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20/06/2024 | FRANCE | N°22/06005

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-8a, 20 juin 2024, 22/06005


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8a



ARRÊT AU FOND

DU 20 JUIN 2024



N°2024/168





Rôle N° RG 22/06005 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJJD3





S.A. [10]





C/



[H] [C]



CPAM DES BOUCHES DU RHONE



CAISSE NATIONALE DE RETRAITE DES INDUSTRIES ELECTR IQUES ET GAZIÈRES (CNIEG)

























Copie exécutoire délivrée

le :

à :



- M

e Sophie BRASSART



- Me Julie ANDREU



- CPAM



- CNIEG













Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale des Bouches du Rhône en date du 23 Mars 2022,enregistré au répertoire général sous le n° 19/00421.





APPELANTE



S.A. [10]...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8a

ARRÊT AU FOND

DU 20 JUIN 2024

N°2024/168

Rôle N° RG 22/06005 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJJD3

S.A. [10]

C/

[H] [C]

CPAM DES BOUCHES DU RHONE

CAISSE NATIONALE DE RETRAITE DES INDUSTRIES ELECTR IQUES ET GAZIÈRES (CNIEG)

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

- Me Sophie BRASSART

- Me Julie ANDREU

- CPAM

- CNIEG

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale des Bouches du Rhône en date du 23 Mars 2022,enregistré au répertoire général sous le n° 19/00421.

APPELANTE

S.A. [10], demeurant [Adresse 3] - [Localité 5]

représentée par Me Sophie BRASSART de l'ASSOCIATION Toison - Associés, avocat au barreau de PARIS substitué par Me NEZRY-SCIALI, avocat au barreau de PARIS

INTIME

Monsieur [H] [C], demeurant [Adresse 7] - [Localité 6].

représenté par Me Julie ANDREU, avocat au barreau de MARSEILLE

PARTIE(S) INTERVENANTE(S)

CPAM DES BOUCHES DU RHONE, demeurant [Adresse 15] - [Localité 1]

représenté par Mme [E] [J] en vertu d'un pouvoir spécial

CAISSE NATIONALE DE RETRAITE DES INDUSTRIES

ELECTRIQUES ET GAZIÈRES (CNIEG), demeurant [Adresse 2] - [Localité 4]

non comparante, non représentée

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 14 Mai 2024 en audience publique devant la Cour composée de :

Mme Emmanuelle TRIOL, Présidente

Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseiller

Monsieur Benjamin FAURE, Conseiller

qui en ont délibéré

Greffier lors des débats : Mme Séverine HOUSSARD.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 20 Juin 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 20 Juin 2024

Signé par Mme Emmanuelle TRIOL, Présidente et Mme Séverine HOUSSARD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

M. [H] [C] a été salarié auprès de l'EPIC [10]-[14], devenu la SA [10], à compter de février 1987. Suivant traité d'apport partiel d'actif du 25 juin 2007 et l'avenant à ce traité du 7 novembre 2007, la SA [10] a cédé les activités de distribution et de transport de l'électricité à la SA [8], la première activité étant aujourd'hui assurée par la SA [12] et la seconde par la SA [17]. M. [C] a continué son activité professionnelle auprès de la société [11], devenue la société [12], jusqu'en avril 2011 puis a terminé sa carrière auprès de la société [17].

Un cancer broncho-pulmonaire a été diagnostiqué à M. [C], le 17 mars 2015, faisant l'objet d'un certificat médical initial du 18 août 2015 et d'une déclaration de maladie professionnelle, du 2 décembre 2015.

Le 30 mai 2016, la CPCAM des Bouches-du-Rhône a reconnu le caractère professionnel de la maladie au titre du tableau n° 30 bis : cancer broncho-pulmonaire provoqué par l'inhalation de poussières d'amiante.

Suite à l'échec d'une tentative de conciliation, M. [C] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches-du-Rhône, le 17 décembre 2018, pour voir reconnaître que la maladie professionnelle dont il a été atteint est imputable à la faute inexcusable de l'employeur.

La Caisse Nationale des Industries Electriques et Gazières (CNIEG) lui a ensuite notifié le 29 octobre 2019 l'attribution d'une rente sur la base d'un taux d'incapacité fixé à 80% .

Par jugement contradictoire du 23 mars 2022, le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille a :

- reçu le recours de M. [C] contre la société [10],

- débouté la société [10] de sa demande de mise hors de cause,

- mis la CPCAM hors de cause,

- dit que la maladie professionnelle dont souffre M. [C] est la conséquence de la faute inexcusable de la société [10],

- ordonné la majoration de la rente à son taux maximum, la majoration suivant l'augmentation du taux d'IPP en cas d'aggravation ultérieure de son état de santé en lien avec la maladie professionnelle,

- sursis à statuer sur l'ensemble des demandes indemnitaires,

- avant dire droit, ordonné une expertise médicale aux frais avancés de la CNIEG,

- condamné la société [10] à verser à M. [C] une somme de 2 500 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société [10] aux dépens,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement,

- déclaré le jugement opposable à la CNIEG.

Le tribunal a, en effet et notamment considéré que:

- la filialisation de la société [10]-[14] opérée selon le traité d'apport partiel d'actifs du 25 juin 2007, effectif au 31 décembre 2007, ne prive pas M. [C] d'agir contre la société [10] qui était son employeur entre 1987 et le 31 décembre 2007, qu'il estime être l'auteur d'une faute inexcusable;

- s'agissant du caractère professionnel de la maladie, il y a présomption d'imputabilité de la maladie à l'activité professionnelle exercée par M. [C]; conformément au tableau n° 30 bis la durée d'exposition de 10 ans est caractérisée; le risque d'exposition à l'amiante est objectivé pour les salariés d'[10] et spécifiquement pour M. [C], lequel dans le cadre de ses fonctions entre 1980 et 2007, soit durant près de 18 ans, M. [C] accomplissait des travaux d'entretien ou de maintenance des équipements contenant des matériaux à base d'amiante et était exposé au risque lié à l'exposition à l'amiante;

- la société [10] ne pouvait ignorer, dès l'année 1977, les risques encourus du fait d'une exposition à l'amiante, ce matériau fut-il sous forme de plaques de protection non friables; la société a pris des mesures générales après 1996 mais aucune mesure de protection individuelle envers M. [C].

Par déclaration électronique du 25 avril 2022, la SA [10] a relevé appel du jugement.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions n° 2 dûment notifiées à la partie adverse développées au cours de l'audience auxquelles elle s'est expressément référée pour le surplus, la SA [10] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de mise hors de cause et, statuant à nouveau, de prononcer sa mise hors de cause.

A titre subsidiaire, elle demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit que la maladie professionnelle de M. [C] inscrite au tableau n° 30 bis est due à sa faute inexcusable et juger qu'elle n'a commis aucune faute inexcusable, et débouter M. [C] de toutes ses demandes.

A titre très subsidiaire, elle sollicite de la cour qu'elle dise le lien de causalité entre la pathologie de M. [C] et sa faute n'est pas établi et déboute M. [C] de toutes ses demandes.

A titre encore plus subsidiaire et en cas de reconnaissance de la faute inexcusable, elle demande le rejet la demande de M. [C] d'un renvoi de l'affaire devant le pôle social, et qu'il soit dit que M. [C] n'établit pas l'importance des préjudices qu'il invoque et ramener l'indemnisation à de justes proportions.

En tout état de cause, elle sollicite que l'arrêt soit déclaré opposable à la CNIEG, qu'il soit jugé que la CNIEG supportera l'indemnisation allouée à M. [C] et que ce dernier soit condamné à lui verser la somme de 1 500 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, l'appelante fait valoir que:

- sa mise hors de cause doit être prononcée, M. [C] ayant effectué sa carrière dans les activités de distribution ([12]) de transport d'électricité ([17]) et non de production ([10]); qu'en effet, par application de la loi du 9 août 2004, ayant transformé les EPIC [10] et [14] en sociétés anonymes, puis suite à la loi du 7 décembre 2006 ayant pour conséquence le transfert des activités de distribution et de transport de l'électricité à des entreprises juridiquement distinctes, chaque société assume les conséquences juridiques passées, présentes et futures de ses activités propres depuis le traité d'apport partiel d'actifs du 25 juin 2007; qu'elle n'est donc pas l'employeur de M. [C], ce dernier ayant été le salarié de la société [12] puis de la société [17];

- la demande de M. [C] de renvoi de l'affaire devant le tribunal judiciaire pour qu'il soit statué sur l'indemnisation de ses préjudices ne repose sur aucun texte, ni jurisprudence; la cour est saisie de l'intégralité du litige au regard de l'effet dévolutif de l'appel; le pouvoir d'évocation de la cour peut être mis en oeuvre;

- ce n'est pas la présence d'amiante en soi qui est dangereuse mais l'inhalation de fibres d'amiante; après une première réglementation en 1977 venant limiter l'utilisation de l'amiante et imposer des mesures de prévention de certains travailleurs, un décret de 1996 a interdit l'amiante dans le commerce et une réglementation pour la protection des travailleurs a vu le jour; chez [10], la présence d'amiante en tant que matériel de construction en bon état d'entretien ne présente pas de risque en soi et la manipulation de matériau contenant de l'amiante est exceptionnelle;

- M. [C] a exercé des fonctions avant son embauche au sein d'[10] devenue [12] qui expliquent la pathologie dont il est atteint; aucune fonction occupée chez [10], devenue [12], n'est liée de près ou de loin à l'activité de production d'électricité; aucune de ses activités n'a pu l'exposer à l'inhalation de fibres d'amiante dans des conditions de nature à porter atteinte à sa santé; M; [C] intervenait principalement à l'extérieur ou chez des particuliers; les centres de distribution présentent des conditions de travail sans libération de fibres d'amiante;

- la décision de reconnaissance de la maladie professionnelle est inopposable en matière de faute inexcusable et la cour doit établir le caractère professionnel de la maladie, lequel ne peut se déduire de

la présomption d'imputabilité; les conditions légales et jurisprudentielles de la faute inexcusable ne sont pas réunies; en effet, M. [C] ne prouve pas une exposition au-delà des valeurs limites d'exposition professionnelle;

- [10], devenue [12] n'avait pas et ne pouvait pas avoir conscience du danger avant 1977, les études et les textes ne concernant que les industriels de l'amiante; elle s'est interrogée sur l'applicabilité du décret de 1977 à sa propre situation et s'est engagée sur la recherche de présence de poussières d'amiante au sein de ses structures, en se concentrant sur les centrales de production électriques; ce n'est qu'à compter du décret du 24 décembre 1996 qu'il a été identifié et réglementé que le travail sur des produits pouvant contenir de l'amiante était susceptible de dégager des fibres d'amiante, dont l'inhalation pouvait occasionner des pathologies professionnelles; avant 1996, [10] puis [12] ne pouvaient pas avoir conscience du danger auquel elle exposait ses salariés et par conséquent aucune faute inexcusable ne saurait être retenue à son encontre pour toute exposition antérieure à cette date; dès qu'elle a eu conscience du danger, elle a pris les mesures appropriées de protection de ses salariés;

- il n'y a pas preuve d'un lien de causalité entre la faute inexcusable alléguée et la pathologie car cette pathologie ne peut avoir été contactée auprès d'[10] en raison des très faibles niveaux de fibres d'amiante relevés et l'existence de causes extérieures au travail;

- elle critique les demandes d'indemnisation au regard du rapport d'expertise du 24 août 2022 et estime les demandes présentées par M. [C] en première instance excessives.

Par conclusions transmises par la voie électronique le 12 avril 2024, dûment notifiées à la partie adverse développées au cours de l'audience auxquelles il s'est expressément référée pour le surplus, M. [H] [C] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et de débouter la société [10] de ses demandes, de renvoyer les parties devant le pôle social pour la fixation des préjudices et de condamner la société [10] à lui verser la somme de 5 000 euros, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

A titre subsidiaire, il sollicite la réouverture des débats aux fins de mise en cause de la société [12].

L'intimé réplique que :

- le traité d'apport partiel d'actifs n'a nullement fait disparaître la société [10], qui demeure donc responsable à titre personnel des conséquences de sa faute inexcusable; la Cour de cassation retient de façon constante que les conventions passées entre employeurs n'interfèrent pas dans le droit d'action de la victime en matière de faute inexcusable, y compris en présence d'un traité d'apport partiel d'actifs;

- en dehors de ses seules affirmations, la société [10] n'apporte aucune preuve contraire démontrant que la maladie de Monsieur [C] n'a pas un caractère professionnel; l'inhalation d'une seule fibre d'amiante suffit pour provoquer des effets cancérigènes; l'origine multifactorielle d'une maladie n'est pas exclusive de son caractère professionnel; puisque la condition du tableau n°30 bis relative au délai de prise en charge fixe une durée 40 ans sous réserve d'une durée d'exposition de 10 ans, la société [10] ne saurait s'exonérer de sa responsabilité en se bornant à formuler l'hypothèse que Monsieur [C] aurait pu être exposé au risque du fait de son activité professionnelle antérieure, couvrant une période d'un peu plus de trois ans, alors même que Monsieur [C] a travaillé pendant 24 ans pour son compte;

- s'agissant de la faute inexcusable, la connaissance du danger de l'amiante doit être considérée comme générale; la société [10] compte tenu de son domaine d'activité, devait nécessairement avoir conscience du danger occasionné par ce matériau dont le risque pour la santé était connu depuis le début du siècle dernier; Il est absolument exclu que la société [10] ait pu ignorer tant la nature des matériaux utilisés que leur dangerosité; Il convient de rappeler que la société [10] est spécialisée dans la production d'énergie et que compte tenu de la spécificité de son activité, on pouvait légitimement attendre une prudence absolue et un strict respect des règles de sécurité, d'autant qu'elle faisait une utilisation massive et constante de produits amiantés comme le rapportent les pièces versées aux débats; il a été massivement exposé à l'inhalation de poussières d'amiante du fait de la manipulation de ce matériau, mais également de façon continuelle, du fait d'une atmosphère de travail chargée de poussières d'amiante; le fait que Monsieur [C] ait été exposé à l'inhalation de fibres d'amiante antérieurement à la publication du décret du 22 mai 1996, créant le tableau 30 bis consacré uniquement au cancer broncho-pulmonaire, ne saurait exonérer l'employeur de sa conscience du danger, ainsi que l'a retenu la Cour de cassation à de multiples reprises;

- il retrace sa carrière chez [10] et développe pour chaque période les activités effectuées lui occasionnant un contact avec l'amiante; il n'a bénéficié d'aucune mesure de protection individuelle ou collective;

Par conclusions du 15 novembre 2023, la CPCAM des Bouches-du-Rhône sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a prononcé sa mise hors de cause, la rente ayant été versée à M. [C] par la CNIEG.

Par courrier du 23 octobre 2023, la CNIEG déclare s'en remettre à l'appréciation de la juridiction.

MOTIVATION

1- Sur la demande de mise hors de cause d'[10]:

En application des termes de l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants.

Selon les dispositions de l'article L 452-4 alinéa 2 du même code, l'auteur de la faute inexcusable est responsable sur son patrimoine personnel des conséquences de celle-ci.

Il n'est pas discuté que M. [C] a été employé par [10] à compter de février 1987 et que l'entité [10] existe toujours juridiquement sous la forme d'une société anonyme et que cette personne morale n'a pas disparu du fait de la création des sociétés [13] puis [12].

Il est encore constant qu'en application de la loi du 9 août 2004 modifiée par la loi du 7 décembre 2006, un traité d'apport partiel d'actif du 25 juin 2007 et un avenant du 7 novembre 2007 ont été conclus entre la SA [10], société apporteuse, et la SA [8], société bénéficiaire afin de dissocier les activités de fabrication d'électricité restant à [10] de celles relatives à sa distribution ou son transport, confiées à la SA [8] ( laquelle deviendra par la suite la société [11] puis la société [12]).

Des termes de ce traité, il ressort que les parties ont entendu le soumettre aux règles des scissions ( articles L 236-1 et suivants du code de commerce) et ont expressément exclu la solidarité de la société apporteuse au passif transmis à la société bénéficiaire.

Il a été jugé (Com 16 février 1988 pourvoi n° 86-19.645P) qu'une scission entraîne la transmission universelle de la société qui disparaît au profit de ou des sociétés bénéficiaires, ces sociétés se substituant à elle dans tous ses droits, biens et obligations et que les mêmes conséquences sont attachées à l'apport partiel d'actif placé sous le régime des scissions pour la branche d'activité faisant l'objet de l'apport.

Ainsi, il ressort des termes de l'article L 236-3 du code de commerce que la scission entraîne la transmission universelle du patrimoine de la société tout ou partie absorbée à la société bénéficiaire.

Cependant, la Cour de cassation juge de manière constante (Civ 2ème 3 juin 2010 pourvoi n° 09-15.993) que la faute inexcusable de l'employeur est exclue du passif universellement transféré et que la cession partielle d'actif n'ayant pas fait disparaître la personne morale qui a été l'employeur, celle-ci demeure responsable sur son patrimoine personnel des conséquences de sa faute inexcusable.

Dès lors, et sans qu'il soit nécessaire de viser les dispositions de l'article L 1224-2 du code du travail, les premiers juges ont, à bon droit, débouté [10] de sa demande de mise hors de cause et jugé que la SA [10] pouvait répondre, en sa qualité d'employeur, de son éventuelle faute inexcusable dans la survenue de la maladie dont a été atteint M. [C].

Le jugement entrepris est donc confirmé de ce chef.

2- Sur la mise hors de cause de la CPCAM des Bouches-du-Rhône:

Aucune des parties au litige n'a relevé appel de la disposition du jugement selon laquelle la CPCAM des Bouches-du-Rhône a été mise hors de cause. Cette disposition n'est donc pas soumise à la critique de la cour.

3- Sur le caractère professionnel de la maladie en lien avec les activités exercées chez [10]:

La reconnaissance de la faute inexcusable de l' employeur implique que l'affection déclarée par la victime revêt le caractère d'une maladie professionnelle .

Par application des dispositions de l'article L. 461-1, sont réputées imputables au travail les maladies figurant au tableau des maladies professionnelles lorsque sont remplies les conditions visées par ces mêmes tableaux.

si l' employeur peut soutenir, en défense à l'action en reconnaissance de la faute inexcusable introduite par la victime ou ses ayants droit, que la maladie n'a pas une origine professionnelle, il n'est pas recevable à contester la décision de prise en charge de la maladie par la caisse primaire au titre de la législation professionnelle .

En l'espèce, il est rappelé néanmoins que la CPCAM des Bouches-du-Rhône a notifié à M. [C] une décision de prise en charge de la maladie déclarée sur la base d'un certificat médical initial faisant état d'un cancer bronco-pulmonaire provoqué par inhalation de poussières d'amiante, au titre du tableau n°30 bis des maladies professionnelles.

Les conditions du tableau n° 30 bis des maladies professionnelles sont les suivantes, s'agissant du cancer broncho-pulmonaire provoqué par l'inhalation de poussières d'amiante:

- Délai de prise en charge: 40 ans (sous réserve d'une durée d'exposition de 10 ans)

- Liste limitative des travaux susceptibnles de provoquer cette maladie: Travaux directement associés à la production des matériaux contenant de l'amiante, Travaux nécessitant l'utilisation d'amiante en vrac, Travaux d'isolation utilisant des matériaux contenant de l'amiante,Travaux de retrait d'amiante,Travaux de pose et de dépose de matériaux isolants à base d'amiante,Travaux de construction et de réparation navale,Travaux d'usinage, de découpe et de ponçage de matériaux contenant de l'amiante, Fabrication de matériels de friction contenant de l'amiante,Travaux d'entretien ou de maintenance effectués sur des équipements contenant des matériaux à base d'amiante.

La SA [10] conteste que les deux conditions tenant au délai de prise en charge et les travaux susceptibles de provoquer la maladie soient en l'espèce remplies par M. [C] alors qu'il travaillait à son service.

Il est évident que la période concernée est celle de l'exercice professionnel de M. [C] au service de la SA [10], soit de 1987, année de son embauche, à 2007, date du traité d'apport partiel d'actif et de son avenant et à partir de laquelle le salarié a travaillé pour la SA [13] puis la société [12].

Or, le pôle social a ainsi pu vérifier, après s'être référé au tableau 30 bis des maladies professionnelles au titre du cancer broncho-pulmonaire, que le délai de prise en charge de 40 ans sous réserve d'une durée d'exposition de 10 ans est respecté .

De même , s'agissant des travaux susceptibles de provoquer cette maladie, il est constant que M. [C] a exercé successivent auprès d'[10] les fonctions de releveur de compteur de février 1987 à juillet 1989, monteur distribution travaux au service technique électricité puis à l'agence des [9] de juillet 1989 à janvier 1995, monteur spécialisé travaux à l'agence des [9] de janvier 1995 à juillet 1997, monteur exploitation à la même agence puis au pôle électrique [Localité 16] de juillet 1997 à mars 2003, enfin technicien courant fort au pôle électricité de [Localité 16] et à l'agence de maintenance poste sources de mars 2003 à avril 2011.

Comme attesté par différents collègues de travail de M. [C] et décrit dans les écritures sans contestation utile, les activités exécutées à ces différents postes comprenaient l'entretien, le développement et la réparation du réseau électrique de la ville de [Localité 16] nécessitant des interventions sur le réseau aérien ou souterrain et des travaux tels que découpe et manipulation de plaques en fibrociment, laine de verre ou laine de roche, nettoyage de postes non désamiantés ou l'entretien et la réparation des installations courant fort, impliquant manipulation et découpe de plaques en fibrociment, démontage et soufflage des parties en amiante de disjoncteurs de type 20 KV 400A et 1250 A. Or, la liste limitative des travaux susceptibles de provoquer la maladie du tableau n° 30 bis des maladies professionnelles comprend les travaux de découpe de matériaux contenant de l'amiante et les travaux d'entretien ou de maintenance effectués sur des équipements contenant des matérieux à base d'amiante.

Ensuite, les premiers juges ont parfaitement rappelé que la SA [10] a, elle-même, produit aux débats des rapports de la médecine du travail objectivant un risque certain d'exposition à l'amiante pour les salariés d'[10], et pas uniquement pour ceux exerçant dans les centrales de production d'électricité, et le procès-verbal du CHSCT du 28 mai 1997 suivant lequel il existe des lacunes et des risques réels sur l'agence Des [9], au regard notamment de la présence de fibrociment équipant les postes.

Dès lors, l'appelante ne saurait utilement faire valoir que M. [C] n'a pas été exposé lors de ses différents emplois au delà des valeurs limites d'exposition à l'inhalation des poussières d'amiante telles qu'elles résultent de la règlementation ou des estimations du monde scientifique, alors que le tableau n° 30 bis ne retient pas de seuil en deça duquel l'exposition à l'amiante ne serait pas retenue et qu'il est reconnu que l'amiante est une substance sans seuil qui peut avoir un effet quelle que soit la dose administrée.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, la présomption simple d'imputabilité de la maladie à l'activité professionnelle de M. [C] alors qu'il travaillait pour la SA [10] se trouve ainsi établie.

Or, l'employeur ne fait valoir aucun élément propre à renverser cette présomption et démontrer que le travail de M. [C] en son sein n'a joué aucun rôle dans le développement de la maladie.

En effet, les études scientifiques produites selon lesquelles cette maladie peut avoir des causes multifactorielles sont insuffisantes faute d'apporter des éléments médicaux propres au salarié. De même, la SA [10] se contente d'alléguer que M. [C] aurait pu être exposé aux poussières d'amiante dans ses emplois antérieurs à son embauche, sans objectiver davantage sa position.

Le jugement entrepris en ce qu'il a retenu le caractère professionnel de la maladie dont M. [C] a été atteint doit donc être confirmé.

3- Sur la faute inexcusable de [10]:

Il résulte des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail que le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver (civ.2e, 8 octobre 2020, pourvoi n° 18-25.021 ; civ.2e, 8 octobre 2020, pourvoi n° 18-26.677). Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de la maladie survenue au salarié mais il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage (Cass . Ass plen, 24 juin 2005, pourvoi n°03-30.038).

Comme énoncé plus avant, il est donc indifférent que M. [C] ait pu être exposé au risque amiante à l'occasion d'emplois antérieurs à son embauche par la SA [10] ou que la maladie dont il a été atteint ait pu avoir une origine multifactorielle, dès lors que la faute inexcusable de la SA [10] est démontrée.

A ce sujet, il est de jurisprudence constante qu'il appartient au salarié de rapporter la preuve que l'employeur avait conscience du danger auquel il était exposé et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver (civ.2e 8 juillet 2004, pourvoi no 02-30.984; civ.2e 22 mars 2005, pourvoi no 03-20.044).

Sur la conscience du danger de la SA [10], il est assez inutile pour cette dernière d'alléguer qu'elle n'avait ou ne pouvait avoir conscience du danger avant 1977, puisque la période qui intéresse le litige est celle allant de février 1987 à courant 2007. Pour autant, il est établi par les différents éléments de doctrine scientifique produits aux débats, que le danger de l'amiante était connu depuis le début du XXème siècle et que la SA [10] ne l'ignorait pas ainsi qu'il ressort des différentes circulaires et notes de service ou rapports de la médecine du travail, antérieurs à 1977, produits même si celles-ci concernaient les centrales électriques, en particulier les centrales thermiques.

Ensuite, les premiers juges ont justement relevé que la SA [10] a produit le document d'information élaboré en novembre 1984 par le service de la production thermique et le service général de la médecine du travail lequel présente les risques, la prévention, la réglementation, le contrôle de l'air et le traitement des déchets amiantés applicable à tous les agents, y compris ceux de la distribution. Ils ont encore noté la présence dans le dossier de l'employeur d'un rapport du Dr [N] de mai 1977 qui préconisait des mesures de protection et de prévention du risque et la réalisation d'examens médicaux des agents avant, pendant et après leur emploi auprès de la société.

Encore, la SA [10] se targue d'avoir effectué des contrôles des valeurs limites d'exposition professionnelle sur certains sites.

La conscience par l'employeur du danger que représentait l'amiante, et spécifiquement l'inhalation de poussières d'amiante, à l'époque de l'emploi de M. [C], était ainsi évidente, l'ensemble des éléments produits par la SA [10] permettant au salarié de le démontrer facilement.

Sur les mesures prises pour préserver son salarié du danger, M. [C] peut, à juste titre, se prévaloir des attestations circonstanciées de ses collègues de travail, M. [L], M. [M] et M. [T], lesquels témoignent de l'exécution de travaux au contact de matériaux amiantés sans aucunes protections individuelles, type masques, combinaisons ... Les affirmations des salariés ne sont pas contredites par la société qui ne produit aucun élément contraire. Or, les mesures générales ou les plans d'action tels qu'ils ont pu être menés par l'employeur ou les annonces faites en CHSCT, sont insuffisants à convaincre que la SA [10] a pris toutes les mesures nécessaires pour préserver M. [C] du danger d'inhalation de poussières d'amiante.

Dès lors , les longs développements des écritures de la société et la quantité importante de pièces produites à leur appui ne peuvent convaincre la cour, mieux que les premiers juges, de l'absence de conscience du risque alors qu'elle insiste sur les mesures qu'elle aurait prises dès 1977 puis après le décret de 1996 et sur la suffisance de ses actions de prévention alors qu'elle échoue à démontrer l'existence de moyens de protection individuels et collectifs propres à prémunir les agents des services de distibution de l'électricité du risque d'inhalation des poussières d'amiante, risque qu'elle identifie pourtant parfaitement.

M. [C] établit ainsi qu'en dépit de sa conscience du danger représenté par l'amiante, la SA [10] n'a pas pris les mesures propres à l'en préserver. La cour confirme donc le jugement parfaitement motivé des premiers juges pour retenir que la maladie professionnelle de l'intimé est imputable à la faute inexcusable de la SA [10].

4- Sur les conséquences de la faute inexcusable:

La SA [10] ne critique pas les dispositions du jugement relatives aux conséquences de la faute inexcusable de l'employeur telles que celles relatives à la majoration de la rente, l'opposabilité du jugement à la CNIEG ou la désignation d'un expert médical aux fins d'évaluer les préjudices de M. [C].

La cour confirme l'ensemble des dispositions du jugement prises en conséquence de la reconnaissance de la faute inexcusable de la SA [10].

L'expertise ordonnée par les premiers juges a été diligentée et la SA [10] produit aux débats le rapport de l'expert.

L'appelante conclut d'ailleurs sur la liquidation des préjudices de la victime et invoque les principes propres à l'appel de l'effet dévolutif et de l'évocation pour solliciter de la cour qu'elle statue sur ces préjudices.

Or, au regard du contenu de la saisine de la cour circonscrite aux dispositions du jugement faisant l'objet de l'appel, de la confirmation intégrale du jugement et de l'absence de conclusions de M. [C] sur l'évaluation des préjudices subis, il convient de renvoyer les parties devant le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille au titre de la liquidation des préjudices. En effet, et en application de l'article 568 du code de procédure civile, il n'est pas de bonne justice de priver M. [C] du double degré de juridiction au titre de la liquidation des préjudices.

Par souci d'efficacité, le présent arrêt sera immédiatement notifié par les soins du greffe au pôle social.

5- Sur les dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile:

La SA [10] est condamnée aux entiers dépens et à verser à M. [C] la somme de 3 500 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La SA [10] est nécessairement déboutée de sa demande fondée sur le même article.

PAR CES MOTIFS

La cour

Confirme le jugement en toutes ses dispositions soumises à la cour

Ordonne la notification du présent arrêt au pôle social du tribunal judiciaire de Marseille par les soins du greffe,

Y ajoutant

Condamne la SA [10] aux dépens

Condamne la SA [10] à payer à M. [H] [C] la somme de 3 500 euros, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

Déboute la SA [10] de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-8a
Numéro d'arrêt : 22/06005
Date de la décision : 20/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-20;22.06005 ?
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