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14/06/2024 | FRANCE | N°23/12177

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-3, 14 juin 2024, 23/12177


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3



ARRÊT AU FOND

-ASSIGNATION À JOUR FIXE-



DU 14 JUIN 2024



N°2024/ 103





RG 23/12177

N° Portalis DBVB-V-B7H-BL6QZ







[Y] [C]





C/



S.E.L.A.S. CERBALLIANCE PROVENCE AZUR











Copie certifiée conforme délivrée le 14 Juin 2024 par LRAR à:

-Madame [Y] [C]

- S.E.L.A.S. CERBALLIANCE PROVENCE AZUR







Copie exécutoire dél

ivrée

le 14 Juin 2024 à :



-Me Roselyne SIMON-THIBAUD, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

V145



-Me Nicolas CZERNICHOW de la SELAS ærige, avocat au barreau de PARIS













Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes -...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3

ARRÊT AU FOND

-ASSIGNATION À JOUR FIXE-

DU 14 JUIN 2024

N°2024/ 103

RG 23/12177

N° Portalis DBVB-V-B7H-BL6QZ

[Y] [C]

C/

S.E.L.A.S. CERBALLIANCE PROVENCE AZUR

Copie certifiée conforme délivrée le 14 Juin 2024 par LRAR à:

-Madame [Y] [C]

- S.E.L.A.S. CERBALLIANCE PROVENCE AZUR

Copie exécutoire délivrée

le 14 Juin 2024 à :

-Me Roselyne SIMON-THIBAUD, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

V145

-Me Nicolas CZERNICHOW de la SELAS ærige, avocat au barreau de PARIS

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 14 Septembre 2023 enregistré au répertoire général sous le n° F20/00181.

APPELANTE

Madame [Y] [C], demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE, SIMON-THIBAUD, JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Gilles BOUKHALFA, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

S.E.L.A.S. CERBALLIANCE PROVENCE AZUR, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Nicolas CZERNICHOW de la SELAS ærige, avocat au barreau de PARIS

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 Mars 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre, et Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant, chargées du rapport.

Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre

Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant

Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 14 Juin 2024.

ARRÊT

CONTRADICTOIRE

Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 Juin 2024.

Signé par Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * * * * * * *

FAITS- PROCEDURE-PRETENTIONS DES PARTIES

Mme [Y] [C] a été embauchée à compter du 1er juillet 1981, selon contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, par le laboratoire Adibio, en qualité de secrétaire, statut non cadre coefficient 350 de la convention collective nationale des laboratoires de biologie médicale extra-hospitaliers.

Le contrat de travail a été transféré successivement en 2011 à la société Biotop Développement puis à la société Cerballiance Provence.

La salariée a été placée en arrêt maladie du 19 mars au 5 novembre 2013, et lors de la reprise, la médecine du travail a préconisé un mi-temps thérapeutique.

A compter du 1er juillet 2014, la salariée a bénéficié d'un placement en invalidité catégorie1.

Le 18 septembre 2014, la salariée transmettait à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône, une déclaration de maladie professionnelle pour «carcinome urothelial de la vessie» selon certificat de son médecin généraliste du 19 mars 2013.

Après avoir recueilli l'avis de la CRRMP, la caisse a notifié le 29 juin 2015, un refus de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie.

Le contrat de travail a été à nouveau suspendu pour arrêt maladie à compter du 6 mars 2018 et la salariée n'est plus revenue dans l'entreprise.

Mme [C] était avisée par la caisse primaire d'assurance maladie le 22 juillet 2019 d'un changement en invalidité catégorie 2 à compter du 1er septembre 2019.

Après avoir vue lors d'une 1ère visite la salariée le 30 septembre 2019, échangé avec l'employeur, fait une étude des conditions du travail, le médecin du travail a, le 15 octobre 2019, revue Mme [C] en 2ème visite et rendu un avis d'inaptitude au poste de secrétaire, précisant que l'état de santé de la salariée faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

La société a convoqué Mme [C] pour un entretien préalable au licenciement puis l'a licenciée par lettre recommandée du 25 novembre 2019, pour inaptitude d'origine non professionnelle et impossibilité de reclassement.

Le 4 février 2020, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille notamment aux fins de contestation de son licenciement.

Selon jugement du 14 septembre 2023, le conseil de prud'hommes s'est déclaré incompétent au profit du tribunal judiciaire et a condamné le demandeur aux dépens.

Le conseil de Mme [C] a interjeté appel par déclaration du 28 septembre 2023 et a, selon requête du même jour, sollicité l'autorisation d'assigner à jour fixe.

Par ordonnance du 10 octobre 2023, l'appelante a été autorisée à assigner la société pour l'audience du 23 janvier 2024, date à laquelle l'affaire a été renvoyée à la demande des conseils des parties.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises au greffe par voie électronique le 26 décembre 2023, Mme [C] demande à la cour de :

«A titre principal, de :

ANNULER le jugement rendu par le Conseil des Prud'hommes de Marseille en date du 14 septembre 2023 pour défaut de motivation.

A titre subsidiaire, de :

INFIRMER le jugement rendu en ce que le Conseil des Prud'hornmes s°est déclaré incompétent au profit du Tribunal judiciaire

En tout état de cause, de :

EVOQUER l'affaire au visa de l'article 88 du code de procédure civile

Par conséquent,

A titre principal de :

CONDAMNER la société CERBALLIANCE PROVENCE à verser à Madame [C] les sommes suivantes :

- 30 928,11 € à titre de rappel sur indemnité spéciale de licenciement

- 8 492,76 € à titre d'indemnité compensatrice

- 56 618,40 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et serieuse

- 50 000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice d'anxiété subi

A titre subsidiaire, de :

CONDAMNER la société CERBALLIANCE PROVENCE à verser à Madame [C] les sommes suivantes :

- 8 492,76 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 849,27 € au titre de l'incidence congés payés

- 56 618,40 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et serieuse

- 50 000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice d'anxiété subi

En tout état de cause, de

CONDAMNER la société CERBALLIANCE PROVENCE à verser à Madame [C] le somme de 2500€ au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

JUGER que le montant des condamnations portera intérêts de droit à compter du jour de l'introduction de la demande en justice avec capitalisation.

La CONDAMNER aux dépens.»

Dans ses dernières écritures transmises au greffe par voie électronique le 19 décembre 2023, la société demande à la cour de :

«A titre principal :

CONFIRMER le jugement du Conseil de prud'hommes de Marseille rendu le 14 septembre 2023 en ce qu'il s'est déclaré incompétent au profit du pôle social du Tribunal judiciaire de Marseille DEBOUTER Madame [Y] [C] de l'ensemble de ses demandes

A titre subsidiaire, si la Cour décidait qu'il y a lieu d'évoquer le fond de l'affaire :

FIXER le salaire moyen mensuel brut à hauteur de 1.418,41 euros

Sur les demandes portant sur la rupture du contrat de travail

A titre principal :

DEBOUTER Madame [Y] [C] de sa demande de rappel d'indemnité spéciale de licenciement DEBOUTER Madame [Y] [C] de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis

DEBOUTER Madame [Y] [C] de sa demande d'indemnité compensatrice de congés payés

DEBOUTER Madame [Y] [C] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement

sans cause réelle et sérieuse

A titre subsidiaire, si la Cour reconnaissait qu'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est due :

LIMITER l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 4.255,23 euros bruts.

Sur la demande relative au préjudice d'anxiété

DEBOUTER Madame [Y] [C] de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice d'anxiété

En tout état de cause :

CONDAMNER Madame [C] à la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens. »

Pour l'exposé plus détaillé des prétentions et moyens des parties, il sera renvoyé, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions des parties sus-visées.

MOTIFS DE L'ARRÊT

Sur la demande d'annulation du jugement

Le jugement déféré a exposé les prétentions de la salariée mais ayant fait droit à l'exception d'incompétence soulevée par la société, les juges n'avaient pas l'obligation de rappeler les moyens de fond développés par les parties.

Quant à la motivation du jugement sur la compétence, elle satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile, de sorte que la demande d'annulation doit être rejetée.

Sur le déclinatoire de compétence

La salariée soutient que le conseil de prud'hommes a occulté les demandes formées au titre de la rupture du contrat de travail, demandes sur lesquelles il est seul compétent.

Elle fait valoir également une confusion entre la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie et l'appréciation de l'origine professionnelle de l'inaptitude pour l'octroi des indemnités prévues à l'article L. 1226-14 du code du travail.

Au visa des articles L.1411-4 du code du travail et des articles L.451-1, L.142-1, L.452-3 du code de la sécurité sociale, la société soutient que Mme [C] ne peut solliciter la reconnaissance de l'origine professionnelle de la maladie et la réparation des conséquences de cette maladie, que devant les juridictions de sécurité sociale, dans le cadre de l'application de la législation sur les risques professionnels.

Elle invoque à ce titre, le fait que la salariée a introduit une demande en ce sens devant le pôle social du tribunal judiciaire qui l'a déboutée par jugement du 3 juillet 2023, tout en s'abstenant de communiquer le jugement.

Elle estime que, sous couvert d'une action en responsabilité à l'encontre de l'employeur pour manquement à l'obligation de sécurité, Mme [C] demande en réalité la réparation du préjudice résultant d'une maladie d'origine non professionnelle, même si l'action en faute inexcusable n'est pas formalisée en tant que telle, et considère qu'une telle action ne peut être portée que devant le pôle social du tribunal judiciaire, le conseil de prud'hommes s'étant donc valablement déclaré incompétent.

Selon l'article L.142-8 du code de la sécurité sociale, le juge judiciaire connaît des contestations relatives au contentieux de la sécurité sociale défini à l'article L. 142-1, parmi lesquelles figurent notamment les litiges relatifs à l'application des législations et réglementations de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole.

Par ailleurs, l'article L.1411-1 du code du travail dispose : « Le conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail

soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient. Il juge les litiges lorsque la conciliation n'a pas abouti ».

Il résulte de la combinaison de ces dispositions, que le juge judiciaire du pôle social a compétence exclusive pour trancher les litiges relatifs à la réparation des conséquences d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, y compris lorsqu'ils portent sur l'indemnisation complémentaire pour faute inexcusable.

Il en découle que le salarié ne peut former devant la juridiction prud'homale une action en dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité de résultat pour obtenir l'indemnisation des dommages résultant d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle.

En revanche, les juridictions prud'homales demeurent compétentes pour statuer sur les demandes indemnitaires relatives à des préjudices découlant directement du licenciement.

En l'espèce, l'analyse des écritures de Mme [C] permet de dire que la demande à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, est fondée d'une part sur un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et d'autre part, sur la violation de l'obligation de reclassement, la salariée reprochant également à l'employeur une consultation irrégulière du CSE. Elle sollicite en outre une indemnisation au titre de son préjudice d'anxiété.

Il y a lieu de constater qu'un appel (pièce 42 salariée) est en cours d'examen devant la cour, statuant en matière d'affaires de sécurité sociale, à l'occasion d'une instance relative à une maladie professionnelle invoquée, en lien avec les conditions de travail habituelles de Mme [C], mais la salariée ne demandant pas devant le conseil de prud'hommes et devant la présente cour, l'indemnisation d'un préjudice spécifique pour manquement à l'obligation de sécurité, la juridiction prud'homale était compétente pour statuer sur le manquement préalable invoqué à l'appui d'une origine professionnelle de l'inaptitude et ses conséquences sur la rupture.

En conséquence, le jugement doit être infirmé et en application de l'article 88 du code de procédure civile, tel que demandé par les parties, la cour évoque le fond afin de donner à l'affaire une solution définitive.

Sur l'obligation de sécurité

Le code du travail impose cette obligation à l'employeur par les articles L.4121-1 & suivants, en ces termes:

L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1 Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ;

2 Des actions d'information et de formation ;

3 La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

L'employeur met en oeuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention prévus à l'article L.4121-2 du même code.

Il doit assurer l'effectivité de ces mesures.

La salariée indique avoir été exposée à des substances toxiques à base d'amines aromatiques dans l'exercice de sa profession de secrétaire médicale au sein du laboratoire d'analyse médicale de La [Localité 3] de 1981 à 2011, soit pendant plus de 30 ans.

Elle précise que :

- aucune mesure de prévention et de protection n'a été prise par l'employeur sur cette période,

- ce n'est qu'à partir de 2011 que le plateau technique a été délocalisé sur un site distinct, mais à la fin de l'année 2011, il restait encore, dans les stocks des laboratoires Biotop Développement, certains de ces produits hautement toxiques.

Elle explique qu'à la suite de cette longue exposition à ces produits toxiques, un cancer de la vessie a été diagnostiqué en 2013, ayant nécessité examens, traitements lourds et arrêts de travail, cette grave pathologie étant à l'origine de l'inaptitude médicalement constatée en 2019.

Elle invoque l'absence de production d'un document unique d'évaluation des risques pour les années 2002 à 2013.

Elle indique qu'avant 2012, le laboratoire était dépourvu de système d'aération et d'extracteur.

Elle reproche à l'employeur d'avoir sous-évalué les risques et de n'avoir pris aucune mesure pour prévenir les risques de contamination cutanée ou respiratoire avant son licenciement.

Elle produit à l'appui :

- son questionnaire de réponse à la caisse primaire d'assurance maladie, concernant la maladie professionnelle déclarée (pièce 2)

- deux attestations d'anciennes collègues de travail (pièces 3 & 4)

- un plan du laboratoire de La [Localité 3] pièce 5)

- une fiche d'information et de prévention de l'exposition aux risques cancérogènes professionnels éditée par la CRAMIF dans sa version du 01/04/2010 (pièce 6)

- un extrait d'une note (incomplète) de congrès INRS de 2007, sur le cancer de la vessie en milieu professionnel (pièce 7)

- une fiche INRS sur les modifications apportées au tableau n°15 TER par le décret n°2012-936 du 01/08/2012 visant les lésions prolifératives de la vessie provoquées par les amines aromatiques, comme maladie et une liste des principaux travaux susceptibles de provoquer celles-ci (pièce 8)

- une liste des produits en stock sur les sites des laboratoires Biotop Developpement au 21/12/2011 (pièce 9)

- une photo d'une étiquette de stockage de produits chimiques (pièce 10)

- une note d'information sur la création d'un CHSCT au sein de Biotop Développment depuis janvier 2012 (pièce 11)

- une fiche individuelle aux agents chimiques et dangereux établie le 29/03/2012, présentant une signature d'un responsable d'unité (pièce 12).

L'employeur indique avoir mis en oeuvre les mesures nécessaires pour préserver la santé et la sécurité de ses salariés, par la mise en place de dispositifs de captation et d'aspiration de fumées, gaz et poussières potentiellement présents dans le laboratoire (deux systèmes de climatisation réversible de la marque Toshiba et de la marque Zenith Air, ainsi que leur gainable).

Il précise que la salle au sein de laquelle les prélèvements étaient entreposés et les amines aromatiques stockés disposait d'un système de renouvellement de l'air et d'aspiration de l'air opérationnel.

Il reproduit page 20 de ses conclusions, un tableau des risques à l'exposition de produits chimiques et aux agents biologiques et les dispositifs de sécurité recensés, concernant les secrétaires.

Il produit notamment à l'appui :

- la liste des équipements existants sur le site de La [Localité 3]

- les contrats d'entretien et de maintenance des appareils de climatisation

- le calendrier d'intervention et de vérification de ces appareils

- une fiche d'intervention du 12/06/2014,

- le document unique d'évaluation des risques du site de La [Localité 3] 2013-2014 et 2019-2020.

Contrairement à ce qu'indique l'intimée, la charge de la preuve du respect de l'obligation de moyens renforcée incombe à l'employeur ; or, la cour constate l'absence de production par la société de tout document concernant la période antérieure à 2013, date à laquelle la salariée a développé un cancer constaté médicalement.

En conséquence, l'employeur ne justifie pas avoir pris les mesures nécessaires pour préserver la salariée de risques potentiels d'exposition aux agents chimiques et biologiques cancérogènes, tels que décrits dans la pièce 6 soit la fiche d'information et de prévention éditée spécifiquement pour les activités au sein des laboratoires, par le service national de prévention de l'exposition aux risques.

Sur l'origine de l'inaptitude et ses conséquences

La salariée rappelle que les règles protectrices particulières aux salariés victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.

Elle indique avoir informé la société, de ses différents recours contre la décision de refus de la caisse d'assurance maladie et en dernier le 8 novembre 2019, soit avant son licenciement.

Elle précise que ses fonctions de secrétaire médicale ne ne se limitaient pas à des tâches d'accueil des patients, mais s'effectuait également au sein du plateau technique (appelé également laboratoire), jouxtant le bureau d'accueil, déclarant y déposer les prélèvements des patients (prélèvements bactériologiques,urines, selles... ), y couler des milieux de culture (préparer les boites de pétri à couler les géloses), y assurer une partie des tâches administratives, telles que le traitement et la gestion des dossiers, car les dossiers y étaient rangés.

Elle ajoute que le laboratoire était dépourvu de système d'aération et d'extracteur et que les toilettes utilisées par le personnel et les patients se trouvaient dans la partie du laboratoire (plateau technique) où étaient notamment réalisées les analyses des résidus bactériologiques.

En complément des pièces déjà produites citées ci-dessus, elle vise des documents médicaux (pièces 13-14-15-35).

L'employeur considère que les documents produits ne permettent pas d'identifier précisément la disposition des locaux et l'absence de dispositif d'aération de la salle utilisée pour la réalisation de prélèvements, soulignant que Mme [C] n'était pas amenée dans le cadre de ses fonctions à réaliser les missions d'un technicien du laboratoire, comme l'atteste la fiche de poste d'une secrétaire.

La cour relève que les attestations produites par l'appelante sont conçues en des termes vagues et imprécis, pour l'une ne citant aucune date et pour l'autre, se contentant de dire que Mme [C] a été mise en contact avec «certains produits», et à l'instar de l'employeur, constate que :

- le plan n'est pas lisible ni authentifié comme étant celui de La [Localité 3]

- la photo ne comporte aucune mention démontrant qu'elle a été prise dans le laboratoire et à quelle date

- la fiche individuelle ne mentionnant pas de nom et prénom ne peut être attribuée à la salariée

- la liste de produits en stock ne permet pas de dire que la salariée a été en contact avec ceux-ci.

S'agissant des éléments médicaux, le dossier de la médecine du travail révèle que dans le cadre d'un arrêt de travail pour une fracture cervicale le 7 mars 2013, ayant conduit ultérieurement à la préconisation d'un mi-temps thérapeutique, une hématurie macroscopique a été constatée, et le Dr [M], médecin du travail, dans son certificat du 17 mars 2017, indique : «selon ses dires, elle a pu être antérieurement exposée par inhalation à certains produits et de manière indirecte», le Dr [D], chirurgien urologue, dans son certificat du 06/02/18, qui déclare suivre Mme [C] depuis 2013 «pour des tumeurs superficielles de vessie de haut risque», étant tout aussi prudent «Ses polypes récidivants peuvent être en rapport avec l'exposition professionnelle aux amines».

Même s'il existe une indépendance entre les décisions du pôle social et le conseil de prud'hommes, les avis et décisions produits ont souligné l'absence de preuve d'une exposition aux agents incriminés et l'absence de lien direct et essentiel entre le cancer développé et le travail habituel de la salariée, celui-ci ne faisant pas partie - au demeurant - des travaux visés dans la fiche 15 ter.

En outre, l'appelante ne caractérise pas le lien de causalité entre la maladie professionnelle dont elle s'est prévalue en novembre 2014 comme ayant commencé en 2013 et l'inaptitude constatée en 2019.

A cet égard, il ressort du dossier médical de Mme [C] qu'après un aménagement préconisé sous forme de mi-temps thérapeutique, la salariée a été déclarée apte à son poste le 17 décembre 2015 et le 17 mars 2017, a été revue par la médecine du travail mais sans fiche (annotation : venait demander des documents pour audience TASS) et qu'il n'est produit aucun élément médical ou arrêt de travail postérieur, seul l'employeur précisant dans la note d'information au CSE (pièce 17), que Mme [C] a été en arrêt pour maladie non professionnelle à compter du 6 mars 2018.

En conséquence, la cour dit qu'en l'absence de contestation de l'avis d'inaptitude, et de démonstration d'une inaptitude d'origine professionnelle, Mme [C] ne peut solliciter une indemnisation au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, une indemnité compensatrice de préavis et une indemnité de licenciement doublée.

Sur l'obligation de reclassement

La salariée reproche à l'employeur d'avoir communiqué au CSE des informations incomplètes et inexactes, en ayant omis de lui transmettre l'avis d'inaptitude et d'indiquer qu'elle avait déclaré une maladie professionnelle et adressé des arrêts de travail en ce sens.

Elle estime également que l'employeur aurait dû rechercher un reclassement sur un autre poste que celui de secrétaire, au sein des sociétés du groupe auquel elle appartient, le simple fait pour un médecin du travail d'avoir coché la case relative à la mention : « l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi» ne le privant pas d'apporter des précisions et limitations à cette mention.

L'employeur rappelle les dispositions de l'article L.1226-2-1 du code du travail dénuées d'ambiguïté et la jurisprudence ayant précisé que le périmètre de la dispense de reclassement s'apprécie au regard de l'entreprise et du groupe auquel elle appartient.

Il relève en outre que la consultation non obligatoire du CSE a été accomplie, considérant l'argumentation de Mme [C] inopérante puisque le caractère professionnel d'une maladie dont il n'a jamais eu connaissance, n'a jamais été reconnu.

En application de l'article sus-visé, l'employeur peut rompre le contrat de travail d'un salarié déclaré inapte par le médecin du travail s'il justifie de la mention expresse dans l'avis d'inaptitude que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable a sa santé ou que son état de santé fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Or, une telle mention figure sur l'avis d'inaptitude rendu le 15 octobre 2019, et de façon redondante, le médecin du travail a d'une part, coché la case correspondant au cas de dispense de l'obligation de reclassement, et d'autre part, dans ses conclusions et indications, précisé l'inaptitude au poste et à tout emploi, ne visant aucun site, de sorte que l'employeur était dispensé de chercher à reclasser la salariée et de lui proposer un emploi.

La société pouvait donc engager immédiatement la procédure de rupture du contrat de travail sans consultation du CSE, ce qu'il a pourtant fait, les critiques portées par Mme [C] sur cette consultation étant au demeurant inopérantes.

En conséquence, Mme [C] doit être déboutée de sa demande visant à dire, de ce deuxième chef, le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur le préjudice d'anxiété

La salariée considère que son action n'est pas prescrite, le point de départ ne pouvant être inférieur à la date à laquelle cette exposition a pris fin, soit en l'espèce au 25 novembre 2019, lorsqu'elle a quitté définitivement le laboratoire.

Elle indique que le préjudice d'anxiété, qui ne résulte pas de la seule exposition au risque créé par une substance nocive ou toxique, est constitué par les troubles psychologiques qu'engendre la connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave par les salariés, dont la preuve peut être rapportée notamment par des attestations émanant de proches.

Au visa de l'article L.1471-1 du code du travail, l'employeur considère que le point de départ du délai de prescription devrait être le 19 mars 2013, date du certificat médical initial, ou à compter de l'année 2011; il estime que la salariée ne démontre pas un manquement de l'employeur aux règles en vigueur à l'époque, un préjudice spécifique et personnel, et un lien de causalité entre le risque et le préjudice allégué ; à titre subsidiaire, il demande de ramener à de plus justes proportions, le montant des dommages et intérêts.

Outre le fait que la salariée ne démontre pas avoir été exposée à un agent nocif postérieurement à fin 2011, date retenue par elle aux termes de ses écritures, ou même au diagnostic posé par son médecin traitant en mars 2013, ce qui induirait une prescription de son action, la déclaration de la maladie fait obstacle à retenir un préjudice d'anxiété, le risque ayant été réalisé.

En conséquence, la salariée doit être déboutée de sa demande indemnitaire.

Sur les autres demandes

L'appelante qui succombe totalement doit assumer la charge des dépens de la procédure et être déboutée de sa demande faite sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Des considérations d'équité justifient d'écarter la demande faite à ce titre par la société.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, en matière prud'homale,

Infirme la décision entreprise,

Evoquant,

Déboute Mme [Y] [C] de l'ensemble de ses demandes,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [C] aux dépens de 1ère instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-3
Numéro d'arrêt : 23/12177
Date de la décision : 14/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-14;23.12177 ?
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