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25/06/2024 | FRANCE | N°20/08840

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-1, 25 juin 2024, 20/08840


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-1



ARRÊT AU FOND

DU 25 JUIN 2024



N° 2024/255









Rôle N° RG 20/08840 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BGI2D







Ste Civile SINAGOT

SAS MULTIFIJA

S.A. DIFFUSION EQUIPEMENTS LOISIRS (DEL)





C/



[L] [E]





















Copie exécutoire délivrée

le :





à :

- Me Philippe-laurent SIDER

- Me Je

an-françois JOURDAN















Décision déférée à la Cour :



Sentence du Tribunal arbitral d'AIX EN PROVENCE en date du 30 Juillet 2020





APPELANTES



Société Civile SINAGOT, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège,

demeur...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-1

ARRÊT AU FOND

DU 25 JUIN 2024

N° 2024/255

Rôle N° RG 20/08840 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BGI2D

Ste Civile SINAGOT

SAS MULTIFIJA

S.A. DIFFUSION EQUIPEMENTS LOISIRS (DEL)

C/

[L] [E]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

- Me Philippe-laurent SIDER

- Me Jean-françois JOURDAN

Décision déférée à la Cour :

Sentence du Tribunal arbitral d'AIX EN PROVENCE en date du 30 Juillet 2020

APPELANTES

Société Civile SINAGOT, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège,

demeurant [Adresse 1]

SAS MULTIFIJA, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège,

demeurant [Adresse 5]

S.A. DIFFUSION EQUIPEMENTS LOISIRS (DEL), prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège,

demeurant [Adresse 4]

tous représentés par Me Philippe-laurent SIDER, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaiant Me Eric CESAR de la SELARL LEGI AVOCATS, avocat au barreau de LYON substituée par Me Fabien GIRARDON, avocat au barreau de LYON

INTIME

Monsieur [L] [E]

né le 17 Novembre 1965 à [Localité 2] (86),

demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Jean-françois JOURDAN de la SCP JF JOURDAN - PG WATTECAMPS ET ASSOCIÉS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Yves REINHARD de la SELAS Fiducial Legal by LAMY, avocat au barreau de LYON substituée par Me Véronique GIGNOUX, avocat au barreau de LYON

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 21 Mai 2024 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Fabienne Allard, Conseillère, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Olivier BRUE, Président

Madame Catherine OUVREL, Conseillère

Madame Fabienne ALLARD, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Anaïs DOVINA.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 25 Juin 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcée par mise à disposition au greffe le 25 Juin 2024,

Signé par Monsieur Olivier BRUE, Président et Madame Anaïs DOVINA, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

La société Fija est détenue notamment par M. [U] et les sociétés Sinagot et Multifija. Cette dernière regroupe les cadres salariés du groupe Fija et détient 5,07 % du capital de la société Fija.

La société Commercialisation équipement construction (la société CEC) et la société Diffusion équipements loisirs (la société DEL) sont des filiales de la société Fija. Elles ont depuis fusionné, la société CEC étant absorbée par la société DEL.

Le 26 février 2013, M. [L] [E], qui exerçait des fonctions de directeur commercial au sein de la société CEC, devenue la SAS DEL, a signé un pacte d'associés avec la société Sinagot et M. [U]. Les sociétés Multifija et CEC sont intervenues à l'acte.

Ce pacte d'associés comporte une clause compromissoire soumettant toutes les contestations qui s'élèveraient entre les parties relativement au pacte à un tribunal arbitral.

Un conflit est né entre M. [E] et la direction du groupe, aboutissant à son licenciement le 4 août 2015.

Après avoir quitté la société CEC, M. [E] a été embauché avec une autre collègue, Mme [I], par la société Aello, constituée à cette époque par la société Thermador Groupe (la société Thermador).

Le 5 octobre 2015, M. [E] a levé l'option stipulée à son profit dans le pacte d'associés et sollicité de la société Sinagot le rachat de ses titres.

Un litige ayant opposé les parties sur ce rachat, M. [E] a assigné les sociétés Sinagot et Multifija, par acte du 28 décembre 2016, devant le tribunal de commerce de Rennes en paiement de la somme de 52 448,73 € représentant le prix de cession de ses parts sociales.

Par jugement du 20 juin 2017, le tribunal de commerce s'est déclaré incompétent au profit de la juridiction arbitrale.

Parallèlement à ce litige, estimant être victimes d'actes de concurrence déloyale et de parasitisme, les sociétés Multifija et DEL ont, en avril 2017, assigné, devant le tribunal de commerce de Rennes, M. [E], Mme [I], M. [W], administrateur associé de la société Aello, les sociétés Aello et Thermador, ainsi qu'une filiale de cette dernière, la société Jetly, en paiement de dommages-intérêts.

Les défendeurs ont soulevé l'incompétence du tribunal de commerce de Rennes au profit du tribunal arbitral, en application de la clause compromissoire contenue à l'article 10.9 du pacte d'associés.

Par jugement du 20 mars 2018, le tribunal de commerce de Rennes s'est déclaré compétent pour connaître de l'ensemble du litige.

Par arrêt du 2 octobre 2018, la cour d'appel de Rennes a confirmé le jugement en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par les sociétés Thermador Groupe, Aello et Jetly ainsi que par M. [W], et, le réformant pour le surplus, a constaté que la clause compromissoire insérée au pacte d'associés signé par M. [E] n'est pas manifestement inapplicable, dès lors que le litige est en relation avec l'accord contenant la clause d'arbitrage, accueilli en conséquence l'exception d'incompétence soulevée par M. [E] au profit de la juridiction arbitrale, ordonné une disjonction et renvoyé les sociétés DEL et Multifija à saisir le tribunal arbitral.

Par arrêt du 4 décembre 2019, la Cour de cassation a cassé cet arrêt seulement en ce qu'il renvoie l'examen du litige opposant les sociétés DEL et Multifija aux sociétés Thermador Groupe, Aello et Jetly ainsi qu'à M. [W] devant le tribunal de commerce de Rennes, au motif que la cour d'appel aurait dû rechercher si ce litige n'était pas en relation avec l'inexécution prétendue par M. [E] et Mme [I] de l'obligation de non-concurrence mise à leur charge par le pacte d'associés, cette circonstance étant de nature à justifier d'écarter le caractère manifeste de l'inapplicabilité de la convention d'arbitrage.

Par arrêt du 20 octobre 2020, la cour d'appel de Rennes, autrement composée, a infirmé le jugement en ce qu'il a renvoyé l'examen du litige opposant les sociétés DEL et Multifija aux sociétés Thermador Group, Aello et Jetly ainsi qu'à M. [W] devant le tribunal de commerce de Rennes, et dit que la cour d'appel est incompétente pour statuer sur la compétence du juge judiciaire pour examiner le litige opposant les sociétés DEL et Multifija à M. [W] et les sociétés Thermador Group, Aello et Jetly.

Cet arrêt est devenu définitif à la suite du rejet par la Cour de cassation, le 26 janvier 2022, du pourvoi formé par les sociétés DEL et Multifija.

Entre temps, dans le cadre du litige afférent au rachat des parts sociales, M. [E] a désigné en qualité d'arbitre M. [C] [K] et la SCI Sinagot M. [T] [O]. Les deux arbitres ont désigné M. [S] [Y] en qualité de troisième arbitre et président du tribunal arbitral.

Les sociétés DEL et Multifija sont intervenues volontairement devant le tribunal arbitral.

Par sentence en date du 30 juillet 2020, le tribunal arbitral a :

- condamné la SCI Sinagot à payer à M. [E] la somme de 52 448,73 €, avec intérêts au taux légal depuis le 20 décembre 2015 et anatocisme, au titre du rachat de ses parts sociales et la somme de 10 000 € au titre de la prise en charge de ses frais, avec intérêts au taux légal à compter de la décision ;

- débouté M. [E] du surplus de ses demandes ;

- ordonné l'exécution provisoire de la décision ;

- déclaré recevables les interventions volontaires des sociétés DEL et Multifija ;

- débouté la société DEL de sa demande en paiement des intérêts de la somme consignée en CARPA à son initiative ;

- dit qu'il est seul compétent pour statuer sur les demandes indemnitaires des sociétés DEL et Multifija au titre des fautes délictuelles imputées à M. [E], mais sursis à statuer pour le surplus dans l'attente de l'arrêt à intervenir de la cour d'appel de Rennes sur renvoi après cassation ;

- mis les frais de l'arbitrage à la charge des parties à raison d'un quart chacune.

Par acte du 15 septembre 2020, dont la régularité n'est contestée, les sociétés Sinagot, DEL et Multifija ont relevé appel de cette décision en visant chacun des chefs de son dispositif.

La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 23 avril 2024.

Lors de l'audience de plaidoirie, les parties ont été invitées à s'expliquer, par note en délibéré, sur la recevabilité de l'appel incident dans l'hypothèse où la cour déclarerait l'appel principal irrecevable et à produire les actes de notifications de la sentence arbitrale.

M. [E] a transmis à la cour le 3 juin 2024 les justificatifs de notification de la sentence arbitrale.

Les parties n'ont, en revanche, déposé aucune note en délibéré.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dans leurs dernières conclusions, régulièrement notifiées le 3 juin 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, les sociétés DEL, Multifija et Sinagot demandent à la cour de :

' déclarer l'appel recevable ;

' réformer la sentence arbitrale rendue le 30 juillet 2020 en toutes ses dispositions, hormis en ce qu'elle a débouté M. [E] du surplus de ses demandes ;

Statuant à nouveau,

' se déclarer incompétent pour statuer sur les demandes d'indemnisation du préjudice susceptible de résulter des fautes délictuelles imputées à M. [E] ;

' déclarer le tribunal arbitral incompétent pour statuer sur ces demandes ;

' renvoyer les parties à mieux se pourvoir ;

' dire n'y avoir lieu à surseoir à statuer ;

' dire et juger que le paiement comptant du prix de cession des actions ne pouvait intervenir sans la signature d'un acte de cession et débouter M. [E] de sa demande de condamnation au paiement des sommes de 52 448,73 €, majorée des intérêts de droit depuis le 20 décembre 2015 avec capitalisation des intérêts et 10 000 € au titre de la prise en charge à due concurrence des frais liés à sa demande principale et de la demande au titre des intérêts de droit ;

' condamner M. [E] à leur payer la somme de 10 000 €au titre de la prise en charge à due concurrence des frais liés à leurs demandes devant la cour.

Au soutien de leur appel et de leurs prétentions, elles font valoir que :

Sur la recevabilité de l'appel :

- l'intervention volontaire principale des sociétés DEL et Multifija afin qu'il soit statué sur la compétence arbitrale à l'égard des faits de concurrence déloyale imputés à M [E] a été déclarée recevable par le tribunal arbitral, de sorte qu'elles ont qualité pour relever appel de la décision ;

- l'appel est recevable en cas d'erreur manifeste et en l'espèce, le tribunal arbitral en a commis plusieurs :

' sur l'extension de la portée de la clause compromissoire aux faits de concurrence déloyale, en ce qu'une telle extension aux tiers impliqués dans l'exécution du contrat n'est pas possible en arbitrage interne, de sorte que le tribunal arbitral a outrepassé ses pouvoirs en violation de la règle de compétence de principe des juridictions étatiques pour connaitre des litiges ;

' sur la qualité de parties au pacte d'associés, en ce que, d'une part elles sont tiers au pacte d'associés et sont intervenues volontairement à l'instance arbitrale uniquement pour faire suite à l'arrêt de la cour d'appel de Rennes du 2 octobre 2018 qui a considéré que la clause compromissoire n'était pas manifestement inapplicable, afin qu'il statue sur sa compétence et, ce faisant, se déclare incompétent au profit des juridictions étatiques, d'autre part l'obligation de non-concurrence souscrite par M. [E] dans le pacte d'associés, qui ne vaut qu'à l'égard de la société Multifija, dont il détient des titres et qui a été levée lors du licenciement, est à elle seule insuffisante pour attribuer à cette société la qualité de partie au pacte d'associés, enfin, les faits de concurrence déloyale, par débauchage massif des salariés, désorganisation de la société et détournement de fichiers clients et de fournisseurs, sont fondés sur la responsabilité délictuelle des personnes auxquelles ils sont imputés et ne constituent pas des contestations entre les parties au pacte d'associés ;

' sur le sursis à statuer en ce que, si la cour d'appel a renvoyé les parties devant le tribunal arbitral, elle a, tout au plus jugé que la clause compromissoire n'était pas manifestement inapplicable, et non que le tribunal était compétent pour connaitre du fond du litige ;

' sur le fond, en ce que, pour les condamner à payer 52 448,73 € à M. [E], le tribunal arbitral a considéré que la signature d'un acte de cession n'était pas nécessaire et qu'il avait, à bon droit, refusé de le signer, alors que, d'une part le pacte d'associés conditionne expressément le paiement du prix à la remise de l'acte de cession et de l'ordre de mouvement signés, d'autre part le refus de M. [E] de signer l'acte de cession n'était justifié par aucun motif légitime quand bien même il contenait une clause de confidentialité.

Elles soulignent qu'en tout état de cause, M. [E] est le seul responsable du retard de paiement.

Dans ses dernières conclusions d'intimé et d'appel incident, régulièrement notifiées le 25 avril 2022, auxquelles il convient de renvoyer pour un exposé plus exhaustif des moyens, M. [E] demande à la cour de :

' déclarer l'appel irrecevable ;

' déclarer son appel incident recevable ;

' confirmer la sentence prononcée par le tribunal arbitral en ce qu'elle a condamné la société Sinagot à lui payer la somme de 52 448,73 € avec intérêts de droit depuis le 20 décembre 2015 et anatocisme, ainsi que la somme de 10 000 € au titre de la prise en charge de ses frais de procédure ;

' confirmer la sentence en ce qu'elle a sursis à statuer dans l'attente de l'arrêt à intervenir de la cour d'appel de Rennes statuant sur renvoi après cassation ;

' dire le tribunal arbitral compétent ;

' réformer la sentence pour le surplus et, statuant à nouveau :

' condamner la société Sinagot à lui payer la somme de 50 000 € au titre de son préjudice matériel et personnel, outre intérêts de droit à compter du 20 octobre 2015, 45 833,36 € au titre de l'impossibilité d'acquérir préférentiellement les actions de la société Thermador groupe qui lui étaient offertes et de percevoir les dividendes versés depuis 2016 sur les dites actions ;

' condamner la société Sinagot à lui verser la somme de 20 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile .

Il fait valoir que :

Sur la recevabilité de l'appel : en application de l'article 1489 du code de procédure civile, la sentence n'est pas susceptible d'appel sauf volonté contraire des parties et en l'espèce, le pacte d'associés stipule en son article 10.9 que, sauf erreur manifeste, la sentence n'est pas susceptible d'appel ; or, non seulement les sociétés DEL et Multifija ne sont pas parties au pacte d'associés, mais elles ne rapportent pas la preuve d'une erreur manifeste du tribunal arbitral ;

Sur la compétence du tribunal arbitral :

- les sociétés DEL et Multifija ne peuvent utilement contester la compétence du tribunal arbitral sur le litige qui les oppose à lui dès lors qu'elles sont intervenues volontairement à la procédure arbitrale ;

- aucune erreur manifeste ne s'évince de la sentence en ce qu'elle a considéré que les sociétés DEL et Multifija sont parties au pacte d'associés au motif que celui-ci leur impose des obligations à son égard, mais en tout état de cause, le tribunal arbitral ne les a pas considérées comme des parties mais bien comme des intervenantes volontaires en statuant sur la seule recevabilité de ces interventions ;

- s'agissant du sursis à statuer : le tribunal arbitral a retenu sa compétence pour statuer sur les demandes d'indemnisation du préjudice susceptible de résulter des fautes délictuelles qui lui sont imputées par les sociétés DEL et Multifija et estimé opportun de surseoir à statuer dès lors que la cour d'appel de Rennes était elle-même saisie d'une exception d'incompétence concernant le litige opposant ces deux sociétés aux autres personnes auxquelles elles imputent également des faits de concurrence déloyale, de sorte qu'il n'a commis aucune erreur manifeste sur ce point ;

- sur le fond : la promesse de vente qui lui a été consentie par le pacte d'associés, associée à la levée d'option du 5 octobre 2015 et au chèque d'un montant de 52 448,73 € émis par la société Sinagot, vaut accord des parties sur la chose et le prix ; la condition ajoutée par la société Sinagot dans l'acte de cession au travers de la clause de confidentialité, qui est une clause de non concurrence déguisée, comme telle nulle, n'avait pas lieu d'être, de sorte que son refus de signer cet acte de cession ne remet pas en cause le caractère parfait de la vente des parts sociales, qui ne requiert aucun écrit ;

- en tout état de cause, l'article 7 du pacte relatif à l'exécution forcée vise exclusivement la signature de l'ordre de mouvement ;

Sur l'appel incident :

- la sentence arbitrale contient deux erreurs manifestes d'appréciation sur l'évaluation de son préjudice en ce que :

* le dommage ne se limite pas au prix des parts sociales et aux intérêts qui lui sont dus au titre du retard de paiement, puisque l'acharnement des appelantes à son égard depuis plusieurs années, l'a contraint à préparer des dossiers dans le cadre de multiples instances, y compris devant la Cour de cassation, et à se déplacer sur ses horaires professionnels pour se défendre, étant précisé qu'en 2021, son licenciement a été considéré comme sans cause réelle et sérieuse ;

* le retard de paiement l'a empêché, faute de fonds disponibles, de souscrire des actions du groupe Thermador proposées aux cadres à un prix préférentiel et de profiter des dividendes annuels qu'il pouvait en retirer.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité de l'appel principal

M. [E] soulève l'irrecevabilité de l'appel principal au double motif que les sociétés DEL et Multifija, ne sont pas parties au pacte d'associés, n'ont pas qualité pour relever appel de la sentence, et que la sentence n'est susceptible d'appel qu'en cas d'erreur manifeste dont la preuve n'est pas rapportée en l'espèce.

S'agissant de la qualité des sociétés DEL et Multifija pour relever appel, il sera rappelé qu'en application de l'article 546 du code de procédure civile, « le droit d'appel appartient à toute partie qui y a intérêt, si elle n'y a pas renoncé ». L'appelant doit donc avoir qualité et intérêt à agir.

La qualité pour former appel suppose que l'appelant ait été partie à l'instance devant les premiers juges.

En l'espèce, les sociétés DEL et Multifija sont intervenues volontairement à la procédure d'arbitrage afin que l'arbitre déclare la juridiction arbitrale incompétente pour statuer sur leurs demandes indemnitaires au titre de la concurrence déloyale et des fautes imputées à M. [E].

Cette intervention volontaire s'analyse en une intervention à titre principal et non accessoire.

Or, l'intervenant volontaire à titre principal a la qualité de partie, puisqu'il invoque un droit propre.

En conséquence, la fin de non recevoir tirée de l'absence de qualité des sociétés DEL et Multifija pour agir, doit être écartée.

En application de l'article 1489 du code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011, entré en vigueur le 1er mai 2011, la sentence arbitrale n'est pas susceptible d'appel sauf volonté contraire des parties.

Il résulte de ce texte que l'appel contre une sentence arbitrale n'est pas recevable lorsque, pour les sentences rendues sur convention d'arbitrage postérieure au 1er mai 2011, les parties ne l'ont pas expressément réservé.

En l'espèce, la convention d'arbitrage procède d'une clause compromissoire stipulée dans le pacte d'associés conclu le 26 février 2013.

Cette clause stipule que la sentence à intervenir n'est pas susceptible d'appel, 'sauf erreur manifeste'.

Il en résulte que les parties ont manifesté la volonté de se soustraire à la règle posée par l'article 1489 du code de procédure civile, mais uniquement en cas d'une erreur manifeste du tribunal arbitral.

Cette dérogation stipulée à l'acte ne saurait avoir pour effet de se substituer à la règle.

En conséquence, elle doit être interprétée strictement.

L'erreur manifeste est celle qui relève de l'évidence, qui se révèle d'elle même et de façon très visible. Elle est incontestable et non équivoque en ce qu'elle est flagrante.

L'existence d'une contestation ne suffit pas, à elle seule, pour considérer que la décision est contestable.

En l'espèce, les appelants se prévalent de plusieurs erreurs manifestes du tribunal arbitral, sur l'extension de la clause compromissoire aux faits de concurrence déloyale, sur l'analyse de la qualité des signataires du pacte d'associés, sur le sursis à statuer et sur le fond.

Il sera rappelé que, dans le cas où la juridiction étatique et l'arbitre sont saisis simultanément d'un même litige, il appartient à la juridiction arbitrale de statuer par priorité sur sa compétence.

En l'espèce, les sociétés DEL et Multifija reprochent à la société Thermador d'avoir engagé M. [E] pour constituer la société Aello en violation des clauses de non concurrence et de confidentialité qu'elle ne pouvait, selon elles, ignorer. A l'appui de leurs écritures devant le tribunal de commerce, les sociétés DEL et Multifija se sont prévalues des pactes d'associés signés par M. [E] et Mme [I] et des obligations de non concurrence et de confidentialité qu'ils comportent.

Aucun texte n'interdit, en arbitrage interne, l'extension d'une clause compromissoire à un litige qui est en relation avec l'inexécution prétendue, par le signataire du pacte d'associés stipulant la clause compromissoire, de ses obligations.

La convention d'arbitrage peut en effet avoir un champ d'application plus large que le contrat dans lequel elle est insérée et quand bien même les juridictions étatiques ont une compétence de principe, un tel renvoi à l'arbitre se justifie dans les situations complexes, même si toutes les parties ne sont pas également signataires du contrat stipulant la clause d'arbitrage.

Par ailleurs, l'interprétation de la clause compromissoire quant à son étendue relève de la compétence de l'arbitre (article 1465 du code de procédure civile) et il en va de même si l'application de la clause compromissoire nécessite l'interprétation du contrat.

En l'espèce, la clause compromissoire stipule que 'toutes les contestations qui s'élèveraient entre les parties relativement au pacte' seront soumises à un tribunal arbitral.

Le tribunal arbitral s'est référé à l'intervention des sociétés DEL et Multifija au pacte d'associés 'pour accepter le bénéfice des droits qui pourraient leur être consentis et prendre connaissance des engagements qui seraient à leur charge'.

Après avoir analysé l'objet du contrat et relevé que les sociétés Multifija et DEL ont pris des engagements aux termes du pacte auquel elles sont intervenues et qu'elles ont signé, il a considéré, au regard de cette intervention et de ses motifs, que ces deux sociétés ne pouvaient exciper de la qualité de tiers au pacte d'associés et qu'à tout le moins, elles ne pouvaient être regardées comme y étant totalement extérieures.

Le contentieux qui oppose les sociétés DEL et Multifija à M. [E], résultant du non respect par celui-ci d'une clause de non concurrence, de faits de concurrence déloyale et de parasitisme, procède des relations existantes entre les parties et découlant, notamment, du pacte d'associés.

En effet, devant le tribunal de commerce de Rennes, les sociétés DEL et Multifija ont invoqué, à l'appui de l'ensemble de leurs demandes, sans distinction, les obligations du pacte d'associés, y compris contre M. [W] et les sociétés Thermador Group, Aello et Jetly.

Dans ces conditions, la circonstance que les faits de concurrence déloyale reposent nécessairement sur des agissements distincts de l'éventuelle violation par les salariés de leur obligation de non-concurrence, est inopérante, puisque les griefs invoqués portent, au moins en partie, sur les termes du pacte d'associés.

Depuis le prononcé de la sentence, dans le litige opposant ces deux sociétés aux sociétés Aello, Thermador et Jetly et à M. [W], la cour de renvoi a rendu son arrêt le 20 octobre 2020, infirmant le jugement en ce qu'il a renvoyé l'examen du litige opposant les sociétés DEL et Multifija aux sociétés Thermador, Aello et Jetly ainsi qu'à M. [W] devant le tribunal de commerce de Rennes. La cour a dit que la juridiction étatique était incompétente pour statuer sur la compétence du juge judiciaire pour examiner le litige opposant les sociétés DEL et Multifija à M. [W] et les sociétés Thermador Group, Aello et Jetly.

Cet arrêt est définitif, la Cour de cassation ayant, le 26 janvier 2022, rejeté le pourvoi formé par les sociétés Multifija, Sinagot et DEL.

Le tribunal arbitral n'a pas motivé sa décision en considérant que les sociétés DEL et Multifija étaient parties au pacte d'associés mais en retenant, d'une part qu'elles sont intervenues à l'acte et l'ont signé, d'autre part que, même si des parties n'ont pas signé la convention dans laquelle la clause d'arbitrage est stipulée, l'action de nature délictuelle, dès lors qu'elle repose au moins en partie sur cette convention, justifie d'étendre l'application de la clause compromissoire.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, il ne peut être considéré que le tribunal arbitral a commis une erreur manifeste en considérant d'une part qu'il lui revenait de statuer sur sa compétence en ce qui concerne le contentieux opposant les sociétés DEL et Multifija à M. [E], d'autre part en se déclarant compétent.

La circonstance que les faits de concurrence déloyale reposent sur des agissements distincts de l'éventuelle violation par le salarié de son obligation de non-concurrence est inopérante, puisque les griefs invoqués au soutien de leur demande indemnitaire par les sociétés DEL et Multifija découlent, au moins en partie, de l'exécution du pacte d'associés.

Le tribunal arbitral indique d'ailleurs dans sa décision qu'il existe un lien incontestable entre, d'une part le fondement des demandes indemnitaires des sociétés Multifija et DEL et la personne de M. [E], avec à l'origine le contrat de travail le liant à la société CEC, devenue société DEL, d'autre part le pacte le liant à la société Sinagot, mais aussi aux société DEL et Multifija qui l'ont signé et y sont intéressées, et qu'à cela s'ajoute l'imbrication de l'ensemble des entités du groupe Multifija, auquel appartiennent les sociétés DEL et Sinagot, ces éléments justifiant de lui attribuer compétence pour statuer.

Cette analyse ne révèle aucune erreur manifeste en droit ou en fait.

S'agissant du sursis à statuer prononcé par le tribunal arbitral, il est motivé par la procédure encore pendante, au jour où il a statué, devant la cour d'appel de Rennes sur la compétence des juridictions étatiques.

Cette décision étant susceptible d'exercer une influence sur la décision du tribunal arbitral relative à sa compétence, la décision de sursis ne peut être considérée comme procédant d'une erreur, à fortiori manifeste.

D'ailleurs, la cour d'appel de Rennes a, depuis, rendu sa décision, qui déclare les juridictions étatiques incompétentes pour statuer sur la compétence.

Cette partie du litige, qui concerne des faits de concurrence déloyale et parasitisme identiques à ceux reprochés à M. [E], a donc également été renvoyée devant le tribunal arbitral afin qu'il statue sur sa compétence et éventuellement au fond.

En conséquence, le sursis à statuer, prononcé dans l'attente d'une décision définitive à intervenir sur un litige qui est en lien avec celui opposant les sociétés DEL et Multifija à M. [E], ne procède d'aucune erreur manifeste.

Sur le fond, le tribunal arbitral, statuant en droit, a considéré que le mécanisme de levée d'option organisé par le pacte d'associés, dès lors que la vente est de droit, ne nécessitait que la signature par M. [E] de l'ordre de mouvement.

Faisant application de l'article 1589 du code civil, il a estimé que la promesse de vente valait vente dès levée de l'option donnée à l'acheteur et que le formalisme stipulé à l'acte ne pouvait entamer le principe même de la vente dans les rapports entre les parties.

Il a, en conséquence, jugé que les termes de l'article 5 du pacte d'associés, qui exigent la signature d'un acte de cession et d'un ordre de mouvement, ne conditionnaient pas l'accord des parties, de sorte que la cession était devenue effective deux mois après la date de la levée d'option.

Le tribunal arbitral a motivé sa décision en droit, développant un argumentaire et une analyse que les sociétés appelantes sont en droit de contester, mais qui ne révèlent aucune erreur incontestable, évidente, ou flagrante, ni en droit, ni en fait.

Aucune erreur manifeste n'étant caractérisée, la voie de l'appel n'est pas ouverte, conformément à la volonté des parties, telle que formalisée dans la clause compromissoire stipulée au pacte d'associés.

L'appel principal sera donc déclaré irrecevable.

Sur la recevabilité de l'appel incident

En application de l'article 550 du code de procédure civile, sous réserve des articles 905-2, 909 et 910, l'appel incident ou l'appel provoqué peut être formé en tout état de cause, alors même que celui qui l'interjetterait serait forclos pour agir à titre principal. Dans ce dernier cas, il ne sera toutefois pas reçu si l'appel principal n'est pas lui-même recevable ou s'il est caduc.

Il en résulte que la recevabilité de l'appel incident est subordonnée à celle de l'appel principal, lorsqu'il est postérieur à l'expiration du délai pour former un appel principal. Dans ce cas, sa recevabilité dépend de celle de l'appel principal. Si au contraire, il est formé dans le délai légal de l'appel principal, il doit être considéré comme un appel principal se suffisant à lui-même et n'est incident que dans sa forme.

En l'espèce, l'appel incident a été formé par conclusions du 5 mars 2021.

La sentence arbitrale, prononcée le 30 juillet 2020, a été notifiée aux parties par lettre recommandée avec avis de réception en août 2020.

Le délai pour former appel principal étant d'un mois à compter de la notification de la sentence arbitrale, l'appel incident, formé par conclusions du 5 mars 2021, ne peut être reçu, puisque l'appel principal n'est pas lui-même recevable.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Les société DEL Sinagot et Multifija, qui succombent, supporteront la charge des entiers dépens d'appel et ne sont pas fondées à solliciter une indemnité au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité justifie d'allouer à M. [E] une indemnité de 3 000 € au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort

DÉCLARE l'appel principal irrecevable ;

DÉCLARE l'appel incident irrecevable ;

DÉBOUTE les sociétés DEL, Sinagot et Multifija de leur demande en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour ;

CONDAMNE les sociétés DEL Multifija et Sinagot à payer à M. [L] [E] une indemnité de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en appel ;

CONDAMNE les sociétés DEL Multifija et Sinagot aux entiers dépens d'appel et accorde aux avocats, qui en ont fait la demande, le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-1
Numéro d'arrêt : 20/08840
Date de la décision : 25/06/2024
Sens de l'arrêt : Irrecevabilité

Origine de la décision
Date de l'import : 01/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-25;20.08840 ?
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