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25/06/2024 | FRANCE | N°23/09334

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-1, 25 juin 2024, 23/09334


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-1



ARRÊT AU FOND

DU 25 JUIN 2024



N° 2024/258







Rôle N° RG 23/09334 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BLT3B







[N] [D]





C/



L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT





















Copie exécutoire délivrée

le :





à :

- Me Bertrand DUBOIS

- Me Catherine COTTRAY-LANFRANCHI










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Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal Judiciaire de GRASSE en date du 11 Mai 2023.





APPELANT



Monsieur [N] [D],

né le [Date naissance 1] 1981 à [Localité 5] (06)

demeurant [Adresse 3]



représenté par Me Bertrand DUBOIS de l'ASSOCIATION DAGHERO - DUBOIS, avocat au barreau de GR...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-1

ARRÊT AU FOND

DU 25 JUIN 2024

N° 2024/258

Rôle N° RG 23/09334 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BLT3B

[N] [D]

C/

L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

- Me Bertrand DUBOIS

- Me Catherine COTTRAY-LANFRANCHI

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal Judiciaire de GRASSE en date du 11 Mai 2023.

APPELANT

Monsieur [N] [D],

né le [Date naissance 1] 1981 à [Localité 5] (06)

demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Bertrand DUBOIS de l'ASSOCIATION DAGHERO - DUBOIS, avocat au barreau de GRASSE

INTIME

L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT, agissant es qualité de détenteur du mandat légal de représentation de l'Etat,

demeurant Bureaux des Ministères Economiques et Financiers - [Adresse 2]

représenté par Me Catherine COTTRAY-LANFRANCHI, avocat au barreau de NICE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 21 Mai 2024 en audience publique devant la cour composée de :

Monsieur Olivier BRUE, Président

Madame Catherine OUVREL, Conseillère

Madame Fabienne ALLARD, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Anaïs DOVINA.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 25 Juin 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcée par mise à disposition au greffe le 25 Juin 2024,

Signé par Monsieur Olivier BRUE, Président et Madame Anaïs DOVINA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Le 11 juillet 2016, M.[N] [D] a été titularisé en qualité de professeur certifié de mathématiques et affecté au collège de [6] sis sur la commune de [Localité 4].

Une procédure administrative a été diligentée à l'encontre de M. [D], à la suite de la réception le 7 octobre 2019 par le recteur de l'académie de [Localité 7] d'un rapport dénonçant des manquements de l'enseignant, notamment au devoir d'obéissance hiérarchique.

Le 8 octobre 2019, M. [D] a déposé plainte par courrier adressé au Procureur de la République du tribunal de grande instance de Grasse à l'encontre de M. [X], le principal du collège, du chef de harcèlement moral commis entre le 22 octobre 2018 et le 24 mai 2019.

Par courrier électronique adressé au SAUJ le 26 novembre 2020, le conseil de M. [D] a sollicité des informations sur les suites pénales réservées à cette plainte ; le même jour, il lui a été répondu que l'affaire était toujours en cours d'enquête et le numéro de parquet de la procédure lui a été communiqué.

Par courrier du 25 mai 2021, les services du procureur de la République ont informé le conseil de M. [D] du classement sans suite de la plainte au motif suivant : ' les faits ou les circonstances des faits de la procédure n'ont pu être clairement établis par l'enquête. Les preuves ne sont donc pas suffisantes pour que l'infraction soit constituée, et que des poursuites pénales puissent être engagées.

Le conseil de M. [D] a sollicité la copie de la procédure pénale par plusieurs courriers des 9 juin 2021, 23 septembre 2021 et 8 novembre 2021, qui a été communiquée le 13 juillet 2022.

Par assignation du 16 juin 2022, M. [D] a fait citer l'agent judiciaire de l'Etat, devant le tribunal judiciaire de Grasse, afin d'obtenir l'indemnisation de son préjudice résultant du déni de justice commis par le service public de la justice.

Par jugement rendu le 11 mai 2023, cette juridiction a :

- débouté M. [D] de l'ensemble de ses demandes dirigées contre l'Agent judiciaire de l'Etat,

- condamné M. [D] au paiement d'une amende civile de 2 000 euros,

- débouté M. [D] de sa demande formée en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [D] aux entiers dépens de la procédure.

Pour statuer ainsi, le tribunal a considéré qu'aucun déni de justice n'existait, puisqu'une enquête pénale avait été réalisée de manière diligente et qu'elle avait conduit à une prise de décision dans des délais rapides. Il a également jugé que la délivrance d'une copie pénale, qui n'est d'ailleurs pas une décision, ne conditionnait pas l'exercice par M. [D] de son droit à saisir un juge d'instruction. De plus, le tribunal a considéré qu'il n'était pas établi que le défaut de délivrance rapide de la copie pénale ait pu avoir une incidence sur la procédure administrative diligentée par M. [D].

Enfin, le tribunal a jugé qu'une condamnation au titre d'une amende civile était justifiée puisque M. [D] avait maintenu ses demandes indemnitaires alors même qu'il avait finalement reçu une copie de l'enquête pénale et ne pouvait plus valablement soutenir un quelconque préjudice.

Par déclaration transmise au greffe le 12 juillet 2023, M. [D] a relevé appel de cette décision en visant chacun des chefs de son dispositif.

Vu les conclusions transmises le 25 septembre 2023 au visa des articles L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire et 32-1 du code de procédure civile, par l'appelant, M. [D], qui demande à la cour de :

- réformer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 11 mai 2023 par le tribunal judiciaire de Grasse.

En conséquence,

- juger que le service public de la justice a commis un déni de justice à son préjudice,

- condamner l'agent judiciaire de l'Etat à lui payer la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral,

- condamner l'agent judiciaire de l'Etat à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner l'agent judiciaire de l'Etat aux dépens,

- débouter l'agent judiciaire de l'Etat de toutes ses demandes, fins et conclusions.

M. [D] fait valoir que la responsabilité de l'Etat doit être engagée pour fonctionnement défectueux du service de la justice. Il estime en effet avoir été victime d'un déni de justice au regard du caractère déraisonnable du délai d'examen de sa demande de communication de dossier pénal dont il n'avait eu aucune réponse près de 13 mois après l'avis de classement sans suite de sa plainte. L'appelant conteste ainsi la motivation du tribunal qu'il considère contraire à la jurisprudence en la matière selon laquelle un délai de 15 mois pour fournir un dossier pénal à l'issue d'une instruction constitue un déni de justice.

M. [D] considère que ce déni de justice a entraîné deux préjudices.

D'une part, à défaut de connaître les raisons fondant le classement sans suite de sa plainte, il ne pouvait, selon lui, apprécier l'opportunité de saisir le doyen des juges d'instruction d'une plainte avec constitution de partie civile. Il expose en effet qu'il a décidé de ne pas exercer ce recours seulement après avoir pu prendre connaissance des très nombreuses investigations réalisées par les gendarmes.

D'autre part, il fait valoir qu'il a fait l'objet d'une sanction administrative et à défaut de posséder les pièces de l'enquête pénale, il ne lui était pas possible de démontrer qu'elle était sans fondement lors du recours qu'il a exercé.

Enfin, l'appelant considère que l'amende civile à laquelle il a été condamné n'est pas justifiée, puisque, selon lui, la saisine du tribunal judiciaire de Grasse a été à l'origine de la délivrance de la copie du dossier d'enquête qu'il sollicitait moins de quatre semaines après l'assignation, ceci permettant de justifier le bien-fondé de son action.

De plus, il soutient que la connaissance de la décision de classement sans suite lors de la saisine du tribunal ne caractérise aucun abus de procédure, dès lors que sa demande ne tend pas à remettre en cause cette décision, mais à faire reconnaitre l'absence de délai raisonnable dans lequel lui a été communiqué une copie de la procédure pénale.

Vu les conclusions transmises le 1er février 2024 au visa de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, par, l'agent judiciaire de l'Etat, qui demande à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré rendu le 11 mai 2023 par le tribunal judiciaire de Grasse,

- débouter M. [D] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner M. [D] aux entiers dépens.

L'agent judiciaire de l'Etat fait valoir qu'en application de la jurisprudence constante en la matière, la responsabilité de l'Etat ne peut être engagée qu'en cas d'épuisement des voies de recours ouvertes par la loi. Or, il expose que M. [D] ne s'est pas constitué partie civile devant le doyen des juges d'instruction comme cela lui était permis en cas de décision de classement de la plainte sans suite selon les dispositions de l'article 85 du code de procédure pénale.

De plus, il soutient que même si la communication tardive du dossier pénal traduit un dysfonctionnement, elle ne peut constituer une faute lourde de l'Etat, dans la mesure où M. [D] a finalement obtenu les éléments sollicités.

L'agent judiciaire de l'Etat fait valoir qu'au regard de la jurisprudence qu'il invoque, un préjudice ne peut se déduire de la seule existence d'un déni de justice. Or, il considère que M. [D] ne produit aucun élément permettant de justifier qu'il a subi un préjudice moral, ni ne démontre le lien de causalité entre ce préjudice et la faute qu'il reproche à l'Etat et sollicite ainsi qu'il soit débouté de sa demande indemnitaire.

Vu l'avis de fixation pour l'audience du 21 mai 2024 et l'ordonnance de clôture rendue le 23 avril 2024.

SUR CE

L'article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire dispose que l'Etat est tenu de réparer le

dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice. Sauf dispositions

particulières, cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de

justice.

La notion de faute lourde est définie par la Cour de cassation par toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi.

L'article L.141-3 dudit code ajoute qu'il y a déni de justice lorsque les juges refusent de répondre aux requêtes ou négligent de juger les affaires en état et en tour d'être jugées.

Le déni de justice est défini comme tout manquement de l'Etat à son devoir de protection

juridictionnelle de l'individu qui comprend le droit pour tout justiciable de voir statuer sur ses

prétentions dans un délai raisonnable au sens de l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.

La mise en 'uvre de la responsabilité de l'Etat suppose que soit établie l'existence d'une faute

lourde ou d'un déni de justice, imputable au fonctionnement défectueux du service de la justice en lien avec un préjudice certain, personnel et direct effectivement subi par l'usager.

Al'appui de sa demande en dommages et intérêts pour préjudice moral, M.[N] [D] estime que le service public de la justice a commis un déni de justice à son préjudice dès lors que:

- près de 13 mois après l'avis de classement de sa plainte, il n'avait toujours pas accès au dossier d'enquête en dépit de ses demandes de copie de dossier.

- ce défaut de communication du dossier pénal lui interdisait en outre de connaitre les raisons fondant le classement sans suite de sa plainte et de saisir, le cas échéant, le doyen des juges d'instruction d'une plainte avec constitution de partie civile.

Il apparaît au vu des pièces versées aux débats que :

-le conseil de M. [D] a déposé une plainte pour harcèlement moral entre les mains du Procureur de la République de Grasse qui l'a transmise pour enquête aux services de Gendarmerie, lesquels l'ont clôturée le 12 avril 2021 et envoyée au Parquet le 16 avril 2021.

Un avis de classement a été adressé à l'avocat du plaignant le 25 mai 2021.

Le conseil de l'appelant a réclamé au service compétent une copie de la procédure pénale les

9 juin 2021, 23 septembre 2021 et 8 novembre 2021.

La copie des pièces pénales a été communiquée à Me Dubois, avocat de M. [D] le 13 juillet 2022.

Si ce délai de réponse de treize mois peut révèler un réel dysfonctionnement, il ne peut être considéré comme excessif, ni déraisonnable et caractériser un déni de justice constitutif d'une faute lourde.

La date de la transmission pouvait permettre à l'intéressé de saisir utilement, avant l'expiration du délai de prescription de trois ans applicable aux délits, le doyen des juges d'instruction d'une plainte avec constitution de parties civile ou de faire délivrer une citation directe devant le tribunal correctionnel, ce qu'il n'a pas fait.

Il ne cite par ailleurs aucune pièce du dossier qui aurait été susceptible de lui éviter la sanction disciplinaire qui a été prononcée à son encontre le 10 juin 2020, antérieurement à la demande de copie de pièces, sur des poursuites engagées le 24 mai 2019.

M.[N] [D] n'apporte pas la preuve qui lui incombe de l'existence d'un préjudice certain en lien avec la faute alléguée.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, la demande en dommages et intérêts formée par M.[N] [D] est rejetée.

Il apparaît que la copie des pièces réclamées n'a été transmise qu'après la délivrance de l'assignation en responsabilité de l'Etat.

Dans ces conditions, l'action en justice de M.[N] [D] ne peut être qualifiée d'abusive au sens de l'article 32-1 du code de procédure civile.

Le jugement est confirmé.

Il n'y a paslieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de l'appelant, en l'état de la confirmation de la décision dont appel.

La partie perdante est condamnée aux dépens, conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

DIT n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile,

CONDAMNE M.[N] [D] aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-1
Numéro d'arrêt : 23/09334
Date de la décision : 25/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-25;23.09334 ?
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