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14/06/2024 | FRANCE | N°20/00671

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-3, 14 juin 2024, 20/00671


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3



ARRÊT AU FOND



DU 14 JUIN 2024



N° 2024/ 99



RG 20/00671

N° Portalis DBVB-V-B7E-BFODJ







[G] [R]





C/



S.A.S. MEDICA FRANCE

























Copie exécutoire délivrée le 14 Juin 2024 à :



- Me Camille BERAUD, avocat au barreau de MARSEILLE



- Me Denis FERRE, avocat au barreau de MARSEILLE

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Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 18 Décembre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 18/00415.





APPELANT



Monsieur [G] [R], demeurant [Adresse 1]



représe...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3

ARRÊT AU FOND

DU 14 JUIN 2024

N° 2024/ 99

RG 20/00671

N° Portalis DBVB-V-B7E-BFODJ

[G] [R]

C/

S.A.S. MEDICA FRANCE

Copie exécutoire délivrée le 14 Juin 2024 à :

- Me Camille BERAUD, avocat au barreau de MARSEILLE

- Me Denis FERRE, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 18 Décembre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 18/00415.

APPELANT

Monsieur [G] [R], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Camille BERAUD, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

S.A.S. MEDICA FRANCE, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Denis FERRE, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Juliette RIEUX, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Mars 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre, chargée du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre

Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant

Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 14 Juin 2024.

ARRÊT

CONTRADICTOIRE

Prononcé par mise à disposition au greffe le 14 Juin 2024

Signé par Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS- PROCEDURE-PRETENTIONS DES PARTIES

La société Medica France exploite divers établissements pour personnes âgées dont l'EHPAD Korian [4] sis à [Localité 3] et applique la convention collective nationale de l'hospitalisation privée du 18 avril 2002.

Selon contrat de travail à durée indéterminée à temps plein à effet du 1er août 2016, cette société a engagé M.[G] [R], en qualité d'aide soignant DE niveau 1 coefficient 222, pour un salaire mensuel brut de 1 714,28 euros.

Par lettre remise en main propre le 27 octobre 2017, le salarié a été convoqué à un entretien préalable à une sanction disciplinaire, fixé au 8 novembre suivant, assorti d'une mise à pied à titre conservatoire.

Par lettre recommandée du 10 novembre 2017, la société a notifié à M.[R] une mise à pied à titre disciplinaire de 4 jours, devant s'effectuer du 16 au 20 novembre 2017.

Par lettre recommandée du 17 novembre 2017, le salarié a contesté la sanction et sollicité une rupture conventionnelle de son contrat de travail.

Par lettre recommandée du 30 novembre 2017, M.[R] a démissionné et la société a accepté celle-ci le 8 décembre 2017, le salarié étant autorisé à ne pas effectuer partie de son préavis, en soldant ses congés à compter du 20 décembre 2017.

Le 20 février 2018, M.[R] a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille aux fins de voir annuler la sanction disciplinaire, puis dans le cadre d'une nouvelle requête du 29 novembre 2018, jointe à la précédente, a demandé la requalification de sa démission en prise d'acte.

Selon jugement du 18 décembre 2019, le conseil de prud'hommes a débouté M.[R] de ses demandes et l'a condamné aux dépens.

Le conseil du salarié a interjeté appel par déclaration du 15 janvier 2020.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises au greffe par voie électronique le 3 septembre 2020, M.[R] demande à la cour de :

«Infirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Marseille le 18 décembre 2019.

Recevoir Monsieur [R] en ses demandes et les déclarer bien fondées

En conséquence, Y faire droit

Juger que les faits reprochés à Monsieur [R] et ayant entraîné la procédure disciplinaire, mise à pied conservatoire et mise à pied disciplinaire, sont infondés, injustifiés et non établis.

Annuler la mise à mise à pied conservatoire et la sanction de mise à pied disciplinaire avec toutes conséquences en découlant.

Juger que l'employeur a commis de graves manquements vis-à-vis de son salarié et qu'il a manqué à ses obligations.

Juger équivoque la démission de Monsieur [R].

Juger que cette démission s'analyse en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Condamner la société MEDICA FRANCE KORIAN [4] à payer à Monsieur [R] les sommes suivantes :

- 1.000 € au titre d'indemnité pour irrégularité de la procédure

- 3.000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de la mesure de mise à pied conservatoire et la sanction de mise à pied disciplinaire, injustifiées.

- 438 € au titre de l'indemnité de licenciement

- 3.504 € à titre de dommages et intérêts pour l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 6.000 € de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi par Monsieur [R].

Ordonner la remise des documents suivants : attestation Pôle emploi et remise certificat de travail 01/08/2016 au 31/12/2017.

Débouter la société MEDICA FRANCE KORIAN [4] de toutes ses demandes, fins et conclusions.

Condamner la société MEDICA FRANCE KORIAN [4] au paiement de la somme de 4.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

La condamner aux entiers dépens.»

Dans ses dernières écritures transmises au greffe par voie électronique le 18 mai 2020, la société demande à la cour de :

« CONFIRMER la décision du Conseil de Prud'hommes de Marseille en ce qu'elle a :

- Dit et jugé que la démission de Monsieur [G] [R] formalisée par lettre du 30 novembre 2017 apparaît dépourvue d'équivoque.

En conséquence,

- Rejeté de ce chef, toutes les demandes subséquentes de Monsieur [G] [R] et ce, quel qu'en soit l'objet.

- Débouter Monsieur [G] [R] de sa demande formulée à titre d'indemnité pour irrégularité de la procédure.

En conséquence :

DEBOUTER Monsieur [R] de l'intégralité de ses demandes,

A titre subsidiaire

CONSTATER le caractère manifestement excessif des sommes réclamées par Monsieur [R] ;

Par conséquent,

RAMENER à de plus juste proportion les sommes réclamées par Monsieur [R] ;

A titre reconventionnel

CONDAMNER Monsieur [R] au paiement de la somme 2.000 € au profit de la Société au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens. »

Pour l'exposé plus détaillé des prétentions et moyens des parties, il sera renvoyé, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions des parties sus-visées.

MOTIFS DE L'ARRÊT

Sur la procédure disciplinaire

1- sur la mise à pied à titre conservatoire

Il résulte de la lettre de convocation à l'entretien préalable du 27 octobre 2017 (pièce 2 salarié) qu'il a été fait interdiction à M.[R] de revenir dans l'établissement avant l'entretien préalable.

Il est constant que la société n'ayant pas prononcé un licenciement pour faute grave, ne pouvait maintenir cette décision, ce dont elle n'a informé le salarié que tardivement par lettre du 13 décembre 2017, soit après la rupture.

L'employeur n'a pas produit un planning démontrant que M.[R] aurait travaillé les jours suivants la remise de la convocation et dès lors, c'est à juste titre que le salarié a répondu le 10 novembre 2017 qu'il ne pouvait retravailler dès le 11 novembre 2017, n'étant pas à cette date informé de la sanction prononcée, et/ou du retrait de mesure prononcée à tort.

Cependant, il n'est résulté aucun préjudice pour le salarié, les bulletins de salaire d'octobre et novembre ne révélant aucune retenue de salaire.

2- sur l'assistance lors de l'entretien préalable au licenciement

Il n'est pas dénié par l'employeur, que le salarié l'avait avisé avoir choisi Mme [N] [L] pour l'assister lors de l'entretien préalable et il résulte de l'attestation de cette dernière (pièce 12 appelant) que son supérieur hiérarchique s'y est opposé pour des raisons liées au service, au demeurant non documentées dans le cadre de l'instance judiciaire.

L'employeur aurait dû, en tout état de cause, différer l'entretien pour permettre à M.[R] d'être assisté, au besoin par un autre membre du personnel, puisqu'il avance dans sa lettre du 13 décembre 2017, le fait que Mme [L] étant son binôme qu'elle «a été entendue et n'avait pas à assister à l'entretien».

En conséquence, il convient de constater une irrégularité dans la procédure menée, justifiant l'allocation de la somme de 500 euros.

3- sur la sanction disciplinaire

Aux termes de la lettre du 10 novembre 2017 notifiant à M.[R] la mise à pied disciplinaire, il lui est reproché les faits suivants :

« Le vendredi 20 octobre 2017 lors de la toilette de Mme [T], vous avez eu un comportement brusque en douchant la résidente. Ceci s'est notamment traduit en lui mettant le jet d'eau en plein visage et par le déroulement de la toilette sans informer la résidente des différents gestes et actes pratiqués. Devant ces faits, la résidente a manifesté son inconfort en criant et ceci n'a pas entrainé de réaction de votre part. Cette situation a choqué certains salariés qui nous en ont témoignés ».

La société rapporte dans la lettre que le salarié a reconnu pouvoir avoir des gestes brusques mais sans aucune mauvaise intention et ne plus se rappeler de l'événement.

Elle produit à l'appui des attestations de la psychométricienne, préconisant une toilette à deux et celles de l'infirmière, de la psychologue et de l'animatrice, décrivant les gestes à accomplir pour un soin de qualité à l'égard de personnes comme Mme [T]

Alors qu'il s'est écoulé un délai de 7 jours entre le fait reproché et la convocation du salarié, la société n'a pas procédé à une enquête sérieuse, ne produisant aucun témoignage de salariés présents ce jour et ayant entendu la résidente crier de façon particulière, comme les ayant choqué, comme elle l'avance.

Par ailleurs, elle n'a pas retranscrit l'audition du binôme du salarié, Mme [L], seul témoin présent lors de la toilette, laquelle en pièce 12, témoigne pour dire que ce jour-là, rien de particulier ou d'anormal ne s'est passé, relatant cependant «les cris et les gestes violents de Mme [T] dus à sa pathologie et sa démence», comportement confirmé par d'autres salariés (pièces 11 et 13) y compris ceux cités par la société.

En conséquence, la cour constate que l'employeur ne justifie pas, par des éléments vérifiables que M.[R] a commis un geste fautif à l'égard de la résidente, de sorte qu'il ne pouvait lui infliger une sanction disciplinaire aussi sévère, laquelle doit être annulée.

Le préjudice en résultant pour le salarié doit être fixé à la somme de 1 500 euros.

Sur la rupture du contrat de travail

La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail.

Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de la démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire, d'une démission.

Il appartient au salarié d'établir les faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur.

Le salarié estime que sa démission est intervenue dans un contexte de reproches infondés de la part de son employeur, expliquant qu'elle faisait suite à une lettre précédente dans laquelle il écrivait à la société pour contester la sanction disciplinaire prononcée.

Il invoque de la part de l'employeur de graves manquements, une légèreté blâmable et un abus du pouvoir disciplinaire, pour lui avoir infligé une mise à pied à titre conservatoire injuste, lui avoir reproché des actes de maltraitance qui n'ont jamais existés et une sanction particulièrement vexatoire et brutale.

La société conteste le caractère équivoque de la démission, la lettre ne contenant pas de reproche à son encontre et ayant été faite sans réserves, rappelant que le salarié sollicitait la rupture conventionnelle et n'a pas saisi initialement le conseil de prud'hommes d'une requalification de sa démission.

Subsidiairement, elle estime que l'exercice par l'employeur de son pouvoir disciplinaire dans le cadre légal du contrat de travail n'est pas constitutif de harcèlement moral ou d'une faute pouvant caractériser un manquement grave de l'employeur dans le cadre de l'exécution du contrat.

Dans la mesure où la lettre de démission fait état de «certains événements et sanctions» et a été précédée d'une lettre contestant la sanction disciplinaire, le tout se situant dans un temps très proche, il y a lieu de relever le caractère équivoque de l'acte de démission.

En revanche, ni le fait de notifier à tort une mise à pied à titre conservatoire, ni celui d'avoir sanctionné M.[R] d'une mise à pied à titre disciplinaire, pour des faits que l'employeur n'a pas établis ne sauraient constituer des manquements suffisamment graves pour mettre fin immédiatement au contrat de travail, aucun abus n'étant démontré.

En conséquence, il convient de débouter l'appelant de sa demande en requalification de prise d'acte et de l'ensemble de ses demandes indemnitaires à ce titre, y compris celle sollicitée au titre d'un préjudice moral, les circonstances dans lesquelles est intervenu le départ du salarié de sa propre initiative, n'étant ni brutales ni vexatoires.

Sur les autres demandes

La décision de la cour ne justifie pas de faire droit à la demande d'une attestation Pôle Emploi et d'un certificat de travail rectifiés.

Des considérations d'équité nécessitent d'écarter les demandes respectives des parties au titre des frais irrépétibles.

L'intimée qui succombe même partiellement doit s'acquitter des dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, en matière prud'homale,

Infirme le jugement déféré SAUF dans ses dispositions relatives aux dépens,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et Y ajoutant,

Annule la sanction disciplinaire de mise à pied du 10/11/2017,

Condamne la société Medica France à payer à M.[G] [R], les sommes suivantes :

- 500 euros à titre de dommages et intérêts pour irrégularité de procédure,

- 1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour sanction injustifiée,

Déboute M.[R] de sa demande en requalification de sa démission en prise d'acte,

Rejette l'ensemble des autres demandes de M.[R],

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Medica France aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-3
Numéro d'arrêt : 20/00671
Date de la décision : 14/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-14;20.00671 ?
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