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19/06/2024 | FRANCE | N°23/14969

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 2-4, 19 juin 2024, 23/14969


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 2-4



ARRÊT AU FOND

DU 19 JUIN 2024



N° 2024/152









Rôle N° RG 23/14969 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BMH4N







[S] [C] épouse [V]





C/



[F] [X]





















Copie exécutoire délivrée

le :

à :



Me Véronique SAURIE



Me Sandra JUSTON













Décision

déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 01 Avril 2019 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 17/00312.









APPELANTE



Madame [S] [C] épouse [V]

née le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 20] (IRAN)

de nationalité Française, demeurant [Adresse 6]

représentée par...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 2-4

ARRÊT AU FOND

DU 19 JUIN 2024

N° 2024/152

Rôle N° RG 23/14969 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BMH4N

[S] [C] épouse [V]

C/

[F] [X]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Véronique SAURIE

Me Sandra JUSTON

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 01 Avril 2019 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 17/00312.

APPELANTE

Madame [S] [C] épouse [V]

née le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 20] (IRAN)

de nationalité Française, demeurant [Adresse 6]

représentée par Me Véronique SAURIE, avocat au barreau de NICE (avocat postulant) et plaidant par Me Florian LASTELLE, avocat au barreau de PARIS

INTIME

Monsieur [F] [X]

né le [Date naissance 4] 1946 à [Localité 20], demeurant [Adresse 15] (IRAN)

représenté par Me Sandra JUSTON de la SCP BADIE, SIMON-THIBAUD, JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE (avocat postulant) et plaidant par Me François AMELI, avocat au barreau de PARIS

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 22 Mai 2024 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Michèle JAILLET, Présidente, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Michèle JAILLET, Présidente

Madame Nathalie BOUTARD, Conseillère

Mme Pascale BOYER, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Fabienne NIETO.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 19 Juin 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 19 Juin 2024,

Signé par Madame Michèle JAILLET, Présidente et Mme Fabienne NIETO, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOS'' DU LITIGE

M. [D] [X] est né le [Date naissance 5] 1922 à [Localité 16] ( Mésopotamie devenue Irak), ville où ses parents iraniens étaient de passage. Il a acquis la nationalité iranienne à sa naissance en vertu de la règle de droit iranienne qui reconnaît le principe de 'jus sanguinis'. Il a épousé le [Date mariage 9] 1943 à [Localité 20] ( Iran ), Mme [A] [N], née le [Date naissance 8] 1927 à [Localité 19] (Iran).

De cette union sont issus :

- Mme [M] [X], née le [Date naissance 3] 1944, - M. [F] [X], né le [Date naissance 4] 1946.

M. [X] était de son vivant un diplomate iranien qui s'est exilé en France avec sa famille après l'instauration d'un nouveau régime en Iran. C'est dans ce contexte que M. [D] [X] et Mme [A] [N] épouse [X] ont acquis la nationalité française.

Mme [M] [X] est décédée le [Date décès 11] 1997 à [Localité 18]. Elle laisse à sa survivance sa fille Mme [S] [C] épouse [V] qui a hérité de sa succession française, régie par la loi française, et de 60% de sa succession iranienne, réglée par référence au droit iranien. Les 40% restants ont été attribués aux parents de la défunte.

Par testament olographe du 14 mai 1997, déposé en l'étude de Maître [Z], M. [X] a institué son épouse Mme [A] [N] légataire de l'usufruit de sa succession.

M. [D] [X] est décédé le [Date décès 10] 2015 à [Localité 20] (Iran).

Mme [A] [N] veuve [X] est décédée le [Date décès 2] 2016 à [Localité 20].

Mme [S] [C] épouse [V] soutient disposer de droits dans la succession de M. [D] [X] en exposant que le droit français doit régir la succession de ce dernier, notamment sur l'immeuble détenu à [Localité 17] par le défunt.

M. [F] [X] a soutenu devant le notaire chargé de la succession de M. [D] [X] que la dévolution successorale ne relève que la loi iranienne en l'état du décès de son père intervenu en Iran.

Par exploit extrajudiciaire du 26 décembre 2016, Mme [S] [C] épouse [V] a fait assigner M. [F] [X] devant le tribunal judiciaire de Nice aux fins de voir juger que la succession de M. [D] [R] [X] dépend de la loi française.

Par jugement contradictoire du 1er avril 2019, auquel il convient de se référer pour plus ample exposé des faits et des prétentions des parties, le tribunal de grande instance de Nice a :

- Dit qu'en application de l'article 21§1 du règlement (UE) n°650/2012 du 4 juillet 2012, la succession de feu [D] [X] relève de l'application de la loi iranienne ;

- Dit que, conformément à la loi iranienne, M.[F] [X] est l'unique héritier de son père [D] [X], décédé à [Localité 20] le [Date décès 10] 2015 ;

- Renvoyé M. [F] [X] devant le notaire de son choix pour procéder à la liquidation de la succession de M.[D] [X] et dit que le notaire devra procéder à la publication de l'acte mentionnant sa qualité de propriétaire de l'immeuble, objet de la succession, (MO n°172, lots n°25, 28, 29, 42, 43, 110, 111 et 112) au service de la publicité foncière de [Localité 17] (2ème bureau) ;

- Débouté Mme [S] [V] née [C] de l'ensemble de ses demandes;

- Débouté M. [F] [X] de sa demande de dommages et intérêts ;

- Condamné Mme [S] [V] née [C] à payer à M.[F] [X] la somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné Mme [S] [V] née [C] aux dépens de l'instance comprenant les frais de traduction et l'établissement du certificat de coutume.

Par déclaration reçue au greffe le 5 avril 2019, Mme [S] [C] épouse [V] a interjeté appel de cette décision.

Par ses premières conclusions déposées le 28 juin 2019, l'appelante demandait à la cour de :

Vu l'article 901 du Code de procédure civile, Vu les Avis rendus par la Cour de Cassation le 20 décembre 2017 (n°17-70.034, 17-70.035 et 17-70.036), Vu l'article 6§1 de la Convention européenne des droits de l'Homme, Vu l'arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l'Homme le 9 juin 2022 (Lucas c/ France),

Déclarer Madame [S] [V] recevable et bien fondée en son appel,

Y faisant droit,

Vu l'article 267 du traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne (TFUE),

Voir poser à la Cour de Justice de l'Union Européenne une question préjudicielle sur l'interprétation de l'article 83 du règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012, dans les termes du projet de requête produit par Madame [V],

Vu l'article 83 et, subsidiairement, l'article 21 du Règlement (UE) n° 650/2012 du 4 juillet 2012, Vu l'arrêt rendu par la Cour de justice de l'union européenne le 16 juillet 2020, Vu l'arrêt rendu par la Cour de justice de l'union européenne le 9 septembre 2021,

Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- dit qu'en application de l'article 21§1 du règlement (UE) n°650/2012 du 4 juillet 2012, la succession de feu [D] [X] relève de l'application de la loi iranienne ;

- dit que, conformément à la loi iranienne, M. [F] [X] est l'unique héritier de son père [D] [X], décédé à [Localité 20] le [Date décès 10] 2015 ;

- renvoyé M. [F] [X] devant le notaire de son choix pour procéder à la liquidation de la succession de M. [D] [X] et dit que le notaire devra procéder à la publication de l'acte mentionnant sa qualité de propriétaire de l'immeuble, objet de la succession, (MO n°172, lots n°25, 28, 29, 42, 43, 110, 111 et 112) au service de la publicité foncière de [Localité 17] (2ème bureau) ;

- débouté Mme [S] [V] née [C] de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné Mme [S] [V] née [C] à payer à M. [F] [X] la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- condamné Mme [S] [V] née [C] aux dépens de l'instance comprenant les frais de traduction et l'établissement du certificat de coutume.

Statuant à nouveau,

Dire et juger que la succession de feu [D] [X] relève de l'application de la loi française,

Vu l'article 734 du Code civil,

Dire et juger Madame [S] [V], née [C] le [Date naissance 12] 1968 à [Localité 20] (Iran) est héritière légitime de Feu [D] [X], venant en représentation de sa mère [M] [X], prédécédée, fille du défunt,

Vu l'article 815 du Code civil,

Renvoyer les parties à la liquidation du partage successoral ouvert en l'étude de Maître [H] [Z], notaire associé à [Localité 17], [Adresse 7],

Ordonner la publication de l'arrêt à intervenir au service de la publicité foncière de [Localité 17] (2 ème bureau), sous les références cadastrales de l'immeuble objet de la succession (MO n°172, lots n° 25, 28, 29, 42, 43, 110, 111 et 112),

S'entendre enfin condamner Monsieur [F] [X] au paiement d'une indemnité de 8.000 Euros par application des dispositions de l'Article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens de première instance et d'appel, que Maître Florian LASTELLE, Avocat, pourra recouvrer conformément aux dispositions de l'Article 699 du Code de Procédure Civile.

Par ses premières conclusions notifiées le 24 septembre 2019, l'intimé sollicitait de la cour de :

Vu le règlement (UE) n°650/2012 du 4 juillet 2012, Vu la loi iranienne applicable en la matière, Vu les pièces versées aux débats,

SUR LA COMPETENCE

DIRE ET JUGER qu'en application de l'article 10 du règlement (UE) n°650/2012 du 4 juillet 2012 la présente juridiction est compétente pour déterminer la loi applicable à l'ensemble de la succession de feu Monsieur [D] [X].

SUR LA DEMANDE DE RENVOI PREJUDICIEL

DIRE ET JUGER qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de renvoi préjudiciel devant la Cour de Justice de l'Union Européenne aux fins de poser les questions préjudicielles suivantes:

a) Première question préjudicielle : sur les conditions qui doivent être réunies pour la détermination de la loi successorale conformément aux dispositions de l'article 83, paragraphe 4, du règlement n°650/2012 du 4 juillet 2012.

L'article 83, paragraphe 4, du règlement (EU) n°650/2012 du 4 juillet 2012 doit-il être interprété en ce sens que pour qu'un testament emporte application de la loi nationale du défunt, il suffit que ce testament ait la volonté de soumettre sa succession à cette loi '

b) Seconde question préjudicielle : sur les conditions d'application de l'article 83, paragraphe 2, du règlement n°650/2012 du 4 juillet 2012 et la notion de référence à des notions connues seulement de l'un des lois du défunt.

L'article 83, paragraphe 2, du règlement n°650/2012 du 4 juillet 2012 doit-il être interprété en ce sens qu'il suffit que pour que le testament emporte soumission de la succession à la loi nationale ou à une des lois nationales du défunt, que ce testament se réfère expressément à une notion, à savoir le 'legs d'usufruit', connue seulement de l'une des lois en concours '

EN CONSEQUENCE,

DEBOUTER Mme [S] [V] de sa demande aux fins de renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l'Union européenne.

SUR LE FOND

CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Nice en date du 1er avril 2019 en ce qu'il a :

- Dit qu'en application de l'article 21§1 du règlement (UE) n°650/2012 du 4 juillet 2012, la succession de feu [D] [X] relève de l'application de la loi iranienne ;

- Dit que, conformément à la loi iranienne, M.[F] [X] est l'unique héritier de son père [D] [X], décédé à [Localité 20] le [Date décès 10] 2015 ;

- Renvoyé M.[F] [X] devant le notaire de son choix pour procéder à la liquidation de la succession de M.[D] [X] et dit que le notaire devra procéder à la publication de l'acte mentionnant sa qualité de propriétaire de l'immeuble, objet de la succession, (MO n°172, lots n°25, 28, 29, 42, 43, 110, 111 et 112) au service de la publicité foncière de [Localité 17] (2ème bureau) ;

- Débouté Mme [S] [V] née [C] de l'ensemble de ses demandes;

- Débouté M.[F] [X] de sa demande de dommages et intérêts ;

- Condamné Mme [S] [V] née [C] à payer à M.[F] [X] la somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné Mme [S] [V] née [C] aux dépens de l'instancecomprenant les frais de traduction et l'établissement du certificat de coutume.

Et pour le surplus,

La Cour,

Statuant à nouveau,

CONDAMNER Madame [V] à régler à Monsieur [F] [X] la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral et financier.

CONDAMNER Madame [V] à régler à Monsieur [F] [X] la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile en cause d'appel, outre les entiers dépens distraits au profit de Me BADIE, Avocat, qui déclare en avoir fait l'avance sans en avoir reçu provision.

Par ordonnance contradictoire en date du 4 juin 2020 à laquelle il convient de se référer pour plus ample exposé des faits et des prétentions des parties, le magistrat chargé de la mise en état a :

Rejeté la demande de Mme [S] [C] épouse [V] tendant à voir poser à la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) une question préjudicielle sur l'interprétation de l'article 83 du Règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012 en précisant dans ses motifs que le conseiller de la mise en état n'a pas le pouvoir pour se prononcer sur cette question ;

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'appelante a transmis des conclusions le 17 décembre 2019, le 27 juillet 2021, le 5 novembre 2021, le 5 août 2022 avant de déposer ses dernières écritures le 26 avril 2023 par lesquelles elle maintient ses demandes initiales.

Le dossier a été communiqué au Ministère Public s'agissant d'une demande de renvoi préjudiciel à la cour de justice de l'Union européenne sur le fondement de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

Par conclusions communiquées le 9 juin 2022, Mme la procureure générale d'[Localité 13] a précisé qu'elle était d'avis qu'il plaise à la Cour de :

Dire n'y avoir lieu de soumettre à la Cour de justice de l'Union européenne les questions préjudicielles proposées.

Le 20 mars 2023, le magistrat chargé de la mise en état a interrogé les parties sur la validité de la déclaration d'appel.

Par dernières conclusions notifiées le 28 avril 2023, l'intimé sollicite désormais de la cour de :

Vu les articles 901, 542, 562, 54 2° et 57 du Code de procédure civile Vu le règlement (UE) n°650/2012 du 4 juillet 2012, Vu la loi iranienne applicable en la matière, Vu les pièces versées aux débats,

A TITRE PRINCIPAL

SUR LA DÉCLARATION D'APPEL

JUGER que l'effet conjugué des articles 901, 542, 54 2° et 57 du Code de procédure civile, la déclaration d'appel est inexistante pour absence d'objet.

A défaut

JUGER à tout le moins, par l'effet conjugué des articles 901, 542 et 562 du CPC que la déclaration d'appel ne produit pas d'effet dévolutif.

EN CONSEQUENCE,

JUGER que la Cour d'appel d'Aix-en-Provence n'est pas saisie de l'appel interjeté par Mme [S] [V] à l'encontre du jugement du Tribunal judiciaire de Nice rendu le 1er avril 2019.

A TITRE SUBSIDIAIRE

SUR LA COMPETENCE

JUGER qu'en application de l'article 10 du règlement (UE) n°650/2012 du 4 juillet 2012 la présente juridiction est compétente pour déterminer la loi applicable à l'ensemble de la succession de feu Monsieur [D] [X].

SUR LA DEMANDE DE RENVOI PREJUDICIEL

JUGER qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de renvoi préjudiciel devant la Cour de Justice de l'Union Européenne aux fins de poser les questions préjudicielle suivantes :

a) Première question préjudicielle : sur les conditions qui doivent être réunies pour la détermination de la loi successorale conformément aux dispositions de l'article 83, paragraphe 4, du règlement n°650/2012 du 4 juillet 2012.

L'article 83, paragraphe 4, du règlement (EU) n°650/2012 du 4 juillet 2012 doit-il être interprété en ce sens que pour qu'un testament emporte application de la loi nationale du défunt, il suffit que ce testament ait la volonté de soumettre sa succession à cette loi '

b) Seconde question préjudicielle : sur les conditions d'application de l'article 83, paragraphe 2, du règlement n°650/2012 du 4 juillet 2012 et la notion de référence à des notions connues seulement de l'un des lois du défunt.

L'article 83, paragraphe 2, du règlement n°650/2012 du 4 juillet 2012 doit-il être interprété en ce sens qu'il suffit que pour que le testament emporte soumission de la succession à la loi nationale ou à une des lois nationales du défunt, que ce testament se réfère expressément à une notion, à savoir le 'legs d'usufruit', connue seulement de l'une des lois en concours '

EN CONSEQUENCE,

DEBOUTER Mme [S] [V] de sa demande aux fins de renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l'Union européenne.

SUR LE FOND

CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Nice en date du 1er avril 2019 en ce qu'il a :

- Dit qu'en application de l'article 21§1 du règlement (UE) n°650/2012 du 4 juillet 2012, la succession de feu [D] [X] relève de l'application de la loi iranienne ;

- Dit que, conformément à la loi iranienne, M.[F] [X] est l'unique héritier de son père [D] [X], décédé à [Localité 20] le [Date décès 10] 2015 ;

- Renvoyé M.[F] [X] devant le notaire de son choix pour procéder à la liquidation de la succession de M.[D] [X] et dit que le notaire devra procéder à la publication de l'acte mentionnant sa qualité de propriétaire de l'immeuble, objet de la succession, (MO n°172, lots n°25, 28, 29, 42, 43, 110, 111 et 112) au service de la publicité foncière de [Localité 17] (2ème bureau) ;

- Débouté Mme [S] [V] née [C] de l'ensemble de ses demandes;

- Débouté M.[F] [X] de sa demande de dommages et intérêts ;

- Condamné Mme [S] [V] née [C] à payer à M.[F] [X] la somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné Mme [S] [V] née [C] aux dépens de l'instancecomprenant les frais de traduction et l'établissement du certificat de coutume.

Et pour le surplus,

La Cour,

Statuant à nouveau,

CONDAMNER Madame [V] à régler à Monsieur [F] [X] la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral et financier.

EN TOUT ETAT DE CAUSE

CONDAMNER Madame [V] à régler à Monsieur [F] [X] la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile en cause d'appel, outre les entiers dépens distraits au profit de Me BADIE, Avocat, qui déclare en avoir fait l'avance sans en avoir reçu provision.

Par avis du 17 mai 2023, le magistrat chargé de la mise en état a informé les parties que ce dossier était fixé à l'audience du 29 novembre 2023.

Par transmission du 7 septembre 2023, le Ministère public s'en est rapporté à ses précédentes écritures du 9 juin 2022.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 octobre 2023.

Le 22 novembre 2023, le magistrat chargé de la mise en état a prononcé la radiation de l'affaire du rôle en l'absence du dossier de l'appelante. Ce dernier est parvenu à la cour le 4 décembre 2023.

Par soit-transmis du 5 décembre 2023, le magistrat chargé de la mise en état a indiqué à Maître Véronique Saurie, nouveau conseil de l'appelante qu'il lui appartenait de demander le réenrôlement du dossier en se constituant à la place du précédent conseil de Mme [C].

Le dossier a été réenrôlé sous le RG n°23/14969 à la demande de l'appelante.

Le 19 décembre 2023, le magistrat chargé de la mise en état a informé les parties que cette affaire était re-fixée à l'audience du 22 mai 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la déclaration d'appel

Aux termes de l'article 901 4° du code de procédure civile, la déclaration d'appel doit contenir, à peine de nullité, les chefs de jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

L'article 542 du code de procédure civile précise que l'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel.

Aux termes des dispositions de l'article 562 du code de procédure civile, seul l'acte d'appel emporte dévolution des chefs critiqués du jugement.

L'article 562 alinéa 2 dispose : 'La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel n'est pas limité à certains chefs, lorsqu'il tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible'.

En l'espèce, la déclaration d'appel du 5 avril 2019 à 18h41 reçue par le greffe se borne à mentionner :

'Objet/Portée de l'appel : Appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués Appel du jugement rendu le 1er avril 2019 par le Tribunal de Grande Instance de NICE (RG 17/00312) en ce qu'il a : - dit qu'en application de l'article 21§1 du règlement (UE) n°650/2012 du 4 juillet 2012, la succession de feu [D] [X] relève de l'application de la loi iranienne; - dit que, conformément à la loi iranienne, M. [F] [X] est l'unique héritier de son père [D] [X], décédé à [Localité 20] le [Date décès 10] 2015; - renvoyé M. [F] [X] devant le notaire de son choix pour procéder à la liquidation de la succession de M. [D] [X] et dit que le notaire devra procéder à la publication de l'acte mentionnant sa qualité de propriétaire de l'immeuble, objet de la succession, (MO n°172, lots n°25, 28, 29, 42, 43, 110, 111 et 112) au service de la publicité foncière de [Localité 17] (2ème bureau) ; - débouté Mme [S] [V] née [C] de l'ensemble de ses demandes; - condamné Mme [S] [V] née [C] à payer à M. [F] [X] la somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile - condamné Mme [S] [V] née [C] aux dépens de l'instance comprenant les frais de traduction et l'établissement du certificat de coutume'.

Cette déclaration d'appel ne précise toutefois pas s'il est demandé la réformation ou l'infirmation ou l'annulation de la décision attaquée, les premières conclusions demandent de réformer lesdits chefs.

Par arrêt rendu le 25 mai 2023, la cour de cassation a précisé que ni les dispositions de l'article 901 4° ni celles de l'article 562 du code de procédure civile n'exigent que la déclaration d'appel mentionne l'infirmation, si les chefs du jugement critiqués y figurent.

Il s'ensuit que la déclaration d'appel de Mme [S] [C] épouse [V] reçue au greffe le 13 septembre 2018 n'encourt plus la nullité et emporte effet dévolutif. 

Il convient, par conséquent, de déclarer valable la déclaration d'appel de Mme [S] [C] épouse [V] reçue au greffe le 5 avril 2019.

Sur l'étendue de la saisine de la cour

Il convient de rappeler qu'en application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne doit statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif.

Les demandes de 'donner acte' sont dépourvues de tout enjeu juridique et ne constituent pas des prétentions au succès desquels les parties pourraient avoir un intérêt légitime à agir au sens de l'article 4 du code de procédure civile.

Ne constituent pas par conséquent des prétentions au sens de l'article sus-cité du code de procédure civile les demandes des parties tendant à voir 'constater' ou 'donner acte' ou encore à 'prendre acte' de sorte que la cour n'a pas à y répondre.

Il n'y a donc pas lieu de reprendre ni d'écarter dans le dispositif du présent arrêt les demandes tendant à 'constater que' ou 'dire que ' telles que figurant dans le dispositif des conclusions des parties, lesquelles portent sur des moyens ou éléments de fait relevant des motifs et non des chefs de décision devant figurer dans la partie exécutoire de l'arrêt.

L'article 9 du code de procédure civile dispose qu''il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention' et que l'article 954 du même code, dans son alinéa 1er, impose notamment aux parties de formuler expressément ses prétentions et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune des prétentions est fondée 'avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et leur numérotation'.

Par ailleurs l'effet dévolutif de l'appel implique que la cour connaisse des faits survenus au cours de l'instance d'appel et depuis le jugement déféré et statue sur tous les éléments qui lui sont produits même s'ils ne se sont révélés à la connaissance des parties qu'en cours d'instance d'appel.

Sur le droit applicable, il convient de noter que les parties sont d'accord sur l'application du règlement (UE) n°650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen puisque la succession du défunt a été ouverte après la date d'entrée en vigueur du règlement fixée au 17 août 2015 (article 83 du règlement).

Sur les questions préjudicielles

L'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne dispose que 'La Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel:

a) sur l'interprétation des traités,

b) sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l'Union.

Lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction d'un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question.

Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour.

Si une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale concernant une personne détenue, la Cour statue dans les plus brefs délais.'.

L'appelante forme une demande de renvoi préjudiciel afin d'interpréter le règlement n°650/2012 du 4 juillet 2012. Elle expose, en substance, que :

- il y aurait un rôle déterminant des questions préjudicielles soulevées à hauteur d'appel pour trancher le litige en cause. Avant le 17 août 2015, le droit international privé français ainsi que celui de la plupart des États membres ne connaissaient pas la professio juris en matière de successions. Personne en France ne pouvait avoir la volonté de désigner la loi applicable à sa succession. Celle-ci était obligatoirement soumise, pour les meubles, à la loi du dernier domicile du défunt et, pour les immeubles, à la loi de leur situation. En l'espèce, et selon le paragraphe 2 de l'article 83, la réunion de ces trois conditions a pour effet que la succession en cause serait soumise à la loi française.

- il serait évident que la recherche de la volonté du testateur dans la désignation de la loi applicable n'a pas sa place dans l'article 83 du règlement. Puisque le tribunal a statué ainsi en première instance, la première question préjudicielle prend tout son sens.

- Le legs d'usufruit ne serait pas une pratique courante en droit iranien. Il serait donc pertinent de poser une seconde question préjudicielle afin de déterminer si la référence à la notion spécifique de 'legs d'usufruit' suffit pour emporter soumission de la succession à la loi française, même si la loi iranienne connaît l'usufruit comme démembrement de propriété.

- Il résulterait de la seule décision rendue en première instance l'intérêt de poser une ou des question(s) préjudicielle(s). M. [D] [X] serait présumé avoir, dans son testament du 14 mai 1997, avoir choisi la loi française laquelle est l'une de ses lois nationales pour régir sa succession.

- Contrairement à ce qu'énoncerait Mme la procureure générale dans ses conclusions, l'appelante estime fonder sa seconde question sur le paragraphe 2 de l'article 83. La question serait ainsi de la compétence de la Cour de Justice de l'Union Européenne.

Pour l'appelante, une bonne administration de la justice imposerait aux juridictions françaises saisies du litige de surseoir à statuer pour poser à la Cour de justice de l'Union européenne les deux questions suivantes :

1) L'article 83, paragraphe 4, du règlement (EU) n°650/2012 du 4 juillet 2012 doit-il être interprété en ce sens que pour qu'un testament emporte application de la loi nationale du défunt, il suffit que ce testament ait la volonté de soumettre sa succession à cette loi '

2) L'article 83, paragraphe 2, du règlement n°650/2012 du 4 juillet 2012 doit-il être interprété en ce sens qu'il suffit que pour que le testament emporte soumission de la succession à la loi nationale ou à une des lois nationales du défunt, que ce testament se réfère expressément à une notion, à savoir le 'legs d'usufruit', connue seulement de l'une des lois en concours '

L'intimé s'oppose à la demande de renvoi préjudiciel. Il fait valoir notamment que :

- La demande doit être rejetée parce que le renvoi préjudiciel ne serait que facultatif d'une part. La cour d'appel saisie du litige conserve toute latitude pour juger de l'utilité du renvoi préjudiciel réclamé et se demandera s'il y a lieu de considérer qu'il existerait une difficulté réelle d'interprétation ou un doute sérieux sur le sens de la disposition concernée.

- Il n'y aurait, d'autre part, pas lieu à renvoi préjudiciel car la demande ne présente pas un caractère sérieux. Ce n'est pas parce que des textes de droit de l'Union ne disposent pas encore de jurisprudences nombreuses à leur sujet qu'un renvoi préjudiciel serait utile. L'appelante ne démontrerait pas l'existence d'une difficulté sérieuse d'interprétation des textes du droit de l'Union.

- Au demeurant, la demande de renvoi préjudiciel ne serait pas nécessaire pour résoudre le litige contrairement à ce qu'exige la Cour de justice de l'Union européenne.

L'intimé souligne enfin que l'appelante n'apporte aucune justification à la nécessité d'une question préjudicielle et la Cour resterait ainsi compétente pour apprécier et interpréter les dispositions du règlement concerné.

Dans ses conclusions, Mme la procureure générale mentionne que :

- il résulte clairement des documents produits aux débats que M. [D] [X] avait au moment de son décès sa résidence habituelle à [Localité 20] depuis plusieurs années. La loi normalement applicable à sa succession devrait donc être, en raison de l'article 21 du règlement, la loi iranienne.

- Toutefois, puisque le défunt avait la double nationalité française et iranienne, la loi française peut être applicable à la succession s'il existe une disposition à cause de mort faite conformément à la loi française.

- Or, M. [D] [X] a établi un testament par lequel il a légué l'usufruit de sa succession à son épouse. La cour doit donc rechercher si le texte précité est susceptible d'interprétation. La jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et les considérants du règlement de 2012 conduisent le Parquet Général à considérer qu'il peut être répondu à ces questions sans recourir à des questions préjudicielles.

- Il est clairement établi que lorsque dans une disposition à cause de mort, le défunt a fait référence à des dispositions spécifiques de la loi de l'État de sa nationalité, il est réputé avoir choisi cette loi sans qu'il soit nécessaire de rechercher s'il avait eu la volonté de soumettre sa succession à cette loi.

- La seconde question serait également inutile pour les mêmes raisons puisque cette interrogation ne dépend que de la compétence des juges nationaux considérés.

La cour saisie de la demande de renvoi préjudiciel relève que la situation de M. [D] [X] correspond parfaitement au champ d'application de l'article 83 puisque celui-ci, de nationalité française, est décédé en Iran le 27 décembre 2015, soit après le 17 août 2015 date prévue par cet article pour l'application du règlement (UE) n°650/2012 du 4 juillet 2012.

Il est de jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne qu'une question préjudicielle ne doit être posée que sur un point nécessaire à la juridiction de renvoi pour rendre une décision.

Si les questions préjudicielles disposent d'une présomption de pertinence devant la Cour de justice, ce n'est pas le cas devant les juridictions de droit interne.

La cour doit donc examiner la pertinence des questions et si elles cristallisent une difficulté quant à l'interprétation du règlement (UE) n°650/2012 du 4 juillet 2012.

M. [D] [X] a rédigé une libéralité qui a permis d'attribuer l'usufruit de l'intégralité de sa succession au profit de son épouse, Mme [A] [N] épouse [X].

Il convient donc pour la cour de déterminer si une telle libéralité suffit à caractériser un choix tacite pour l'application de la loi française de par la seule existence d'un legs en usufruit, institution inconnue du droit iranien selon l'appelante.

Les deux questions préjudicielles soulevées ne présentent donc pas d'intérêt en pareille situation puisque la jurisprudence de la cour et les considérants du règlement conduisent à pouvoir trancher la question directement en l'espèce, sans surseoir à statuer afin d'obtenir des éclaircissements sur l'interprétation à donner du règlement (UE) n°650/2012 du 4 juillet 2012.

Il convient, par conséquent, de débouter l'appelante de sa demande de renvoi préjudiciel.

Sur l'application de l'article 83 §4 du règlement (UE) n°650/2012

L'article 21 du règlement (UE) n°650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen dispose que '1. Sauf disposition contraire du présent règlement, la loi applicable à l'ensemble d'une succession est celle de l'État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès.

2. Lorsque, à titre exceptionnel, il résulte de l'ensemble des circonstances de la cause que, au moment de son décès, le défunt présentait des liens manifestement plus étroits avec un État autre que celui dont la loi serait applicable en vertu du paragraphe 1, la loi applicable à la succession est celle de cet autre État'.

L'article 22 du même texte précise que '1. Une personne peut choisir comme loi régissant l'ensemble de sa succession la loi de l'État dont elle possède la nationalité au moment où elle fait ce choix ou au moment de son décès. Une personne ayant plusieurs nationalités peut choisir la loi de tout État dont elle possède la nationalité au moment où elle fait ce choix ou au moment de son décès.

2. Le choix est formulé de manière expresse dans une déclaration revêtant la forme d'une disposition à cause de mort ou résulte des termes d'une telle disposition.

3. La validité au fond de l'acte en vertu duquel le choix de loi est effectué est régie par la loi choisie.

4. La modification ou la révocation du choix de loi satisfait aux exigences de forme applicables à la modification ou à la révocation d'une disposition à cause de mort'.

L'article 83 §4 du même règlement énonce enfin que 'Si une disposition à cause de mort, prise avant le 17 août 2015, est rédigée conformément à la loi que le défunt aurait pu choisir en vertu du présent règlement, cette loi est réputée avoir été choisie comme loi applicable à la succession'.

L'appelante sollicite l'infirmation du jugement attaqué sur la loi applicable à la succession du défunt.

Elle soutient que :

- Seule la loi française pourrait s'appliquer à la succession en question. Il existerait bien une disposition à cause de mort rédigée avant le 17 août 2015 dans laquelle le défunt aurait pu choisir une loi applicable en vertu du règlement de 2012. La rédaction du testament est conforme à la loi nationale puisqu'il s'agit d'un testament olographe régulier en la forme.

- La réunion des conditions d'application de l'article 83 §4 implique une présomption irréfragable de soumission de la succession à la loi française conformément au testament rédigé.

- Il faudrait relever encore que la soumission de la succession à la loi française serait d'autant plus certaine que M. [D] [X] s'est référé dans son testament à une notion inconnue en droit iranien, à savoir la libéralité en usufruit.

- L'intimé aurait réussi à tromper le premier juge en soutenant que le droit iranien connaît le démembrement de propriété. Or, si l'usufruit est tout à fait connu du droit iranien, tel ne serait pas le cas de l'institution du legs en usufruit.

- Le legs d'usufruit fait dans le testament du 14 mai 1997 signifie que conformément à l'article 83, M. [D] [X] aurait voulu soumettre sa succession à la loi française.

L'appelante souhaite donc voir la succession de M. [X] soumise à la seule loi française.

L'intimé sollicite la confirmation du jugement attaqué et considère que seule la loi iranienne peut régir la succession du défunt.

Il fait valoir que :

- l'appelante déformerait à dessein les énonciations claires et précises du jugement du tribunal de grande instance de Nice qui a fait une juste application des dispositions de l'Union en cause.

- La consultation produite par l'appelante présenterait une tonalité proche de conclusions d'un avocat défendant les intérêts de l'appelante et non une opinion émise avec neutralité.

- M. [X] n'aurait désigné aucune loi applicable à sa succession par le testament du 14 mai 1997. La désignation implicite n'est admise, selon l'intimé, par le règlement que de façon exceptionnelle quand elle résulte de façon certaine de l'acte comportant la disposition litigieuse.

- La doctrine majoritaire de droit international privé s'opposerait au principe même de l'admission d'une telle volonté tacite. L'intimé cite plusieurs auteurs critiquant une telle possibilité.

- En analysant les circonstances dans lesquelles le testateur a rédigé sa libéralité, la cour devrait se rendre compte que celui-ci n'a pas pu choisir la loi applicable dans le testament. Une simple lecture du testament permettrait, en effet de constater qu'aucune volonté tacite ne transparaît quant à la loi applicable.

- M. [X] n'aurait pas pu avoir pour intention de soumettre sa succession à la loi française dans la mesure où à l'époque du testament, son unique intention était de mettre à l'abri son épouse deux mois après le décès de sa fille aînée.

- La consultation produite par l'appelante serait prudente dans le ton employé en parlant du caractère non 'usuel' du legs d'usufruit.

- Le droit français, comme le droit iranien, connaît l'institution de l'usufruit et donc ne peut ignorer le concept de legs d'usufruit contrairement à ce qu'énonce l'appelante.

- La loi applicable résulterait du règlement (UE) n°650/2012 grâce à la règle de principe de celui-ci. La loi applicable à la succession serait la loi de l'État dans lequel le défunt a sa résidence habituelle au moment de son décès, même s'il s'agit de la loi d'un État non membre de l'Union européenne.

- L'intimé développe une démonstration pour aboutir à la conclusion que M. [X] avait sa résidence habituelle en Iran dès le mois de novembre 2012.

Le jugement attaqué a précisé que :

- le choix de la loi applicable n'est pas mentionné de manière expresse dans le testament litigieux. Le règlement (UE) 650/2012 ne permet pas un choix tacite de la loi applicable mais dispose que le choix doit résulter des termes d'une telle disposition.

- Le seul élément selon lequel le défunt a légué à son épouse l'usufruit de l'universalité de ses biens ne permet pas d'affirmer que M. [X] a souhaité soumettre sa succession à la loi française.

- La rédaction du testament est consécutive à la perte de la fille du couple.

- Le démembrement de propriété existe en droit Iranien d'après le manuel produit par le défendeur. Il est indiqué que l'usufruit est codifié dans le code civil iranien. La notion d'usufruit est également visée dans la convention tendant à éviter les doubles impositions conclue entre la France et l'Iran.

- La référence à l'usufruit par M. [X] ne peut donc pas être suffisante pour déterminer si la loi française doit régir la succession de celui-ci.

Par conséquent, le jugement entrepris n'a pas utilisé l'article 83 pour déterminer si la loi régissant la succession litigieuse était la loi française.

La cour relève que le contenu du testament en question ne détermine pas la loi applicable à la succession de M. [D] [X].

Il est exact toutefois que la libéralité a été rédigée avant le 17 août 2015 et que, par conséquent, elle pourrait porter en son sein la soumission à la loi française s'il résulte de ses termes que le défunt a choisi la loi française.

Pour ce faire, la Cour de Justice de l'Union européenne rappelle que si le défunt fait référence à des dispositions spécifiques de la loi de l'État de sa nationalité, il est réputé avoir choisi cette loi pour régler sa succession sans qu'il soit nécessaire de rechercher par ailleurs s'il avait eu la volonté de soumettre sa succession à cette loi (CJUE, 9 septembre 2021, C-422/20).

La question posée à la cour consiste donc à déterminer si l'institution du legs d'usufruit permet d'aboutir à la conclusion que M. [D] [X] a nécessairement choisi la loi française pour régir sa succession.

Il résulte de la consultation produite par l'appelante que la personne ayant dressé ce document n'utilise que des termes prudents pour préciser qu'il n'est pas 'usuel' de rencontrer le legs d'usufruit en Iran et que, dans sa carrière, l'auteur de la consultation n'en a jamais rencontré.

Une telle référence ne suffit pas à déterminer que l'Iran ne connait pas l'institution du legs d'usufruit.

Le démembrement de propriété existe dans le code civil iranien tel que le démontre parfaitement l'intimé.

L'appelante ne démontre pas, en tout état de cause, que le legs d'usufruit est donc une institution inconnue en Iran.

Il convient, dès lors, de ne pas faire application de l'article 83 §4 du règlement et de revenir à la règle de principe, celle énoncée à l'article 21§1 du règlement (UE) n°650/2012 du 4 juillet 2012.

Sur l'application de l'article 21§1 du règlement

L'article 21 du règlement (UE) 650/2012 du 4 juillet 2012 dispose que '1. Sauf disposition contraire du présent règlement, la loi applicable à l'ensemble d'une succession est celle de l'État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès.

2. Lorsque, à titre exceptionnel, il résulte de l'ensemble des circonstances de la cause que, au moment de son décès, le défunt présentait des liens manifestement plus étroits avec un État autre que celui dont la loi serait applicable en vertu du paragraphe 1, la loi applicable à la succession est celle de cet autre État'.

Le considérant 23 du même règlement rappelle que ' Dans certains cas, il peut s'avérer complexe de déterminer la résidence habituelle du défunt. Un tel cas peut se présenter, en particulier, lorsque, pour des raisons professionnelles ou économiques, le défunt était parti vivre dans un autre État pour y travailler, parfois pendant une longue période, tout en ayant conservé un lien étroit et stable avec son État d'origine. Dans un tel cas, le défunt pourrait, en fonction des circonstances de l'espèce, être considéré comme ayant toujours sa résidence habituelle dans son État d'origine, dans lequel se trouvait le centre des intérêts de sa vie familiale et sociale. D'a tres cas complexes peuvent se présenter lorsque le défunt vivait de façon alternée dans plusieurs États ou voyageait d'un État à un autre sans s'être installé de façon permanente dans un État. Si le défunt était ressortissant de l'un de ces États ou y avait l'ensemble de ses principaux biens, sa nationalité ou le lieu de situation de ces biens pourrait constituer un critère particulier pour l'appréciation globale de toutes les circonstances de fait'.

L'appelante expose à titre subsidiaire que le rattachement de principe retenu par le règlement en son article 21 ne doit aboutir qu'à la la désignation de loi française également.

Elle prétend en substance que :

- Le règlement ne définit pas la résidence habituelle. L'idée d'enracinement dans un endroit déterminé ne se réduit pas seulement au lieu où la personne se trouve à un certainement moment de sa vie.

- Dès lors que la résidence habituelle de M. [D] [X] se trouvait en France depuis les années 1970, la preuve du changement de cette résidence incombe à M. [F] [X] lequel s'en prévaut.

- Il serait expéditif de considérer que l'habitation en Iran de M. [D] [X], affecté d'une maladie, aurait constitué un déplacement de sa résidence habituelle dans ce pays.

- Les liens particuliers avec la France au sens de l'article 21 seraient démontrés par l'appelante précisant que :

le défunt a travaillé en France tout autant que son âge pouvait le lui permettre ;

il était inscrit sur les listes électorales ;

il payait ses impôts en France ;

il avait acquis une concession perpétuelle d'un caveau funéraire à [Localité 18] où sa fille est inhumée ;

le docteur [W], pharmacien, attesterait avoir délivré des médicaments au défunt jusqu'à la fin de l'année 2013.

L'intimé affirme que la résidence habituelle du défunt a été fixée en Iran dès 2012. Il souligne notamment que :

- M. [X] a eu un séjour ininterrompu de plus de trois ans en compagnie de son épouse en Iran avant la date de son décès, ce qui caractériserait une durée suffisante pour faire acquérir une résidence habituelle en Iran. Le passeport iranien du défunt comportait un visa Schengen pour la France alors que de nationalité française, il n'en avait pas besoin. Le passeport français du défunt ne comporte pas de tampon confirmant un retour en France après le mois de novembre 2012.

- Le document du pharmacien français produit par l'appelante ne permet pas de conclure que le défunt était en France à cette période. Le docteur [Y] confirmerait avoir examiné pour la dernière fois son patient le 23 octobre 2012 à [Localité 17].

- Les éléments matériels produits montreraient que la résidence habituelle de M. [X] était en Iran au moment de son décès.

L'intimé considère par conséquent qu'au moment de son décès, le défunt ne pouvait avoir sa résidence habituelle qu'en Iran et ce depuis plus de trois ans.

Le jugement a retenu que :

- M. [X] est né de nationalité iranienne, s'est marié à [Localité 20] le [Date mariage 9] 1943 avec Mme [A] [N] elle aussi de nationalité iranienne. Celui-ci a travaillé pour son pays et exercé diverses fonctions liées aux affaires étrangères, notamment d'ambassadeur, d'haut inspecteur du ministre des affaires étrangères et de vice-ministre chargé des relations avec le Parlement.

- Il a acquis une résidence secondaire à [Localité 17] suivant acte authentique du 28 octobre 1977. Il a été exilé d'Iran en février 1979 et s'est dès lors installé dans son appartement de [Localité 17].

- Il est revenu en Iran régulièrement à compter des années 90.

- Dans la perspective de son retour en Iran, le défunt a, suivant acte notarié, désigné M. [F] [X] pour gérer, administrer tous ses biens et affaires présents et à venir.

- Il est définitivement retourné en Iran avec son épouse en novembre 2012 comme en témoigne les tampons d'entrée à l'aéroport international [14]. Le passeport français du défunt ne comporte aucun tampon, ce qui confirme que M. [X] n'a plus quitté l'Iran après le mois de novembre 2012.

- Si le de cujus s'est vu prescrire des médicaments par son médecin généraliste en 2013, celui-ci atteste ne plus avoir vu son patient après le 23 octobre 2012 à [Localité 17].

- M. [X] n'a plus été redevable des taxes d'habitation 2015 et 2016 par sa résidence en Iran et a reçu une restitution d'avoir fiscal pour l'impôt sur le revenu 2014.

- Les évènements survenus en Iran en 1979 expliquent l'exil de M. [X] vers la France. Ses voisins niçois ont attesté qu'il jouait du violon classique iranien, qu'il adorait tant la poésie que la littérature iraniennes et qu'il considérait l'Iran comme sa patrie et la France comme son deuxième pays. Ces éléments attestent de son attachement, durant ces années d'exil, à l'Iran.

- La durée de trois ans du séjour en Iran ne résulte que du décès de M. [X] et n'est pas causée par la volonté d'un bref séjour. Ceci signe ainsi le choix fait d'un établissement durable au sens du règlement (UE) 650/2012.

Par conséquent, le tribunal a noté que M. [X] a fixé sa résidence habituelle en Iran au mois de novembre 2012 et qu'ainsi seule la loi iranienne s'applique au règlement de sa succession.

La cour rappelle aux parties que le règlement (UE) 650/2012 prévoit comme règle de principe la soumission de la succession du défunt à la loi de l'État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment du décès au sens de l'article 21 précité.

Le tribunal de grande instance de Nice a pris en compte et analysé de manière pertinente toutes les pièces produites par les parties, qui sont à nouveau versées en cause d'appel pour retenir que:

- La résidence habituelle de M. [X] était, au jour de son décès en Iran.

- Seule la loi iranienne doit donc régir la succession de M. [X] au sens de l'article 21 précité faute de choix volontaire de la loi applicable par le défunt.

Le jugement critiqué doit être confirmé en adoptant ses motifs afin d'éviter de les paraphraser.

À titre surabondant, la cour note que l'absence de mécanisme de réserve héréditaire des petits-enfants du défunt en droit iranien ne peut pas être conçu comme se heurtant à l'ordre public de droit international privé français selon la position constante de la jurisprudence.

Sur la demande de dommages et intérêts de l'intimé

M.[X] sollicite, comme en première instance, la condamnation de Mme [V] à la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral et financier, sans d'ailleurs réclamer l'infirmation du jugement de ce chef.

Le tribunal a débouté M. [F] [X] de sa demande de dommages-intérêts en considérant que ses demandes étaient légitimes quant à la recherche de la loi applicable de sorte que son action ne pouvait être assimilée à un abus de droit.

En cause d'appel, l'intimé n'a pas précisé le fondement juridique de sa demande.

Il fait état des charges de copropriété et frais pour le compte de la succession alors que Mme [V] n'a pas versé le moindre centime et de l'obligation de supporter les griefs et contre-vérités contenues dans l'assignation de l'appelante.

M. [X] n'établit aucune faute de Mme [V] qui puisse donner lieu à dommages-intérêts.

Son recours devant cette cour est recevable.

En conséquence, la décision dont appel doit être confirmée de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles de première instance.

Mme [S] [C] épouse [V], qui succombe, doit être condamnée aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés directement par l'avocat de l'intimé qui en a fait la demande en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Mme [S] [C] épouse [V] sera condamnée à régler la somme de 15.000 euros à M. [F] [X] au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Déclare recevable la déclaration d'appel de Mme [S] [C] épouse [V] reçue au greffe le 5 avril 2019,

Rejette la demande Madame [S] [C] épouse [V] tendant à voir poser à la Cour de Justice de l'Union Européenne deux questions préjudicielles sur l'interprétation de l'article 83, paragraphes 2 et 4 du règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nice en date du 1er avril 2019,

Y ajoutant,

Déboute M. [F] [X] de sa demande de dommages-intérêts,

Condamne Mme [S] [C] épouse [V] aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés par Me Badie, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

Condamne Mme [S] [C] épouse [V] à régler à M. [F] [X] la somme de 15.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

Signé par Madame Michèle Jaillet, présidente, et par Madame Fabienne Nieto, greffière, auxquelles la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.

la greffière la présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 2-4
Numéro d'arrêt : 23/14969
Date de la décision : 19/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 25/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-19;23.14969 ?
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