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13/06/2024 | FRANCE | N°23/14649

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-4, 13 juin 2024, 23/14649


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-4



ARRÊT AU FOND

DU 13 JUIN 2024



N° 2024/









Rôle N° RG 23/14649 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BMGZU







SCI RUFFI CHANTERAC





C/



S.A.S. E2J

S.A. AXA FRANCE IARD











Copie exécutoire délivrée

le :

à :



Me Roselyne SIMON-THIBAUD



Me Frédéric BERGANT



Me Julie DE VALKENAERE





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Décision déférée à la Cour :



Ordonnance du Juge de la mise en état de MARSEILLE en date du 17 Octobre 2023 enregistrée au répertoire général sous le n° 19/12823.





APPELANTE



SCI RUFFI CHANTERAC

, demeurant [Adresse 7]

représentée par Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-4

ARRÊT AU FOND

DU 13 JUIN 2024

N° 2024/

Rôle N° RG 23/14649 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BMGZU

SCI RUFFI CHANTERAC

C/

S.A.S. E2J

S.A. AXA FRANCE IARD

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Roselyne SIMON-THIBAUD

Me Frédéric BERGANT

Me Julie DE VALKENAERE

Décision déférée à la Cour :

Ordonnance du Juge de la mise en état de MARSEILLE en date du 17 Octobre 2023 enregistrée au répertoire général sous le n° 19/12823.

APPELANTE

SCI RUFFI CHANTERAC

, demeurant [Adresse 7]

représentée par Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE, SIMON-THIBAUD, JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Sandra JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Odile GAGLIANO, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEES

S.A.S. E2J

, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Frédéric BERGANT de la SELARL PHARE AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Marine RAULY, avocat au barreau de MARSEILLE

S.A. AXA FRANCE IARD

Recherchée en sa qualité d'assureur de la société E2J

, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Julie DE VALKENAERE de la SELARL JDV AVOCATS, avocat au barreau de NICE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 Avril 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Adrian CANDAU, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Inès BONAFOS, Présidente

Mme Véronique MÖLLER, Conseillère

M. Adrian CANDAU, Conseiller

Greffier lors des débats : Monsieur Achille TAMPREAU.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Juin 2024.

ARRÊT

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :

La SA SOGIMA a fait réaliser sur un terrain lui appartenant, [Adresse 9], un ensemble immobilier à usage d'habitation collectif désigné « LES FAUBOURGS DES DOCKS », vendu pour partie en l'état futur d'achèvement.

La SCI RUFFI CHANTERAC et la société ART PROMOTION ont parallèlement réalisé un ensemble immobilier situé à [Adresse 6], dénommé « L'ALIZE » vendu en l'état futur d'achèvement.

Sont intervenus dans les opérations de construction du parking :

Le BECT pour la maîtrise d''uvre et d'exécution,

La société ALLAMNNO, en charge du gros 'uvre, assurée par la société L'AUXILIAIRE,

La SARL E2J, en charge du lot étanchéité, assurée par la SA AXA France IARD,

La société ETABLISSEMENTS DOITRAND, en charge du lot porte de garage,

La société SOLETANCHE BACHY en charge des lots terrassements et parois spéciales.

Deux étages de parking en sous-sol constituant des parties communes aux deux immeubles ont été réalisés par les mêmes entreprises et ont été réceptionnés le 19 mars 2009 avec réserves.

Le volume 200 appartient à la SA SOGIMA, le volume 100 au niveau -2 dépend de la copropriété l'ALIZE et le volume 300 au niveau -1 dépend de la copropriété LES FAUBOURGS DES DOCKS.

Se plaignant de divers désordres et malfaçons, par exploits des 12 et 16 mars 2010, le syndicat des copropriétaires de l'ensemble immobilier « [Adresse 8] » et le Syndicat des copropriétaires de l'ensemble immobilier L'ALIZE ont assigné en référé la SCI RUFFI CHANTERAC, la SAS ART PROMOTION et la SA SOGIMA afin d'obtenir à titre principal la reprise des réserves et le versement d'une provision, et à titre subsidiaire le prononcé d'une expertise judiciaire.

Par ordonnance de référé en date du 10 septembre 2010, le président du Tribunal judiciaire de MARSEILLE a ordonné une expertise judiciaire confiée à Monsieur [R]. Les opérations d'expertise ont été rendues communes à la SA SOGIMA, au BECT, et aux sociétés ALLAMANNO, E2J et SOLETANCHE BACHY. Les sociétés RUFFI CHANTERAC et SOGIMA ont par ailleurs été condamnées à payer aux Syndicats des copropriétaires une somme de 3.000€ à valoir sur les frais d'expertise.

Par acte en date du 22 novembre 2012, le Syndicat des copropriétaires l'ALIZE a assigné en référé les sociétés ART PROMOTION et RUFFI CHANTERAC aux fins d'extension de la mission de Monsieur [R] et de condamnation de la SCI RUFFI CHANTERAC à lui remettre des documents ainsi qu'à lui verser à titre provisionnel une somme de 30.000€.

Par ordonnance en date du 15 février 2013, le Juge des référés a condamné la SCI RUFFI CHANTERAC à verser au Syndicat des copropriétaires la somme de 24.398€ à titre de provision et a débouté les parties du surplus de leurs demandes.

L'expert a déposé son rapport le 3 avril 2013.

Par actes d'huissier en date du 10, 11 et 12 septembre 2014, le Syndicat des copropriétaires de l'ensemble immobilier « [Adresse 8] » situé [Adresse 3] et le Syndicat des copropriétaires de l'ensemble immobilier [Adresse 5] ont fait citer devant le Tribunal judiciaire de MARSEILLE la SCI RUFFI CHANTERAC, la SA BUREAU D'ETUDES CONSEILS TECHNIQUES, la SAS E2J, la SARL EUROPORTE, la société DOITRAND et la société ALLAMANNO.

Par ordonnance en date du 20 novembre 2018, le Juge de la mise en état a prononcé la nullité des assignations délivrées les 10 et 12 septembre 2014 par le Syndicat des copropriétaires de l'ensemble immobilier « [Adresse 8] » et le Syndicat des copropriétaires de l'ensemble immobilier L'ALIZE à l'encontre des sociétés BECT, E2J, EUROPORTE, DOITRAND et ALLAMANNO, seule la SCI RUFFI CHANTERAC restant dans la cause.

La SCI RUFFI CHANTERAC a assigné par actes des 18, 22 et 25 novembre 2019 devant le Tribunal judiciaire de MARSEILLE les intervenants à l'opération de construction, la SA ARCHETYPE BECT, la SAS SOLETANCHE BACHY, la SAS DOITRAND, la SAS ALLAMANNO et la SA SOGIMA ainsi que leurs assureurs afin d'être relevée et garantie de toutes condamnations qui pourraient intervenir à son encontre.

La SCI RUFFI CHANTERAC a également donné assignation à la SARL E2J et à la SA AXA France IARD par acte en date du 17 janvier 2020.

La SA SOGIMA, de son côté, par actes en date du 6 et du 7 mai 2020 a dénoncé la procédure et appelé en garantie la SA ARCHETYPE BECT, la SAS SOLETANCHE BACHY, la SAS DOITRAND, la SAS ALLAMANNO et la SAS E2J au visa de l'article 1792 du Code civil et, subsidiairement, des articles 1134 et 1147 du même Code.

Par conclusions d'incident notifiées le 19 décembre 2023, la SAS E2J a demandé au Juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de MARSEILLE de :

JUGER IRRECEVABLES les demandes formulées par la SCI RUFFI-CHANTERAC à l'encontre de la société E2J comme étant prescrites ;

DEBOUTER en conséquence de plus fort la SCI RUFFI CHANTERAC de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de la société E2J comme étant irrecevables.

Des demandes similaires ont été présentées par la SAS ALLAMANNO, la SAS ETABLISSEMENT DOITRAND, la SAS SOLETANCHE BACHY et la société BECT.

Par ordonnance en date du 21 novembre 2023, le Juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de MARSEILLE :

SE DECLARE INCOMPETENT pour statuer sur les fins de non-recevoir tirées de la prescription soulevées par la SAS ALLAMANNO, la SA ARCHETYPE BECT, la SAS ETABLISSEMENTS DOITRAND et la SAS SOLETANCHE BACHY FONDATIONS SPECIALES à l'encontre de la SCI RUFFI CHATERAC,

DECLARE IRRECEVABLES COMME FORCLOSES les demandes formulées par la SCI RUFFI CHANTERAC à l'encontre de la SAS E2J,

DEBOUTE la SAS ETABLISSEMENTS DOITRAND de sa fin de non-recevoir tirée de la forclusion dirigée à l'encontre de la SA SOGIMA sur le fondement de l'article 1792-3 du Code civil,

REJETTE les demandes formulées au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

RENVOIE le dossier à la mise en état électronique du 6 février 2024 ' 10h00 pour conclusions au fond de Maître [X], Maître DE VALKENAERE et Maître KHAROUBI-MATTEI,

RESERVE les dépens.

Par déclaration en date du 27 novembre 2023, la SCI RUFFI CHANTERAC a formé appel de cette décision en ce qu'elle a déclaré irrecevables comme forcloses ses demandes formulées à l'encontre de la SAS E2J.

***

Les parties ont exposé leur demande ainsi qu'il suit, étant rappelé qu'au visa de l'article 455 du code de procédure civile, l'arrêt doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens :

Par conclusions notifiées le 12 janvier 2024, la SCI RUFFI CHANTERAC demande à la Cour de :

REFORMER l'ordonnance du 21 novembre 2023 rendu par juge de la mise en état de la 3éme chambre du Tribunal judiciaire de Marseille en ses dispositions par lesquelles le juge :

* DECLARE IRRECEVABLES COMME FORCLOSES les demandes formulées par la SCI RUFFI CHANTERAC à l'encontre de la SAS E2J

POUR CE FAIRE ET Y AJOUTANT

Sur le fondement et par application des articles 1792 et suivants du Code Civil, 2224 dudit Code Civil, L. 124-3 et L. 114-1, alinéa 3, du code des assurances

Sur le fondement et application des dispositions des articles 4, 31 et 331 du Code de Procédure Civile, de l'article 6 paragraphe 1 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales et l'article 1er du premier protocole additionnel à cette Convention

DEBOUTER, la SAS E2J de l'exception d'irrecevabilité soulevée au motif d'une « prescription » qui affecterait l'appel en garantie dirigée à son encontre par exploit en date du 17 janvier 2020.

Y AJOUTANT, constater que l'action de la concluante à l'encontre de l'assureur de E2J : AXA France Iard n'est pas affectée par cette forclusion, et rejeter de plus fort le moyen d'irrecevabilité soulevé.

Subsidiairement toujours y ajoutant, juger que cette forclusion n'affecte pas l'action directe de la concluante à l'égard d'AXA France IARD et rejeter l'exception d'irrecevabilité pour forclusion en ce qu'elle affecte cette action directe contre l'assureur

CONDAMNER la SAS E2J et AXA France IARD à payer à la concluante la somme de 1.500,00 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

Les CONDAMNER aux entiers dépens de 1ére instance et d'appel, ceux d'appel distraits au profit de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD & JUSTON qui y a pourvu de l'incident avec distraction au profit de Maître Odile GAGLIANO qui y a pourvu.

Par conclusions notifiées le 26 mars 2024, la SCI RUFFI CHANTERAC maintient ces prétentions.

Elle fait valoir que l'assignation qu'elle a fait délivrer à la SARL E2J le 2 janvier 2013, à la SARL ALLAMANNO le 8 janvier 2013 et à la SARL BECT le 2 janvier 2013, lesquelles ont abouti à la décision du juge des référés en date du 15 février 2013, ont produit un effet interruptif jusqu'à la fin de l'instance (15 février 2013) de sorte que le délai de prescription a recommencé à courir à compter du 15 février 2013 ; que l'assignation au fond a été délivrée à l'encontre de la société E2J le 17 janvier 2020 dans le délai de forclusion.

Elle fait valoir qu'elle ne pouvait pas délivrer les assignations au fond avant le mois de novembre 2019, puisque c'est à compter de ce mois qu'elle a pu agir en garantie contre les parties concernées par les prétentions au fond nouvellement émises par le Syndicat des Copropriétaires [Adresse 4].

Elle expose qu'en toutes hypothèses, elle n'est pas forclose dans son action engagée à l'encontre de la l'assureur de la société E2J, la société AXA, dès lors qu'un tiers dispose contre l'assureur de l'entreprise d'un délai d'action de 10 ans augmenté du délai de 2 ans correspondant au délai de l'entreprise assurée pour agir contre son propre assureur ; qu'ainsi en retenant une réception de l'infrastructure le 20 mars 2009 avec réserves, le juge de la mise en état devait considérer que cette forclusion ne bénéficiait pas à l'assureur AXA France IARD, assigné en 2020, dès lors que le délai d'action à son encontre expirait en 2021.

La SAS E2J, par conclusions notifiées le 5 février 2024 demande à la Cour de :

CONFIRMER l'ordonnance rendue le 17 octobre 2023 par le Juge de la Mise en Etat du Tribunal Judiciaire de MARSEILLE en ce qu'elle a déclaré irrecevables comme forcloses les demandes formulées par la SCI RUFFI CHANTERAC à l'encontre de la SAS E2J,

DEBOUTER la SCI RUFFI CHANTERAC de toutes ses demandes, fins et conclusions,

CONDAMNER la SCI RUFFI CHANTERAC à verser à la SAS E2J la somme de 5.000€ conformément à l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle fait valoir que la forclusion de 10 ans prévue par les articles 1792-4-1 et 1792-4-3 du Code civil était acquise depuis le 20 mars 2019 ; que l'assignation délivrée le 17 janvier 2020 se heurtait donc à ce délai. Elle considère que les moyens développés par la SCI RUFFI CHANTERAC sont inopérants pour remettre en cause la solution retenue par le premier juge.

La société AXA France IARD, par conclusions notifiées le 2 février 2024 demande à la Cour de :

Vu les articles 1792-4-1 et 1792-4-3 du Code Civil,

Vu les dispositions de l'article L.114-1 du Code des assurances,

Vu les dispositions des articles 563 et 564 du code de procédure civile,

Vu l'ordonnance rendue le 21 novembre 2023 par le juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Marseille

Vu la jurisprudence citée,

Vu les pièces versées aux débats,

CONFIRMER en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 21 novembre 2023 par le juge de la mise en état du Tribunal Judiciaire de Marseille

Ce faisant,

DÉCLARER IRRECEVABLES comme forcloses les demandes formées par la SCI RUFFI CHANTERAC à l'encontre de la Société E2J

DÉBOUTER la SCI RUFFI CHANTERAC de sa prétention nouvelle élevée pour la première fois en cause d'appel visant à voir juger que son action introduite à l'encontre de la Société AXA France IARD n'est pas forclose

Si par extraordinaire la Cour venait à considérer qu'il ne s'agit pas d'une prétention nouvelle,

DÉCLARER IRRECEVABLES comme forcloses les demandes formulées par la SCI RUFFI CHANTERAC à l'encontre de la Société AXA France IARD, es qualité d'assureur décennal de la Société E2J.

En tout état de cause,

CONDAMNER la SCI RUFFI CHANTERAC à payer à la Société AXA France IARD la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société AXA fait valoir que l'acte d'interruption dont se prévaut la SCI RUFFI CHANTERAC au cours de l'année 2013 n'a pas eu d'effet interruptif et qu'aucun acte interruptif n'est intervenu entre la réception de l'ouvrage le 19 mars 2009 et la première assignation délivrée à la société E2J le 17 janvier 2020.

S'agissant des demandes formulées directement à son encontre, elle fait valoir qu'il s'agit d'une prétention nouvelle qui doit être déclarée irrecevable par application des dispositions de l'article 564 du Code de procédure civile ; qu'à tout le moins, cette prétention devra être déclarée forclose.

L'affaire a fait l'objet d'une fixation à bref délai par application de l'article 905 du Code de procédure civile selon avis donné aux parties le 12 décembre 2023 et a été appelée en denier lieu à l'audience du 10 avril 2024.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur la demande principale :

Sur les demandes formulées à l'encontre de la société E2J :

En application des dispositions de l'article 1792-4-1 du Code civil :

« Toute personne physique ou morale dont la responsabilité peut être engagée en vertu des articles 1792 à 1792-4 du présent code est déchargée des responsabilités et garanties pesant sur elle, en application des articles 1792 à 1792-2, après dix ans à compter de la réception des travaux ou, en application de l'article 1792-3, à l'expiration du délai visé à cet article ».

Il convient de procéder à l'analyse des différents actes intervenus en cours de procédure pour déterminer si les demandes de la SCI RUFFI CHANTERAC à l'encontre de la société E2J sont atteintes de forclusion étant rappelé que la réception des travaux est intervenue le 19 mars 2009 avec réserves.

Sur l'interruption du délai de forclusion : la SCI RUFFI CHANTERAC se prévaut d'un premier acte interruptif en date du 8 janvier 2013 à l'encontre notamment de la SARL E2J et de son assureur la Cie l'AUXILIAIRE. Elle explique cet acte (dénonce et assignation devant le Juge des référés du Tribunal de grande instance de MARSEILLE) a été délivré à l'égard de tous les intervenants compte tenu des prétentions qui étaient dirigées contre elle par le Syndicat des copropriétaires L'ALIZE.

Ainsi, cette dénonce et assignation formulait la demande suivante :

« venir les requis concourir aux côtés de la requérante au débouté de la demande du syndicat des copropriétaires l'ALIZE, et subsidiairement entendre ordonner la commune exécution à leur encontre de l'ordonnance de référé dénoncée en tête des présentes rendue le 10 septembre 2010 par Monsieur le Président du tribunal de Grande Instance de Marseille ayant désigné Monsieur [R] en qualité d'expert, et entendre ordonner la commune exécution à leur encontre de l'ordonnance à intervenir étendant la mission donnée à l'expert, dans l'hypothèse où il est fait droit à la demande d'extension ».

L'ordonnance de référé en date du 15 février 2013 déboute la SCI RUFFI CHANTERAC de ses prétentions compte tenu de ce que la demande d'extension à de nouvelles parties, s'agissant d'une mission arrivée à son terme, supposerait une reprise intégrale des opérations.

Or, le juge des référés, dans son ordonnance du 17 octobre 2023, objet du présent appel, a retenu à juste titre que par application des dispositions des articles 2241 et 2243 du Code civil, si une demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion, l'interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande, laisse périmer l'instance ou si sa demande est définitivement rejetée.

En l'espèce, la demande formée par la SCI RUFFI CHANTERAC à l'encontre de la SARL E2J a été manifestement rejetée par le juge des référés de sorte qu'en application de l'article précité, l'acte délivré le 8 janvier 2013 est dépourvu d'effet interruptif.

S'agissant de la jurisprudence dont se prévaut la SCI RUFFI CHANTERAC (arrêt de la Cour de cassation en date du 29 juin 2022 n°19-17125) pour soutenir que l'assignation délivrée le 8 janvier 2013 a produit un effet interruptif jusqu'à la fin de l'instance à laquelle il était lié, donc jusqu'au 15 février 2013, il n'est effectivement pas applicable à l'espèce en ce qu'il concerne la détermination du point de départ du délai de prescription après prononcé d'un jugement non avenu. Cette décision rappelle que même si un jugement est déclaré non avenu, l'effet interruptif produit par la citation cesse au moment de son prononcé.

Cette jurisprudence n'est pas de nature à remettre en cause les dispositions de l'article 2243 du Code civil.

S'agissant de l'impossibilité d'assigner au fond avant le mois de novembre 2019 : la SCI RUFFI CHANTERAC fait valoir qu'une partie qui demande la garantie d'un ou plusieurs de ses co-contractants n'est recevable à émettre une telle prétention et à en saisir le Tribunal qu'a condition qu'elle ait été préalablement poursuivie à titre principal comme personnellement obligée ; qu'à défaut elle ne peut prétendre avoir qualité ou intérêt à agir en garantie.

Elle explique en effet qu'initialement, par le premier acte délivré en 2014 à son encontre, les Syndicats des copropriétaires n'avaient présenté à contre elle qu'une demande de condamnation à hauteur de 1.437€ HT au titre de l'installation d'un boitier de désenfumage qui ne concernait pas la société E2J. Que ce n'est qu'aux termes des conclusions du 5 novembre 2019 que des demandes pouvant justifier l'appel en garantie de la société E2J ont été prises par le Syndicat des copropriétaires [Adresse 4].

Elle se prévaut notamment d'une décision de la Cour de cassation en date du 14 décembre 2022 (n°21-21305) ayant fixé le principe selon lequel le délai d'extinction de l'instance du constructeur ne commençait à courir que lorsque des demandes avaient été formulées contre lui.

Cependant, c'est à juste titre que le premier juge a écarté ce moyen en rappelant que la règle posée par l'article précité n'était pas applicable à l'espèce qui concerne le recours d'un maître d'ouvrage vendeur en l'état futur d'achèvement à l'encontre des constructeurs. Ainsi, la SCI RUFFI CHANTERAC n'est pas fondée à se prévaloir du principe posé par cette jurisprudence qui concerne le point de départ du délai de prescription des recours entre constructeurs.

La réception des travaux est intervenue le 19 mars 2009 et aucun acte interruptif du délai de forclusion décennal n'a été délivré par la SCI RUFFI CHANTERAC à l'égard de la société E2J avant l'assignation délivrée le 17 janvier 2020.

Ainsi, au vu de ces éléments, il convient de confirmer l'ordonnance du Juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de MARSEILLE en ce qu'elle a déclaré irrecevables comme forcloses les demandes formulées par la SCI RUFFI CHANTERAC.

Sur la demande dirigée à l'encontre de la société AXA :

La société RUFFI CHANTERAC reproche à la décision attaquée d'avoir, en déclarant son action à l'encontre de la société E2J forclose, implicitement considéré que son action était également forclose à l'encontre de l'assureur. Elle considère en effet qu'au vu du délai spécifique dont dispose un tiers à l'encontre de l'assureur de l'entreprise, son délai d'action contre la société AXA était bien recevable. Elle demande donc à la Cour de :

Constater que l'action de la concluante à l'encontre de l'assureur de E2J : AXA France Iard n'est pas affectée par cette forclusion, et rejeter de plus fort le moyen d'irrecevabilité soulevé.

Subsidiairement toujours y ajoutant, juger que cette forclusion n'affecte pas l'action directe de la concluante à l'égard d'AXA France IARD et rejeter l'exception d'irrecevabilité pour forclusion en ce qu'elle affecte cette action directe contre l'assureur.

La société AXA oppose en premier lieu l'irrecevabilité d'une telle demande par application des dispositions de l'article 564 du Code de procédure civile selon lequel :

« A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ».

Au sens de cet article, une prétention doit être qualifiée de nouvelle dès lors qu'elle diffère de celle soumise au premier juge par son objet ou par les parties concernées ou par les qualités de celle-ci.

En l'espèce, il ressort de la décision attaquée que les prétentions émises par la société RUFFI CHANTERAC devant le juge de la mise en état étaient les suivantes :

DEBOUTER la SAS ENTREPRISE ALLAMANNO, la SAS DOITRAND, la SAS E2J de l'exception d'irrecevabilité qu'elles ont soulevée au motif d'une « prescription » qui affecterait l'appel en garantie dirigé à leur encontre par exploits en date des 22 et 25 novembre 2019 et 17 janvier 2020,

CONDAMNER chacune d'elle à payer à la concluante la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Les CONDAMNER in solidum aux entiers dépens de l'incident avec distraction au profit de Maître [P] qui y a pourvu.

A la lecture de ces demandes, il apparait qu'aucune prétention n'était élevée quant à l'existence et au bien fondé d'une action de la société RUFFI CHANTERAC à l'égard de la société AXA France IARD en sa qualité d'assureur de E2J.

La prétention soumise en ce sens à la Cour doit en conséquence être considérée comme nouvelle aux termes de l'article précité.

Il convient donc de la déclarer irrecevable.

Sur les demandes annexes :

Compte tenu de la solution du litige, il convient de condamner la société RUFFI CHANTERAC à verser à la SAS E2J et à la société AXA France IARD une somme de 1.500€ chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La SCI RUFFI CHANTERAC sera en outre condamnée aux entiers dépens de l'incident.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe, après en avoir délibéré conformément à la loi,

DECLARE irrecevables les demandes de la SCI RUFFI CHANTERAC relatives à son droit d'action à l'égard de la société d'assurances AXA France IARD ;

CONFIRME en toutes ses dispositions l'ordonnance d'incident du juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de MARSEILLE en date du 21 novembre 2023 ;

Y ajoutant,

CONDAMNE la SCI RUFFI CHANTERAC à verser à la SAS E2J et à la société d'assurances AXA France IARD une somme de 1.500€ chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNE la SCI RUFFI CHANTERAC aux entiers dépens de l'incident.

Signé par Madame Inès BONAFOS, Présidente et Madame Patricia CARTHIEUX, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-4
Numéro d'arrêt : 23/14649
Date de la décision : 13/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-13;23.14649 ?
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