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20/06/2024 | FRANCE | N°23/01914

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-4, 20 juin 2024, 23/01914


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-4



ARRET SUR RENVOI DE CASSATION



ARRÊT AU FOND

DU 20 JUIN 2024



N°2024/





Rôle N° RG 23/01914 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BKXW3







S.A. AXA FRANCE IARD





C/



S.A.R.L. A LA BONNE FRANQUETTE











Copie exécutoire délivrée

le :

à :



Me Pierre-yves IMPERATORE



Me Jean-pierre TERTIAN





Arrêt en date du 20

Juin 2024 prononcé sur saisine de la cour suite à l'arrêt rendu par la Cour de Cassation le 1er Décembre 2022, qui a cassé et annulé l'arrêt n° RG 20/13305 rendu le 20 Mai 2021 par la cour d'appel de AIX EN PROVENCE (Chambre 1-3).





DEMANDERESSE SUR RENVOI DE CAS...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-4

ARRET SUR RENVOI DE CASSATION

ARRÊT AU FOND

DU 20 JUIN 2024

N°2024/

Rôle N° RG 23/01914 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BKXW3

S.A. AXA FRANCE IARD

C/

S.A.R.L. A LA BONNE FRANQUETTE

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Pierre-yves IMPERATORE

Me Jean-pierre TERTIAN

Arrêt en date du 20 Juin 2024 prononcé sur saisine de la cour suite à l'arrêt rendu par la Cour de Cassation le 1er Décembre 2022, qui a cassé et annulé l'arrêt n° RG 20/13305 rendu le 20 Mai 2021 par la cour d'appel de AIX EN PROVENCE (Chambre 1-3).

DEMANDERESSE SUR RENVOI DE CASSATION

S.A. AXA FRANCE IARD

prise en la personne de son représentant légal en exercice

, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Pierre-yves IMPERATORE de la SELARL LX AIX EN PROVENCE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Marine CHARPENTIER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Pascal ORMEN de la SELARL ORMEN PASSEMARD & AUTRES, avocat au barreau de PARIS substituée par Me David CUSINATO, avocat au barreau de MARSEILLE

DEFENDERESSE SUR RENVOI DE CASSATION

S.A.R.L. A LA BONNE FRANQUETTE

, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Jean-pierre TERTIAN de la SCP TERTIAN-BAGNOLI & ASSOCIÉS, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 13 Février 2024 en audience publique devant la cour composée de :

Madame Inès BONAFOS, Présidente,

Mme Véronique MÖLLER, Conseillère

M. Adrian CANDAU, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Monsieur Achille TAMPREAU.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 18 Avril 2024, puis avisées par message le 18 Avril 2024, que la décision était prorogée au 23 Mai 2024, puis avisées par message le 23 Mai 2024, que la décision était prorogée au 20 Juin 2024.

ARRÊT

FAITS ET PROCÉDURE

La SARL A LA BONNE FRANQUETTE exploite un fonds de commerce de restaurant ; elle a souscrit le 21 juillet 2017 auprès de la société Axa France IARD un contrat d'assurance « multirisque professionnelle » incluant une garantie « protection financière ».

A la suite d'un arrêté, publié au Journal officiel le 15 mars 2020, portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19, qui a édicté notamment l'interdiction pour les restaurants et débits de boissons d'accueillir du public du 15 mars 2020 au 15 avril 2020, prorogée jusqu'au 2 juin 2020 par décret du 14 avril 2020, la SARL A LA BONNE FRANQUETTE a effectué une déclaration de sinistre auprès de l'assureur afin d'être indemnisée de ses pertes d'exploitation en application d'une clause du contrat stipulant que :

« La garantie est étendue aux pertes d'exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l'établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :

 1. La décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à vous-même.

 2. La décision de fermeture est la conséquence d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication ».

L'assureur a refusé de garantir le sinistre en faisant valoir que l'extension de garantie ne pouvait pas être mise en 'uvre, en raison de la clause excluant les pertes d'exploitation, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l'objet, sur le même territoire départemental que celui de l'établissement assuré, d'une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique.

La SARL A LA BONNE FRANQUETTE a effectué une seconde déclaration de sinistre à la suite d'une nouvelle fermeture administrative ordonnée à compter du 30 octobre 2020, par décret du 29 octobre 2020.

L'assureur lui opposant un refus de garantie, la SARL A LA BONNE FRANQUETTE l'a assigné devant le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence afin d'obtenir l'indemnisation des pertes d'exploitation générées par la fermeture de l'établissement en application des décisions réglementaires précitées.

Par jugement en date du 30 novembre 2020, le Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence a : 

-             Ordonné le versement par la S.A. AXA FRANCE IARD à la SARL A LA BONNE FRANQUETTE, à titre de provision, de la somme de 45 000 euros.

-             Nommé un expert judiciaire, madame [N] [B] avec mission d'évaluer d'une part le montant des dommages constitués par la perte de marge brute pendant la période d'indemnisation conformément aux exigences précisées dans le contrat en page 21 des conditions générales et d'autre part le montant des frais supplémentaires d'exploitation pendant la période d'indemnisation.

-             Condamné la S.A. AXA FRANCE IARD à payer à la SARL A LA BONNE FRANQUETTE une somme de 2 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

-             Condamné la S.A. AXA FRANCE IARD aux dépens de l'instance.

-             Rappelé que l'exécution provisoire du jugement est de droit.

 

Par arrêt en date du 20 mai 2021, la Cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-3) a : -             Confirmé le jugement déféré,

              Y ajoutant,

-             Dit qu'en vertu du contrat d'assurance souscrit le 21 juillet 2017 la SA Axa France IARD doit garantir la SARL A LA BONNE FRANQUETTE des pertes exploitation subies à la suite de la fermeture administrative ordonnée en raison de l'épidémie de Covid-19, pour la période à compter du 30 octobre 2020 et dans les limites contractuelles,

-             Condamné la SA Axa France IARD à payer à la SARL A LA BONNE FRANQUETTE une provision complémentaire de 12 000€ à valoir sur l'indemnisation des pertes d'exploitation subies lors de la fermeture de son établissement pour la période du 30 octobre 2020 au 30 janvier 2021,

-             Dit que ladite somme portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

-             Etendu la mission confiée à l'expert Mme [N] [B] à la seconde période d'indemnisation, du 30 octobre 2020 au 30 janvier 2021, dans les limites contractuelles ;

-             Renvoyé la cause et les parties devant le tribunal de commerce d'Aix-en-Provence pour la suite de la procédure,

-             Condamné la SA Axa France IARD à payer à la SARL A LA BONNE FRANQUETTE la somme de 7000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-             Condamné la SA Axa France IARD aux dépens d'appel et fait application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me [G] [F].

Par arrêt en date du 1er décembre 2022 (N°G21-19.343), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a :

              -             CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

-             Remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

-             Condamné la SARL A LA BONNE FRANQUETTE aux dépens ;

-             En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejeté les demandes.

Par déclaration au greffe en date du 1er février 2023, la SA AXA France IARD a saisi la Cour d'Appel sur renvoi, en l'état de la cassation totale intervenue le 1er décembre 2022 par l'arrêt de Cassation, aux fins de réformer et/ou annuler le jugement rendu par le Tribunal de Commerce d'Aix-en-Provence le 30 novembre 2020, en ses dispositions qui ont :

-             Constaté que les critères d'indemnisation de la SARL A LA BONNE FRANQUETTE concernant les pertes d'exploitation qu'elle a subies, garanties par un contrat d'assurances multirisque professionnelle souscrit auprès de la Société AXA France IARD(SA) sont réunis

-             Déclaré non écrite la clause d'exclusion de garantie,

En conséquence :

-             Condamné la société AXA France IARD(SA) à payer à la SARL A LA BONNE FRANQUETTE la somme de 45000€ à titre de provision sur l'exécution de son obligation, ordonné une expertise afin d'évaluer le montant de la perte de marge brute pendant la période d'indemnisation par référence aux dispositions contractuelles applicables

-             Condamné la société AXA France IARD(SA) à payer à la SARL A LA BONNE FRANQUETTE la somme de 2000€ au titre des frais irrépétibles outre les entiers dépens.                        

Par conclusions du 23 Janvier 2024, la société AXA France IARD sollicite voir :    

              A titre liminaire, la société AXA France IARD soulève l'irrecevabilité et le caractère mal fondé du moyen nouveau présenté en appel relatif à l'absence de formalisme de la clause d'exclusion sur le fondement de l'article L112-4 du Code des assurances.

              En effet, l'article 910-4 du Code de procédure civile pose un principe de concentration des demandes en cause d'appel. Or en l'espèce, la société A LA BONNE FRANQUETTE n'avait formulé aucune demande sur ce fondement que ce soit en première instance ou encore au sein de ses première d'écriture d'appel, de sorte qu'au stade de ses dernières écritures sa demande est manifestement irrecevable.

              En tout état de cause, la demande de condamnation d'AXA sur le fondement de l'article L112-4 du Code des assurances est mal fondée. Le « caractère très apparent » de la clause d'exclusion imposée par cette disposition relève de l'appréciation souveraine des juges du fond. Or conformément à la jurisprudence déjà rendue par plusieurs Cour d'appel sur la clause d'exclusion objet du présent litige, il ressort que la rédaction de ladite clause en lettres majuscules, en grand format et détachée des paragraphes précédents, répond au formalisme exigé par l'article L112-4 du Code des assurances.            

              A titre liminaire, la société AXA France IARD soulève également l'irrecevabilité et le caractère mal fondé de la demande nouvelle présentée en appel au titre du devoir d'information et de conseil.  En effet l'intimé soutient que la proposition d'avenant faite par AXA le 30 septembre 2020, constitue un « aveu » de l'assureur sur l'absence de clarté de la clause d'exclusion litigieuse et sollicite dès lors sa condamnation subsidiaire pour violation du devoir d'information et de conseil.

              Or cette demande est irrecevable, il ne s'agit pas d'un fait nouveau justifiant qu'une demande nouvelle en cause d'appel soit présentée en application de l'article 564 du Code de procédure civile. La violation du devoir d'information et de conseil s'apprécie à la date de souscription du contrat. La proposition d'avenant faite par AXA le 30 septembre 2020 concerne le renouvellement du contrat à la date du 1er janvier 2021, et elle est parfaitement indépendante du contrat en cours soumis à l'appréciation de la Cour. Le contenu de cet avenant n'apporte ainsi aucun élément nouveau susceptible de justifier une quelconque responsabilité d'AXA lors de la souscription du contrat en date du 19 décembre 2019.

              Cette demande est également mal fondée en l'absence de violation de son devoir d'information et de conseil par la société AXA.

-             En effet, conformément aux dispositions de l'article L112-2 du Code des assurances, l'agent général de la société AXA a remis à son assuré une fiche d'information préalable signée par ce dernier lors de la souscription du contrat. L'intimée a ainsi été en mesure de prendre connaissance de la clause d'exclusion mentionnée en caractères très apparents dans son contrat du 19 décembre 2019.

-             Au demeurant, la responsabilité de l'agent, et a fortiori celle d'AXA FRANCE, ne pourraient pas être retenues dans la mesure où le rejet des demandes principales de l'intimée implique nécessairement une absence d'ambiguïté sur la portée de la clause d'exclusion ou des conditions générales. Dès lors un agent général n'a pas à attirer l'attention de l'assuré lors de la souscription du contrat sur une clause claire prévoyant une exclusion de garantie.

-             D'autant plus que les conséquences du Covid 19 constituent un risque inédit, dont il ne saurait être fait grief à un intermédiaire d'assurance de ne pas avoir attiré l'attention d'un assuré sur l'absence de garantie d'un tel risque.

-             Au surplus, le préjudice de l'intimée qui consisterait en une perte de chance de souscrire une garantie plus favorable est, en l'espèce, inexistant. En effet, l'intimée est bien incapable de démontrer qu'elle aurait été en mesure de souscrire un contrat plus adapté à la crise du Covid-19           

              A titre principal, la société AXA France sollicite la réformation du jugement. Elle se fonde sur l'harmonisation de la jurisprudence opérée par la Cour de cassation dans son arrêt du 1er décembre 2022 (N°G21-19.342), et confirmée depuis par sept arrêts rendus le 25 mai 2023, dans cinq arrêts rendus le 15 juin 2023 et dans un arrêt rendu le 12 octobre 2023, tous publiés au rapport et au bulletin.  Ni les articles de doctrine visés par l'assurée, ni le rapport du conseiller rapporteur M. [R] [I] sollicitant un rejet pour des considérations techniques dans une faire concernant la même clause d'exclusion, ne remettent en cause la portée de la jurisprudence de la Cour de cassation.      

              Dès lors, la société AXA FRANCE sollicite la réformation du jugement en ce qu'il a jugé que la clause d'exclusion devait être considérée comme non-écrite et a condamné AXA FRANCE à verser à l'assurée la somme de 114.105,54 euros au titre de ses pertes d'exploitation. En effet, le Tribunal a débouté AXA FRANCE de sa demande tendant à juger de la validité de la clause d'exclusion dont elle sollicite la stricte application.

D'une part, AXA France soutient que la clause d'exclusion, contrairement à ce qu'a jugé le Tribunal, est parfaitement formelle et que l'intimée en a par ailleurs parfaitement compris la portée. La Cour de cassation a validé le caractère formel de la clause d'exclusion au sens de l'article L113-1 du Code des assurances, en jugeant que la notion d'épidémie était sans incidence sur la compréhension de la clause, de sorte que celle-ci devait s'appliquer dès lors qu'à la date de fermeture de l'établissement assuré, un autre établissement faisait l'objet d'une mesure de fermeture administrative pour une cause identique

Le caractère formel d'une clause d'exclusion s'apprécie seulement par rapport aux termes et critères d'application qu'elle comprend, et en aucun cas par rapport aux clauses définissant l'objet de la garantie ou aux conditions de garantie. Les règles d'interprétation du Code civil ne lui sont pas applicable.

La clause d'exclusion était donc suffisamment claire. Elle ne laisse place à aucune incertitude quant à la volonté de l'assureur d'écarter la garantie lorsque la fermeture administrative affecte concomitamment, dans le même département, un autre établissement pour une cause identique, et donc lorsqu'une même épidémie entraîne la fermeture administrative d'un autre établissement.

La clause d'exclusion n'évoque aucune condition d'antériorité sur le constat des fermetures administratives des autres établissements. L'intimée ne peut donc soutenir qu'à la date de l'arrêté ministériel pris par le ministre de la Santé, aucun autre établissement ne faisait l'objet d'une mesure de fermeture administrative sur le même territoire départemental que celui de l'établissement assuré, puisque la fermeture n'est intervenue que le lendemain

Selon la société A LA BONNE FRANQUETTE, les termes « décision de fermeture » et « mesure de fermeture » utilisés dans la clause d'exclusion seraient distincts. En effet, selon elle, la « décision de fermeture » serait l'acte juridique ordonnant la fermeture de l'établissement lui-même, tandis que la « mesure de fermeture » concernerait les autres établissements du département. Elle en déduit que AXA aurait prévu d'exclure la garantie uniquement en cas de pluralité de décisions de fermeture administrative individuelle, ayant une cause identique, ce qui ne serait pas le cas en l'espèce, selon elle, puisqu'une seule décision collective a atteint l'ensemble des établissements de restauration sur le territoire national. Cette argumentation ne pourra qu'être écartée car ni la Cour de cassation, ni le Conseil d'Etat, n'opère de distinction entre « décision de fermeture » et « mesure de fermeture ».

La compréhension de la clause par l'assurée doit s'apprécier à la souscription. En l'espèce l'assurée ne pouvait ignorer l'objet de la garantie souscrite ainsi que la portée de la clause d'exclusion rédigée en caractères très apparents directement au sein de l'extension de garantie. Il a contracté en qualité de professionnel de la restauration afin de s'assurer contre le risque des épidémies d'origine alimentaire, l'épidémie de type Covid 19 n'étant jamais survenue en France à la date de la souscription. 

Par ailleurs il ne peut être fait grief à AXA France de ne pas avoir défini le terme « d'épidémie » qui est seulement employé au titre des conditions de garantie, et n'affecte en rien la validité de la clause d'exclusion conformément à la position retenue par la Cour de cassation.

Les trois critères d'application de la clause d'exclusion ne souffrent d'aucune imprécision et sont compréhensibles pour tout un chacun.

Un critère de nombre : la clause d'exclusion s'applique dès lors qu'il y a plus d'un établissement qui fait l'objet d'une fermeture administrative ;

Un critère territorial : le nombre d'établissement fermé s'apprécie à l'échelle d'un même département;

Un critère causal : les fermetures d'établissements intervenues au sein d'un même département doivent être consécutives à une « cause identique », ces termes étant parfaitement compréhensibles par un assuré, sans qu'il ne soit besoin d'apprécier le terme « épidémie » compris au titre des conditions de garantie. Ce qui compte, ce n'est pas la nature de l'épidémie et donc indirectement sa définition, mais sa conséquence : la fermeture du seul établissement assuré ou celle de plusieurs établissements dans le département pour la même cause.

La proposition d'avenant faite par AXA France ne remet pas en cause la clarté de la clause d'exclusion. En effet, la crise du Covid-19 a entraîné une reconsidération des risques liés aux épidémies par l'ensemble des acteurs du marché de l'assurance et de la réassurance. AXA FRANCE, au même titre que l'ensemble des assureurs, bénéficie d'une réassurance de son portefeuille. Elle a été contrainte de modifier ses conditions de garantie pour l'avenir afin d'exclure la prise en charge des risques liés aux épidémies, y compris lorsque l'épidémie entrainerait la fermeture d'un seul établissement.

Il résulte de l'ensemble de ces arguments que la clause d'exclusion respecte le caractère formel de l'article L. 113-1 du Code des assurances.             

D'autre part, AXA FRANCE soutient que la clause d'exclusion respecte le caractère limité exigé par l'article L. 113-1 du Code des assurances et ne vide pas de sa substance l'obligation essentielle souscrite par l'assurée, car une épidémie peut être la cause de la fermeture administrative d'un unique établissement.

Au visa de l'article L. 113-1 du Code des assurances, la jurisprudence considère qu'une clause d'exclusion est non limitée et donc nulle, lorsqu'elle est générale au point de supprimer toute hypothèse de garantie du risque. A l'inverse, sont valables les clauses d'exclusion qui viennent seulement limiter, et non supprimer, la garantie du risque. Selon la Cour de cassation, le caractère limité d'une clause d'exclusion doit s'apprécier non pas en considération de ce qu'elle exclut mais en considération de ce qu'elle garantit après sa mise en 'uvre. Dans son arrêt rendu le 1er décembre 2022 (RG 21-15.392), la Cour de cassation est venue préciser l'appréciation du caractère limité d'une clause d'exclusion, en considérant qu'elle ne devait pas avoir pour effet de rendre la « garantie dérisoire ». Ainsi, dès lors qu'une clause d'exclusion est jugée limitée, elle est nécessairement pourvue d'une « cause » puisque la garantie donnée a été considérée comme non « dérisoire », de sorte qu'il ne revient pas aux juges du fond ayant jugé une clause limitée d'apprécier sa conformité aux dispositions des articles 1131 ancien du Code civil et 1169 du Code civil.

En l'espèce, il est démontré que même si le caractère limité de la clause d'exclusion devait s'apprécier au seul regard de l'événement « épidémie », la clause d'exclusion est bien limitée dès lors qu'une épidémie peut donner lieu à une mesure de fermeture administrative « individuelle ». En effet :

La réalité scientifique selon laquelle une épidémie peut n'affecter qu'un unique établissement ne s'oppose pas avec la définition qu'en donne le Robert.

Une épidémie n'implique pas nécessairement une grande étendue géographique de l'épidémie ou un grand nombre de personnes affectées ou encore une contagion d'un individu à l'autre.

En pratique il est fréquent qu'une épidémie touche un seul établissement et entraine sa fermeture administrative ;

Le risque de fermeture « individuelle » d'un établissement pour cause d'épidémie est une réalité juridique confirmée par les textes eux-mêmes et par les exemples fournis par AXA FRANCE, dont certains sont issus de décisions de justice et de rapports émanant d'autorités sanitaires autorisées et compétentes.

Ensuite, si la preuve des conditions d'application de l'exclusion aux faits de l'espèce pèse effectivement sur AXA FRANCE ' preuve apportée en l'espèce par l'existence de l'arrêté du 14 mars 2020 et du décret du 29 octobre 2020 qui avaient une portée générale, ce n'est pas à AXA FRANCE de supporter la charge de la preuve de la validité de la clause d'exclusion.

Par ailleurs le seul constat de la possibilité d'une fermeture administrative « individuelle », même à supposer qu'elle soit improbable, aurait dû conduire les tribunaux à reconnaître la validité de la clause d'exclusion dès lors que la garantie n'est pas totalement vidée de sa substance, conformément à l'application de la jurisprudence en vigueur de la Cour de cassation. La garantie d'un risque aléatoire constitue l'essence même d'un contrat d'assurance. La clause ne peut donc être jugée comme étant nulle pour défaut d'aléa au sens de l'article 1108 du Code civil. Au demeurant, le caractère improbable du risque couvert est formellement contesté en l'espèce par AXA FRANCE.

De plus, en l'espèce l'extension de garantie souscrite a également vocation à être mobilisée lorsque le foyer d'une épidémie se trouve à l'extérieur de l'établissement assuré. Le critère d'application de la clause d'exclusion tient seulement à la nature isolée de la fermeture administrative, ou encore à l'impossibilité pour AXA FRANCE de rapporter la preuve de la fermeture administrative d'un autre établissement dans le département lié à la même épidémie.

La commune intention des parties, lors de la souscription du contrat, n'était pas de couvrir le risque d'une fermeture généralisée à l'ensemble du territoire, risque totalement imprévisible à l'époque, mais de couvrir les aléas inhérents à l'exploitation d'un restaurant exposé à des risques biologiques. L'article 1190 du Code civil n'est pas applicable, la commune intention étant manifeste.

Les pertes alléguées résultant de mesures gouvernementales généralisées, se traduisant par une fermeture « collective », constituent un préjudice anormal et spécial qui ne relève pas d'une garantie individuelle de droit privé et qui est contraire au principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques.

Il ne peut pas être jugé que la clause d'exclusion serait contraire à l'article 1169 du Code civil et l'article 1131 ancien du Code civil, au motif que la garantie donnée par AXA serait « dérisoire » ou « illusoire » puisqu'il a été démontré que la fréquence de réalisation du risque assuré (fermeture administrative individuelle d'un restaurant pour cause d'épidémie) est plus « probable » que celle du risque exclu par le contrat d'assurance (fermeture collective d'établissements pour cause d'épidémie)

Il ne peut pas être jugé que la clause d'exclusion est contraire aux dispositions de l'article 1143 du Code civil, la garantie donnée par AXA FRANCE couvrant un risque auquel est fréquemment exposé l'Assurée dans l'exercice de son activité de restauration de sorte qu'il ne saurait être jugé que l'Assureur en tire « un avantage manifestement excessif ». En tout état de cause, l'Assurée n'est pas en « état de dépendance » vis-à-vis d'AXA FRANCE et était libre de changer d'assureur.        

Enfin, dans un cadre subsidiaire, AXA France sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il a retenu le montant des pertes d'exploitation subies par la société A LA BONNE FRANQUETTE sur la base d'une évaluation établie de façon non contradictoire.

-             Dans le cadre de la procédure d'appel, l'Intimée prétend à l'infirmation du jugement en ce qu'il a limité son indemnisation à hauteur de la provision de 45.000 euros et sollicite la condamnation d'AXA au paiement de la somme de 61.326,03 euros au titre des pertes d'exploitation subies sur la période du 15 mars au 2 juin 2020. Par ailleurs, l'Intimée sollicite la condamnation d'AXA à l'indemniser à hauteur de la somme de 16.250 euros au titre d'un second sinistre correspondant à la fermeture de son établissement survenue entre le 30 octobre 2020 et le 30 janvier 2021.

-             Un rapport d'expertise judiciaire a été déposé le 28 octobre 2021 par madame [N] [B]. Ce rapport porte sur les deux périodes du 15 mars au 1er juin 2020 et du 30 octobre 2020 au 30 janvier 2021. En effet, une extension de mission avait été ordonnée par l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en Provence du 20 mai 2021 afin d'intégrer à la mission de l'expert judiciaire la seconde période. Cet arrêt a cependant été cassé par la Cour de cassation. Ainsi, dans l'hypothèse extraordinaire où la Cour estimait devoir faire droit aux prétentions de l'intimée sur la validité de la clause d'exclusion ou sur le devoir de conseil, elle ne pourra prononcer de condamnation définitive au titre de la première période, et devra ordonner un complément de mission au titre des pertes d'exploitation subies sur la période du 30 octobre 2020 au 30 janvier 2021.

A titre liminaire, l'intimée soulève néanmoins l'impossibilité pour la Cour de prononcer une condamnation définitive à l'encontre d'AXA au titre de la première période. En effet en application de l'article 658 alinéa 1 du Code de procédure civile, la fixation de l'indemnité finale devra d'abord être déterminée par le Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence, sans quoi AXA FRANCE serait privée d'un double degré de juridiction.

Sur l'évaluation du préjudice subi, AXA fait remarquer qu'il n'a pas été tenu compte des facteurs externes, des écritures comptables et résultats des exercices antérieurs au titre de la même période, des charges variables non supportées durant la fermeture, ainsi que des charges variables non supportées durant la fermeture.            

              Vu les articles 1103,1108, 1131 ancien, 1143, 1169, 1170, et 1188 et suivants du Code civil,

              Vu les articles L.112-4, L. 113-1 et L.121-1 du Code des assurances,

              Vu les articles 564, 700 et 910-4 du Code de procédure civile,

              Vu le jugement dont appel,

              Il est demandé à la Cour de :     

DECLARER recevable et bien-fondé l'appel interjeté par la société AXA FRANCE IARD et y faisant droit :             

              A TITRE LIMINAIRE

-             JUGER TANT IRRECEVABLE QUE MAL-FONDEE toute demande de la société LA

              BONNE FRANQUETTE fondée sur l'article L112-4 du Code des assurances ;

-             JUGER TANT IRRECEVABLE QUE MAL-FONDEE toute demande de la société LA

              BONNE FRANQUETTE au titre d'un manquement d'AXA FRANCE à son obligation d'information et de conseil ;       

              En conséquence :

-             DEBOUTER la société LA BONNE FRANQUETTE de ses demandes formulées au titre de l'article L 112-4 du Code des assurances et du devoir d'information et de conseil.      

              A TITRE PRINCIPAL

-             INFIRMER le jugement du 30 novembre 2020 du Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence, en toutes ses dispositions et notamment en ce qu'il :

              JUGE que la clause d'exclusion ne respectait pas le caractère formel exigé par l'article L. 113-1 du Code des assurances ;

              JUGE que la clause d'exclusion vidait l'extension de garantie de sa substance et privait l'obligation essentielle d'AXA France IARD de sa substance ;

              JUGE que la mobilisation de la garantie pour répondre à une mesure générale de police administrative entraînant une fermeture « collective » d'établissements serait contraire avec le principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques ;

              Et en ce qu'il : « Ordonne le versement par la S.A. AXA FRANCE IARD à la SARL A LA BONNE FRANQUETTE, à titre de provision, de la somme de 45.000 euros. - Nomme comme expert judiciaire :  Madame [N] [B] [']  Avec mission de : ['] - évaluer le montant des dommages constitués par la perte de marge brute pendant la période d'indemnisation conformément aux exigences précisées dans le contrat en page 21 des conditions générales, - évaluer le montant des frais supplémentaires d'exploitation pendant la période d'indemnisation, [...] Fixe à la somme de 3.000 euros le montant de la provision à valoir sur les honoraires de l'expert que la SA AXA FRANCE IARD devra consigner au Greffe du tribunal de céans dans un délai d'un mois à compter de la notification qui lui sera faite de la présente décision. Condamne la S.A. AXA FRANCE IARD à payer la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure civile. Condamne la S.A. AXA FRANCE IARD aux dépens de l'instance. »            

              STATUANT A NOUVEAU

-             JUGER que l'extension de garantie relative aux pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d'épidémie est assortie d'une clause d'exclusion, qui est applicable en l'espèce ;

-             JUGER que cette clause d'exclusion respecte le caractère formel exigé par l'article L. 113-1 du Code des assurances ;

-             JUGER que cette clause d'exclusion ne vide pas l'extension de garantie de sa substance et respecte le caractère limité de l'article L. 113-1 du Code des assurances et qu'elle ne prive pas l'obligation essentielle d'AXA FRANCE IARD de sa substance au sens de l'article 1170 du Code civil et qu'elle n'est pas contraire aux dispositions de l'article 1108 et 1169 du Code civil ;

-             JUGER qu'AXA FRANCE ne s'est rendue coupable d'aucune « violence » à l'encontre de l'Intimée au sens de l'article 1143 du Code civil ;

-             JUGER que l'extension de garantie relative aux pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d'épidémie est assortie d'une clause d'exclusion, qui est inscrite en des termes très apparents, de sorte que sa rédaction est conforme aux règles de formalisme prescrites par l'article L. 112-4 du Code des assurances ;

-             JUGER la demande de condamnation au titre du devoir d'information et de conseil irrecevable et en tout cas non fondée ;

              En conséquence :

-             DEBOUTER l'Assurée de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions formées à l'encontre d'AXA FRANCE IARD et la condamner à lui restituer les sommes perçues au titre de l'exécution du jugement du 30 novembre 2020 ;

-             ANNULER la mesure d'expertise judiciaire ordonnée par le Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence ;         

              A TITRE SUBSIDIAIRE

              Si par extraordinaire la Cour confirmait le jugement dont appel et estimait que la garantie d'AXA FRANCE IARD était mobilisable ou qu'elle aurait engagé sa responsabilité en l'espèce :

-             JUGER que la preuve du montant des pertes d'exploitation correspondant à l'indemnité sollicitée n'est pas rapportée ; 

-             JUGER que la preuve du principe et du montant de la perte de chance correspondant à l'indemnité sollicitée n'est pas rapportée ; 

              En conséquence :

-             DEBOUTER la demande de condamnation définitive de la société A LA BONNE

              FRANQUETTE au titre de la première période d'indemnisation du 15 mars au 2 juin 2020 ;

-             DEBOUTER la demande de provision de la société A LA BONNE FRANQUETTE d'un montant de 75.000 euros ; 

-             COMPLETER la mission de l'expert judiciaire au titre des pertes d'exploitation subies entre le 30 octobre 2020 et le 30 janvier 2021 ;    

              EN TOUT ETAT DE CAUSE

-             DEBOUTER l'Assurée de toutes demandes, fins ou conclusions contraires au présent dispositif

-             CONDAMNER la société A LA BONNE FRANQUETTE à payer à AXA la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel, ces derniers distraits au profit de Maître Pierre Yves IMPERATORE, membre de la SELARL LX AIX EN PROVENCE, avocat associé, aux offres de droit.      

     

Par conclusions du 21 Avril 2023 la société A LA BONNE FRANQUETTE, intimée sollicite voir:

La société A LA BONNE FRANQUETTE, rappelle préalablement que le prononcé d'un arrêt de cassation ne fige aucunement la jurisprudence. La juridiction est entièrement libre, dans le plein exercice de son pouvoir juridictionnel, de refuser de suivre la solution posée par l'arrêt de cassation l'ayant saisi de la connaissance du litige. La juridiction de renvoi, en effet, est investie d'un plein pouvoir juridictionnel, ce pourquoi l'article 638 du code de procédure civile énonce : « L'affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l'exclusion des chefs non atteints par la cassation. » Et l'article L. 431-6 du code de l'organisation judiciaire prévoit que le renvoi devant l'assemblée plénière « doit » être ordonné « lorsque, après cassation d'un premier arrêt ou jugement, la décision rendue par la juridiction de renvoi est attaquée par les mêmes moyens ». 

Or en l'espèce la contradiction des décisions rendues par les juges du fond dénote à tout le moins le caractère ni formel ni limité de la clause d'exclusion. Par ailleurs la décision rendue par la Cour de cassation est vivement critiquée par la doctrine. Rien n'interdit donc à la cour de céans, statuant comme juridiction de renvoi, de s'écarter de la solution posée par la Cour de cassation, dans ses arrêts du 1er décembre 2022.

La société A LA BONNE FRANQUETTE, soutient que les sinistres pertes d'exploitation sont garantis par AXA. En effet, aux termes des Conditions Particulières du contrat  régulièrement produit aux débats, la société A LA BONNE FRANQUETTE, a expressément souscrit une garantie « protection financière » couvrant notamment la perte d'exploitation. Selon les critères du contrat, il apparait que la garantie perte financière est acquise dès lors que :

-             Une fermeture administrative est prononcée : tel est le cas dès lors que la société A LA BONNE FRANQUETTE, qui exploite un restaurant, ne pratique pas la vente à emporter ou sur livraison comme activité essentielle, ces arrêtés et décrets ayant entrainé son arrêt quasi-total d'activité.

-             La décision de fermeture a été prononcée par une autorité administrative : en l'espèce tant le Premier Ministre que le Ministre de la Santé, apparaissent comme de telles autorités conformément à l'article 21 de la Constitution21, et l'article L.3131-1 du Code de la Santé Publique 22 qui leur attribue un pouvoir de Police en cas de crise sanitaire ;

-             Cette interdiction est motivée par l'existence d'une épidémie : en l'espèce l'épidémie de COVID 19 est qualifiée comme telle, et a entrainé l'ouverture réglementaire d'une période d'urgence sanitaire, pour lutter contre la « propagation du virus ».

Dès lors, que les Conditions Particulières de la Police d'assurance de l'intimée, prévoient expressément l'indemnisation des pertes financières en cas d'épidémie, il apparait que les critères d'indemnisation du sinistre qu'a subi la Société concluante sont remplis.

La société A LA BONNE FRANQUETTE, soutient que clause d'exclusion invoquée par AXA est inopposable.

D'une part la société A LA BONNE FRANQUETTE, soulève une série de moyens non tranchés par la Cour de cassation.

Absence de caractère très apparent : Conformément à l'article L.112-4 du Code des Assurances : « Les clauses des polices édictant des nullités, des déchéances ou des exclusions ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents. ». En l'espèce la clause d'exclusion n'est ni soulignée, ni en gras, ni en couleur, ni encadrée par rapport à la clause de garantie elle-même, la seule chose qui les distingue est le fait qu'elle est écrit en lettre capitale. La mise en page est dense et l'utilisation de caractères majuscules ne suffit pas à la rendre très apparente dans la mesure ou d'autres mots du contrat sont également en lettre capitale et notamment les garanties elle-même. Il n'existe pas de titre permettant d'attirer spécialement l'attention de l'assuré sur l'existence d'une clause d'exclusion de garantie, qui figure d'ailleurs sous le même intitulé que la garantie « Protection financière ». La seule utilisation d'un caractère d'imprimerie différent pour singulariser les causes d'exclusion ne répond pas aux exigences de la loi de caractères très apparents et ne permet pas à l'assuré d'identifier clairement l'existence d'une clause d'exclusion dans les Conditions Particulières. La clause d'exclusion de garantie litigieuse ne correspond donc pas aux exigences de l'Article L.112-4 du Code des Assurances elle doit donc, de ce chef, être réputée non écrite

Absence de mobilisation de la clause d'exclusion : Selon la société A LA BONNE FRANQUETTE, les termes « décision de fermeture » et « mesure de fermeture » utilisés dans la clause d'exclusion seraient distincts. En effet, selon elle, la « décision de fermeture » serait l'acte juridique ordonnant la fermeture de l'établissement lui-même, tandis que la « mesure de fermeture » concernerait les autres établissements du département. Elle en déduit que AXA aurait prévu d'exclure la garantie uniquement en cas de pluralité de décisions de fermeture administrative individuelle, ayant une cause identique, ce qui ne serait pas le cas en l'espèce puisqu'une seule décision collective a atteint l'ensemble des établissements de restauration sur le territoire national.

Absence de contrepartie : Au sens de l'article 1169 du Code Civil 28, la clause subordonnant la mise en 'uvre de la garantie ''fermeture administrative suite à épidémie'' au fait que seul l'établissement fasse l'objet d'une fermeture apparait abusive puisque liée à un évènement certain (la fermeture d'autres établissement) rendant illusoire ou dérisoire la garantie principale souscrite et facturée à l'assuré. La clause encourt également la nullité au visa de l'article 1108 du Code Civil 29, qui définit la notion d'aléa comme un événement incertain alors même que la fermeture de plusieurs établissements dans un département en cas d'épidémie apparait comme certain.

D'autre part, la société A LA BONNE FRANQUETTE, soutient que la clause d'exclusion est inapplicable pour cause d'absence de caractère formel et limité au sens de l'article L113-1 du Code des assurances .

L'assureur n'a pas contractuellement défini le terme « d'épidémie ». Or la Cour de cassation a retenu que l'absence de définition du terme ''épidémie'', incontestable en l'espèce, était sans conséquence puisque c'est la fermeture administrative pour « CAUSE IDENTIQUE » qui permet d'exclure la garantie dans les termes de la clause d'exclusion, et non l'épidémie elle-même. Un tel raisonnement est contesté, c'est bien la cause identique qui est visée dans la clause, et cette cause identique en l'espèce renvoie nécessairement à la notion d'épidémie. L'interprétation du terme d'épidémie est donc indispensable. 

L'ensemble des définitions courantes proposées par les dictionnaires généraux et médicaux considère que l'épidémie est « le développement et la propagation rapide d'une maladie contagieuse, le plus souvent d'origine infectieuse, dans une population ». L'assuré considère qu'une telle clause rend dérisoire l'application de la garantie en cas d'épidémie, qui est une extension de la maladie contagieuse à un grand nombre de personne dans un lieu donné, en l'occurrence à minima une commune ou un département

La clause d'exclusion litigieuse nécessite ainsi incontestablement une interprétation, faute pour AXA d'avoir défini contractuellement les termes « fermeture », « établissement » mais aussi « épidémie », « maladie contagieuse » ou « intoxication ».

Cette clause encourt en outre la nullité en vertu des articles 1170 du Code Civil et L.113-1 du Code des Assurances puisqu'elle vide de sa substance la garantie et, partant, l'obligation essentielle assumée par l'assureur, et par là même est dénuée de tout caractère limité.

La clause d'exclusion a pour effet de rendre inapplicable l'indemnisation des pertes d'exploitation consécutives à toutes fermetures administratives par les autorités en cas d'épidémie qui nécessairement ne se limitera jamais à un établissement.

L'assureur AXA est dans l'incapacité totale, de rapporter la preuve qu'il a été amené à indemniser ne serait-ce qu'une fois un assuré au titre de la garantie « fermeture en cas d'épidémie ». Les quelques cas qu'elle tente d'invoquer en exemple, concernent des maladies transmissibles interhumaines qui ne rentrent pas dans le cadre de la définition courante d'une épidémie.

En jugeant valable la garantie « fermeture administrative » parce qu'elle restait mobilisable au titre des autres causes de fermeture prévues par la clause d'extension, la Cour de Cassation a commis un abus de langage sur le terme « garantie ». La fermeture administrative n'est pas une garantie mais un évènement garanti, c'est-à-dire l'un des dommages couverts par la garantie. Or l'exclusion de garantie est réputée non écrite dès lors qu'elle rend dérisoire la couverture de chaque événement garanti pris séparément. Il importe donc peu qu'une garantie pour d'autres causes subsiste en cas de fermeture administrative dès lors que la garantie en cas d'épidémie est totalement anéantie par l'application de la clause d'exclusion.

En résumé les arrêts du 1er Décembre 2022 sont contestés par une doctrine presque unanime et au sein de la Haute Cour elle-même : un débat devant l'Assemblée Plénière apparait souhaitable tant en droit qu'en équité.

A titre subsidiaire, la société A LA BONNE FRANQUETTE, soutient que l'assureur a manqué à son devoir de conseil de l'assureur.

La jurisprudence a mis à la charge de l'assureur, tenu personnellement ou du fait de ses mandataires, une obligation générale d'information, de conseil et de mise en garde. En l'espèce, AXA, en n'attirant pas l'attention de son assuré sur l'existence et le contenu de la clause d'exclusion, et en n'en explicitant ni le contenu ni la portée, a manqué à son devoir d'information et de conseil. AXA sera donc condamnée à indemniser le préjudice subi par la société A LA BONNE FRANQUETTE, qui correspond à l'absence de couverture du risque ou à la perte de chance de souscrire un contrat adapté aux risques, qui équivaut à l'indemnisation à laquelle l'assuré aurait pu prétendre s'il avait été couvert. Ce préjudice sera évalué à la somme de 145.000 €.

S'agissant des  pertes subies par l'assuré ,le contrat prévoit l'indemnisation de la perte d'exploitation, pour une durée maximum de trois mois par sinistre dans une limite de 300 fois l'indice FFB (994,50 au 1er octobre 2019), déduction faite d'une franchise de trois jours ouvrés. L'élément déclencheur de la garantie est la fermeture administrative : il y a donc autant de sinistres que de décisions de fermeture administrative. En l'espèce deux fermetures administratives sont intervenues, l'une de 79 jours (du 15 mars 2020 au 2 juin 2020), l'autre de 92 jours (du 30 octobre 2020 au 30 janvier 2021).

La Société A LA BONNE FRANQUETTE a produit aux débats ses comptes de résultat, arrêtés au 31 décembre.

La société A LA BONNE FRANQUETTE a aussi produit deux attestations de monsieur [X] [C], SARL PRADO CONSEIL, expert-comptable, évaluant la perte de chiffres d'affaires et la perte d'exploitation subie

Dans le cadre des décisions rendues les 30 novembre 2020 et 20 mai 2021, cassée par la Cour de Cassation, le Tribunal de Commerce d'Aix en Provence, et la Cour d'Appel d'Aix en Provence avait instauré une expertise confiée à madame [N] [B]. Il conviendra d'allouer à titre de provision, à la société A LA BONNE FRANQUETTE une somme de 57.000 €, montant des sommes par elle perçues dans le cadre de la procédure, et de renvoyer les parties à conclure sur le rapport d'expertise de madame [B] par devant le Tribunal de Commerce d'Aix en Provence aux fins de respecter le double degré de juridiction.

              Vu les dispositions de l'Article 632 du Code de Procédure Civile ;

              Vu les dispositions des articles 1108 et 1143 du Code Civil ;

              Vu les dispositions des articles 1169 et 1170 du Code Civil ;

              Vu les dispositions des articles L 113-1 et L.112-4 du Code des Assurances ;

              Vu les dispositions de l'article 1231-1 du Code Civil ;

              Vu le contrat d'assurance souscrit ;

              CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de Commerce d'Aix en Provence le 30 novembre 2020 au besoin par adjonction des motifs, en ce qu'il a condamné la Société AXA FRANCE IARD à garantir les sinistres perte financière suite à fermeture administrative, subis par la Société A LA BONNE FRANQUETTE entre le 15 mars 2020 et le 2 juin 2020 et entre le 30 octobre 2020 et le 31 janvier 2021, après avoir déclarée la clause d'exclusion opposée à l'assuré non mobilisable et/ou non écrite, pour absence de caractère très apparent, absence de contrepartie, et pour absence de caractère formel et limité ; 

              CONDAMNER la Société AXA FRANCE IARD à payer, en denier ou quittance, à la société A LA BONNE FRANQUETTE, la somme de 57.000 € à titre de provision, et renvoyer les parties devant le Tribunal de Commerce d'Aix en Provence aux fins que soit statué sur l'indemnisation définitive de l'intimée sur la base du rapport d'expertise [B] ;  

              Subsidiairement,

              INFIRMER le Jugement rendu et CONDAMNER la société AXA FRANCE IARD à payer à la société A LA BONNE FRANQUETTE la somme de 57.000 € de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi à raison des manquements fautifs de l'Assureur à ses obligations générales d'information, de conseil et de mise en garde. 

              EN TOUT ETAT DE CAUSE,

              DEBOUTER la société AXA FRANCE IARD de ses demandes ;

              CONDAMNER la société AXA FRANCE IARD à payer 10.000 € à la société A LA BONNE FRANQUETTE sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile en cause d'appel ;

              CONDAMNER la société AXA FRANCE IARD aux dépens.

              L'affaire a été fixée à l'audience du 13 février 2024 à laquelle les parties ont pu présenter leurs observations.

MOTIVATION

Il n'est pas contesté et il résulte des pièces contractuelles versées au dossier de la procédure que la relation des parties est régie par un contrat d'assurance Multirisque Professionnelle avec effet au 21/07/2017 comprenant les conditions générales 690200P et les conditions particulières du contrat n°5870209904.

La page 9 des conditions particulières mentionne un paragraphe relatif à une extension de garantie à la perte d'exploitation suite à la fermeture administrative de l'établissement.

Cette garantie porte sur les pertes d'exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l'établissement assuré lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :

1.la décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente et extérieure à l'assuré.

2. La décision de fermeture est la conséquence d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication.

La garantie commence le jour du sinistre et dure tant que les résultats de l'établissement sont affectés par le dit sinistre dans la limite de 3 mois maximum.

Le montant de la garantie est limité à 300 fois l'indice.

L'assuré conserve à sa charge une franchise de 3 jours ouvrés.

La clause d'exclusion de garantie opposée par la société AXA France IARD pour dénier à l'assuré la garantie perte d'exploitation pour la période de fermeture de l'établissement en raison de l'épidémie de COVID 19 est rédigée comme suit :

SONT EXCLUES :

LES PERTES D'EXPLOITATION, LORSQUE, A LA DATE DE LA DECISION DE FERMETURE, AU MOINS UN AUTRE ETABLISSEMENT, QUELLE QUE SOIT SA NATURE ET SON ACTIVITE, FAIT L'OBJET, SUR LE MEME TERRITOIRE DEPARTEMENTAL QUE CELUI DE L'ETABLISSEMENT ASSURE, D'UNE MESURE DE FERMETURE ADMINISTRATIVE, POUR UNE CAUSE IDENTIQUE.

L'assuré fait valoir que cette clause doit être réputé non écrite voire nulle comme non conforme aux dispositions régissant la légalité des clauses d'exclusion de garantie.

Sur la conformité de la clause litigieuse aux dispositions de l'article L112-4 du code des assurances

L'article L112-4 du code des assurances prévoit que les clauses des polices édictant des nullités, des déchéances ou des exclusions ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents.

L'assureur fait valoir que cette demande nouvelle en appel est irrecevable en vertu de l'article 910-4 du code de procédure civile.

Toutefois, il ne s'agit pas d'une demande nouvelle mais d'un fondement nouveau dans le but que soit déclarée non écrite la clause d'exclusion de garantie tout comme le moyen initial fondé sur les dispositions de l'article L113-1 du code des assurances.

L'article 563 du code de procédure civile prévoit que pour justifier en appel les prétentions qu'elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves.

L'article 565 du CPC énonce qu'une prétention n'est pas nouvelle lorsqu'elle tend « aux mêmes fins » que celles invoquées en première instance.

L'article 566 du code de procédure civile prévoit que les parties ne peuvent soumettre à la cour d'appel de nouvelles prétentions, sauf à ce que celles-ci soient l'accessoire, la conséquence ou le complément de celles soumises au premier juge.

En outre la demande nouvelle tendant à faire écarter les prétentions adverses est recevable (ass. com., 15 fév. 2023, n°21-20.283)

Par voie de conséquence, l'argument nouveau relatif au caractère non suffisamment apparent de la clause d'exclusion est recevable.

La clause litigieuse est rédigée en caractères majuscules et est insérée dans la police d'assurance immédiatement à la suite de la définition de la garantie perte d'exploitation suite à la fermeture administrative dont elle se détache nettement du fait de l'emploi de lettres capitales.

Ainsi, la définition de la garantie et la clause restrictive sont distinctes et s'enchaînent permettant une lecture continue des éléments contractuels régissant la garantie perte d'exploitation suite à une fermeture administrative de l'établissement.

Si d'autres exclusions de garantie citées par l'assurée dans ses conclusions sont mentionnées en caractères gras, dans un cadre coloré, à l'inverse de celle-ci, elles ne sont pas en lettres capitales et rien n'oblige l'assureur à employer les mêmes éléments d'écritures rendant très apparents une clause dans toute la police.

Par voie de conséquence, la clause limitant la garantie perte d'exploitation suite à la fermeture administrative à la seule hypothèse d'une fermeture isolée de l'établissement est conforme aux dispositions exigeant que les clauses restrictives de garantie soient rédigées en caractères très apparents.

 

Sur la vocation de la clause litigieuse à s'appliquer :

L'assuré fait valoir qu'il n'est pas démontré que la clause litigieuse ait vocation à s'appliquer au cas d'espèce de la fermeture de l'établissement à l'initiative de l'administration par une décision d'application générale.

L'assureur fait valoir que s'agissant d'une demande nouvelle, elle est irrecevable.

L'article 565 du CPC énonce qu'une prétention n'est pas nouvelle lorsqu'elle tend « aux mêmes fins » que celles invoquées en première instance.

L'article 566 du code de procédure civile prévoit que les parties ne peuvent soumettre à la cour d'appel de nouvelles prétentions, sauf à ce que celles-ci soient l'accessoire, la conséquence ou le complément de celles soumises au premier juge.

Ne s'agissant pas d'une prétention nouvelle mais d'une prétention tendant aux mêmes fins que celles invoquées précédemment à savoir le défaut de fondement du refus de l'assureur de garantir le sinistre en raison de la même clause d'exclusion, cet argument est recevable devant la cour de renvoi qui statue en l'espèce après cassation intégrale de son premier arrêt.

L'assurée fait valoir que dans des contrats similaires tel que la police multirisque de l'hôtellerie, l'assureur a exclu expressément la garantie des pertes d'exploitation consécutives à une fermeture collective dans une même région ou sur le plan national.

Elle précise que dans le présent contrat, si l'assureur entend exclure la fermeture collective, l'emploi d'une périphrase « ...AU MOINS UN AUTRE ETABLISSEMENT, QUELLE QUE SOIT SA NATURE ET SON ACTIVITE, FAIT L'OBJET, SUR LE MEME TERRITOIRE DEPARTEMENTAL QUE CELUI DE L'ETABLISSEMENT ASSURE, D'UNE MESURE DE FERMETURE ADMINISTRATIVE ' » relève d'une rédaction peu claire, ce que n'a pu entériner la cour de cassation par son arrêt du 1er décembre 2022.

La clause ne peut donc avoir pour objet que d'exclure la garantie en cas de pluralité de décisions de fermeture individuelle, ce qui n'est pas le cas de la fermeture suite à l'arrêté du 15 mars 2020 édictant l'interdiction d'ouverture au public des établissements de restauration.

La fermeture administrative objet du litige étant collective, les conditions de la clause de non garantie ne sont pas réunies.

 

Toutefois le segment de phrase « ...AU MOINS UN AUTRE ETABLISSEMENT, QUELLE QUE SOIT SA NATURE ET SON ACTIVITE, FAIT L'OBJET, SUR LE MEME TERRITOIRE DEPARTEMENTAL QUE CELUI DE L'ETABLISSEMENT ASSURE, D'UNE MESURE DE FERMETURE ADMINISTRATIVE ' » ne peut être qualifié de périphrase de l'expression « une fermeture collective d'établissements » dans la mesure où il n'est pas exclusif de plusieurs fermetures simultanées ou successives alors que la fermeture collective d'établissements  porte sur une seule  décision formelle de fermeture applicable à plusieurs établissements .

La phrase employée a pour objet les fermetures administratives d'un autre établissement du même département pour une raison identique définie par l'extension perte d'exploitation consécutive à une fermeture administrative sans distinguer les fermetures par l'effet de décisions individuelles ou d'une décision collective.

Par voie de conséquence le segment de phrase « ...AU MOINS UN AUTRE ETABLISSEMENT, QUELLE QUE SOIT SA NATURE ET SON ACTIVITE, FAIT L'OBJET, SUR LE MEME TERRITOIRE DEPARTEMENTAL QUE CELUI DE L'ETABLISSEMENT ASSURE, D'UNE MESURE DE FERMETURE ADMINISTRATIVE ' » ne peut être considéré comme excluant la vocation de la clause litigieuse à s'appliquer à une fermeture de plusieurs établissements par une décision administrative unique.

Cette demande doit être rejeté.

 

Sur la conformité de la clause aux dispositions de l'article L113-1 du code des assurances

L'article L113-1 du code des assurances dispose que les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police.

Ce texte implique que pour être opposable à l'assuré, la portée ou l'étendue de la clause d'exclusion de garantie doit être claire, précise, sans ambigüité et sans incertitude afin que celui-ci puisse déterminer le périmètre de la non garantie et si, de ce fait, l'assurance proposée correspond à ses attentes et est conforme à l'intérêt de l'entreprise.

La jurisprudence en déduit que lorsqu'elle est sujette à interprétation, une clause d'exclusion de garantie ne peut être considérée comme formelle et limitée.

En ce qui concerne la clause de garantie des pertes financières précitée offerte par AXA à sa clientèle  ,même si les conditions d'application de la clause limitant l'étendue de la garantie  ont généré un contentieux important , si AXA a transigé avec une partie de ses assurés,  si les clauses de cette nature ont suscité une réflexion sur la qualité de rédaction des polices d'assurance notamment par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution , si de ce fait l'assureur a pu vouloir en modifier les termes s'agissant des contrats à venir et si une solution différente a pu être retenue dans d'autres pays voisins s'agissant de polices d'assurance équivalentes(Royaume Uni), la cour de cassation a jugé que la clause litigieuse  de cette police répondait aux critères définis par le texte précité et sa jurisprudence.

La plupart des cours d'appel saisies sur renvoi lui ont emboîté le pas.

Dans l'arrêt du 1ER décembre 2022 concernant le présent litige ,la Cour de cassation relève que s'agissant d'un contrat prévoyant la garantie des pertes d'exploitation en cas de fermeture administrative consécutive à certaines causes qu'elle énumère, dont l'épidémie, est formelle la clause qui exclut ces pertes d'exploitation de la garantie, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelles que soient sa nature et son activité, fait l'objet, sur le même territoire départemental, d'une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique ;

Elle ajoute que n'a pas pour effet de vider la garantie de sa substance la clause qui exclut de la garantie des pertes d'exploitation consécutives à la fermeture administrative de l'établissement assuré, pour plusieurs causes qu'elle énumère, dont l'épidémie, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelles que soient sa nature et son activité, fait l'objet, sur le même territoire départemental, d'une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique à l'une de celles énumérées.

La jurisprudence retient ainsi que le risque couvert par la garantie est la fermeture administrative pouvant avoir plusieurs causes expressément mentionnées, un meurtre, un suicide, une épidémie, une maladie contagieuse, une intoxication et non le risque épidémie et que la clause d'exclusion portant sur la fermeture administrative édictée à l'égard de plusieurs établissements n'a pas pour effet de vider la garantie de sa substance et reste formelle et limitée.

La garantie contractuelle objet du litige couvre ainsi les hypothèses de la fermeture du seul établissement « A la Bonne Franquette » dans le département des Bouches du Rhône en raison de la survenance d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie, d'une maladie contagieuse, d'une intoxication.

La clause conditionnant la garantie à l'absence de fermeture par l'autorité administrative d'autres établissements du même département pour une cause identique est limitée en ce qu'elle ne fait pas obstacle à la garantie de la fermeture administrative de l'établissement pour les autres causes qu'une épidémie.

La jurisprudence décide ainsi que s'agissant de la fermeture administrative pour cause d'épidémie, le fait que la garantie contractuelle porte sur la fermeture par l'autorité administrative du seul établissement « A la Bonne Franquette » dans le territoire de l'intégralité du département urbanisé des Bouches du Rhône en raison d'une épidémie ne vide pas la garantie de sa substance.

Dans un arrêt du 21 septembre 2023 n°21/25921, la cour de cassation statuant sur le moyen suivant lequel il est  illusoire qu'une fermeture administrative liée à une épidémie, s'agissant d'une maladie contagieuse se propageant à une population étendue, puisse ne concerner qu'un unique établissement et relevant que l'assureur ne cite aucun cas de fermeture administrative isolée suite à une propagation par contagion mais uniquement des cas d'intoxications par des produits corrompus ou causées par un manque d'hygiène ou d'entretien, a maintenu que la garantie couvrant le risque de pertes d'exploitation consécutives, non à une épidémie, mais à une fermeture administrative ordonnée à la suite d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication, de sorte que l'exclusion considérée, qui laissait dans le champ de la garantie les pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative liée à ces autres causes ou survenue dans d'autres circonstances que celles prévues par la clause d'exclusion, n'avait pas pour effet de vider la garantie de sa substance.

Or la fermeture administrative pour laquelle l'assurée demande la garantie de l'assureur résulte d'un arrêté du 14 mars 2020 édictant l'interdiction pour les restaurants et débits de boissons de l'ensemble du territoire et donc de l'intégralité du département des Bouches du Rhône d'accueillir du public du 15 mars 2020 au 15 avril 2020, prorogée jusqu'au 2 juin 2020 par décret du 14 avril 2020.

Par voie de conséquence, il y a lieu de réformer sur ce point le jugement du tribunal de commerce d'Aix-en-Provence en application de la jurisprudence susvisée.

Sur l'application des dispositions des articles 1169 et 1170, 1108 et 1143 du code civil

L'assureur se prévaut de l'irrecevabilité de ces demandes qualifiées de nouvelles.

L'assuré se prévaut des dispositions des articles susvisés pour évoquer le caractère abusif de la clause de limitation de la garantie des pertes d'exploitation du fait de la fermeture de son commerce en raison d'une épidémie à l'unique hypothèse où la fermeture est limitée à son seul établissement à l'exclusion d'autres établissements.

L'article 565 du CPC énonce qu'une prétention n'est pas nouvelle lorsqu'elle tend « aux mêmes fins » que celles invoquées en première instance.

L'article 566 du code de procédure civile prévoit que les parties ne peuvent soumettre à la cour d'appel de nouvelles prétentions, sauf à ce que celles-ci soient l'accessoire, la conséquence ou le complément de celles soumises au premier juge.

Ne s'agissant pas d'une prétention nouvelle mais d'une prétention tendant aux mêmes fins que celles invoquées précédemment à savoir le défaut de fondement du refus de l'assureur de garantir le sinistre en raison de la même clause d'exclusion, cet argument est recevable devant la cour de renvoi qui statue en l'espèce autrement composée après cassation intégrale de son premier arrêt.

L'article 1108 du code civil prévoit que le contrat est commutatif lorsque chacune des parties s'engage à procurer à l'autre un avantage qui est regardé comme l'équivalent de celui qu'elle reçoit.

Il est aléatoire lorsque les parties acceptent de faire dépendre les effets du contrat quant aux avantages et aux pertes qui en résulteront, d'un évènement incertain.

Le contrat d'assurance est un contrat aléatoire comme l'indiquait expressément l'ancien article 1964 du code civil repris par l'article 1108 sans désigner spécifiquement des contrats particuliers.

L'article 1143 du code civil dispose qu'il y a également violence lorsqu'une partie, abusant de l'état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtient de lui un engagement qu'il n'aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif.

L'article 1169 du code civil dispose qu'un contrat est nul lorsqu'au moment de sa formation la contrepartie convenue au profit de celui qui s'engage est illusoire ou dérisoire.

Ces dispositions concernent les conditions de l'adhésion au contrat et son équilibre dans son ensemble et non celui d'une clause.

L'assuré ne rapporte pas la preuve de violence, d'abus de dépendance à l'égard de l'assureur dont il connaissait les pratiques et y avait adhéré puisque le présent contrat succède à un précédent souscrit auprès du même assureur ;

Il ne démontre pas davantage un déséquilibre de l'économie du contrat au désavantage de l'assuré.

L'article 1170 suivant prévoit que toute clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est non écrite.

Au titre de l'extension de garantie perte d'exploitation, l 'obligation essentielle de l'assureur est la garantie des pertes d'exploitation ayant pour origine une maladie contagieuse, un meurtre, un suicide, une épidémie ou une intoxication.

La cour de cassation ayant jugé que la clause d'exclusion portant sur la fermeture administrative édictée à l'égard de plusieurs établissements n'a pas pour effet de vider la garantie de sa substance et reste formelle et limitée, il ne peut être retenue sans contradiction que par son étendue la clause prive de sa substance l'obligation essentielle de l'assureur.

Ce moyen ne peut donc être retenu au regard des dispositions de l'arrêt du 01 décembre 2022.

L'ensemble des moyens soulevés par l'assuré afin d'obtenir que soit réputé non écrite la clause d'exclusion de garantie suivante :

 SONT EXCLUES :

LES PERTES D'EXPLOITATION, LORSQUE, A LA DATE DE LA DECISION DE FERMETURE, AU MOINS UN AUTRE ETABLISSEMENT, QUELLE QUE SOIT SA NATURE ET SON ACTIVITE, FAIT L'OBJET, SUR LE MEME TERRITOIRE DEPARTEMENTAL QUE CELUI DE L'ETABLISSEMENT ASSURE, D'UNE MESURE DE FERMETURE ADMINISTRATIVE, POUR UNE CAUSE IDENTIQUE.

Ne pouvant prospérer sans contradiction avec la jurisprudence de la cour de cassation appliquée par de nombreuses cour d'appel et spécifiquement avec l'arrêt du 1er décembre 2022 rendu dans le cadre du présent litige, la décision du tribunal de commerce d'Aix-en-Provence sera donc infirmée sur ce point.

Sur le moyen subsidiaire de la violation de son devoir d'information et de conseil par l'assureur

L'assureur se prévaut de l'irrecevabilité de ces demandes qualifiées de nouvelles.

L'assuré se prévaut de la violation du devoir d'information et de conseil de l'assureur pour établir le caractère abusif de la clause de limitation de la garantie des pertes d'exploitation du fait de la fermeture de son commerce en raison d'une épidémie à l'unique hypothèse où la fermeture est limitée à son seul établissement à l'exclusions d'autres établissements.

L'article 565 du CPC énonce qu'une prétention n'est pas nouvelle lorsqu'elle tend « aux mêmes fins » que celles invoquées en première instance.

L'article 566 du code de procédure civile prévoit que les parties ne peuvent soumettre à la cour d'appel de nouvelles prétentions, sauf à ce que celles-ci soient l'accessoire, la conséquence ou le complément de celles soumises au premier juge.

Ne s'agissant pas d'une prétention nouvelle mais d'une prétention tendant aux mêmes fins que celles invoquées précédemment à savoir le défaut de fondement du refus de l'assureur de garantir le sinistre en raison de la même clause d'exclusion, cet argument est recevable devant la cour de renvoi qui statue en l'espèce autrement composée après cassation intégrale de son premier arrêt.

L'assuré fait valoir que l'assureur est débiteur d'une obligation d'information et de conseil du souscripteur de la police d'assurance au moment de la conclusion du contrat, obligation particulièrement renforcée s'agissant des clauses obscures ou ambigües.

La cour de cassation retient que le professionnel de l'assurance a l'obligation de conseiller utilement le souscripteur du contrat sur l'étendue des garanties et d'attirer plus spécialement son attention sur les exclusions et limites qu'elles comportent.

Il résulte de la jurisprudence que l'assureur comme le courtier en assurance doivent d'une part informer le souscripteur de la police d'assurance y compris dans le cadre de son activité professionnelle de l'étendue des garanties qu'il propose, de ces tarifs et d'autre part veiller à l'adaptation des garanties aux risques décrits par le candidat à l'assurance.

Une clause de limitation de garantie doit avoir été portée à la connaissance de l'assuré au moment de son adhésion à la police ou dans le cadre d'un avenant au contrat pour lui être opposable.

Ensuite le manquement d'un assureur ne peut donner lieu qu'à l'allocation de dommages et intérêts et non entrainer l'inopposabilité à l'assuré de clauses du contrat (Civ.2. ' 8 février 2018, n° 16-27.495).

L'assuré ne peut donc solliciter sur ce fondement une indemnité équivalente au montant de la garantie due au cas d'inopposabilité de la clause litigieuse.

En l'espèce, lors de la signature du contrat le 21/07/2017, l'assuré a reconnu avoir pris connaissance des conditions de garanties et des exclusions via la remise des conditions générales.

Mais ces conditions générales ne mentionnent pas la clause d'exclusion objet du litige puisqu'il s'agit d'une extension de la garantie perte d'exploitation figurant en pages 20 à 22 des dites conditions générales.

La garantie du fait des pertes d'exploitation en raison de la fermeture administrative de l'établissement est spécifiquement prévue par les conditions particulières.

L'assureur produit la fiche d'information préalable à la proposition de signature du contrat telle que prévue par l'article L112-2 et L113-2 du code des assurances en date du même jour que la signature du contrat sur laquelle l'assuré a coché la case perte d'exploitation et perte de revenus mais le texte n'impose pas de délai entre la remise de cette fiche et la signature du contrat.

De plus la clause d'exclusion objet du litige ne comporte pas de termes techniques de nature à justifier de faire des recherches ou se rapprocher de sachant pour en déterminer le sens, elle ne nécessite pas un délai particulier de réflexion.

Les conditions particulières comportent en dernière ligne et donc au-dessus de la signature une mention indiquant que l'assuré reconnaît avoir été informé et avoir pris connaissance préalablement à la souscription du contrat d'assurance des informations particulières concernant le tarif et les conditions de garantie auprès du représentant de l'assureur.

Par voie de conséquence il ne peut être relevé une violation par l'assureur de son devoir d'information et de Conseil et ce moyen de l'assuré sera rejeté.

La SA AXA France IARD demande que soit ordonnée la restitution des sommes qu'il a versées en vertu du jugement assorti de l'exécution provisoire.

Cependant le présent arrêt, infirmatif sur ce point, constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement, et les sommes devant être restituées portent intérêt au taux légal à compter de la signification, valant mise en demeure, de la décision ouvrant droit à restitution ; Il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu de statuer cette demande.

Il en est de même relativement à l'expertise ordonnée par le premier juge.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

La décision du premier juge étant réformée au principal, il y a lieu de l'infirmer en ce qu'elle condamne la SA AXA France IARD aux dépens et alloue une somme de 2000 euros à la SARL A LA BONNE FRANQUETTE sur le fondement de l'article 700 du code de procédure.

A l'issue du litige, il convient ainsi de condamner la SARL A LA BONNE FRANQUETTE aux dépens et au paiement d'une somme de 2500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition au greffe :

Infirme le jugement du tribunal de commerce d'Aix en Provence du 30 novembre 2020 dans toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau,

Déboute la SARL A LA BONNE FRANQUETTE de sa demande d'indemnisation des sinistres perte d'exploitation du fait de la fermeture de l'établissement en application des mesures gouvernementales de protection contre la propagation de l'épidémie de COVID 19 formulée à l'encontre de son assureur la SA AXA France IARD.

Dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande de restitution des sommes versées en vertu de l'exécution provisoire attachée au jugement déféré à la cour .

Condamne la SARL A LA BONNE FRANQUETTE à payer la somme de 2500 euros à la SA AXA France IARD en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la SARL A LA BONNE FRANQUETTE aux dépens de première instance et d'appel y compris les frais d'expertise, dont distraction au profit des avocats en ayant fait l'avance.

Prononcé par mise à disposition au greffe le 20 Juin 2024

Signé par Madame Inès BONAFOS, Présidente et Monsieur Achille TAMPREAU, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-4
Numéro d'arrêt : 23/01914
Date de la décision : 20/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 26/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-20;23.01914 ?
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