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27/06/2024 | FRANCE | N°23/02740

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-6, 27 juin 2024, 23/02740


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-6



ARRÊT AU FOND

DU 27 JUIN 2024



N°2024/197













Rôle N° RG 23/02740 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BK2N4







[G] [F] [A]





C/



S.A.S. DELTA SERVICE LOCATION D.S.L.

Etablissement CPAM DU VAR



























Copie exécutoire délivrée

le :

à :



Me JUSTON

Me DE ANG

ELIS

Me CECCALDI









Décision déférée à la Cour :



Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'AIX-EN-PROVENCE en date du 08 Décembre 2022 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 21/02077.





APPELANT



Monsieur [G] [F] [A]

né le [Date naissance 2] 1974 à [Localité 6] ([Localité 6]...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-6

ARRÊT AU FOND

DU 27 JUIN 2024

N°2024/197

Rôle N° RG 23/02740 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BK2N4

[G] [F] [A]

C/

S.A.S. DELTA SERVICE LOCATION D.S.L.

Etablissement CPAM DU VAR

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me JUSTON

Me DE ANGELIS

Me CECCALDI

Décision déférée à la Cour :

Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'AIX-EN-PROVENCE en date du 08 Décembre 2022 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 21/02077.

APPELANT

Monsieur [G] [F] [A]

né le [Date naissance 2] 1974 à [Localité 6] ([Localité 6]), demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Sandra JUSTON de la SCP BADIE, SIMON-THIBAUD, JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Sylvie RUEDA-SAMAT, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEES

S.A.S. DELTA SERVICE LOCATION D.S.L. SAS au capital variable de 507.758,00 €, immatriculée au RCSde LYON sous le n° 318 743 473, dont le siège social se situe [Adresse 7],prise en son agence située [Adresse 1],, demeurant [Adresse 5]

représentée par Me Alain DE ANGELIS de la SCP DE ANGELIS-SEMIDEI-VUILLQUEZ-HABART-MELKI-BARDON, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Juliette PERCOT, avocat au barreau de MARSEILLE

Etablissement CPAM DU VAR, demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Stéphane CECCALDI de la SELASU SELASU CECCALDI STÉPHANE, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 avril 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président chargé du rapport, et Madame Elisabeth TOULOUSE,Présidente de chambre,

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président de chambre

Madame Elisabeth TOULOUSE, Présidente de chambre

Monsieur Jean-Marc BAÏSSUS, Premier Présidentde chambre

Greffier lors des débats : Madame Ingrid LAVALLEE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 27 juin 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 27 Juin 2024.

Signé par Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président et Mme Sancie ROUX, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS & PROCÉDURE

Salarié de la société Spac Grands Projets, M. [A] a été victime le 25 juin 2014 d'un accident survenu sur son lieu de travail. Alors qu'il ouvrait une vanne à laquelle était raccordée un flexible, la pression a provoqué une déchirure de celui-ci au ras du collier de serrage. M. [A] a été projeté au sol : la puissance du jet d'eau sur sa cuisse gauche l'a projeté au sol et lui a causé une fracture fémorale gauche.

Par ordonnance du 22 août 2017, le juge des référés d'Aix-en-Provence a commis M. [U] aux fins d'expertise techique, au contradictoire de la société SPAC et de la SAS Delta Service Location (DSL). L'expert judiciaire, M. [U], a déposé son rapport le 20 mars 2018 et a conclu à la responsabilité de la SAS DSL à qui peuvent être imputés une erreur sur le type de flexible qu'elle a livré, et à un défaut de contrôle et d'entretien dudit flexible.

Par ordonnance du 6 novembre 2018, le juge des référés d'Aix-en-Provence a condamné la SAS DSL à payer à M. [A] une somme de 4 000 euros à valoir sur la réparation future de son préjudice corporel, et a commis le docteur [H] aux fins d'expertise médicale de M. [A]. Le rapport a été déposé le 10 mars 2020.

Par assignation du 20 mai 2021, M. [A] a saisi le tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence d'une action en réparation de son préjudice corporel dirigée contre la SAS DSL, au contradictoire de la caisse primaire d'assurance-maladie du Var.

Par jugement du 8 décembre 2022, le tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence statuant au visa de l'article L.454-1 du code de la sécurité sociale et de l'article 1382 du code civil dans sa version applicable à la date des faits a :

- dit que la SAS DSL est entièrement responsable de l'accident subi par M. [A],

- fixé la réparation du préjudice corporel subi par M. [A] à la somme de 35 816,96 euros ventilée comme suit :

' dépenses de santé actuelles : 51 513,31 euros (créance de la caisse)

' perte de gains professionnels actuels : 26 524,42 euros (créance de la caisse)

' déficit fonctionnel temporaire : 6 554,80 euros

' souffrances endurées : 9 000 euros

' préjudice esthétique temporaire : 2 500 euros

' déficit fonctionnel permanent : 7 200 euros

' préjudice d'agrément : 8 562,16 euros

' préjudice esthétique permanent : 2 000 euros

- dit que de cette somme il convient de déduire les provisions déjà perçues de 4 000 euros,

- condamné la SAS DSL à payer à M. [A] en réparation de son préjudice corporel les sommes de :

' 31 816,96 euros en principal, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,

' 2 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SAS DSL à payer à la caisse primaire d'assurance-maladie du Var les sommes de :

' 78 055,53 euros au titre de ses débours définitifs,

' 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion,

' 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SAS DSL aux dépens,

- constaté que l'exécution provisoire est de droit en vertu de l'article 514 du code de procédure civile.

Par déclaration du 17 février 2023 dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, M. [A] a interjeté appel du jugement en visant chacune des mentions de son dispositif.

La SAS Delta Service Location qui conteste le principe de sa responsabilité a formé appel incident le 30 juin 2023.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions sur appel incident notifiées par la voie électronique le 25 septembre 2023, M. [A] demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré la SAS DSL entièrement responsable de son accident,

- réformer le jugement en ce qu'il a condamné la SAS DSL à lui payer la somme de 35 816,96 euros aux fins d'indemnisation de ses dlfférents postes de préjudice,

Et, statuant à nouveau,

- condamner la SAS DSL à lui payer en réparation de son préjudice corporel, avant déduction de la provision versée de 4 000 euros, la somme totale de 129 675,66 € ventilée comme suit :

' déficit fonctionnel temporaire partiel : 2 074,50 euros

' déficit fonctionnel temporaire total : 5 040 euros

' souffrances endurées : 20 000 euros

' préjudice esthétique temporaire : 2 000 euros

' déficit fonctionnel permanent : 18 000 euros

' préjudice d'agrément : 15 000 euros

' frais engagés : 562,16 euros

' préjudice esthétique permanent : 4 000 euros

' incidence professionnelle : 62 999 euros

- rejeter toutes fins, demandes ou conclusions contraires,

- condamner la SAS DSL à lui payer la somme de 27 602 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SAS DSL aux entiers dépens d'appel.

M. [A] fait valoir que :

Sur la responsabilité de la SAS DSL :

- la responsabilité de la SAS DSL n'est pas contestable, les conclusions de l'expert judiciaire [U] étant confirmées par M. [Y], chargé d'affaires de la SAS DSL ;

- l'expertise n'a mis en évidence aucun défaut d'utilisation de la part de la société SPAC ; c'est la SAS DSL qui a posé le raccord sur le flexible de sorte que la rupture à l'origine du dommage n'a pu être provoquée que par elle ;

- le lien de causalité direct entre la rupture du tuyau et le dommage corporel de M. [A] résulte du témoignage de M. [J] [P] et de M. [B] [L] ;

Sur l'évaluation des postes de préjudice corporel :

- il y a lieu de façon générale de majorer les postes de préjudice,

- s'agissant de l'incidence professionnelle, que l'expert judiciaire n'a pas retenue, le premier juge a motivé le rejet de ce poste par le fait que M. [A] n'avait perdu son emploi que cinq ans après les faits, qui plus est dans le cadre d'une rupture conventionnelle ; cependant, cette rupture constitue le terme d'une dégradation lancinante et éprouvante de ses conditions de travail, notamment du fait de ses séances de kinésithérapie et du fait qu'il demandé l'extension des opérations d'expertise à son employeur, la société SPAC.

* * *

Aux termes de ses dernières conclusions d'intimée et d'appel incident avec appel incident notifiées par la voie électronique le 30 juin 2023, la SAS Delta Service Location demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déclarée entièrement responsable de l'accident de M. [A] survenu le 25 juin 2014,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à réparer les conséquences dommageables de l'accident et fixé l'indemnisation des préjudices de M. [A] à la somme de 35 816,96 euros,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [A] de sa demande au titre de l'incidence professionnelle (42 920 euros au titre de la perte de revenus et d'avantages procurés par l'emploi qu'il a perdus, et 20 078,86 euros au titre des frais qu'il a engagés pour créer et développer sa société),

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a alloué à M. [A] les sommes de :

' déficit fonctionnel temporaire : 6 554,80 euros

' souffrances endurées : 9 000 euros

' déficit fonctionnel permanent : 7 200 euros

Et, statuant à nouveau,

À titre principal,

- juger mal fondé le recours dirigé à son encontre faute pour M. [A] de rapporter la preuve de la matérialité des circonstances de l'accident survenu le 25 juin 2014,

- juger mal fondé le recours dirigé à son encontre en ce que l'accident dont M. [A] a été victime est imputable à l'installation du matériel litigieux par la société SPAC et donc, précisément, un défaut de montage du raccord pompier,

À titre subsidiaire, si par impossible la cour entrait en voie de condamnation à son encontre,

- juger que la somme revenant à M. [A] du chef de l'accident du 25 juin 2014 ne peut excéder la somme de 24 754,80 euros ventilée comme suit :

' déficit fonctionnel temporaire : 6 554,80 euros

' souffrances endurées : 9 000 euros

' préjudice esthétique temporaire : 1 000 euros

' préjudice esthétique permanent : 1 000 euros

' déficit fonctionnel permanent : 7 200 euros

- débouter M. [A] du surplus de ses demandes,

- juger qu'il conviendra de déduire la provision déjà perçue de 4.000 euros,

- juger que la créance de la caisse primaire d'assurance-maladie du Var viendra également en déduction des sommes versées à M. [A] au titre de l'indemnisation de ses préjudices,

En tout état de cause,

- débouter M. [A] de sa demande formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamner à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

La SAS Delta Service Location fait valoir que :

Sur le principe de sa responsabilité :

- aucun témoin n'a directement assisté à l'accident (en particulier MM. [J] [P] et [B] [L]), le compte rendu de l'inspection du travail n'est pas produit, ni le rapport d'intervention des pompiers, ni le certificat médical initial, de sorte que la preuve que le jet d'eau ait été à l'origine des dommages allégués n'est pas rapportée,

- l'installation des matériaux et accessoires litigieux a été réalisée par la société SPAC et non par elle-même ;

- la pression d'utilisation du tuyau DN100 doit être distinguée de la pression d'éclatement : la première peut être utilisée sans risque pour l'utilisateur, la seconde correspond à la limite maximale jusqu'à éclatement ; cette dernière n'est pas de 10 bars mais de 18 bars ; or, la société SPAC a déclaré être montée jusqu'à 8 ou 9 bars au maximum ; l'hypothèse la plus probable est que la pression au moment de l'éclatement était supérieure aux 10 bars correspondant à la commande de la société SPAC ; ceci constitue une faute de l'utilisateur et non du fournisseur ;

- la livraison du tuyau pouvant supporter une pression d'utilisation de 6 bars ne constitue pas, à elle seule, l'origine de l'accident ; en outre, seules les vannes à volant et les pièces de raccord étaient présentes lors des opérations d'expertise, les autres éléments (flexibles, clapets anti-retour, débit-mètres, vannes, baker, ') n'ont pu être examinés par l'expert ;

Sur l'évaluation des postes de préjudice corporel :

- aucune incidence professionnelle n'est caractérisée, la rupture du contrat de travail ayant été conventionnelle, c'est-à-dire avec le plein accord de M. [A] ; aucun document émanant de la médecine du travail ne mentionne d'ailleurs la moindre inaptitude à l'emploi ;

- les postes de préjudice extra-patrimonial doivent être chiffrés de façon plus raisonnable.

* * *

Assignée à personne habilitée par acte d'huissier contenant dénonce de l'appel, la caisse primaire d'assurance-maladie du Var a constitué avocat le 4 avril 2023 et a indiqué ne pas conclure dans la mesure où sa créance n'est pas contestée. Elle a communiqué le montant de ses débours définitifs, soit la somme de 78 055,53 euros, ventilée comme suit :

- frais hospitaliers : 47 447,49 euros

- frais médicaux : 3 107,24 euros

- frais pharmaceutiques : 241,13 euros

- frais d'appareillage : 14,64 euros

- frais futurs occasionnels : 751,31 euros

- franchises : - 48,50 euros

- indemnités journalières : 26 542,22 euros.

* * *

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux dernières écritures déposées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

La clôture a été prononcée le 2 avril 2024.

Le dossier a été plaidé le 16 avril 2024 et mis en délibéré au 27 juin 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la nature de la décision rendue :

L'arrêt rendu sera contradictoire, conformément à l'article 467 du code de procédure civile.

Sur la responsabilité de la SAS DSL :

L'article L.451-1 du code de la sécurité sociale prévoit qu'aucune action en réparation du préjudice consécutif à des accidents ou maladies à caractère professionnel ne peut être exercée conformément au droit commun par la victime ou ses ayants-droits.

Toutefois, en vertu de l'article L.454-1 du même code, si la lésion dont est atteint l'assuré social est imputable à une personne autre que l'employeur ou ses préposés, la victime ou ses ayants-droits conservent contre l'auteur de l'accident le droit de demander réparation du préjudice causé, conformément aux règles de droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application des règles contenues dans le code de la sécurité sociale.

M. [U], expert judiciaire désigné, indique que le flexible loué à la SAS DSL, déchiré au ras du collier de serrage qui le reliait au raccord pompier, était non conforme à celui que la société SPAC avait commandé à la SAS DSL. La commande portait en effet sur un modèle PN 10 bars alors que le modèle fourni ne supportait qu'une pression de 6 bars. La distinction proposée par la SAS DSL entre pression d'utilisation et pression d'éclatement du tuyau DN 100 ne saurait avoir pour effet d'évacuer la responsabilité contractuelle du vendeur qui admet dans ses propres écritures que la pression d'utilisation garantit une utilisation permanente sans risque pour l'utilisateur.

M. [U] ajoute que, même si le flexible endommagé n'est pas prévu pour être utilisé en continu à une telle pression, sa structure était vraisemblablement affaiblie avant son utilisation sur le site ' soit du fait d'un serrage inapproprié des colliers par un employé de la SAS DSL lors du montage du raccord pompier, soit d'un défaut du flexible lui-même.

La SAS DSL ne conteste pas avoir procédé elle-même au montage des raccords sur les flexibles. Son chargé d'affaires, M. [Y], a indiqué que le tuyau « s'est déchiré au niveau de la jonction sur le raccord cannelé demi-symétrique au niveau du serrage des colliers ».

M. [U] note au surplus que la SAS DSL, en qualité de responsable du contrôle et de l'entretien du matériel loué, ne consigne sur aucun support physique ou électronique le résultat des contrôles de l'état des flexibles qu'elle dit effectuer régulièrement. Il ajoute que la durée de vie moyenne des flexibles est de deux ans, mais qu'aucun élément ne permet pour autant de déterminer la date de première mise en service du flexible litigieux, pas plus que le nom du salarié ayant procédé au serrage du raccord sur le flexible.

La SAS DSL conteste néanmoins le lien de causalité entre les fautes retenues par M. [U] et l'accident advenu à M. [A]. Le rapport Hygiène Sécurité Environnement de la SPAC (document 9 de l'appelant) indique à cet égard que M. [A] intervenait conjointement avec ses collègues [J] [P] et [B] [L], le 25 juin 2014 sur le site de Fluxel, en vue de la mise en place d'un matelas d'eau : « [G] [A] est en train d'ouvrir la troisième vanne du reseau incendie (vanne n°3) quand soudainement le flexible souple relié à cette vanne se déchire au ras du collier de serrage. Un jet d'eau jaillit du réseau incendie alimenté en 8-9 bars. [G] [A] est projeté au sol par la puissance du jet d'eau. La victime au sol est consciente. Elle appelle au secours. Depuis leur poste de travail, au niveau de la gare racleur, [J] [P] et [B] [L] aperçoivent un jet d'eau provenant des vannes du réseau incendie. Ils se dirigent immédiatement vers les vannes pour couper l'alimentation d'eau. [B] [L] découvre la victime sur le côté, gisant au sol dans une flaque d'eau ». Ce rapport, à l'élaboration duquel MM. [P] et [L] ont été associés, permet bien d'établir un lien direct et certain de cause à effet entre la rupture du flexible et l'atteinte à l'intégrité corporelle de M. [A].

Bien que tiers au contrat entre SPAC et DSL, M. [A] est fondé à invoquer l'exécution défectueuse de celui-ci dans la mesure où elle lui a causé un dommage. La SAS DSL engage donc sa responsabilité civile sur le fondement de l'article 1240 du code civil à l'égard de M. [A].

L'expert judiciaire, M. [U], note expressément qu'aucune faute dans l'utilisation n'a été caractérisée, ce qui exclut toute limitation du droit à indemnisation intégrale de M. [A].

Sur l'étendue du préjudice corporel :

Le rapport du docteur [H] du 10 mars 2020, dont les conclusions ne font l'objet d'aucune critique médicalement justifiée, constitue une base valable d'évaluation des préjudices subis par M. [A].

La fracture fémorale de M. [A] a occasionné une perte de souplesse de la hanche, une limitation des amplitudes articulaires en fin de course, et des douleurs ponctuelles dans les actes de la vie quotidienne, notamment le fait de s'habiller et de se chausser.

Connaissance prise des écrits des docteurs [E], [D], [X] et [C], le docteur [H] est parvenu aux conclusions médico-légales suivantes :

- perte de gains professionnels actuels :

' du 25 juin 2014 au 5 janvier 2015

' du 25 novembre 2015 au 16 janvier 2016

- frais divers : aucun

- déficit fonctionnel temporaire 100 % : 25 juin 2014 - 6 décembre 2014 + 25 au 27 novembre 2015,

- déficit fonctionnel temporaire 25 % : 7 décembre 2014 ' 5 février 2015

- déficit fonctionnel temporaire 10 % : du 6 février 2015 ' 24 novembre 2015

- déficit fonctionnel temporaire 25 % : 28 novembre 2015 ' 27 décembre 2015 (un mois)

- déficit fonctionnel temporaire 10 % : 28 décembre 2015 ' 16 juin 2016

- souffrances endurées : 3,5/7

- préjudice esthétique temporaire :

' 2/7 : 25 juin 2014 ' 25 septembre 2014

' 2/7 : 27 novembre 2015 ' 26 décembre 2015

- consolidation : 16 juin 2016

- dépenses de santé futures : aucune

- frais de logement aménagé : aucun

- frais de véhicule adapté : aucun

- assistance par tierce personne : aucune

- perte de gains professionnels futurs : aucune

- incidence professionnelle : aucune

- préjudice scolaire : aucun

- déficit fonctionnel permanent : 6 %

- préjudice d'agrément : difficulté sans impossibilité (a repris avec modération la course à pied et l'alpinisme)

- préjudice esthétique permanent : 1/7 pour la cicatrice opératoire

- préjudice sexuel : sans objet

- préjudice d'établissement : sans objet.

I. PRÉJUDICES PATRIMONIAUX

a) préjudices patrimoniaux temporaires (avant consolidation)

Dépenses de santé actuelles (DSA) : 50 762 euros

Ce poste est constitué des frais médicaux et pharmaceutiques, frais de transport, massages, appareillage pris en charge par la caisse primaire d'assurance-maladie, soit 50 762 euros, la victime n'invoquant aucun frais de cette nature restés à sa charge.

Perte de gains professionnels actuels (PGPA) : 26 542,22 euros

Ce poste vise à compenser les répercussions du dommage sur la sphère professionnelle de la victime et doit être évalué au regard de la preuve d'une perte effective de revenus. La durée et l'importance, généralement décroissante, de l'indisponibilité temporaire professionnelle sont à apprécier depuis la date du dommage jusqu'à la date de la consolidation.

Il convient de déduire des revenus dont la victime a été privée pendant cette indisponibilité professionnelle temporaire, le montant des indemnités journalières versées par son organisme de sécurité sociale comme celui du salaire maintenu par son employeur.

M. [A], qui a perçu des indemnités journalières d'un montant de 26 542,22 euros, ne formule aucune demande au titre de ce poste.

Le fait que la victime ne réclame pas l'évaluation d'un chef de son préjudice corporel ne peut cependant faire obstacle à l'exercice par la caisse de sécurité sociale du droit qui lui appartient d'obtenir le remboursement des prestations qu'elle a versées à la suite de l'accident et de faire fixer, en tous ses éléments, l'indemnité représentant l'atteinte à l'intégrité physique de celle-ci et servant d'assiette au recours de cet organisme (Civ.2 , 24 mai 2018, 17-14.345).

b) préjudices patrimoniaux permanents après consolidation

Dépenses de santé futures (DSF) : 751,31 euros

Ce poste vise les frais hospitaliers, médicaux, paramédicaux, pharmaceutiques et assimilés, même occasionnels mais médicalement prévisibles, rendus nécessaires par l'état pathologique de la victime après la consolidation et incluent les frais liés soit à l'installation de prothèses soit à la pose d'appareillages spécifiques nécessaires afin de suppléer le handicap physiologique.

La caisse primaire d'assurance-maladie produit une créance de 751,31 euros au titre de frais futurs occasionnels.

Incidence professionnelle (IP) : rejet

Ce chef de dommage a pour objet d'indemniser non la perte de revenus liée à l'invalidité permanente de la victime mais les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle en raison, notamment, de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d'une chance professionnelle, de l'augmentation de la pénibilité de l'emploi qu'elle occupe imputable au dommage, ou de l'obligation de devoir abandonner la profession exercée au profit d'une autre en raison de la survenance de son handicap, de la perte des droits à retraite que la victime va devoir supporter en raison de son handicap, ou de la dévalorisation sociale ressentie par la victime du fait de son exclusion définitive du monde du travail. Ont vocation à être inclus dans ce poste de dommage les frais de reclassement professionnel, de formation ou de changement de poste assumés par le tiers payeur ou la victime, et de façon générale tous les frais nécessaires à un retour de la victime dans la vie professionnelle, qui seraient imputables au dommage corporel subi.

Après l'accident du 25 juin 2014, M. [A] a repris le 6 janvier 2015 le cours de son activité professionnelle en qualité d'ingénieur BTP. Il a cependant renoncé à son CDI en avril 2019 dans le cadre d'une rupture conventionnelle, invoquant une dégradation des relations avec son employeur qui lui aurait fait grief de son absentéisme ' que justifiaient en tout état de cause les séances de kinésithérapie dues à son état depuis l'accident. M. [A], qui exerce à présent à son compte une activité de conseil en assistance à la maîtrise d'ouvrage, invoque une incidence professionnelle liée à la perte de son emploi.

L'expert judiciaire, puis le premier juge, ont cependant écarté à juste titre toute incidence professionnelle. La perte d'emploi intervenue fait suite en effet à une rupture conventionnelle et non à un avis d'inaptitude de la médecine du travail : elle a pour seul ressort la liberté contractuelle des parties. Qui plus est, elle est intervenue cinq ans après l'accident, et trois ans après la consolidation. L'imputabilité à l'accident de la perte alléguée de revenus et d'avantages salariaux (pour un montant estimé à 42 920 euros, qui relève moins en réalité de l'incidence professionnelle que de la perte de gains professionnels futurs) et des frais engagés pour la constitution de sa nouvelle société (évalués à 20 078,86 euros) n'est pas démontrée.

Le jugement entrepris est confirmé en ce qu'il a débouté M. [A] de ses demandes concernant ce poste.

II. PRÉJUDICES EXTRA-PATRIMONIAUX

a) préjudices extra-patrimoniaux temporaires (avant consolidation)

Déficit fonctionnel temporaire (DFT) : 7 114,50 euros

Ce poste inclut la perte de la qualité de la vie et des joies usuelles de l'existence ainsi que le préjudice d'agrément et le préjudice sexuel pendant l'incapacité temporaire.

Il doit être réparé sur la base de 30 euros par jour de déficit fonctionnel temporaire total, sauf à proratiser en fonction du taux de déficit fonctionnel temporaire partiel, eu égard à la nature des troubles et de la gêne subie.

L'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire sera évaluée à la somme de 7 114,50 euros, ventilée comme suit :

- déficit fonctionnel temporaire 100 % x 168 jours x 30 euros = 5 040 euros,

- déficit fonctionnel temporaire 25 % x 91 jours x 30 euros = 682,50 euros,

- déficit fonctionnel temporaire 10 % x 464 jours x 30 euros = 1 392 euros.

Souffrances endurées (SE) : 12 500 euros

Ce poste prend en considération les souffrances physiques et psychiques et les troubles associés supportés par la victime.

Évalué en l'occurrence à 3,5/7 par le docteur [H], ce préjudice qui s'apprécie sur une durée de près de deux ans et a frappé un homme accoutumé à un mode de vie actif sera réparé par l'octroi d'une somme de 12 500 euros.

Préjudice esthétique temporaire (PET) : 2 000 euros

Ce poste vise à réparer le préjudice né de l'obligation pour la victime de se présenter temporairement avant consolidation au regard des tiers dans une apparence physique altérée en raison de ses blessures.

Le docteur [H] retient, au titre de la marche appareillée, un préjudice esthétique évalué à 2/7 du 25 juin au 25 septembre 2014 et du 27 novembre au 26 décembre 2015. Ce poste sera réparé par l'allocation d'une somme de 2 000 euros.

b) préjudices extra-patrimoniaux permanents (après consolidation)

Déficit fonctionnel permanent (DFP) : 10 800 euros

Ce poste de dommage vise à indemniser la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel résultant de l'atteinte anatomo-physiologique à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques et notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence personnelle, familiale et sociale.

Les séquelles conservées, le taux d'incapacité et l'âge de la victime déterminent le quantum de l'évaluation du poste déficit fonctionnel permanent.

En l'occurrence, l'expert judiciaire retient un taux de déficit fonctionnel permanent de 6 % pour un homme âgé de 42 ans à la consolidation. Ce poste de préjudice corporel sera évalué à la somme de 10 800 euros.

Préjudice esthétique permanent (PEP) : 2 000 euros

Ce poste de dommage cherche à réparer les atteintes physiques et plus généralement les éléments de nature à altérer l'apparence physique à compter de la consolidation.

Le docteur [H] retient un préjudice cicatriciel qu'il évalue à 1/7. Ce poste sera réparé par l'allocation d'une somme de 2 000 euros. Le jugement entrepris est confirmé de ce chef.

Préjudice d'agrément (PA) : 10 562,16 euros

Le préjudice d'agrément ne peut être indemnisé distinctement de la gêne dans les actes de la vie courante, déjà indemnisée au titre du déficit fonctionnel, que si la victime justifie de la pratique antérieure d'une activité sportive ou de loisir exercée régulièrement avant l'accident.

Ce poste n'est pas circonscrit à l'impossibilité absolue pour la victime de poursuivre la pratique d'une activité spécifique sportive ou de loisir ; il inclut en effet l'impossibilité de poursuivre ladite activité dans les mêmes conditions qu'avant l'accident. Ce poste inclut en effet la limitation de la pratique antérieure.

M. [A] justifie par la production de divers documents (clichés photographiques, factures, carte grise) de ce qu'il s'adonnait avant son accident au ball-trap, à la motocyclette et à l'alpinisme. Le docteur [H] mentionne une reprise de ces activités en mode dégradé.

Ce poste sera réparé par l'allocation d'une somme de 10 000 euros majorée de 562,16 euros au titre des frais qu'il avait exposés en 2014 en vue de participer au championnat du monde de ball-trap au Portugal.

Récapitulatif de la réparation du préjudice corporel de M. [A] :

- dépenses de santé actuelles : 50 762 euros (créance CPAM)

- perte de gains professionnels actuels : 26 542,22 euros (créance CPAM)

- dépenses de santé futures : 751,31 euros (créance CPAM)

- incidence professionnelle : rejet

- déficit fonctionnel temporaire : 7 114,50 euros

- souffrances endurées : 12 500 euros

- préjudice esthétique temporaire : 2 000 euros

- déficit fonctionnel permanent : 10 800 euros

- préjudice esthétique permanent : 2 000 euros

- préjudice d'agrément : 10 562,16 euros

Préjudice corporel global de la victime : 123 032,19 euros

Prestations servies par le tiers payeur : 78 055,53 euros

Montant d'indemnisation revenant à la victime : 44 976,66 euros

Imputation des provisions versées à la victime : 4 000 euros

Solde restant dû à la victime : 40 976,66 euros

Sur les demandes annexes :

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles alloués à la victime doivent être confirmées.

L'équité justifie de condamner la SAS DSL au paiement d'une somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles que M. [A] a exposés devant la cour.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la cour, hormis sur le montant de l'indemnisation de la victime et les sommes lui revenant.

Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,

Condamne la SAS DSL à payer à M. [A] en réparation de son préjudice corporel les montants suivants :

- déficit fonctionnel temporaire : 7 114,50 euros,

- souffrances endurées : 12 500 euros,

- préjudice esthétique temporaire : 2 000 euros,

- déficit fonctionnel permanent : 10 800 euros,

- préjudice d'agrément : 10 562,16 euros.

Condamne la SAS DSL à payer à M. [A] la somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles qu'il a exposés en cause d'appel.

Condamne la SAS DSL aux entiers dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-6
Numéro d'arrêt : 23/02740
Date de la décision : 27/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-27;23.02740 ?
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