte de 50 euros par jour de retard ;

Fixe le montant de l'indemnité d'occupation mensuelle provisionnelle dont est redevable Mme [F] [M] à la somme provisionnelle de 900 euros, à compter du 1er novembre 2022, et ce jusqu'à totale libération des lieux, matérialisée par la remise des clés ;

Condamne Mme [F] [M] à payer à Mmes [L] et [B] [E], la somme provisionnelle de 900 euros, à titre d'indemnité d'occupation mensuelle, à compter du 1er novembre 2022, et ce jusqu'à totale libération des lieux, matérialisée par la remise des clés ;

Déboute Mmes [L] et [B] [E] de leurs demandes de provisions au titre d'un préjudice financier et d'un préjudice moral ;

Déboute Mmes [L] et [B] [E] et Mme [F] [M] de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme [F] [M] d'une part, et, d'autre part Mmes [L] et [B] [E], par moitié aux dépens d'appel.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-2
Numéro d'arrêt : 23/09081
Date de la décision : 27/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-27;23.09081 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award