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20/06/2024 | FRANCE | N°21/13541

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-5, 20 juin 2024, 21/13541


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-5



ARRÊT AU FOND

DU 20 JUIN 2024



N° 2024/



MAB/PR









Rôle N° RG 21/13541 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BID4V







[R] [M]





C/



S.A.R.L. AF ENTREPRISE GENERALE













Copie exécutoire délivrée

le : 20/06/24

à :



- Me Marie-france GERAUD-TONELLOT de la SCP AGL AVOCATS, avocat au barreau de GRASSE



- Me Myri

am DUBURCQ de la SCP DONNET - DUBURCQ, avocat au barreau de GRASSE

























Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRASSE en date du 15 Septembre 2021 enregistré(e) au répertoire général sous le n°...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-5

ARRÊT AU FOND

DU 20 JUIN 2024

N° 2024/

MAB/PR

Rôle N° RG 21/13541 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BID4V

[R] [M]

C/

S.A.R.L. AF ENTREPRISE GENERALE

Copie exécutoire délivrée

le : 20/06/24

à :

- Me Marie-france GERAUD-TONELLOT de la SCP AGL AVOCATS, avocat au barreau de GRASSE

- Me Myriam DUBURCQ de la SCP DONNET - DUBURCQ, avocat au barreau de GRASSE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de GRASSE en date du 15 Septembre 2021 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 19/00675.

APPELANT

Monsieur [R] [M], demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Marie-france GERAUD-TONELLOT de la SCP AGL AVOCATS, avocat au barreau de GRASSE

INTIMEE

S.A.R.L. AF ENTREPRISE GENERALE, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Myriam DUBURCQ de la SCP DONNET - DUBURCQ, avocat au barreau de GRASSE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 Mars 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Anne BLOCH, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre

Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller

Madame Marie-Anne BLOCH, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Karen VANNUCCI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 20 Juin 2024.

ARRÊT

contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 20 Juin 2024.

Signé par Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre et Mme Karen VANNUCCI, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCÉDURE

M. [R] [M] a été engagé par la société A.F. entreprise générale, en qualité de conducteur de travaux, à compter du 1er septembre 2016 par contrat à durée indéterminée, à temps partiel à hauteur de 47,67 heures mensuelles.

Parallèlement, M. [M] a été engagé par la société Azur portes Micromatix (ci-après la société Micromatix), en qualité de technico-commercial, position cadre, par contrat à durée indéterminée du 22 juin 2016, prenant effet à compter du 1er septembre 2016, pour un volume horaire de 104 heures mensuelles. Par avenant du 1er février 2019, M. [M] a été employé à temps plein par la société Micromatix.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des bureaux d'étude techniques, cabinets d'ingénieurs-conseils.

La société A.F entreprise générale employait habituellement moins de onze salariés au moment de la prise d'acte.

Par courrier du 10 septembre 2019, M. [M] a pris acte de la rupture de son contrat de travail avec la société A.F. entreprise générale, en raison des manquements de l'employeur dans la fourniture d'un travail et dans le versement d'un salaire depuis le 1er février 2019.

Le 12 septembre 2019, M. [M] a saisi la juridiction prud'homale, afin d'obtenir diverses sommes tant en exécution qu'au titre de la rupture du contrat de travail.

Par jugement rendu le 15 septembre 2021, le conseil de prud'hommes de Grasse a :

- constaté que le contrat de travail de M. [M] a pris fin au sein de la société A.F. entreprise générale pour prendre effet au 1er février 2019 au sein de la société Micromatix,

- constaté que M. [M] n'a jamais exprimé une volonté claire et non équivoque de démissionner,

- débouté M. [M] dans sa demande de prise d'acte de la rupture du contrat de travail,

- débouté M. [M] de l'ensemble de ses demandes indemnitaires à ce titre,

- débouté M. [M] de sa demande de requalifier le contrat de travail partiel en contrat de travail à temps complet et des demandes indemnitaires à ce titre,

- dit qu'il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire,

- condamné M. [M] à payer à la société A.F. entreprise générale la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [M] aux entiers dépens.

M. [M] a interjeté appel de cette décision dans des formes et délais qui ne sont pas critiqués.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 29 février 2024.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par conclusions notifiées par voie électronique le 22 septembre 2023, l'appelant demande à la cour de :

- juger que la société A.F. entreprise générale a rompu le contrat de travail de M. [M] à compter du 1er février 2019,

- juger que M. [M] n'a jamais exprimé une volonté claire et non équivoque de démissionner,

- réformer le jugement,

- condamner la société A.F. entreprise générale au paiement des salaires des mois de février à juillet 2019, soit 9 228 euros et 922 euros au titre des indemnités de congés payés sur rappel de salaire,

- condamner la société A.F. entreprise générale au paiement des sommes de 4 614 euros au titre de l'indemnité de préavis, de 461 euros au titre de l'indemnité de congés payés sur indemnité de préavis et de 1 078 euros au titre de l'indemnité de licenciement et de 4 600 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- juger que le contrat de travail à temps partiel liant la société A.F. entreprise générale et M. [M] ne mentionne pas la répartition du temps dans la semaine,

- réformer le jugement du Conseil de Prud'hommes de Grasse du 15 septembre 2021,

- requalifier le contrat de travail partiel en contrat de travail à temps complet,

- condamner la société A.F. entreprise générale au paiement de la somme de 120 780 euros outre celle de 12 078 euros au titre des indemnités de congés payés y correspondants,

- condamner la société A.F. entreprise générale aux entiers dépens et au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'appelant fait valoir que sa prise d'acte doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison des manquements de l'employeur. Il conteste que son silence face aux manquements de l'employeur puisse être assimilé à une démission de sa part. Il sollicite par conséquent le paiement des salaires de février à juillet 2019, ainsi que les indemnités liées à un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

L'appelant soutient également qu'à défaut de mention de la répartition du temps de travail et du volume d'heures complémentaires, le contrat conclut doit être requalifié en contrat à temps complet.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 22 février 2024, l'intimée demande à la cour de :

- confirmer le jugement,

- débouter M. [M] de sa demande au titre du rappel de salaire et d'indemnités au titre de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail, M. [M] ayant cessé de travailler avec la société A.F. entreprise générale à compter du 1er février 2019, ce dont cette société justifie,

- constater qu'à compter du 1er février 2019, M. [M] a travaillé exclusivement pour le compte de la société Azur portes,

- prendre acte du transfert du contrat de travail qui s'est opéré de plein droit sur le fondement des dispositions de l'article L 1224-1 du code du travail,

- déclarer que le contrat de travail conclu respecte très précisément les dispositions de l'article L. 3123-6 du code du travail,

- déclarer que M. [M] avait parfaitement connaissance à l'avance de ses horaires de travail et qu'il n'était nullement placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il n'avait pas à se tenir en permanence à la disposition de l'entreprise,

- débouter M. [M] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

Eu égard à l'abus manifeste de droit d'ester en justice,

- condamner M. [M] au paiement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'intimé réplique que les deux sociétés, A.F. entreprise générale et Micromatix, appartiennent au même groupe informel, avec des associés communs, des locaux communs et une unité de décision et constituent a minima une unité économique et sociale. A compter du 1er février 2019, le contrat de travail qui liait M. [M] à la société A.F. entreprise générale a été transféré à la société Micromatix, en vue d'un temps complet au sein de cette dernière société. De manière implicite, M. [M] a concomittament démissionné de la société A.F. entreprise générale.

Sur la demande de requalification du contrat en contrat à temps complet, l'intimée soutient que M. [M] recevait mensuellement son planning et n'avait pas à demeurer à sa disposition.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les demandes relatives à l'exécution du contrat de travail

Sur la demande de rappel de salaire au titre de la requalification du contrat à temps partiel en contrat à temps complet

L'article L 3123-6 du code du travail dispose : 'Le contrat de travail du salarié à temps partiel est un contrat écrit.

Il mentionne :

1° La qualification du salarié, les éléments de la rémunération, la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et, sauf pour les salariés des associations et entreprises d'aide à domicile et les salariés relevant d'un accord collectif conclu en application de l'article L. 3121-44, la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois ;

2° Les cas dans lesquels une modification éventuelle de cette répartition peut intervenir ainsi que la nature de cette modification ;

3° Les modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée travaillée sont communiqués par écrit au salarié. Dans les associations et entreprises d'aide à domicile, les horaires de travail sont communiqués par écrit chaque mois au salarié ;

4° Les limites dans lesquelles peuvent être accomplies des heures complémentaires au delà de la durée de travail fixée par le contrat.

L'avenant au contrat de travail prévu à l'article L. 3123-22 mentionne les modalités selon lesquelles des compléments d'heures peuvent être accomplis au delà de la durée fixée par le contrat'.

Lorsque, malgré l'existence d'un contrat écrit, l'horaire de travail d'un salarié varie d'un mois à l'autre en dehors des prévisions de son contrat de travail qui ne comportait pas de répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, et que l'intéressé qui avait été mis dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler chaque mois, s'était trouvé dans l'obligation de se tenir en permanence à la disposition de l'employeur, le contrat à temps partiel peut être requalifié en contrat à temps complet.

A contrario, dès lors que les périodes de travail et les disponibilités du salarié sont clairement précisées de sorte que le salarié peut prévoir à quel rythme il doit travailler et qu'il n'est pas obligé de se tenir constamment à la disposition de l'employeur, les parties sont liées par un contrat à temps partiel.

En l'espèce, M. [M] relève que son contrat de travail ne stipulait aucune répartition de la durée de travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois et qu'aucun planning mensuel ne lui a été remis, de telle sorte qu'il ne pouvait prévoir à quel rythme il devait travailler chaque mois et était dans l'obligation de se tenir en permanence à la disposition permanente de l'employeur.

En réplique, la société A.F. entreprise générale soutient que des plannings étaient effectivement remis en début de chaque mois à M. [M], conformément au contrat de travail. Ce faisant, le salarié n'avait pas à se tenir à la disposition permanente de la société A.F. entreprise générale, d'autant qu'il travaillait parallèlement pour la société Micromatix, société liée à la société A.F. entreprise générale par des associés communs, des locaux communs, des embauches communes. L'employeur verse, au soutien de ses affirmations :

- une attestation de M. [K] [W], expert comptable, du 18 octobre 2019 qui explique que les deux sociétés peuvent être 'qualifiées de groupe, car ils ont des associés communs, partagent des locaux communs, tiennent des réunions de travail communes, élaborent des devis et des factures communs, ils valident les embauches communes',

- un planning des salariés daté du 9 octobre 2018,

- un échange de courriers des 16 et 21 janvier 2019 entre les deux sociétés, en vue du rattachement à temps complet de M. [M] à la société Micromatix à compter du 1er février 2019,

- l'avenant au contrat de travail liant M. [M] à la société Micromatix daté du 1er février 2019, modifiant la durée de travail pour un temps complet.

Le contrat de travail liant M. [M] à la société A.F. entreprise générale, daté du 1er septembre 2016, comprend les informations suivantes concernant les horaires de travail : 'Votre horaire de travail dans l'entreprise sera de 11 heures par semaine, soit un total mensuel de 47,67 heures, suivant un planning qui sera défini chaque début de mois'. La cour constate donc qu'il ne précise nullement la répartition des horaires de travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois.

Si la société A.F. entreprise générale affirme qu'un planning était établi et communiqué en début de chaque mois à M. [M], le planning produit fait apparaître une répartition des tâches et des chantiers entre les salariés de l'entreprise mais ne précise pas les jours de la semaine ou du mois que M. [M] doit consacrer à la société A.F. entreprise générale.

Toutefois, il ressort des pièces produites que M. [M] occupait parallèlement un autre emploi auprès de la société Micromatix à hauteur de 24 heures hebdomadaires et que ces deux sociétés étaient étroitement liées, par des associés communs, et fonctionnaient selon des intérêts communs, en partageant leurs locaux, en échangeant des informations et en procédant à des embauches communes. C'est dans ce contexte que M. [M] a bénéficié initialement, le 1er septembre 2016, de deux contrats de travail distincts, dont les temps partiels cumulés aboutissaient à un temps complet.

Dans ce contexte particulier, M. [M] répartissait son temps de travail entre ces deux sociétés qui avaient l'une et l'autre connaissance des horaires de travail du salarié sur chacune de leurs activités et il n'était donc pas dans l'obligation de se tenir en permanence à la disposition exclusive de la société A.F. entreprise générale.

Par conséquent, c'est justement que le jugement querellé a débouté M. [M] de sa demande de requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet et par suite de sa demande au titre des rappels de salaire pour un temps complet.

Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail

1- Sur le mode de rupture du contrat de travail

Les parties s'opposent sur le contexte de la rupture du contrat de travail, la société A.F. entreprise générale soutenant que le contrat le liant à M. [M] a été transféré le 1er février 2019 à la société Micromatix et que le salarié a en outre implicitement démissionné à cette date, M. [M] se fondant sur sa lettre de prise d'acte de la rupture du 10 septembre 2019.

* Sur le transfert du contrat à la société Micromatix le 1er février 2019

En application de l'article L 1224-1 du code du travail, lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.

Le transfert doit concerner une entité économique autonome, constituée par un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels poursuivant un objectif économique propre, qui conserve son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise.

La société A.F. entreprise générale invoque cet article pour affirmer que le contrat de travail le liant à M. [M] a été transféré, par l'effet de la loi, à la société Micromatix, et que M. [M] était 'consentant, en l'absence de preuve de contestation' de sa part. Elle se fonde sur l'échange de courriers entre les deux sociétés, l'avenant au contrat de travail signé par M. [M] et la société Micromatix ainsi que l'attestation Pôle emploi actant le 31 janvier 2019 la rupture du contrat de travail pour 'reprise sur autre établissement', pour justifier d'un transfert du temps partiel occupé par le salarié dans son entreprise à la deuxième société.

Toutefois, en l'espèce, aucune modification dans la situation juridique de la société A.F. entreprise générale n'est intervenue, justifiant le transfert par l'effet de la loi des contrats de travail en cours à une autre société distincte. Les conditions d'application de l'article sus-mentionné ne sont ici pas remplies.

Par ailleurs, dans l'hypothèse d'un transfert conventionnel ou d'une application volontaire de l'article L 1224-1 du code du travail, doit être obtenu l'accord expres du salarié, qui ne peut résulter de la seule poursuite du contrat de travail.

Si les deux sociétés se sont accordées par courrier pour un 'rattachement' à temps plein de M. [M] à la société Micromatix, le seul fait que le salarié signe avec cette dernière société un avenant en vue d'un temps plein ne constitue pas un accord expres au transfert de son contrat de travail de la société A.F. entreprise générale à la société Micromatix.

Enfin, l'attestation établie par Pôle emploi ne s'appuyant que sur les déclarations de l'employeur, ne revêt aucune force probante quant à un éventuel accord du salarié à son transfert.

Il s'ensuit que le contrat de travail liant M. [M] à la société A.F. entreprise générale n'a pas été transféré à la société Micromatix, ni par l'effet de la loi, ni par l'effet d'une convention. Le jugement entrepris sera par conséquent infirmé sur ce point.

* Sur la démission de M. [M]

Il ressort de l'article L. 1237-1 du code du travail que la démission ne peut résulter que d'une manifestation claire et non équivoque de volonté du salarié de rompre le contrat de travail.

La société A.F. entreprise générale soutient qu'en signant l'avenant à son contrat de travail avec la société Micromatix en vue d'un temps complet, en ne réclamant aucune tâche à exécuter, ni le paiement de ses salaires auprès de la société A.F. entreprise générale, M. [M] a démissionné du poste qu'il occupait dans cette entreprise.

Or, en l'espèce, aucune pièce au dossier ne permet d'établir la volonté explicite, claire et non équivoque de M. [M] de rompre le contrat de travail avec la société A.F. entreprise générale, une démission ne pouvant être implicite.

Par conséquent, l'argument développé par la société A.F. entreprise générale ne peut prospérer.

* Sur la prise d'acte de M. [M] du 10 septembre 2019

Par lettre recommandée avec avis de réception du 10 septembre 2019, M. [M] a pris acte de la rupture du contrat de travail avec la société A.F. entreprise générale en ces termes :

'J'ai été recruté par votre société depuis le 1er septembre 2016, en qualité de conducteur de travaux et chargé d'achats. Depuis le 1er février 2019, vous ne m'avez plus fourni de travail, ni versé mes salaires.

En l'état des manquements graves, je prends acte de la rupture du contrat de travail nous liant et je saisis le conseil de prud'hommes de Grasse de notre litige'.

Il résulte de la combinaison des articles L. 1231-1, L. 1237-2 et L. 1235-1 du code du travail que la prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement de l'employeur d'une telle gravité qu'ils rendent impossible la poursuite du contrat de travail.

En cas de prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié, cette rupture produit, soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission.

Il appartient au salarié ayant pris acte de la rupture de son contrat de travail d'établir les faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur.

L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige, et il convient d'examiner tous les manquements de l'employeur invoqués par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés par écrit.

Si les manquements de l'employeur invoqués par le salarié sont d'une telle gravité qu'ils empêchent la poursuite du contrat de travail, le juge prononce la rupture de celui-ci au jour de la décision sauf si celui-ci a déjà été interrompu. Cette rupture produit les effets d'un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse et ouvre droit au bénéfice pour le salarié de dommages et intérêts pour licenciement abusif, d'une indemnité légale ou conventionnelle de licenciement et d'une indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés sur préavis.

En l'espèce, M. [M] fait grief à l'employeur d'avoir cessé de lui fournir du travail et de lui régler son salaire et demande par conséquent que sa prise d'acte soit qualifiée de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il sollicite par conséquent un rappel de salaires de février à juillet 2019, ainsi qu'une indemnité de licenciement, l'indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse et l'indemnité compensatrice de préavis.

La société A.F. entreprise générale rétorque qu'à compter du 1er février 2019, M. [M] n'avait plus qu'un seul employeur, la société Micromatix, qui l'employait à temps plein et le rémunérait en conséquence.

Il n'est pas contesté qu'à compter du 1er février 2019, la société A.F. entreprise générale n'a plus fourni de travail à M. [M], ni ne lui a versé son salaire, estimant à tort que le contrat de M. [M] avait été transféré à la société Micromatix. Les manquements de la société A.F. entreprise générale sont par conséquent établis.

S'agissant de manquements aux obligations essentielles de l'employeur, ces manquements sont d'une gravité telle qu'ils rendent impossible la poursuite de la relation contractuelle. Par conséquent, la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

2- Sur les demandes financières de M. [M]

* Sur le rappel de salaires

M. [M] sollicite le paiement de ses salaires du 1er février 2019 au 31 juillet 2019, pour un montant de 9 228 euros, complétée par 922 euros au titre des congés payés afférents.

Il ressort du contrat de travail qu'une rémunération à hauteur de 1 538 euros était convenue, pour un temps partiel de 47,67 heures mensuelles.

Il convient par conséquent de condamner la société A.F. entreprise générale à verser à M. [M] les sommes sollicitées.

* Sur l'indemnité de préavis

Eu égard à son ancienneté de 3 ans, M. [M] a droit à une indemnité de préavis, qui doit être fixée à la somme qu'il aurait perçue s'il avait travaillé pendant la période de préavis de 3 mois, en application de l'article 15 de la convention collective applicable.

Lorsque le salarié perçoit un salaire fixe, c'est le dernier salaire perçu par l'intéressé qui doit être retenu pour déterminer le montant de l'indemnité compensatrice de préavis, à moins que le dernier salaire perçu ne corresponde pas au salaire habituellement perçu par l'intéressé.

Infirmant la décision entreprise et statuant à nouveau, il sera alloué à M. [M] une somme de 4 614euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis et de 461 euros brut au titre des congés payés afférents.

* Sur l'indemnité légale de licenciement

En application de l'article L1234-9 du code du travail, dans sa version en vigueur depuis le 24 septembre 2017, le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte 8 mois d'ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.

Les modalités de calcul de cette indemnité sont fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail. Ce taux et ces modalités sont déterminés par voie réglementaire.

Selon l'article R.1234-2 du code du travail dans sa version en vigueur depuis le 27 septembre 2017, l'indemnité de licenciement ne peut être inférieure à un quart de mois de salaire par année d'ancienneté jusqu'à dix ans, et, à un tiers de mois de salaire pour les années à partir de dix ans d'ancienneté.

Compte tenu de l'ancienneté du salarié, il y a lieu d'accorder à M. [M] la somme sollicitée, à savoir 1 078 euros au titre de l'indemnité de licenciement, par infirmation du jugement querellé.

* Sur l'indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse

Selon l'article L1235-3 du code du travail modifié par la loi du 29 mars 2018 : si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant minimal est fixé dans le tableau prévu par le texte.

M. [M] justifie de 3 ans d'ancienneté dans une entreprise qui emploie habituellement moins de 11 salariés.

En application de l'article susvisé, M. [M] est fondé à obtenir une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse dont le montant minimal est fixé à un mois de salaire.

M. [M], âgé de 44 ans au moment de la rupture de son contrat de travail, ne justifie pas de sa situation postérieure à la rupture.

Eu égard, à son âge, à son ancienneté dans l'entreprise, au montant de sa rémunération, aux circonstances de la rupture et à ce qu'il ne justifie pas de sa situation postérieure à la rupture, la cour lui alloue une somme équivalente à un mois de salaires, soit la somme de 1 538 euros.

Sur les frais du procès

En application des dispositions des articles 696 et 700 du code de procédure civile, la société A.F entreprise générale sera condamnée aux dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 2 000 euros.

Par conséquent, la société A.F entreprise générale sera déboutée de sa demande d'indemnité de procédure.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, après en avoir délibéré, statuant en dernier ressort, par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, en matière prud'homale,

Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, en ce qu'il a :

- constaté que le contrat de travail de M. [M] a pris fin au sein de la société A.F. entreprise générale pour prendre effet au 1er février 2019 au sein de la société Micromatix,

- débouté M. [M] dans sa demande de prise d'acte de la rupture du contrat de travail,

- débouté M. [M] de l'ensemble de ses demandes indemnitaires à ce titre,

Statuant à nouveau des seuls chefs infirmés,

Dit que le contrat de travail n'a pas été transféré à la société Micromatix,

Dit que la prise d'acte par M. [M] produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Condamne la société A.F. entreprise générale à verser à M. [M] les sommes suivantes:

- 9 228 euros au titre des rappels de salaires entre février 2019 et juillet 2019,

- 922 euros au titre des congés payés afférents,

- 4 614 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 461 euros au titre des congés payés afférents,

- 1 078 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

- 1 538 euros au titre de l'indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Confirme le jugement pour le surplus,

Y ajoutant,

Condamne la société A.F entreprise générale aux dépens de la procédure d'appel,

Condamne la société A.F entreprise générale à payer à M. [M] une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute la société A.F entreprise générale de sa demande d'indemnité de procédure en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-5
Numéro d'arrêt : 21/13541
Date de la décision : 20/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 26/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-20;21.13541 ?
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