COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-2
ARRÊT
DU 20 JUIN 2024
N° 2024/421
Rôle N° RG 23/10647 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BLYE2
[L] [B] [W]
C/
Syndicat des copropriétaires [Adresse 2]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Michel PEZET de la SELARL SOCIETE D'AVOCATS MICHEL PEZET ET ASSOCIES
Me Sandra JUSTON de la SCP BADIE, SIMON-THIBAUD, JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance de référé rendue par le Président du tribunal judiciaire de MARSEILLE en date du 04 août 2023 enregistrée au répertoire général sous le n° 22/06672.
APPELANT
Monsieur [L] [B] [W]
né le 12 mars 1983 à [Localité 5] (Espagne), demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Michel PEZET de la SELARL SOCIETE D'AVOCATS MICHEL PEZET ET ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Ambre THOMAS-AUBERGIER, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant
INTIME
Syndicat des copropriétaires [Adresse 2]
représenté par son syndic en exercice ERA IMMOBILIER SYNDIC - NDDE PROVENCE
dont le siège social est situé [Adresse 1]
représenté par Me Sandra JUSTON de la SCP BADIE, SIMON-THIBAUD, JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Sébastien BADIE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
et assisté de Me Jean-Claude BENSA, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Andréa PEREZ, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 14 mai 2024 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, M. PACAUD, Président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
M. Gilles PACAUD, Président rapporteur
Mme Angélique NETO, Conseillère
Mme Florence PERRAUT, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Julie DESHAYE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 20 juin 2024.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 20 juin 2024,
Signé par M. Gilles PACAUD, Président et Mme Julie DESHAYE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [L] [B] [W] est propriétaire, depuis le 20 mai 2020, d'un appartement situé aux 8ème et dernier étage de la résidence dite '[Adresse 3]' à [Localité 4].
Dans un climat de tensions avec plusieurs autres copropriétaires, fondé sur des accusations d'appropriations de parties communes et dégradations, il a, avec l'autorisation du syndic, donnée le 6 juillet 2020, fait installer un digicode dans l'ascenseur afin de privatiser l'accès au 8ème étage.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 17 janvier 2022, le syndicat des copropriétaires (SDC) lui a demandé de le retirer au motif que cette installation avait été réalisée sans autorisation de l'assemblée générale.
L'assemblée générale des copropriétaires du 23 mars suivant a rejeté plusieurs résolutions proposées par M. [B] [W] dont la numéro 19 par laquelle il sollicitait la régularisation du digicode.
Dans les suites de cette assemblée, M. [B] [W] a, par exploits des 7 juillet et 8 octobre 2022, fait assigner deux autres copropriétaires, mesdames [Z] et [S], aux fins de remise en état de parties communes.
Après avoir fait constater par commissaire de justice, le 24 novembre 2022, que le digicode de l'ascenseur était toujours en place et lui avoir adressé une mise en demeure de le retirer, le SDC du [Adresse 3] a, par exploit du 30 décembre suivant, fait assigner M. [B] [W] devant le président du tribunal judiciaire de Marseille, statuant en référé, aux fins, au principal, de l'entendre condamner à remettre en état la cabine d'ascenseur et lui verser une provision de 3 000 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice matériel et des nuisances subies.
Par ordonnance contradictoire en date du 4 août 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Marseille a :
- condamné M. [L] [B] [W] à procéder à l'enlèvement du digicode et à remettre en état la cabine de l'ascenseur sous astreinte de 100 passé le délai de huit jours à compter de la signification de l'ordonnance ;
- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de provision à hauteur de 3 000 euros ;
- condamné M. [L] [B] [W] à payer au Syndicat des copropriétaires [Adresse 2] une somme de 800 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [L] [B] [W] aux dépens de la procédure en ceux compris le coût du procès-verbal de constat du 24 novembre 2022.
Il a notamment :
- considéré que l'autorisation donnée, le 6 juillet 2020, par l'ancien syndic, le cabinet Immogest, était sans valeur dès lors que ce dernier n'avait pas le pouvoir de la délivrer sans l'accord préalable de l'assemblée générale des copropriétaires ;
- constaté que ladite assemblée générale avait refuser d'autoriser rétroactivement cette installation ;
- jugé que, dans ces conditions, le refus de démonter ce dispositif s'analysait comme un trouble manifestement illicite.
Selon déclaration reçue au greffe le 7 août 2023, M. [L] [B] [W] a interjeté appel de cette décision, l'appel portant sur toutes ses dispositions dûment reprises.
Par dernières conclusions transmises le 15 avril 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, il sollicite de la cour qu'elle infirme l'ordonnance entreprise et, statuant à nouveau :
- dise n'y avoir lieu à référé ;
- déboute le Syndicat des copropriétaires de l'immeuble [Adresse 2] de toutes ses demandes ;
- condamne le Syndicat des copropriétaires de l'immeuble [Adresse 2] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamne le Syndicat des copropriétaires de l'immeuble [Adresse 2] aux entiers dépens.
Par dernières conclusions transmises le 15 avril 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, le Syndicat des copropriétaires de l'immeuble [Adresse 2] sollicite de la cour qu'elle :
- confirme l'ordonnance entreprise en précisant que la condamnation de M. [L] [B] [W] à procéder à l'enlèvement du digicode et à remettre ou faire remettre en son état antérieur la cabine d'ascenseur l'est sous astreinte de 100 euros par jour de retard dans les huit jours de la signification de la décision à intervenir et, à défaut, assortir d'une astreinte les condamnations prononcées ;
- infirme l'ordonnance en ce qu'elle l'a débouté de sa demande de provision à hauteur de 3 000 euros et donc condamne M. [L] [B] [W] à lui payer une provision de 5 000 euros à valoir sur le préjudice matériel et les nuisances subis ;
- condamne M. [L] [B] [W] à lui verser la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, ces derniers distraits au profit de la SCP Badie Simon-Thibaud Juston conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'instruction de l'affaire a été close par ordonnance en date du 16 avril 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le trouble manifestement illicite
Au soutien de ses prétentions, M. [B] [W] argue que l'autorisation donnée par le Syndic Immogest au mois de juillet 2020 atteste que l'installation litigieuse n'affecte pas les parties communes en sorte que l'article 25b de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 ne trouve pas à s'appliquer. Il invoque le droit de se clore et celui de sécuriser son logement dont la porte extérieure de la cabine d'ascenseur constitue l'entrée. Enfin, il conclut que l'appelant ne rapporte pas la preuve d'un quelconque préjudice.
En réplique, le Syndicat des copropriétaires de l'immeuble [Adresse 2] se fonde sur les dispositions des articles 17 et 18 de la loi susvisées pour dénier au syndic le droit de donner une telle autorisation. Il souligne que l'assemblée générale, seule compétente en la matière, a refusé de régulariser rétroactivement le dispositif litigieux qui porte atteinte aux parties communes, à savoir la colonne d'ascenseur, et prive les copropriétaires de l'accès au 8ème étage et donc à la partie sommitale de l'immeuble. Il ajoute que M. [B] [W] n'a pas fait usage de son droit de contester cette décision dans le délai imparti par l'article 42 de la loi du 10 juillet 1965.
Aux termes de l'article 835 alinéa 1 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le trouble manifestement illicite visé par ce texte désigne toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit. Pour en apprécier la réalité, la cour d'appel, statuant en référé, doit se placer au jour où le premier juge a rendu sa décision et non au jour où elle statue. Enfin, le juge des référés apprécie souverainement le choix de la mesure propre à faire cesser le trouble qu'il constate.
Aux termes de l'article 17 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, les décisions du syndicat sont prises en assemblée générale des copropriétaires ; leur exécution est confiée à un syndic placé éventuellement sous le contrôle d'un conseil syndical.
Le paragraphe I de l'article 18 du même texte dispose qu'indépendamment des pouvoirs qui lui sont conférés par d'autres dispositions de la présente loi ou par une délibération spéciale de l'assemblée générale, le syndic est chargé, dans les conditions qui seront éventuellement définies par le décret prévu à l'article 47 ci-dessous :
- d'assurer l'exécution des dispositions du règlement de copropriété et des délibérations de l'assemblée générale ;
- d'administrer l'immeuble, de pourvoir à sa conservation, à sa garde et à son entretien et, en cas d'urgence, de faire procéder de sa propre initiative à l'exécution de tous travaux nécessaires à la sauvegarde de celui-ci.
Enfin, l'article 25b précise que ne sont adoptées qu'à la majorité des voix de tous les copropriétaires les décisions concernant ... l'autorisation donnée à certains copropriétaires d'effectuer à leurs frais des travaux affectant les parties communes ou l'aspect extérieur de l'immeuble, et conformes à la destination de celui-ci.
En l'espèce, il résulte du procès-verbal de constat dressé le 24 novembre 2022 que M. [B] [W] a privatisé l'accès au 8ème étage en installant un digicode dans la cabine d'ascenseur. Celle-ci, ainsi que l'ensemble de la colonne (d'ascenseur) constitue indubitablement une partie commune en sorte que l'autorisation de l'assemblée générale été requise pour procéder à une telle installation.
L'autorisation donnée par simple courriel par le syndic, le 6 juillet 2020, ne saurait pallier cette carence dès lors que ces travaux ne revêtaient aucun caractère d'urgence. En outre, M. [B] [W] a provoqué une délibération sur le sujet lors de l'assemblée générale du 22 mars 2022 et ladite autorisation lui a été refusée à une large majorité. Il n'a pas contesté cette décision en justice dans le délai qui lui était imparti par l'article 42 de la loi du 10 juillet 1965.
Le trouble manifestement illicite est donc consitué et ce, d'autant qu'après l'ouverture des portes coulissantes, propres à l'ascenseur, Mme [B] [W] dispose d'une porte d'entrée qu'il lui appartient de mettre aux normes requises par son assureur afin d'assurer la sécurisation optimale de son bien et ce, comme l'ensemble des autres copropriétaires de l'immeuble. Il pouvait même envisager d'autres aménagements afin de l'optimiser, tels que la création d'un sas, en sorte qu'il ne peut invoquer un quelconque état de nécessité, ni même le droit de se clore, l'article 647 du code civil cédant devant les dispositions d'ordre public de la loi du 10 juillet 1965.
C'est donc par des motifs pertinents que le premier juge a condamné, sous astreinte, M. [L] [B] [W] à procéder à l'enlèvement du digicode et à remettre en état la cabine de l'ascenseur.
L'ordonnance entreprise sera confirmée de ce chef.
Sur la demande d'indemnisation provisionnelle
Aux termes de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable ... le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence ... peuvent accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution d'une obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
L'absence de constestation sérieuse implique l'évidence de la solution qu'appelle le point contesté. Il appartient au demandeur d'établir l'existence de l'obligation qui fonde sa demande tant en son principe qu'en son montant, laquelle n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.
En l'espèce, même si le digicode a compliqué l'accès des membres du conseil syndical au 8ème et dernier étage de l'immeuble, il n'est pas établi que M. [B] [W] le leur a refusé. Tout au plus le SDC soutient-il, sans qu'aucune pièce ne soit versée au soutien de cette allégation, que ce dernier a mis douze jours pour autoriser 'l'intervention d'un technicien'.
C'est donc par des motifs pertinents que le premier juge a considéré que son préjudice était insuffisamment caractérisé pour que sa créance indemnitaire puisse être considérée comme non sérieusement contestable.
L'ordonnance entreprise sera dès lors confirmée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de provision de 3 000 euros, portée en cause d'appel à 5 000 euros.
Sur l'astreinte
Aux termes de l'article 910-4, à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond.
En l'espèce, dans son premier jeu de conclusions, transmis et notifié le 21 septembre 2023 et donc dans le délai de l'article 905-2 du code de procédure civile, le Syndicat des copropriétaire du [Adresse 2] sollicitait la confirmation de l'ordonnance de référé du 4 août 2023 en ce qu'elle a condamné Monsieur [B] [W] à procéder à l'enlèvement du digicode et à remettre ou faire remettre en son état antérieur la cabine d'ascenseur sous astreinte de 100 € dans les huit jours de la signification à intervenir. Son appel incident ne portait que sur le rejet de sa demande d'indemnisation provisionnelle.
Ce n'est que dans ses dernières conclusions transmises le 15 avril 2023 qu'il a sollicité de la cour qu'elle modifie l'astreinte précitée en précisant qu'elle était de 100 euros par jour de retard dans les huit jours de la signification de l'ordonnance entreprise et, à défaut, assortisse d'une astreinte les condamnations prononcées.
Cette nouvelle prétention, formulée au-delà du délai d'un mois qui lui était imparti pour conclure par l'article 905-2 du code de procédure civile, doit être déclarée irrecevable. Elle l'aurait également été, en sa première partie, sous l'angle de la rectification de l'erreur matérielle de l'article 462 du code civil puisqu'elle revenait à modifier les droit des parties, tels qu'ils résultaient du dispositifs de la décision déférée, en obligeant la cour à se livrer à une interprétation de la volonté du premier juge.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Il convient de confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle condamné M. [L] [B] [W] aux dépens et à payer au Syndicat des copropriétaires [Adresse 2] une somme de 800 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle sera néanmoins infirmée en ce qu'elle a dit que les dépens comprendraient le coût du procès-verbal de constat du 24 novembre 2022 puisque celui-ci n'est pas afférents aux instances, actes et procédures d'exécution, au sens des dispositions de l'article 695 du code de procédure civile, mais correspond à des frais engagés pour recueillir des éléments de preuve en sorte qu'il relève du régime des frais irrépétibles.
M. [L] [B] [W], qui succombe au litige, sera débouté de sa demande formulée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de l'intimé les frais non compris dans les dépens, qu'il a exposés pour sa défense. Il lui sera donc alloué une somme de 2 000 euros en cause d'appel.
M. [L] [B] [W] supportera en outre les dépens de la procédure d'appel, qui seront distraits au profit de la SCP Badie Simon-Thibaud Juston conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme l'ordonnance entreprise sauf en ce qu'elle a dit que les dépens comprendraient le coût du procès-verbal de constat du 24 novembre 2022 ;
Déclare irrecevable la demande visant à entendre modifier et/ou préciser l'astreinte dont le premier juge à assorti la condamnation de M. [L] [B] [W] à procéder à l'enlèvement du digicode et à remettre en état la cabine de l'ascenseur ;
Statuant à nouveau et y ajoutant :
Dit que les dépens de première et instance et d'appel n'intègreront pas coût du procès-verbal de constat du 24 novembre 2022 ;
Condamne M. [L] [B] [W] à payer au Syndicat des copropriétaires de l'immeuble situé au [Adresse 2] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute M. [L] [B] [W] de sa demande sur ce même fondement ;
Condamne M. [L] [B] [W] aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La greffière Le président