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14/06/2024 | FRANCE | N°22/15486

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-8b, 14 juin 2024, 22/15486


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8b



ARRÊT AU FOND

DU 14 JUIN 2024



N°2024/.













Rôle N° RG 22/15486 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BKLQY







S.A.S.U. [6]





C/



[R] [E]

C.P.A.M DU VAR

CPAM DES ALPES MARITIMES







































Copie exécutoire délivrée

le :

à :r>
Me Paul GUILLET

Me Marion MENABE

Me Stéphane CECCALDI

CPAM DES ALPES MARITIMES

















Décision déférée à la Cour :



Jugement du Pole social du TJ de TOULON en date du 09 Novembre 2022, enregistré au répertoire général sous le n° 19/03552.





APPELANTE



S.A.S.U. [6], demeurant [Adresse 1]

208, BD. [Adresse 5]...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8b

ARRÊT AU FOND

DU 14 JUIN 2024

N°2024/.

Rôle N° RG 22/15486 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BKLQY

S.A.S.U. [6]

C/

[R] [E]

C.P.A.M DU VAR

CPAM DES ALPES MARITIMES

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Paul GUILLET

Me Marion MENABE

Me Stéphane CECCALDI

CPAM DES ALPES MARITIMES

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Pole social du TJ de TOULON en date du 09 Novembre 2022, enregistré au répertoire général sous le n° 19/03552.

APPELANTE

S.A.S.U. [6], demeurant [Adresse 1]

208, BD. [Adresse 5]

représentée par Me Paul GUILLET de la SELARL PROVANSAL D'JOURNO GUILLET & ASSOCIÉS, avocat au barreau de

MARSEILLE

INTIMES

Monsieur [R] [E], demeurant [Adresse 2],

[Adresse 4]

représenté par Me Marion MENABE de la SELARL MENABE-

AMILL, avocat au barreau de DRAGUIGNAN

C.P.A.M DU VAR, demeurant [Adresse 8]

[Adresse 9]

représentée par Me Stéphane CECCALDI, avocat au barreau de MARSEILLE

CPAM DES ALPES MARITIMES,

demeurant [Adresse 3]

a été dispensée en application des dispositions de l'article 946 alinéa

2 du code de procédure civile, d'être représentée à l'audience.

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 Avril 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Colette DECHAUX, Présidente de chambre, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Colette DECHAUX, Présidente de chambre

Mme Isabelle PERRIN, Conseiller

Monsieur Benjamin FAURE, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Anne BARBENES.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 14 Juin 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 Juin 2024

Signé par Madame Colette DECHAUX, Présidente de chambre et Madame Anne BARBENES, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [R] [E], employé par la société [6], depuis le 20 février 2006 en qualité de coffreur, a été victime le 2 mai 2016, d'un accident du travail, pris en charge au titre de la législation sur les risques professionnels.

La caisse primaire d'assurance maladie du Var l'a déclaré consolidé à la date du 31 décembre 2018, puis a fixé le 6 mars 2019 à 97% son taux d'incapacité permanente partielle (dont 10% au titre du taux professionnel).

M. [E] a été licencié pour inaptitude au poste et impossibilité de reclassement le 22 février 2019.

Il a saisi le 5 décembre 2019 un tribunal de grande instance aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur dans son accident du travail.

Par jugement en date du 9 novembre 2022, le tribunal judiciaire de Toulon, pôle social, a:

* mis hors de cause la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes,

* dit que l'accident du travail dont M. [E] a été victime le 2 mai 2016 est dû à la faute inexcusable de son employeur, la société [6],

* fixé au maximum la majoration de rente versée par la caisse primaire d'assurance maladie du Var à M. [E],

* dit que cette majoration suivra l'évolution éventuelle du taux d'incapacité permanente partielle de M. [E] en cas d'aggravation de son état de santé, et ce dans la limite des plafonds prévus par l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale,

* ordonné une expertise médicale aux frais avancés de la caisse primaire d'assurance maladie du Var,

* dit que la caisse primaire d'assurance maladie du Var fera l'avance de la majoration de rente et en récupérera directement et immédiatement le montant ainsi que celui des sommes allouées à M. [E] auprès de la société [6],

* sursis à statuer sur les autres demandes jusqu'au dépôt du rapport d'expertise.

Ce jugement est assorti de l'exécution provisoire.

La société [6] a régulièrement interjeté appel dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas discutées.

Par conclusions remises par voie électronique le 9 janvier 2024, soutenues oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, la société [6] sollicite la réformation du jugement entrepris et demande à la cour, statuant à nouveau, de:

* débouter M. [E] de l'ensemble de ses demandes,

* condamner M. [E] à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

A titre subsidiaire, elle lui demande de:

* renvoyer M. [E] devant le tribunal judiciaire pour la liquidation de ses préjudices,

* débouter M. [E] de sa demande d'évocation.

A titre infiniment subsidiaire, elle lui demande de:

* liquider les préjudices de M. [E] ainsi qu'il suit:

- déficit fonctionnel temporaire: 18 793.51 euros,

- assistance tierce personne avant consolidation: 30 336 euros,

- souffrances endurées: 20 000 euros,

- préjudice esthétique: 6 000 euros,

- préjudice sexuel: 10 000 euros,

- déficit fonctionnel permanent: 240 300 euros,

* débouter M. [E] de ses demandes au titre du préjudice d'agrément et de la perte de revenus,

* dire que la caisse primaire d'assurance maladie devra faire l'avance des sommes allouées à la victime à charge pour elle d'en récupérer le montant auprès de l'employeur.

Par conclusions n°2 remises par voie électronique le 12 mars 2024, soutenues oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, M. [E] sollicite la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et demande à la cour, y ajoutant, de condamner la société [6] au paiement des sommes suivantes:

* déficit fonctionnel temporaire: 23 554 euros,

* assistance tierce personne: 47 400 euros,

* souffrances endurées: 35 000 euros,

* préjudice esthétique: 10 000 euros,

* préjudice d'agrément: 20 000 euros,

* préjudice sexuel: 75 000 euros,

* perte ou diminution des possibilités de promotion professionnelle, perte de revenus: 100 000 euros,

* déficit fonctionnel permanent: 240 300 euros,

soit au total 551 254 euros,

* 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Par courrier daté du 8 août 2023, la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes sollicite sa mise hors de cause.

Par conclusions visées par le greffier le 10 avril 2024, soutenues oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, la caisse primaire d'assurance maladie du Var indique s'en remettre à la décision de la cour sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur ainsi que sur la majoration de la rente, les indemnisations des souffrances endurées, du préjudice esthétique et du déficit fonctionnel permanent.

Elle lui demande de:

* ramener à de plus justes proportions les sommes sollicitées au titre du déficit fonctionnel temporaire, de la tierce personne et du préjudice sexuel,

* rejeter la demande d'indemnisation du préjudice d'agrément et subsidiairement la ramener à de plus justes proportions,

* rejeter la demande d'indemnisation de la diminution des possibilités de promotion professionnelle et de la perte de revenus,

* condamner la société [6], dans l'hypothèse où sa faute inexcusable serait retenue, à lui rembourser l'intégralité des sommes dont elle serait tenue de faire l'avance, y compris les frais d'expertise.

MOTIFS

La caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes, mise hors de cause par le jugement frappé d'appel, bien que mentionnée sur déclaration d'appel en qualité d'intimée, qui n'est pas l'organisme de sécurité sociale du salarié, doit être mise hors de cause.

1- sur la faute inexcusable:

Pour dire que l'accident du travail dont a été victime le salarié le 2 mai 2016, est dû à la faute inexcusable de son employeur, les premiers juges ont retenu que:

* le salarié se trouvait sur une banche à 6 mètres du sol, alors que le grutier manoeuvrait la benne pour apporter du béton lorsqu'elle a été déportée par une rafale de vent et a heurté le salarié,

* l'employeur avait conscience du danger auquel étaient exposés ses ouvriers en raison des conditions météorologiques le jour de l'accident, pour connaître les consignes grutier portant sur les manutentions de charges en fonction de leur prise au vent, et le bulletin météo de la journée du 2 mai 2016, mentionnait que les rafales de vent dépassaient les seuils rendant nécessaire d'arrêter la manutention des charges,

* l'employeur n'a pas pris les mesures nécessaires à la protection du salarié, l'utilisation de chaussettes de six mètres pour tenir la benne éloignée des coffreurs étant inefficace compte tenu de la vitesse du vent.

Exposé des moyens des parties:

L'employeur qui ne conteste pas l'existence le jour de l'accident de rafales de vent pouvant atteinte 60km/h, allègue avoir pris des mesures de prévention, portant sur l'utilisation de la chaussette de 6 mètres pour tenir compte des conditions météorologiques particulières, soutenant qu'elles n'étaient pas telles que l'utilisation des grues aurait dû être stoppée.

Il argue que les déclarations du grutier sur des rafales de vent pouvant souffler à 80 km/h ne sont pas corroborées par une pièce quelconque, qu'elles se situaient entre 30 et 60km/h, pour soutenir que les conditions météorologiques n'empêchaient pas l'utilisation de la grue pour les bennes à béton, qu'il avait appréhendé ce paramètre en prenant la décision de cesser d'utiliser des banches, lesquelles présentent une prise au vent trop importante, en poursuivant les opérations de coulage qui sont autorisées dans les limites de vitesse de vent sensiblement supérieures à l'utilisation des banches.

Il soutient que le compte-rendu du comité d'hygiène et de sécurité au travail contredit les déclarations du grutier et que l'arbre des causes laisse apparaître différents éléments totalement indépendants de la volonté de l'employeur, le grutier ayant mal évalué la distance et la hauteur, la benne était trop basse en approche, pour être située au niveau des coffreurs.

Il argue que le rapport de vérification de la grue à tour impliquée dans l'accident du travail ne relève pas de défectuosité, ni d'anomalie et souligne que le contrat de mise à disposition du grutier mentionne qu'il a la qualification de grutier N4P1, soit de chef d'équipe, pour soutenir que les déclarations de ce dernier le sont pour minimiser sa responsabilité alors qu'il a réalisé une mauvaise manoeuvre.

Le salarié réplique que les conditions météorologiques du jour de son accident du travail étaient connues de son employeur, que la législation prévoit que la grue ne doit être employée que si les rafales de vent ne dépassent pas les70 km/h, alors que la vitesse du vent était comprise entre 60 et 70km/h, et que le maximum a été de 80 km/h.

Il soutient que le chef de chantier aurait dû faire stopper le chantier, la vitesse du vent étant excessive, et relève que le bulletin météorologique précise que les anémomètres de référence sont placés à 10m du sol et qu'il faut rajouter 12 km/h pour avoir la vitesse du vent au sommet d'une grue d'une hauteur de 30m.

Il tire des déclarations du responsable du chantier que c'est à cause du vent et de la contrainte de poursuivre le coulage que le grutier a été contraint de descendre la benne, afin qu'il puisse attraper la corde, trop éloignée à cause du vent, et que lors de la rafale, la benne est venue lui percuter la tête, pour soutenir que la cause déterminante est bien le vent, tout en ajoutant que si une faute peut être retenue à la charge du grutier d'avoir descendu trop bas la benne, ce n'est que sur ordre du chef de chantier, et donc de l'employeur, que l'accident du travail s'est produit, la faute inexcusable de l'employeur étant d'avoir poursuivi le travail dans de telles conditions.

Il argue que la décision d'utiliser une chaussette de six mètres a été prise par le grutier et non par son employeur qui n'a pris aucune mesure pour le protéger du danger, et relève que si le rapport de vérification de la grue ne laisse pas apparaître de défectuosité, pour autant l'anémomètre avait un mauvais positionnement sur celle-ci.

Réponse de la cour:

Dans le cadre de l'obligation de sécurité pesant sur l'employeur destinée, notamment, à prévenir les risques pour la santé et la sécurité des salariés, les dispositions des articles L.4121-1 et suivants du code du travail lui font obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

L'employeur doit, notamment, en application des articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail:

* mettre en place une organisation et des moyens adaptés et veiller à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes,

* adapter le travail à l'homme en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que les choix des équipements de travail et les méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé,

* planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants.

Le manquement à cette obligation de prévention des risques a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il suffit que la faute inexcusable de l'employeur soit une cause nécessaire de l'accident du travail pour engager sa responsabilité.

C'est au salarié qu'incombe la charge de la preuve de la faute inexcusable et par voie de conséquence d'établir que son accident présente un lien avec une faute commise par son employeur dans le cadre de son obligation de sécurité.

En l'espèce, la déclaration d'accident du travail n'est pas versée aux débats.

Selon la relation qui en est faite dans le compte-rendu de la réunion du comité d'hygiène et de sécurité au travail du 12 mai 2018, le 2 mai 2016, vers 16h15, le salarié qui 'vérifiait la mise en place de mannequins dans le coffrage d'un voile', 'a été heurté par la benne à béton qui s'est ensuite couchée sur lui'. Son 'poste de travail était placé en coordination avec la grue G1. Le bulletin météo reçu par le chantier faisait état d'un vent soufflant par rafales jusqu'à 60 km dans l'après-midi. Des dispositions avaient été prises par le chantier pour limiter les manipulations de charges avec prise au vent et décision de poursuivre le coulage avec les chaussettes les plus longues (6m). L'opération de coulage était presque terminée car il s'agissait de la 14ème benne'.

Lors de son audition par les services de police, le salarié a déclaré qu'au moment de l'accident, il se trouvait sur une banche en hauteur, à environ 6 mètres du sol, que lorsque la benne à béton est arrivée, il y a eu une grosse rafale de vent, un de ses collègues a crié de faire attention, mais il n'a pas eu le temps d'éviter le choc et a été percuté par la benne au niveau de la tête puis été écrasé par elle et s'est retrouvé au sol. Il a précisé que normalement la benne ne doit pas arriver au niveau des ouvriers, seule la chaussette doit être à leur hauteur.

L'audition du salarié intérimaire, coffreur, témoin de l'accident du travail (procès-verbal gendarmerie n°4) confirme qu'ils étaient trois ouvriers sur la passerelle en train de couler du béton dans les banches, à environ 6 mètres du sol, qu'il y avait des rafales de vente entre 30 et 60km/h, qu'il y a eu 'soudain une grosse rafale de vent' qui 'a déporté (la benne de béton) dans (leur) direction', laquelle a percuté son collègue sur le dessus de la tête, le faisant tomber au sol.

Sur interrogation, il a précisé que la benne à béton est composée d'une benne, d'une chaussette et d'une corde pour ouvrir et fermer la benne, que la chaussette qui mesure environ 6 mètres devait leur permettre d'éviter que la benne se trouve à leur hauteur, sauf que lors de l'accident, elle se trouvait à hauteur de leurs têtes. La forte rafale de vent a fait dévier la benne dans leur direction et a percuté la tête de la victime.

Le grutier, intérimaire, aux commandes de la grue impliquée dans l'accident du travail a précisé dans son audition (procès-verbal gendarmerie n°6) que la benne à béton était quasiment pleine et pesait environ 4.5 tonnes, qu'ils avaient commencé à couler le béton depuis 30 à 45 minutes, la benne utilisée ayant une chaussette de 6 mètres.

Il a affirmé avoir 'dit trois fois au chef que le vent était trop fort', la législation prévoyant que la grue ne doit pas être employée lorsque la vitesse du vent dépasse les 70km/h, mais qu'il 'n'a eu comme seule réponse que le béton était commandé et que comme il était là il fallait le couler sinon il était perdu'.

Il a affirmé que le jour de l'accident du travail la vitesse du vent était entre 60 et 72 km/h et que le maximum a été 80km/h, que sa grue 'a sonné plusieurs fois', mais qu'ils sont 'dans une zone où il y a beaucoup de vent' et la 'grue sonne régulièrement'.

Le chef de chantier a quant à lui déclaré lors de son audition (procès-verbal gendarmerie n°2) que lors de l'accident du travail, 'la corde a été éloignée à cause du vent, le grutier a donc descendu la benne afin que (le salarié victime) puisse attraper la corde et de ce fait lors de la rafale de vent, la benne est venue percuter l'arrière de (sa) tête'.

Il a confirmé qu'il y avait du vent ajoutant 'nous n'avons pas pu mettre les banches en place mais nous avons quand même pu couler le béton', tout en affirmant avoir mis en place le maximum de conditions de sécurité, ajoutant que 'la législation prévoit que la grue ne doit pas être employée lorsque la vitesse du vent dépasse les 72 km/h et que pour les banches, il ne faut pas qu'elle dépasse les 52 km/h', et que ce jour-là 'nous étions entre 40 et 50 km, le maximum étant à 52km/h'.

Il a imputé l'accident du travail à une 'faute du grutier qui a descendu la benne trop bas. En temps normal la benne se trouve entre deux et trois mètres au-dessus des têtes des coffreurs'.

Il résulte de la fiche d'analyse accident dont se prévaut l'employeur que la rafale de vent a déporté la benne qui est venue 's'écraser sur la rehausse du voile et la victime', ce qui a évité 'un écrasement plus conséquent puisqu'elle s'est couchée sur le garde-corps de la passerelle'.

S'il y est conclu que la 'benne était en approche trop basse par rapport au niveau à couler'pour autant elle met aussi en évidence qu'il a été décidé de poursuivre le coulage malgré le bulletin d'alerte qui prévenait de rafales de vent l'après midi et l'absence de mesures particulières de prévention alors que la 'zone de travail et grue (est) exposée au vent'.

Le bulletin prévisionnel météo du 2 mai 2016, annexé au procès-verbal n°8 de l'enquête préliminaire, mentionne des rafales de vent entre 55 et 60 km/h sur la tranche horaire de 15/18 heures, précisant que 'les anémomètres de référence sont placés à 10 m du sol' et qu'il 'faut ajouter 12km/h pour avoir la vitesse du vent au sommet d'une grue à tour de 30m'.

Les prévisions météorologiques, surtout lorsqu'elles sont établies par des appareils de mesures distants du chantier (ainsi que relevé avec pertinence par l'inspecteur du travail lors de la réunion du comité d'hygiène et de sécurité au travail du 12 mai 2016) ne sont pas d'une fiabilité suffisante sur l'intensité des rafales de vent en un lieu précis.

Il résulte donc de l'ensemble de ces éléments concordants que:

* le jour de l'accident du travail, il y avait du vent soufflant en rafales, dont l'évaluation par les services météorologiques met en évidence qu'elles exposaient les ouvriers du bâtiment travaillant en hauteur, à des risques particuliers, d'autant que l'intensité de ces rafales est plus élevée au sommet d'une grue,

* ces conditions météorologiques ont uniquement amené le chef de chantier à ne pas mettre les banches en place, tout en décidant de 'couler le béton', sans pour autant prendre de dispositions particulières pour protéger les coffreurs chargés de réceptionner la benne de béton, sur une plate-forme à environ 6 mètres de hauteur,

* le grutier, qui est un intérimaire, affirme avoir alerté à plusieurs reprises le chef de chantier sur ces rafales,

* la rafale de vent qui a déporté la benne de béton pleine a eu un rôle causal déterminant dans l'accident du travail,

* l'accident est survenu lors de la dernière opération de coulage de béton.

La conscience par l'employeur, comme par son chef de chantier, du danger auxquels sont exposés les ouvriers du bâtiment, et singulièrement les coffreurs amenés à réceptionner des banches mais aussi des bennes de béton déplacées par des grues n'est pas discutée.

Le plan de management qualité sécurité environnement du chantier lieu de l'accident du travail, établit la connaissance par l'employeur du danger lié aux rafales de vent lors d'opérations de coffrage avec des bennes de béton sur des voiles, en ce que pour la tâche 'grue' il mentionne:

* le risque 'heurt personnel/ matériel par la charge' pour la prévention duquel les seuls moyens définis sont 'respect des procédures de commandement grutier, interdiction de passer sous la charge, guidage de la charge par une corde, chef de manoeuvre identifié, personnel sensibilisé à l'élingage',

* le 'risque lié au vent', pour la prévention duquel les seuls moyens définis sont: 'présence d'un anémomètre avec pré-alarme (feu rouge clignotant orange en cabine) à 50km/h et alarme sonore donnant à 72km/h pour ordre de dépose'.

S'il résulte du rapport de vérification de la grue à tour en cause, qu'elle était équipée d'un anémomètre, sans qu'un dysfonctionnement soit relevé mais sans apporter de précision sur son positionnement sur la grue, pour autant les témoignages recueillis dans le cadre de l'enquête préliminaire, comme les éléments du compte-rendu du comité d'hygiène et de sécurité au travail du 12 mai 2016, mettent en évidence d'une part que l'accident est survenu alors que 'l'opération de coulage était presque terminée car il s'agissait de la 14ème benne', et d'autre part des rafales de vent importantes.

De plus, le grutier a affirmé devant les enquêteurs que sa grue avait sonné plusieurs fois et avoir alerté le chef de chantier sur les rafales de vent qui lui répondu qu'il fallait couler le béton sinon il était perdu.

Les rafales de vent caractérisent un risque particulier auquel sont exposés les ouvriers du bâtiment travaillant en hauteur, amenés à réceptionner des charges déplacées par une grue, et spécialement les coffreurs, dés lors qu'elles sont à la fois aléatoires, ponctuelles mais itératives et d'intensités variables.

Ce risque est connu de l'employeur qui l'a du reste identifié dans le plan de management qualité sécurité environnement du chantier lieu de l'accident du travail, et la seule mesure de prévention en cas de rafales violentes de vent qui y est mentionnée est l'arrêt de l'approvisionnement avec une grue.

Si ce plan prévoit un tel arrêt à partir d'une certaine intensité des rafales de vent au regard de la règlementation applicable pour autant, l'absence de dispositifs permettant de les mesurer sur le lieu même du chantier, a pour conséquence que la seule mesure de prévention du risque consiste à cesser d'utiliser les grues pour approvisionner des coffreurs travaillant sur une banche.

Il s'ensuit qu'en prenant, par l'intermédiaire de son chef de chantier, la décision de poursuivre l'opération de coulage du béton qui était presque achevée, l'employeur, qui avait pourtant conscience du risque auxquels étaient exposés ses ouvriers y participant, en raison de l'intensité des rafales de vent, a manqué à son obligation de prévention, ce qui caractérise sa faute inexcusable dans la survenance de l'accident du travail dont a été victime le 2 mais 2016 son salarié.

Le jugement entrepris doit en conséquence être confirmé de ce chef.

2- sur les conséquences de la faute inexcusable:

Lorsque l'accident du travail est dû à la faute inexcusable de l'employeur, la victime a droit, en application des dispositions des articles L.452-1 et suivants du code de la sécurité sociale, à une indemnisation complémentaire de ses préjudices, et depuis la décision du conseil constitutionnel en date du 18 juin 2010, à une réparation de son préjudice au-delà des dispositions du livre IV du code de la sécurité sociale, ainsi qu'à une majoration de la rente.

Par ailleurs, il doit également être tenu compte pour l'indemnisation de ses préjudices de l'incidence des arrêts rendus le 20 janvier 2023 par l'assemblée plénière de la cour de cassation (21-23947 et 20-23673).

Il résulte des dispositions de l'article L.452-2 dernier alinéa du code de la sécurité sociale, que la caisse récupère le capital représentatif de la majoration de la rente auprès de l'employeur et l'article L.452-3 dernier alinéa dispose que la réparation des préjudices de la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur.

Le jugement entrepris doit donc être confirmé sur la majoration de la rente servie au salarié à son taux maximum, ainsi que sur la précision qu'elle suivra l'évolution éventuelle du taux d'incapacité permanente partielle en cas d'aggravation de son état de santé dans les limites des plafonds prévus par l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale.

Le salarié demande à la cour de statuer sur l'indemnisation de ses postes de préjudice, en soulignant la gravité des conséquences de son accident du travail sur sa personne mais aussi sur son emploi, dont il a été licencié après avoir été déclaré inapte à tout poste dans l'entreprise par le médecin du travail.

Sans contester l'expertise réalisée, l'employeur s'oppose à ce que la cour statue sur l'indemnisation des préjudices en invoquant le respect du double degré de juridiction et le sursis à statuer prononcé jusqu'au dépôt du rapport d'expertise.

La cour est, par l'effet dévolutif de l'appel, saisie de l'entier litige et les demandes indemnitaires du salarié ont permis à l'employeur comme à la caisse d'y répondre.

L'ancienneté de l'accident du travail (huit ans), la gravité des lésions subies par le salarié et leurs conséquences justifient qu'il soit statué présentement sur ses préjudices.

Un renvoi devant les premiers juges pour statuer sur la liquidation des préjudices, qui respecterait certes le double degré de juridiction à cet égard, n'est pas justifié, au regard du droit au procès dans un délai raisonnable posé par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Il résulte de l'expertise que suite à son accident du travail du 2 mai 2016, le salarié a présenté:

* un traumatisme crânien avec perte de connaissance initiale et plaie du cuir chevelu,

* un traumatisme du rachis cervical avec fracture-luxation et contusion médullaire en regard de C4-C5, traitée par arthrodèse de C4 à C6 par le neuro-chirurgien,

* une tétraplégie initiale,

qui ont justifié une hospitalisation au centre hospitalier universitaire nord de [Localité 7] jusqu'au 10 mai 2016, suivie de son transfert dans un centre de rééducation fonctionnelle jusqu'au 6 juin 2016, avec ensuite la poursuite de la rééducation en hospitalisation de jour dans ce même centre du 8 au 28 juin 2016.

Un très important syndrome anxio-dépressif réactionnel ayant été constaté lors de l'examen du 30 juin 2016, une prise en charge psychothérapeutique a été mise en place.

Les doléances alléguées font état de séquelles du traumatisme crânien et de l'arthrodèse cervicale, de la persistance d'une monoparésie du membre supérieur droit et d'un état anxio-dépressif persistant.

L'expert retient que son état est caractérisé par la persistance des troubles cognitifs, par un état anxio-dépressif et par une monoparésie du membre supérieur droit.

Compte tenu des conclusions de cette expertise qui ne sont pas critiquées, la cour fixe ainsi qu'il suit l'indemnisation des différents postes de préjudice soumis à son appréciation:

A- s'agissant des postes de préjudice extra-patrimoniaux:

* concernant les postes de préjudice extra-patrimoniaux temporaires (avant consolidation):

- déficit fonctionnel temporaire:

L'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire inclut, pour la période antérieure à la consolidation, l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique et ce jusqu'à la date de consolidation, fixée par la caisse au 6 mars 2019.

Le salarié sollicite l'indemnisation de ce poste de préjudice sur la base de 1 000 euros par mois pour un taux d'incapacité permanente partielle de 100%, soit:

* au titre du déficit fonctionnel temporaire total du 02/05/2016 au 06/06/2016 (35 jours): 1 167 euros,

* au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel à 75% du 07/06/2016 au 01/05/2017 (328 jours): 8 200 euros,

* au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel à 70% du 02/05/2017 au 31/12/2018 (608 jours): 14 187 euros,

soit au total 23 554 euros.

Son employeur propose une évaluation sur une base de 800 euros par mois pour un taux de 100% soit pour ces mêmes périodes:

* 933 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire total,

* 6 560 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire à 75%,

* 11 300.51 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire à 70%,

soit au total 18 793.51 euros.

La caisse estime que ce poste de préjudice doit être indemnisé sur une base mensuelle de 69.35 euros net mensuelle soit 23.31 euros net par jour, soit à 23 554 euros.

L'expert retient effectivement un déficit fonctionnel temporaire à:

* 100% du 02/05/2016 au 06/06/2016

* 75% du 07/06/2016 au 01/05/2017,

* 70% du 02/05/2017 au 31/012/2018.

Ces quantifications des taux d'incapacité temporaire totale et partielle, comme les périodes ainsi retenues ne sont pas discutées.

Compte tenu de l'importance des lésions initiales, des troubles cognitifs présentés, de l'atteinte dans un premier temps des fonctions des membres inférieurs et des deux membres supérieurs, puis de la persistance du déficit du membre supérieur droit, de la faiblesse musculaire des membres inférieurs, du syndrome commotionnel des traumatisés crâniens rendant la rééducation laborieuse, de la dépression réactionnelle, des difficultés engendrées pour les déplacements et les mouvements des membres supérieurs pendant les périodes des différents déficits fonctionnels temporaires retenus, pour tous les actes de la vie courante, et du nombre de jours pris en compte, la cour retient une base journalière de 27 euros et fixe ainsi qu'il suit l'indemnisation de ces déficits fonctionnels temporaires:

* 848 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire total,

* 6 642 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire à 75%,

* 11 491.20 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire à 70%,

soit au total à 19 081.20 euros.

- souffrances endurées:

Elles sont évaluées par l'expert à 5/7 en prenant en compte l'intervention chirurgicale, les séances de rééducation, la durée de la prise en charge multidisciplinaire et spécialisée.

Le salarié sollicite la somme de 35 000 euros, son employeur proposant de fixer cette indemnisation à 20 000 euros, et la caisse précise s'en rapporter à la décision de la cour.

Compte tenu de la nature des lésions initiales, de la durée de la rééducation avec une récupération lente du déficit moteur des membres inférieurs, puis du membre supérieur gauche, et de la durée de la prise en charge spécialisée, la cour fixe l'indemnisation de ce poste de préjudice à 35 000 euros.

* concernant les postes de préjudice extra-patrimoniaux permanents (après consolidation):

- préjudice esthétique permanent:

L'expert l'évalue à 3.5/7. Il a constaté lors de son examen clinique:

* au rachis, une cicatrice d'arthrodèse, non décrite,

* une monoparésie du membre supérieur droit, prédominant au niveau du poignet et de la main,

* une marche sans canne précautionneuse ainsi que pour la montée et la descente des escaliers,

Le salarié sollicite une indemnité de 10 000 euros et son employeur propose de fixer cette indemnisation à 6 000 euros et la caisse précise s'en rapporter à la décision de la cour.

Compte tenu des éléments résultant de l'examen clinique de l'expert, la cour fixe l'indemnisation de ce poste de préjudice à 6 000 euros.

- préjudice d'agrément:

Le préjudice d'agrément est constitué par l'impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs et inclut la limitation de la pratique antérieure.

L'expert retient un préjudice d'agrément en ce que l'état de santé du salarié le rend inapte à la pratique du sport en salle.

Le salarié sollicite une indemnité de 20 000 euros et son employeur comme la caisse s'y opposent en relevant qu'il n'est pas justifié de factures ou de licences sportives ou d'activités régulières de loisirs antérieures à l'accident du travail.

Le salarié n'étaye pas l'existence de ce poste de préjudice faute de verser aux débats la moindre attestation.

Il ne justifie pas avoir, antérieurement à son accident du travail, pratiqué régulièrement le sport en salle, ce qui conduit la cour à ne pas retenir ce poste de préjudice.

- préjudice sexuel:

L'expert retient un préjudice sexuel, en lien avec une absence de libido rendant impossible toute relation sexuelle.

Le salarié sollicite la somme de 35 000 euros pour ce motif en soulignant qu'au moment de son accident du travail il était âgé de 46 ans et marié.

Son employeur souligne que ce préjudice est constitué uniquement par la perte de la libido et que des traitements médicaux permettent efficacement de prendre le relais proposant une indemnisation de 6 000 euros. La caisse demande pour sa part à la cour de ramener à de plus justes proportions ce poste de préjudice.

Lors de son accident du travail, le salarié était âgé de 46 ans, marié, père de trois enfants. Il avait 49 ans à la date de la consolidation en étant toujours dans la même situation familiale.

La nature de ses séquelles exclut l'existence d'un préjudice sexuel de nature morphologique en l'absence d'atteinte des organes sexuels et il est acquis qu'elles n'ont pas généré une impossibilité ou d'une difficulté à procréer.

Par conséquent, l'existence de ce poste de préjudice ne peut résulter que de la perte du plaisir lié à l'accomplissement de l'acte sexuel, c'est à dire la perte de libido, de la capacité physique de réaliser l'acte sexuel ou de celle d'accéder au plaisir.

Il résulte de l'expertise que les séquelles psychiques de l'accident du travail ont affecté totalement sa libido.

Compte tenu des éléments ainsi soumis à appréciation, et de son âge à la date de consolidation, la cour retient une perte totale de libido induite par l'accident du travail et fixe l'indemnisation de ce poste de préjudice à la somme de 20 000 euros.

- déficit fonctionnel permanent:

Le déficit fonctionnel permanent tend à indemniser la réduction définitive, après consolidation, du potentiel physique, psychosensoriel, ou intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique, à laquelle s'ajoute les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, et notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence (personnelles familiales et sociales).

Il indemnise ainsi, en sus du déficit fonctionnel lié à l'incapacité physique et de l'incidence professionnelle, la perte de qualité de vie, les souffrances après consolidation et les troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence du fait des séquelles qu'elle conserve.

Selon les articles L.434-1 et L.434-2 du code de la sécurité sociale, la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle atteinte d'une incapacité permanente égale ou supérieure au taux de 10 % prévu à l'article R.434-1 du même code est égale au salaire annuel multiplié par le taux d'incapacité qui peut être réduit ou augmenté en fonction de la gravité de celle-ci.

Par deux arrêts en date du 20 janvier 2023 (pourvois n°21-23.947 et 20-23.673), l'assemblée plénière de la Cour de cassation a jugé que désormais la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent, en revenant sur la jurisprudence antérieure selon laquelle la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent et n'admet que la victime percevant une rente d'accident du travail puisse obtenir une réparation distincte des souffrances physiques et morales qu'à la condition qu'il soit démontré que celles-ci n'ont pas été indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent.

Si l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent ne peut résulter de l'application du taux d'incapacité permanente partielle de la victime de l'accident du travail, pour autant celle-ci est fondée à solliciter l'indemnisation du préjudice que sa rente ne répare pas.

Dans ses arrêts, du 20 janvier 2023, l'assemblée plénière a en effet rappelé que le Conseil d'Etat juge de façon constante qu'eu égard à sa finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail, qui lui est assignée à l'article L.431-1 du code de la sécurité sociale, et à son mode de calcul, appliquant au salaire de référence de la victime le taux d'incapacité permanente défini à l'article L.434-2 du même code, la rente d'accident du travail doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité.

Il s'ensuit que la victime de l'accident du travail est fondée à solliciter, au titre de l'indemnisation de son déficit fonctionnel permanent, en sus de ses préjudices réparés par la rente accident du travail majorée sur la base du taux d'incapacité permanente partielle fixé par la caisse, qui indemnise le déficit fonctionnel, soit la diminution de ses capacités physiques ou mentales résultant de la nature de l'infirmité et éventuellement l'incidence professionnelle des lésions, le préjudice résultant de la perte de qualité de vie, des souffrances après consolidation et des troubles ressentis dans ses conditions d'existence du fait des séquelles qu'elle conserve.

Le salarié sollicite la somme 240 300 euros en se fondant sur l'expertise qui précise qu'en droit commun le déficit fonctionnel permanent serait de 60% compte tenu des persistances de troubles cognitifs, de l'état anxiodépressif et de la monoparésie du membre supérieur droit et une valeur du point à 4 005 euros.

Son employeur acquiesce à cette demande et la caisse s'en rapporte à la décision de la cour tout en rappelant avoir fixé sur avis de son médecin-conseil le taux d'incapacité permanente partielle à 97 % dont 10% au titre du taux professionnel.

Les éléments issus du rapport d'évaluation du taux d'incapacité permanente partielle du médecin - conseil de la caisse ne sont pas repris dans l'expertise judiciaire, et ce rapport n'est pas davantage versé aux débats.

Compte tenu de l'absence de discussion du montant de l'indemnisation de ce poste de préjudice, la cour fixe l'indemnisation de ce poste de préjudice à la somme de 240 300 euros.

B - s'agissant des postes de préjudice patrimoniaux:

* concernant les postes de préjudice patrimoniaux temporaires:

- tierce personne:

Ce poste de préjudice compense la réduction d'autonomie de la victime pendant la période comprise entre l'accident du travail et la consolidation. Pendant les périodes d'hospitalisation à temps plein, la prise en charge de la réduction de l'autonomie est effectuée par l'établissement de soins.

Le montant de l'indemnité au titre de l'assistance tierce personne avant consolidation n'est pas subordonné à la justification de dépenses effectives.

Le salarié sollicite la somme totale de 47 400 euros sur une base horaire de 25 euros, pour trois heures par jour sur la période du 07/06/2016 au 01/05/2017 (328 jours) et pour 1h30 par jour sur la période du 02/05/2017 au 31/12/2018.

Son employeur propose, pour les mêmes périodes et le même besoin, une indemnisation sur la base d'un taux horaire de 16 euros, soit au total la somme de 30 336 euros.

La caisse demande à la cour de réduire l'indemnisation sollicitée, en arguant qu'une simple surveillance et assistance pour les actes ordinaires de la vie courante justifie une indemnisation sur la base salaire minimum de croissance majorée de 10%.

L'expert retient la nécessité d'une assistance tierce personne quantifiée à 3 heures par jour durant la période du 07/06/2016 au 01/05/2017 (soit celle du déficit fonctionnel temporaire à 75%), et à hauteur de 1 heure 30 par jour durant celle du 02/05/2017 au 31/12/2018 (soit celle du déficit fonctionnel temporaire à 70%).

Les lésions initiales affectent dans un premier temps non seulement les membres supérieurs mais aussi les membres inférieurs, puis progressivement uniquement le membre supérieur droit, ce poste de préjudice justifié en son principe est non discuté quant à la quantification du besoin en tierce personne, pour les besoins alimentaires ainsi que la préparation des repas et l'hygiène corporelle et également pour les déplacements de la vie quotidienne.

En retenant une base unitaire de 20 euros, la cour fixe l'indemnisation de ce poste de préjudice à la somme totale de 37 920 euros ((3 x 328 x 20) + (1.5 x 608 x 20)).

* concernant les postes de préjudice patrimoniaux permanents (après consolidation):

- perte de revenus, préjudice de carrière:

Exposé des moyens des parties:

Le salarié invoque une perte de revenus annuelle de 1 304.62 euros en arguant que la rente allouée est de 27 686.87 euros au regard d'un salaire retenu pour son calcul de 28 991.49 euros par an. Il chiffre sa perte de salaire à 52 543.57 euros auquel il ajoute le préjudice de carrière et le désoeuvrement lié à l'impossibilité d'exercer un métier, pour chiffrer à 100 000 euros sa demande.

Son employeur s'y oppose en soutenant qu'il ne peut y avoir cumul d'indemnisation avec la rente accident du travail qui est majorée en cas de reconnaissance de la faute inexcusable et qui couvre l'incidence professionnelle ainsi que le déclassement professionnel.

La caisse s'oppose également à cette demande en rappelant que la victime d'un accident causé par la faute inexcusable de l'employeur ne peut pas prétendre à la réparation des chefs de préjudice couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale et que la perte ou diminution des possibilités de promotion professionnelle implique que la victime ait amorcé un cursus de qualification professionnelle laissant supposer que, sans l'accident, ce cursus aurait continué et qu'en raison de ses conséquences, elle ne peut plus l'exercer. Elle ajoute que la perte de salaire pendant l'arrêt de travail a été indemnisée forfaitairement par les indemnités journalières et que la perte future de gains professionnels est couverte par la rente accident du travail.

Réponse de la cour:

La victime d'un accident du travail imputable à la faute inexcusable de son employeur a droit à être indemnisée du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle, mais doit justifier que la disparition de l'éventualité favorable d'une possibilité de progression, dont l'accident du travail l'a privée, présente un caractère sérieux et non hypothétique.

La rente accident du travail indemnise forfaitairement les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, et il est exact que les indemnités journalières indemnisent forfaitairement la perte de salaires.

Il s'ensuit que le salarié ne peut effectivement solliciter l'indemnisation de préjudices qui le sont déjà au titre du livre IV du code de la sécurité sociale soit par les indemnités journalières perçues, soit par la rente accident du travail allouée, laquelle est majorée par suite de la confirmation par la cour de la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur dans son accident du travail.

De plus, le taux d'incapacité permanente partielle fixé par la caisse comporte une majoration au titre de l'incidence professionnelle, puisqu'il a été fixé à 97 % dont 10% au titre du taux professionnel. La rente accident du travail indemnise donc nien en l'espèce l'incidence professionnelle de l'accident du travail.

Concernant le préjudice de 'carrière', s'il est établi que le salarié a été licencié en raison de son inaptitude à tout poste et impossibilité de reclassement, pour autant, il occupait au moment de son accident du travail et depuis dix ans un emploi de coffreur, et il ne justifie pas que cet emploi lui offrait des perspectives réelles de promotion professionnelle (notamment en raison de dispositions conventionnelles) et la cour constate qu'il ne justifie pas davantage d'un quelconque diplôme ni d'une qualification professionnelle particulière, même si au regard des séquelles de son accident du travail il doit être considéré qu'il ne pourra plus avoir une activité professionnelle.

Ces éléments conduisent la cour à ne pas retenir ce poste de préjudice.

L'indemnisation totale complémentaire des préjudices subis par le salarié s'établit donc comme suit:

* déficit fonctionnel temporaire: 19 081.20 euros,

* préjudice esthétique permanent: 6 000 euros,

* souffrances endurées: 35 000 euros

* préjudice d'agrément: 0,

* préjudice sexuel: 20 000 euros,

* déficit fonctionnel permanent: 240 300 euros,

* tierce personne: 37 920 euros,

* perte de revenu et incidence professionnelle: 0,

soit au total 358 301.20 euros.

La cour rappelle que la caisse primaire d'assurance maladie du Var devra en faire l'avance au salarié en application de l'article L.452-3 dernier alinéa du code de la sécurité sociale, et pourra en récupérer directement le montant, comme de la majoration de la rente et des frais d'expertise avancés auprès de l'employeur.

Succombant en ses prétentions, l'employeur doit être condamné aux dépens.

Il serait inéquitable de laisser à la charge du salarié les frais qu'il a été contraint d'exposer pour sa défense, ce qui justifie de condamner son employeur à lui payer la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

- Met hors de cause la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes,

- Confirme le jugement entrepris en ses dispositions soumises à la cour,

y ajoutant,

- Déboute la société [6] de l'ensemble de ses prétentions et demandes,

- Fixe ainsi qu'il suit l'indemnisation des préjudices complémentaire subis par M. [R] [E]:

* déficit fonctionnel temporaire: 19 081.20 euros,

* préjudice esthétique permanent: 6 000 euros,

* souffrances endurées: 35 000 euros

* préjudice d'agrément: 0,

* préjudice sexuel: 20 000 euros,

* déficit fonctionnel permanent: 240 300 euros,

* tierce personne: 37 920 euros,

* perte de revenu et incidence professionnelle: 0,

soit au total 358 301.20 euros.

- Déboute M. [R] [E] du surplus de ses demandes indemnitaires,

- Dit que la caisse primaire d'assurance maladie du Var devra faire l'avance de ces indemnisations ainsi que de la majoration de la rente, et pourra en récupérer directement et immédiatement le montant auprès de l'employeur, la société [6], outre les frais d'expertise,

- Condamne la société [6] à payer à M. [R] [E] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamne la société [6] aux entiers dépens.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-8b
Numéro d'arrêt : 22/15486
Date de la décision : 14/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-14;22.15486 ?
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