COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-2
ARRÊT
DU 13 JUIN 2024
N° 2024/390
Rôle N° RG 23/07289 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BLLZ7
[N] [X]
C/
S.N.C.. SNC PATCH IMMOBILIER
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Benjamin BOITON de la SELARL BENJAMIN BOITON AVOCAT
Me Jean-Vincent DUPRAT
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance de référé rendue par le Président du tribunal judiciaire de Draguignan en date du 17 mai 2023 enregistrée au répertoire général sous le n° 23/00851.
APPELANTE
Madame [N] [X]
demeurant [Adresse 5]
représentée par Me Benjamin BOITON de la SELARL BENJAMIN BOITON AVOCAT, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
SNC PATCH IMMOBILIER
Prise en la personne de son représentant légal en exercice
dont le siège social est situé [Adresse 1]
représentée par Me Jean-Vincent DUPRAT, avocat au barreau de GRASSE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 07 mai 2024 en audience publique devant la cour composée de :
M. Gilles PACAUD, Président rapporteur
Mme Sophie LEYDIER, Conseillère
Mme Angélique NETO, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Julie DESHAYE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 juin 2024.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 juin 2024,
Signé par M. Gilles PACAUD, Président et Mme Julie DESHAYE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DU LITIGE
En vertu d'un acte de donation-partage en date du 1er juillet 1997, Mme [N] [X] est nue-propriétaire d'une maison à usage d'habitation sise sur la parcelle cadastrée AH n° [Cadastre 7] située au [Adresse 5] à [Localité 12].
Celle-ci est bordée :
- au nord par l'[Adresse 11],
- à l'est par la parcelle AH n°[Cadastre 8],
- au sud par la parcelle AH n°[Cadastre 10],
- à l'ouest par la parcelle AH n° [Cadastre 6], qui a été cédée par les époux [J] à la SNC Patch Immobilier par acte authentique en date du 20 décembre 2018.
Dans le cadre d'un litige ayant opposé les consorts [J] à madame [H] [E] veuve [T], le tribunal de grande instance de Draguignan a, par jugement définitif en date du 24 janvier 2014, constaté que la bande de terrain séparant le bâti de la villa des consorts [J] (parcelle AH [Cadastre 6]) de la clôture située sur la limite de la parcelle cadastrée AH [Cadastre 2], le tout dans la prolongation de la parcelle AH [Cadastre 6] et sur l'assiette de la parcelle ex-[Cadastre 9], devenue AH [Cadastre 10], sur la commune de [Localité 12], (était) la propriété d'[O] [J], [A] [J] et [F] [J].
Se prévalant de cette décision et d'un constat d'huissier en date du 30 septembre 2022, la SNC Patch Immobilier a fait assigner ses voisins Mme [U] [L], M. [B] [P], et Mme [N] [X] devant le président du tribunal judiciaire de Draguigan, statuant en référé, aux fins d'entendre :
- ordonner la destruction et l'enlèvement de tous grillages l'empêchant d'accéder à sa parcelle de terrain cadastrée section AH n° [Cadastre 10],
- ordonner la destruction et l'enlèvement de la terrasse et de la tonnelle édifiées par Mme [X] sur cette bande de terrain cadastrée section AH n° [Cadastre 10],
- ordonner la destruction et l'enlevement de la terrasse et des plages de piscine dont l'emprise se situe sur la bande de terrain précitée,
- ordonner l'enlèvement de tout autre bien meuble ou immeuble appartenant aux requis sur cette parcelle,
le tout sous astreinte de 500 euros par jour de retard dans un délai d'un mois à compter de la signitication de la décision à intervenir ;
- condamner solidairement les requis il lui payer une provision de 25 000 euros à valoir sur la liquidation de ses préjudices outre 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procedure civile et les dépens.
Par ordonnance contradictoire en date du 17 mai 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Draguignan :
- a condamné Mme [N] [X] à enlever le grillage empiétant sur la parcelle cadastrée section AH n° [Cadastre 10] et/ou délimitant les parcelles cadastrées section AH n° [Cadastre 10] et AH n° [Cadastre 6], sous astreinte de 100 euros par jour de retard, passé le délai d'un mois après signification de son ordonnance ;
- s'est réservé l'éventuel contentieux de la liquidation de l'astreinte ;
- a débouté la SNC Ptach Immobilier de ses demandes plus amples ;
- a débouté Mme [U] [L], M. [B] [P] et Mme [N] [X] de leurs demandes de provisions et d'amendes civiles ;
- a condamné Mme [N] [X] aux dépens exposés par la SNC Patch Immobilier et la SNC Patch Immobilier aux dépens exposés par Mme [U] [L] et M. [B] [P] ;
- a condamné Mme [N] [X] à payer à la SNC Patch Immobilier la somme de 1 000 euros et la SNC Patch Immobilier à payer à Mme [U] [L] et M. [B] [P] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il a notamment considéré :
- que suivant son titre de propriété, la SNC Patch Immobilier était, à l'évidence, propriétaire de l'intégralité de la parcelle AH n° [Cadastre 10]sur laquelle Mme [X] avait posé son grillage ;
- qu'il n'était en revanche pas établi, avec l'évidence requise en référé, que la terrasse, les plages de piscine ainsi que la tonnelle empiétaient sur cette dernière .
Selon déclaration reçue au greffe le 1er juin 2023, Mme [N] [X] a interjeté appel de cette décision, l'appel visant à la critiquer en ce qu'elle a l'a condamnée :
- à enlever le grillage empiétant sur la parcelle cadastrée section AH n°[Cadastre 10] et/ou délimitant les parcelles cadastrées section AH n° [Cadastre 10] et AH n° [Cadastre 6], sous astreinte de 100 euros par jour de retard, passé le délai d'un mois après signification de son ordonnance ;
- aux dépens et à payer à la SNC Patch Immobilier la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions transmises le 4 août 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, elle sollicite de la cour qu'elle infirme l'ordonnance entreprise des chefs critiqués et, statuant à nouveau :
- constate l'existence de contestations sérieuses portant sur les demandes formulées par la SNC Patch Immobilier à son égard ;
- constate le caractère abusif de l'action judiciaire initiée par la SNC Patch Immobilier à son encontre ;
- déboute la SNC Patch Immobilier de l'intégralité de ses demandes à son encontre ;
- condamne la SNC Patch Immobilier à lui verser, à titre de provision à valoir sur les dommages et intérêts dus en réparation des préjudices subis, la somme de 10 000 euros ;
- condamne la SNC Patch Immobilier à une amende civile de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 32-1 du code de procédure civile ;
- condamne la SNC Patch Immobilier à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par ordonnance en date du 13 octobre 2023, la conseillère déléguée de la chambre 1-2 a, sur le fondement des dispositions de l'article 905-2 du code de procédure civile, prononcée l'irrecevabilité des conclusions notifiées par la SNC Patch Immobilier, intimée le 3 octobre 2023.
L'instruction de l'affaire a été close par ordonnance en date du 16 avril 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il convient de rappeler, à titre liminaire, que la cour n'est pas tenue de statuer sur les demandes de 'constater', 'donner acte', 'dire et juger' ou 'déclarer' qui, sauf dispositions légales spécifiques, ne sont pas des prétentions, en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques mais des moyens qui ne figurent que par erreur dans le dispositif, plutôt que dans la partie discussion des conclusions d'appel.
En outre, les pièces communiquées au soutien de conclusions déclarées irrecevables doivent, par application des dispositions de l'article 906 du code de procédure civile, être écartées des débats. Tel sera donc le cas de l'ensemble des pièces transmise à la cour par la SNC Patch Immobilier nonobstant l'ordonnance rendue le 13 octobre 2023.
Enfin, Mme [X] n'a, dans sa déclaration d'appel, logiquement critiqué que les condamnations prononcées à son encontre par l'ordonnance entreprise. Les conclusions de la SNC Patch Immobilier, incluant son appel incident, ayant été déclarées irrecevables, la cour n'est donc pas saisie de sa demande visant à entendre ordonner la destruction et l'enlèvement de la terrasse, des plages de piscine et de la tonnelle, dont elle a été déboutée en première instance.
Sur le trouble manifestement illicite
Aux termes de l'article 835 alinéa 1 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le trouble manifestement illicite visé par ce texte désigne toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit. Pour en apprécier la réalité, la cour d'appel, statuant en référé, doit se placer au jour où le premier juge a rendu sa décision et non au jour où elle statue. Enfin, le juge des référés apprécie souverainement le choix de la mesure propre à faire cesser le trouble qu'il constate.
Par jugement en date du 24 janvier 2014, le tribunal de grande instance de Draguignan a constaté que la bande de terrain séparant le bâti de la villa des consorts [J] (parcelle AH [Cadastre 6]) de la clôture située sur la limite de la parcelle cadastrée AH [Cadastre 2], le tout dans la prolongation de la parcelle AH [Cadastre 6] et sur l'assiette de la parcelle ex-[Cadastre 9], devenue AH [Cadastre 10], sur la commune de [Localité 12], (était) la propriété d'[O] [J], [A] [J] et [F] [J], auteurs de la SNC Patch Immobilier.
Cette dernière n'est donc pas, aux termes de cette décision, propriétaire de la parcelle AH n° [Cadastre 10] en son entier mais seulement de sa portion séparant la parcelle AH [Cadastre 6] de celle référencée AH n° [Cadastre 2].
Elle n'est donc pas titrée pour revendiquer la partie de la parcelle AH [Cadastre 10] séparant la parcelle AH n° [Cadastre 7], propriété de l'appelante, de celles référencées AH n° [Cadastre 3] et [Cadastre 4] (situées à l'Ouest). Au demeurant, Mme [W] [I], Mme [M] [R], Mme [Y] [K], Mme [S] [C] et M. [G] [D] ont attesté que, depuis 'le milieu des années 1970", soit 'plus de 40 ans', cette portion de la AH n° [Cadastre 10], située 'au droit' de la propriété de Mme [X], a toujours été entretenue par elle et clôturée, par le grillage litigieux, à la limite de la partie usucapée par les consorts [J] (propriété de l'intimée) pour éviter les intrusions de sangliers. Ces attestations accréditent la thèse de l'appelante selon laquelle le grillage litigieux a été installé en accord avec les consorts [J], auteurs de l'intimée, lesquels n'ont jamais revendiqué la partie (susvisée) de parcelle AH n° [Cadastre 10], objet du présent litige.
Il résulte de ces éléments confortés par les procès-verbaux de constat de Maître [Z] [V] du 30 septembre 2022 et l'étude foncière réalisée, le 15 février 2023, par le cabinet Deleval que l'empiètement du grillage de clôture édifié par la propriété cadastrée numéro [Cadastre 7] dans le prolongement de la limite séparatives des fonds respectifs des parties (AH n° [Cadastre 6] et [Cadastre 7]) de même que le droit d'accès de l'intimée à la partie de la parcelle AH n° [Cadastre 10] comprise entre les parcelles AH n° [Cadastre 7], [Cadastre 3] et [Cadastre 4], ne sont pas établis avec l'évidence requise en référé. Le trouble manifestement illicite allégué par la SNC Patch Immobilier ne l'est donc pas davantage.
L'ordonnance entreprise sera dès lors infirmée en ce qu'elle a condamné Mme [N] [X] a enlever le grillage empiétant sur la parcelle cadastrée section AH n° [Cadastre 10]et/ou délimitant les parcelles cadastrées section AH n° [Cadastre 10] et AH n° [Cadastre 6], sous astreinte de 100 euros par jour de retard, passé le délai d'un mois après sa signification.
Sur la demande de dommages et intérêts
Mme [X] sollicite l'allocation de dommages et intérêts provisionnels au motif que, par la présente action dénuée de tout sérieux et de tout fondement, la SNC Patch Immobilier a entendu l'impressionner et exercer des pressions destinées à acquérir sans aucun motif, une parcelle ne lui appartenant pas. Elle développe ensuite, à titre informatif, les frais et tracas que cette procédure a engendrés. Elle argue donc du caractère abusif de l'action intentée à son encontre.
Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui a causé à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. L'article 32-1 du code de procédure civile dispose que celui qui agit en Justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros sans préjudice des dommages et intérêts qui seraient réclamés. L'article 559 du même code sanctionne à l'identique et dans les mêmes termes l'appel principal qualifié d'abusif ou dilatoire.
En application des dispositions de ces textes, l'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette en dommages et intérêts, sur le fondement de ces textes, que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol.
Tel n'est pas le cas en l'espèce, une simple erreur de droit sur l'interprétation d'un titre ne pouvant s'assimiler en un abus du droit d'agir en justice.
En outre les frais engagés par l'appelante pour sa défense, et notamment l'étude foncière du cabinet Deleval, sont susceptibles d'être remboursés au titre des frais irrépétibles.
Mme [N] [X] sera dès lors déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Enfin, le débat relatif au prononcé d'une amende civile au profit du Trésor public ne peut être initié par les parties qui ne peuvent se prévaloir, sur ce point, d'aucun intérêt matériel ou moral. La demande formulée de ce chef par Mme [N] [X] sera donc déclarée irrecevable.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Il convient d'infirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a condamné Mme [N] [X] aux dépens et à payer à la SNC Patch Immobilier la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La SNC Patch Immobilier, qui succombe au litige, sera déboutée de sa demande formulée sur le fondement de ce texte. Il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de l'appelante les frais non compris dans les dépens, qu'elle a exposés pour sa défense. Il lui sera donc alloué une somme de 5 000 euros en cause d'appel ;
La SNC Patch Immobilier supportera en outre les dépens de la procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant dans les limites de l'appel,
Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions déférées ;
Statuant à nouveau et y ajoutant :
Dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de la SNC Patch Immobilier visant à entendre condamner, sous astreinte, Mme [N] [X] à enlever le grillage empiétant sur la parcelle cadastrée section AH n° [Cadastre 10]et/ou délimitant les parcelles cadastrées section AH n° [Cadastre 10] et AH n° [Cadastre 6] et/ou l'empêchant d'accéder à la parcelle de terrain cadastrée section AH n° [Cadastre 10] ;
Déclare irrecevable la demande d'amende civile formulée par Mme [N] [X] ;
Déboute Mme [N] [X] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Condamne la SNC Patch Immobilier à payer à Mme [N] [X] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SNC Patch Immobilier aux dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La greffière Le président