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18/06/2024 | FRANCE | N°22/15981

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-8a, 18 juin 2024, 22/15981


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8a



ARRÊT AU FOND

DU 18 JUIN 2024



N°2024/













Rôle N° RG 22/15981 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BKNKB







[G] [K]





C/



LA CAISSE INTERPROFESSIONNELLE DE PREVOYANCE ET D' ASSURANCE VIEILLESSE (C.I.P.A.V)

































Copie exécutoire délivrée

le : 18/06/2024

à

:





- Me Dimitri PINCENT, avocat au barreau de PARIS





- Me Malaury RIPERT, avocat au barreau de PARIS















Décision déférée à la Cour :



Jugement du Pole social du Tribunal judiciaire de MARSEILLE en date du 14 Novembre 2022,enregistré au répertoire général sous le n° 22/04285.




...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8a

ARRÊT AU FOND

DU 18 JUIN 2024

N°2024/

Rôle N° RG 22/15981 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BKNKB

[G] [K]

C/

LA CAISSE INTERPROFESSIONNELLE DE PREVOYANCE ET D' ASSURANCE VIEILLESSE (C.I.P.A.V)

Copie exécutoire délivrée

le : 18/06/2024

à :

- Me Dimitri PINCENT, avocat au barreau de PARIS

- Me Malaury RIPERT, avocat au barreau de PARIS

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Pole social du Tribunal judiciaire de MARSEILLE en date du 14 Novembre 2022,enregistré au répertoire général sous le n° 22/04285.

APPELANTE

Madame [G] [K], demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Dimitri PINCENT, avocat au barreau de PARIS, dispensé en application des dispositions de l'article 946 alinéa 2 du code de procédure civile d'être représentée à l'audience

INTIMEE

LA CAISSE INTERPROFESSIONNELLE DE PREVOYANCE ET D'ASSURANCE VIEILLESSE (C.I.P.A.V), demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Malaury RIPERT, avocat au barreau de PARIS, dispensé en application des dispositions de l'article 946 alinéa 2 du code de procédure civile d'être représentée à l'audience

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Mai 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Benjamin FAURE, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Emmanuelle TRIOL, Présidente

Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseiller

Monsieur Benjamin FAURE, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Aurore COMBERTON.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 18 Juin 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 18 Juin 2024

Signé par Mme Emmanuelle TRIOL, Présidente et Mme Aurore COMBERTON, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Mme [G] [K] exerce une activité libérale sous le statut d'auto-entrepreneur en qualité de traductrice et interprète.

Le 6 avril 2020, Mme [G] [K] a édité un relevé de situation individuelle de la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse (CIPAV) auprès du site info retraite.

Le 22 juin 2020, Mme [G] [K] a saisi la commission de recours amiable en faisant valoir que ses points de retraite de base et complémentaire avaient été minorés par la caisse.

Le 31 août 2021, Mme [G] [K] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille.

Par jugement du 14 novembre 2022, le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille a déclaré irrecevable le recours de Mme [G] [K]. Cette dernière a été déboutée de sa demande indemnitaire et condamnée aux dépens ainsi qu'à payer 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à la CIPAV.

Les premiers juges ont estimé que le relevé de situation individuelle contesté par Mme [G] [K] ne constituait pas une décision au sens du droit de la sécurité sociale.

Par déclaration électronique du 1er décembre 2022,Mme [G] [K] a relevé appel du jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestées.

EXPOSE DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Dispensée de comparaître sur le fondement de l'article 946 alinéa 2 du code de procédure civile, dans ses conclusions, régulièrement communiquées le 6 novembre 2023, auxquelles il est expressément référé, Mme [G] [K] demande l'infirmation du jugement et :

que son recours soit déclaré recevable ;

la condamnation de la caisse à lui valider, pour le régime de retraite complémentaire ,36 points en 2013, 72 points en 2014, 36 points en 2015, 72 points en 2016, 72 points en 2017, 72 points en 2018, 72 points en 2019 ;

la condamnation de la caisse à lui valider, pour le régime de retraite de base, 218,4 points en 2013, 385,9 points en 2014, 346,6 points en 2015, 448,1 points en 2016, 387 points en 2017, 467,1 points en 2018, 481,4 points en 2019 ;

la condamnation de la caisse à lui rendre accessible un relevé de situation individuelle corrigé sous astreinte de 250 €par jour de retard dans le délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt ;

en cas d'irrecevabilité de ses demandes pour les années 2016 à 2019, l'octroi de 12.000 euros de dommages et intérêts ;

la condamnation de la caisse à lui payer 3.000 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

la condamnation de la caisse à lui payer 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les dépens ;

Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir que :

son recours est recevable puisque :

- la recevabilité d'un tel recours a été reconnue par la Cour de Cassation;

- la CIPAV ne peut sérieusement prétendre ne pas devoir enregistrer les droits acquis des auto-entrepreneurs, puisque cela fait partie de ses missions, et que le relevé de situation individuelle est accessible en ligne pour les assurés ;

- la CIPAV est tenue de mettre à jour le relevé de situation individuelle ;

seul l'article 2 du décret 79-262 du 21 mars 1979 doit être appliqué en ce qu'il prévoit l'attribution d'un nombre forfaitaire de points en fonction de la classe de revenus ;

l'assiette à retenir pour déterminer la classe de revenus applicable de l'auto-entrepreneur est celle du chiffre d'affaires et non du bénéfice ;

l'erreur commise par la CIPAV engendre une minoration de ses droits à la retraite et témoigne d'une résistance à la position de principe adoptée par la Cour de cassation ce qui génère un préjudice moral ;

subsidiairement, l'absence de renseignement de la rubrique dédiée aux années 2016 à 2019 sur le relevé de situation individuelle lui cause un préjudice moral ;

Dispensée de comparaître sur le fondement de l'article 946 alinéa 2 du code de procédure civile, dans ses conclusions régulièrement communiquées le 31 janvier 2024, auxquelles il est expressément référé, la CIPAV demande, à titre principal, la confirmation du jugement et, à titre subsidiaire, que les points suivants soient attribués à l'appelante :

144,2 points de retraite de base en 2013 ;

254,7 points de retraite de base en 2014 ;

228,8 points de retraite de base en 2015 ;

311,5 points de retraite de base en 2016 ;

264,2 points de retraite de base en 2017 ;

311,7 points de retraite de base en 2018 ;

529,9 points de retraite de base en 2019 ;

9 points de retraite complémentaire en 2013 ;

27 points de retraite complémentaire en 2014 ;

18 points de retraite complémentaire en 2015 ;

44 points de retraite complémentaire en 2016 ;

36 points de retraite complémentaire en 2017 ;

42 points de retraite complémentaire en 2018 ;

79 points de retraite complémentaire en 2019 ;

Elle conclut également au rejet de l'ensemble des demandes de Madame [G] [K] et à sa condamnation à lui payer 600 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle expose que :

le recours de l'appelante est irrecevable dans la mesure où :

- Mme [G] [K] n'a pas formulé de demande préalable auprès de la CIPAV avant de saisir directement la CRA puis le tribunal ;

- le document sur lequel Madame [G] [K] s'appuie, à savoir un extrait du site Internet "GIP INFO RETRAITE", est explicitement décrit comme étant indicatif et provisoire ;

- l'absence de mention pour les années 2016 à 2019 dans le relevé de situation individuelle ne permet pas de caractériser une décision de la caisse.

le calcul des points de retraite de base et complémentaire est exact puisque :

- les droits à la retraite de l'auto-entrepreneur sont proportionnels aux cotisations versées ;

- l'assiette des cotisations est déterminée par le chiffre d'affaires déclaré après application d'un abattement forfaitaire, reconstituant ainsi un revenu correspondant au bénéfice non commercial;

- les statuts de la CIPAV s'appliquent à tous les assurés ;

- il convient d'opérer une distinction entre la période antérieure au 1er janvier 2016 pour laquelle une compensation du régime par l'Etat a été prévue et la période postérieure à cette date à laquelle la compensation a pris fin ;

- le ministère de l'économie et des finances, le ministère des affaires sociales et de la santé ainsi que le secrétaire d'Etat chargé du budget ont validé le mode de calcul de la CIPAV ;

l'appelante ne justifie d'aucun préjudice ;

MOTIFS

1. Sur la recevabilité à agir de Mme [G] [K]

L'article R.142-1 du code de la sécurité sociale, dispose que les réclamations relevant de l'article L. 142-4 formées contre les décisions prises par les organismes de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole de salariés ou de non-salariés sont soumises à une commission de recours amiable composée et constituée au sein du conseil, du conseil d'administration ou de l'instance régionale de chaque organisme.

Cette commission doit être saisie dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision contre laquelle les intéressés entendent former une réclamation.

Pour déclarer Mme [K] [G] irrecevable à agir, les premiers juges ont estimé que cette dernière ne pouvait pas introduire un recours à l'encontre d'un relevé de situation individuelle qui ne constituait pas une décision au sens du droit de la sécurité sociale. Pour autant, cette motivation est en totale contradiction avec la jurisprudence de la Cour de cassation admettant la recevabilité de pareil recours ( 2e Civ., 9 novembre 2017, pourvoi n° 16-22.016).

S'il est exact que la saisine de la commission de recours amiable de l'organisme est un préalable nécessaire, à peine d'irrecevabilité, à celle de la juridiction du contentieux de la sécurité sociale, et que la saisine de la commission de recours amiable doit avoir été précédée d'une décision critiquée, pour autant l'attribution, ou le refus d'octroi, de points retraite au cotisant par la caisse gestionnaire constitue une décision dont la teneur peut être contestée. De plus, l'absence de décision de la caisse passé le délai de deux mois, constitue une décision implicite de rejet, pouvant être soumise au juge.

La cour rappelle en effet que par application combinée des articles L.161-17-1, L.161-17-1-1, R.161-11 8°, R.161-69-1 et suivants, D.161-2-1-2 et suivants du code de la sécurité sociale, dans leurs dispositions applicables:

* l'Union des institutions et services de retraites est un groupement d'intérêt public, créé dans les conditions prévues au chapitre II de la loi n°2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit, regroupant l'ensemble des organismes assurant la gestion des régimes de retraite légalement obligatoires, et qu'elle assure le pilotage stratégique de l'ensemble des projets de coordination, de simplification et de mutualisation ayant pour objet d'améliorer les relations des régimes avec leurs usagers dans lesquels tout ou partie de ses membres sont engagés et veille à leur mise en 'uvre, et, notamment, la mise en 'uvre des droits prévus aux I à V de l'article L. 161-17 et le pilotage des projets prévus aux articles L. 161-17-1-1 et L. 161-17-1-2,

* les organismes et services chargés de la gestion des régimes de retraite de base et complémentaires légaux ou rendus légalement obligatoires communiquent par voie électronique les informations nécessaires à la détermination du droit au bénéfice des prestations de retraite, au maintien des droits et, s'il y a lieu, au calcul de ces dernières,

* le relevé de situation individuelle qui est accessible en ligne pour l'assuré, doit comporter notamment, pour chaque année pour laquelle des droits ont été constitués, selon les régimes, les durées exprimées en années, trimestres, mois ou jours, les montants de cotisations ou le nombre de points pris en compte ou susceptibles d'être pris en compte pour la détermination des droits à pension.

Dès lors, l'auto-entrepreneur affilié à la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse est recevable à contester devant la commission de recours amiable puis la juridiction du contentieux de la sécurité sociale le montant des cotisations ou le nombre de points figurant sur ce relevé, comme l'absence de mention de tels éléments lorsque la période annuelle pour laquelle les droits ont été constitués est écoulée.

En l'espèce, il résulte de la procédure que l'appelante a été destinataire d'un relevé de situation individuelle édité le 6 avril 2020. Le 22 juin 2020, Mme [G] [K] a saisi la commission de recours amiable de la CIPAV en ce que la caisse retenait, pour les régimes de base et complémentaire, 'un nombre de points de retraite tronqué jusqu'à l'année 2015 et omet[tait] de renseigner les droits à la retraite (trimestre de cotisations et points de retraite) à compter de 2016 en violation de son obligation légale d'information.' Elle sollicitait, à cette occasion, de bénéficier de 2.734, 5 points de retraite de base et de 432 points de retraite complémentaire contre les 627,7 et 47points attribués par la CIPAV.

La cour constate effectivement que le relevé de situation individuelle édité le 6 avril 2020, extrait du site info retraite, mentionne, en page 5, les droits reconnus pour le régime géré par la CIPAV au titre des années 2013 (soit 144,2 points au titre du régime de base et 2 points au titre du régime complémentaire), 2014 (soit respectivement au titre de ces deux mêmes régimes 254,7 points et 27 points), et 2015 (soit respectivement au titre de ces deux mêmes régimes 228,8 et 18 points).

Il est par ailleurs exact que ce document ne comporte aucune indication pour la période postérieure, soit les années 2016 à 2019, également objets du litige, alors même que ces rubriques sont pourtant bien renseignées dans les rubriques 'retraite de base des salariés du secteur privé', 'retraite complémentaire des agents non-titulaires de l'Etat et des collectivités publiques et des élus locaux.' Or, conformément aux principes rappelés ci-dessus, dès lors que la période annuelle pour laquelle les droits ont été constitués est écoulée, les points s'y rapportant doivent figurer sur le relevé de situation individuelle.

La CIPAV ne peut utilement alléguer que ce document, qui est un relevé de situation individuelle, ne serait qu'indicatif et provisoire, alors qu'il a pour objet de permettre au cotisant de disposer d'informations nécessaires à la détermination du droit au bénéfice des prestations de retraite et doit indiquer précisément les montants de cotisations ou le nombre de points pris en compte ou susceptibles d'être pris en compte pour la détermination des droits à pension, le cotisant ayant la possibilité d'en solliciter la rectification, et par conséquent d'en contester la teneur tant devant la commission de recours amiable que devant le juge du contentieux de la sécurité sociale.

En l'absence de réponse de la commission de recours amiable dans le délai de deux mois, Mme [G] [K] est recevable en sa saisine le 31 août 2021 du pôle social du tribunal judiciaire de cette même contestation.

La fin de non-recevoir doit être rejetée par voie d'infirmation du jugement.

2. Sur les demandes de Mme [G] [K] au titre de la retraite complémentaire

2.1. Pour les années 2013 à 2015

Il résulte de l'article L. 133-6-8 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012, applicable au litige pour les points de retraite acquis au titre des années 2013 à 2015, que 'par dérogation à l'article L. 131-6-2, les travailleurs indépendants bénéficiant des régimes définis aux articles 50-0 et 102 ter du code général des impôts peuvent opter, sur simple demande, pour que l'ensemble des cotisations et contributions de sécurité sociale dont ils sont redevables soient calculées mensuellement ou trimestriellement en appliquant au montant de leur chiffre d'affaires ou de leurs revenus non commerciaux effectivement réalisés le mois ou le trimestre précédent un taux fixé par décret pour chaque catégorie d'activité mentionnée auxdits articles du code général des impôts de manière à garantir un niveau équivalent entre le taux effectif des cotisations et contributions sociales versées et celui applicable aux mêmes titres aux revenus des travailleurs indépendants. Des taux différents peuvent être fixés par décret pour les périodes au cours desquelles le travailleur indépendant est éligible à une exonération de cotisations et de contributions de sécurité sociale. Ce taux ne peut être, compte tenu des taux d'abattement mentionnés aux articles 50-0 ou 102 ter du même code, inférieur à la somme des taux des contributions mentionnés à l'article L. 136-3 du présent code et à l'article 14 de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale.'

Selon l'article L.133-6-8-3 (devenu L. 613-9) du même code, l'affectation des sommes recouvrées au titre des bénéficiaires du régime micro-social s'effectue par priorité à l'impôt sur le revenu puis, dans des proportions identiques, aux contributions mentionnées à l'article L. 136-3 du présent code et à l'article 14 de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale, le solde étant affecté aux cotisations de sécurité sociale selon un ordre déterminé par décret.

Aux termes de l'article D. 131-6-5 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur, sont concernées par cette affectation, en sus des cotisations de sécurité sociale au sens étroit du terme, les cotisations afférentes au régime d'assurance vieillesse complémentaire géré par la CIPAV au bénéfice des seuls affiliés à la section professionnelle dont celle-ci a la charge.

L'article R. 133-30-10 du code de la sécurité sociale, abrogé par le décret n° 2016-193 du 25 février 2016, qui fixe, en application de l'article L. 131-7 du même code, les modalités de la compensation par l'Etat du manque à recouvrer par les organismes sociaux, dispose que le montant de cette compensation est égal à la différence entre, d'une part, le montant des cotisations et contributions dont les travailleurs indépendants auraient été redevables, d'autre part, le montant des cotisations et contributions effectivement versées par les intéressés. Le texte précise, dans son dernier alinéa, que pour l'application de ces dispositions aux travailleurs indépendants affiliés à la CIPAV, cette compensation doit garantir au régime une cotisation au moins égale à la plus faible cotisation non nulle dont ils pourraient être redevables en fonction de leur activité.

Ces dernières dispositions, qui limitent strictement la compensation accordée par l'Etat à la CIPAV, sont étrangères aux relations entre l'organisme et ses affiliés, et sont donc sans incidence sur la détermination des droits à pension des assurés.

Les dispositions statutaires se situant dans la hiérarchie des normes à un niveau inférieur aux dispositions légales et réglementaires, la caisse ne peut utilement opposer à l'appelante ses statuts, et en particulier son article 3.12 bis, énonçant que 'le nombre de points attribués au bénéficiaire du régime prévu à l'article L.133-6-8 du code de la sécurité sociale qui est exclu de la compensation de l'Etat prévue à l'article R.133-30-10 du code de la sécurité sociale est proportionnel aux cotisations effectivement réglées'.

De même, les dispositions de l'article 3.12 des statuts de la caisse, relatif à la réduction de la cotisation pour insuffisance de revenus, ne peuvent être opposées aux auto-entrepreneurs bénéficiant d'un régime dérogatoire pour l'assiette de leurs cotisations, le régime de la compensation financière de l'Etat, conçu pour favoriser l'adhésion au régime des auto-entrepreneurs, étant totalement étranger à la situation d'insuffisance de revenus.

Sont seules applicables à la fixation du nombre de points de retraite complémentaire attribués annuellement aux auto-entrepreneurs affiliés à la CIPAV les dispositions de l'article 2 du décret n° 79-262 du 21 mars 1979 modifié. Il en découle que ce nombre de points procède directement de la classe de cotisation de l'affilié, déterminée en fonction de son revenu d'activité (2e Civ., 23 janvier 2020, n° 18-15.542), étant précisé que la cotisation s'exprime sous la forme d'un montant fixe (et non d'un pourcentage) dû par l'assuré dont le revenu, déterminé selon les règles d'assiette appropriées, est compris entre les bornes de la classe de cotisation dont celui-ci le fait relever.

Il s'ensuit qu'en l'espèce, pour l'attribution des points de retraite complémentaire afférents aux années 2013 à 2015, la CIPAV n'est pas fondée à s'appuyer, comme elle le fait, sur le mécanisme de la compensation financière de l'Etat pour calculer les droits de l'assurée : l'article 2 du décret susvisé ne prévoit pas que le calcul des points de retraite puisse s'opérer sur la base de « la cotisation la plus faible non nulle dont l'adhérent aurait pu être redevable ».

La CIPAV ne peut davantage se référer au bénéfice non commercial déclaré par l'auto-entrepreneur au lieu du chiffre d'affaires pour déterminer, à la baisse, le revenu d'activité, et par conséquent, la classe de cotisation de l'affiliée.

Le grief tiré d'une rupture d'égalité entre les auto-entrepreneurs et les autres adhérents est sans portée, dès lors que le régime applicable aux premiers se veut incitatif et répond à la volonté du législateur de favoriser la création d'entreprises par la mise en place, notamment, d'un régime de déclaration et de paiement fiscal et social simplifié, sans porter atteinte aux droits de ceux qui ont choisi d'opter pour le régime micro-social.

De même, l'argument de l'organisme selon lequel le nombre de points revendiqué par l'assurée conduit à lui attribuer des points pour une valeur d'achat largement inférieure à celle fixée par le conseil d'administration de la CIPAV est dénué de toute pertinence, puisqu'il se heurte au principe même du forfait social institué, au surplus, par des dispositions législatives.

Dès lors, le calcul doit être le suivant, fondé sur le chiffre d'affaires déclaré, selon les relevés trimestriels fournis par Mme [G] [K] à la CIPAV en fonction de l'euro affecté à la tranche de revenus pour chaque année et par tranche de revenus :

- 2013 : 15.277 euros soit 36 points (ancienne classe de cotisation A, soit moins de 41.050 euros);

- 2014 : 27.367 euros soit 72 points (nouvelle classe de cotisation B, soit entre 26.580 et 49.280 euros);

- 2015 : 24.878 euros soit 36 points (nouvelle classe de cotisation A, soit moins de 26.580 euros);

2.2. à compter de l'année 2016

S'agissant des points attribués pour les années 2016 à 2020 au titre du régime d'assurance vieillesse complémentaire d'un assuré ayant opté pour le statut d'auto-entrepreneur et affilié auprès de la CIPAV, la suppression du dispositif de compensation de l'Etat à compter du 1er janvier 2016 est sans incidence sur les modalités de calcul et le principe selon lequel le nombre de points procède directement de la classe de cotisation de l'affiliée, déterminée en fonction de son revenu d'activité, en application des dispositions de l'article 2 du décret n° 79-262 du 21 mars 1979 modifié. L'option en faveur du statut de l'auto-entrepreneur conduit toujours, en effet, à l'application d'un forfait déterminé par l'application au montant du chiffre d'affaire ou des recettes effectivement réalisés par l'intéressée d'un taux global fixé par décret selon les catégories d'activité, en vertu des dispositions de l'article L. 133-6-8, I, du code de la sécurité sociale (devenu l'article L. 613-7), dans leurs rédactions successivement applicables aux années concernées.

Par ailleurs, il a été précédemment rappelé l'absence de toute interférence des relations financières entre l'Etat et la CIPAV avec la détermination des droits à pension des affiliés.

Le principe de proportionnalité dont la CIPAV se prévaut pour le calcul des points de retraite complémentaire attribués à l'assurée pour les années 2016 à 2019 ne peut conduire à écarter les dispositions de l'article 2 du décret n° 79-262 du 21 mars 1979 modifié, seules applicables au litige.

Les moyens tirés d'une rupture d'égalité et du non-respect de la valeur d'achat des points telle que fixée par le conseil d'administration de la CIPAV sont sans portée, pour les raisons déjà exposées.

La position commune arrêtée par le Ministère de l'économie et des finances, le ministère des affaires sociales et de la santé et le secrétaire d'état chargé du budget, qui n'est qu'une interprétation des textes en litige, n'a aucune valeur normative et est contraire à la jurisprudence susmentionnée de la Cour de cassation.

Dès lors, le calcul doit être le suivant, fondé sur le chiffre d'affaires déclaré, selon les relevés trimestriels fournis par Mme [G] [K] à la CIPAV en fonction de l'euro affecté à la tranche de revenus pour chaque année et par tranche de revenus :

- 2016 : 32.647 euros soit 72 points (classe de cotisation B) ;

- 2017 : 28.644 euros soit 72 points (classe de cotisation B) ;

- 2018 : 35.016 euros soit 72 points (classe de cotisation B) ;

- 2019 : 36.811 euros soit 72 points (classe de cotisation B) ;

3. Sur les demandes de Mme [G] [K] au titre de la retraite de base

Vu l'article L 133-6-8 du code de la sécurité sociale rappelé ci-dessus ;

Il résulte de ce texte, nonobstant le renvoi aux articles 50-0 et 102-ter du code général des impôts, qui ne régit que le régime fiscal des auto-entrepreneurs, que les cotisations appelées selon un taux spécifique, sont calculées sur l'ensemble du chiffre d'affaires ou du revenu, à l'exception de la notion de bénéfice et sans référence à une déduction pour charges, dès lors que le cotisant a opté pour le régime micro-social.

Les modifications apportées par la loi n° 2015-1702 n'ont pas eu pour effet de modifier la notion mais d'éviter toute interprétation fondée par la notion de bénéfice, dès lors qu'à compter de cette date, le régime micro-social est devenu obligatoire pour les auto-entrepreneurs.

En l'espèce, Mme [G] [K] a, dès le début de son activité, opté pour le régime micro-social comme l'attestent ses déclarations fiscales. En conséquence, l'abattement pratiqué par la CIPAV n'est pas fondé.

Le revenu d'activité de Mme [G] [K] sur l'ensemble de la période litigieuse, à savoir les années 2013 à 2019, n'est pas contesté par l'intimée.

Dès lors, le calcul doit être le suivant, fondé sur le chiffre d'affaires déclaré, selon les relevés trimestriels fournis par Mme [G] [K] à la CIPAV en fonction de l'euro affecté à la tranche de revenus pour chaque année et par tranche de revenus :

- 2013 : 15.277 euros/ 69,94 euros (valeur d'achat du point de retraite en tranche 1) représentant 218,4 points de cotisations au titre de la classe 1;

- 2014 : 27.367 euros / 70,92 euros (valeur d'achat du point de retraite en tranche 1) représentant 385, 88 points arrondis à 385,9 points de cotisations au titre de la classe 1 ;

- 2015 : 24.878 euros / 72, 45 euros (valeur d'achat du point de retraite en tranche 1) représentant 343,38 points arrondis à 343,4 points de cotisations au titre de la classe 1 ;

- 2016 : 32.647 euros / 73,55 euros (valeur d'achat du point de retraite en tranche 1) représentant 443,87 points arrondis à 443,9 points de cotisations au titre de la classe 1 ;

-2017 : 28.644 euros / 74,72 euros (valeur d'achat du point de retraite en tranche 1) représentant 383, 351 points arrondis à 383,4 points de cotisations au titre de la classe 1 ;

- 2018 : 35.016 euros /75,68 euros (valeur d'achat du point de retraite en tranche 1) représentant 462, 68 points arrondis à 462, 7 points de cotisations au titre de la classe 1 ;

- 2019 : 36.811 euros / 77,18 euros (valeur d'achat du point de retraite en tranche 1) représentant 476, 94 points arrondis à 477 points de cotisations au titre de la classe 1 ;

Le décompte établi par la CIPAV sera donc modifié en ce sens, sans qu'il soit besoin de recourir au prononcé d'une astreinte.

4. Sur la demande indemnitaire de Mme [G] [K]

Selon l'article 1240 du code civil, 'tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.'

En l'espèce, la Cour de cassation a clairement arrêté une position de principe par son arrêt du 23 janvier 2020 et a été suivie par de nombreuses cours d'appel. Malgré tout, en conservant une interprétation erronée des textes applicables, la caisse impose à l'adhérente de contester le calcul de sa retraite devant la commission de recours amiable, puis devant la juridiction du contentieux de la sécurité sociale, et encore en appel, pour obtenir gain de cause, sans pourtant opposer aucun fondement juridique nouveau qui n'aurait pas été tranché par la Cour de cassation.

Ce manquement est constitutif d'une faute qui cause à l'adhérente un préjudice moral compte tenu du stress résultant des démarches juridiques à accomplir.

Le jugement sera infirmé et le préjudice de l'appelante réparé par l'allocation de la somme de 2.000 euros.

5. Sur les demandes accessoires et les dépens

La CIPAV succombe à la procédure et doit être condamnée aux dépens.

L'équité commande de condamner la CIPAV à payer à Mme [G] [K] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme, en ses dispositions soumises à la cour, le jugement rendu le 14 novembre 2022 par le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille,

Statuant à nouveau,

Déclare recevable Mme [G] [K] à agir contre la CIPAV,

Condamne la CIPAV à rectifier le nombre de points attribués à Mme [G] [K] au titre du régime de retraite de base pour les années 2013 à 2019 selon le décompte suivant :

-2013 : 218,4 points;

-2014 : 385,9 points;

-2015 : 343,4 points ;

-2016 : 443,9 points ;

-2017 : 383,4 points ;

-2018 : 462,7 points ;

-2019 : 477 points ;

Condamne la CIPAV à rectifier le nombre de points attribués à Mme [G] [K] au titre du régime de retraite complémentaire pour les années 2013 à 2019 selon le décompte suivant :

- 2013 : 36 points;

- 2014 : 72 points;

- 2015 : 36 points;

- 2016 : 72 points ;

- 2017 : 72 points ;

- 2018 : 72 points ;

- 2019 : 72 points ;

Condamne la CIPAV à transmettre à Mme [G] [K] et à lui rendre accessible, y compris en ligne, un relevé de situation individuelle conforme au présent arrêt,

Rejette la demande d'astreinte introduite par Mme [G] [K],

Condamne la CIPAV à payer à Mme [G] [K] la somme de 2.000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

Condamne la CIPAV à payer à Mme [G] [K] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la CIPAV aux dépens.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-8a
Numéro d'arrêt : 22/15981
Date de la décision : 18/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 24/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-18;22.15981 ?
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