COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Rétention Administrative
CHAMBRE 1-11 RA
ORDONNANCE
DU 22 JUIN 2024
N° 2024/ 893
RG 24/00893
N° Portalis DBVB-V-B7I-BNINR
Copie conforme
délivrée le 22 Juin 2024 au MP et par fax à :
- l'avocat
-le préfet
-le CRA
-le JLD/TJ
-le retenu
Signature,
le greffier
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance rendue par le Juge des libertés et de la détention de MARSEILLE en date du 21 Juin 2024 à 10h45.
APPELANT
Monsieur [V] [N]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro du 22/06/2024 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)
né le 22 Décembre 1988 à [Localité 2] -IRAN- de nationalité Iranienne
comparant en personne, assisté de Me Yann CHARAMNAC, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,avocat commis d'office et de Mme [O] [W] (Interprète en langue farsi) en vertu d'un pouvoir spécial, inscrit sur la liste des experts de la cour d'appel d'Aix-en-Provence.
INTIME
Monsieur le Directeur de la Police Nationale aux Frontières
Représenté par le brigadier chef [X] [D]
MINISTÈRE PUBLIC :
Avisé et non représenté
DÉBATS
L'affaire a été débattue en audience publique le 22 Juin 2024 devant, Mme Marie-Amélie VINCENT, Conseillère à la cour d'appel déléguée par le premier président, assistée de Mme Sancie ROUX, greffier.
ORDONNANCE
Réputé contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Juin 2024 à 19h30
Signée par Mme Marie-Amélie VINCENT, Conseillère et Mme Florence ALLEMANN-FAGNI , greffier.
PROCÉDURE ET MOYENS
Vu les articles L.341-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) ;
Vu la décision refus d'admission sur le territoire français en date du 17 juin 2024 et la décision de maintien en zone d'attente en date du 17 juin 2024;
Vu l'ordonnance du 21 Juin 2024 rendue par le Juge des libertés et de la détention de MARSEILLE décidant le maintien de Monsieur [V] [N] dans les locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire et constituant une zone d'attente jusqu'au 25 juin 2024 au plus tard ;
Vu l'appel interjeté le 21 juin 2024 à 18 heures 14 par Monsieur [V] [N] ;
Monsieur [V] [N] a comparu et a été entendu en ses explications ; il déclare : Je suis né le 22 décembre 1988. J'ai été refusé de rester sur le territoire français le 17 juin 2024. Je viens d'[Localité 1]. J'avais un passeport roumain. Oui j'ai fait une demande d'appel. J'ai fait appel de cette décision. Je me suis converti à un courant musulman. J'ai été de ce fait harcelé. C'est pourquoi j'ai quitté l'Iran. J'ai ma famille en Allemagne. Je veux les rejoindre. Ma situation en zone d'attente est insupportable. Je ne peux pas contacter ma famille. L'endroit est très petit. Je n'ai pas accès à internet. Quand j'ai pris l'avion à [Localité 1], j'habitais en Iran. J'ai fait appel à un passeur. Je vous supplie de pouvoir sortir de cette zone d'attente.
Son avocat a été régulièrement entendu ; il conclut sur la nullité du maintien en zone d'attente indiquant que Les PV n'on de valeur probante que s'ils sont réguliers. Il y a des incohérences sur la notification du maintien en zone d'attente. La procédure serait alors irrégulière.
Sur l'irrégularité des droits par téléphone, il y a eu un problème de compréhension du fait de cet interprétariat par téléphone.
Quant à la tardiveté du transfert sur la zone d'attente, il s'est écoulé plus de 5h après la décision de refus.
Le représentant de la police aux frontières (PAF), régulièrement avisé est représenté par le brigadier chef M. [X] indique : mon collègue qui a fait le transfert était seul pour les deux transferts et les interpellations. L'interprète a donc été convoqué par téléphone de ce simple fait. Aucun des droits de ce monsieur n'a été violé. Le transfert est tardif du fait du manque d'agent.
Le retenu: je voudrais vraiment sortir de ce CRA et de cette zone d'attente.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La recevabilité de l'appel contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention n'est pas contestée et les éléments du dossier ne font pas apparaître d'irrégularité.
Sur le moyen tiré de l'interprétariat par téléphone non justifié
L'article L. 342-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit qu'en cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d'inobservation des formalités substantielles, le juge des libertés et de la détention saisi d'une demande sur ce motif ou qui relève d'office une telle irrégularité ne peut prononcer la mainlevée du maintien en zone d'attente que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux droits de l'étranger.
En application de l'article L. 141-3 du CESEDA, lorsque les dispositions du présent code prévoient qu'une information ou qu'une décision doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits dans cette langue, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire.En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur une liste établie par le procureur de la République ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger.
Il résulte des dispositions sus-visées que lorsqu'il est prévu qu'une décision ou une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend par l'intermédiaire d'un interprète, cette assistance ne peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication qu'en cas de nécessité. Lorsque le juge est saisi d'un moyen sur ce fondement, il lui incombe de caractériser la nécessité d'une assistance de l'interprète par l'intermédiaire de moyens de télécommunication (1re Civ., 24 juin 2020, pourvoi n° 18-22.543, publié).
Il résulte des pièces du dossier que la décision de maintien initial en zone d'attente a été notifiée à Monsieur [V] [N] le 17 juin 2024 à 18h40 par le truchement de la plate-forme téléphonique d'interprétariat ISM et par Mme [E], interprète en langue farsi, sans aucune autre mention que 'par téléphone'.
Cependant, aucune pièce du dossier ni aucune mention ne permet pas de caractériser la nécessité du recours à l'interprète par téléphone ainsi que prévu par le texte sus-visé, aucune diligence effectuée pour obtenir la présence physique de l'interprète n'étant caractérisée. Alors que l'interprétariat téléphonique doit demeurer l'exception, le représentant de la police aux frontières a déclaré devant le juge des libertés et de la détention que ce recours à l'interprétariat par téléphone était par fait 'par facilité'.
Le recours à l'interprétariat par téléphone alors que la nécessité n'en est pas justifiée porte atteinte aux droits de Monsieur [V] [N], et notamment à sa compréhension exacte des décisions et des droits afférents, celle-ci étant nécessairement moindre par téléphone que en présence physique d'un interprète.
En conséquence, il conviendra d'infirmer l'ordonnance du 21 juin 2024 rendue par le Juge des libertés et de la détention de MARSEILLE décidant le maintien de Monsieur [V] [N] dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire et de mettre fin au maintien en zone d'attente.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, par décision contradictoire en dernier ressort, après débats en audience publique,
Infirmons l'ordonnance du Juge des libertés et de la détention de MARSEILLE en date du 21 Juin 2024 ;
Mettons fin à la mesure de maintien en zone d'attente de Monsieur [V] [N];
Les parties sont avisées qu'elles peuvent se pourvoir en cassation contre cette ordonnance dans un délai de 2 mois à compter de cette notification, le pourvoi devant être formé par déclaration au greffe de la Cour de cassation, signé par un avocat au conseil d'Etat ou de la Cour de cassation.
Le greffier, Le président,