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12/06/2024 | FRANCE | N°23/06037

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-8, 12 juin 2024, 23/06037


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-8



ARRÊT AU FOND

DU 12 JUIN 2024



N° 2024/ 281









N° RG 23/06037



N° Portalis DBVB-V-B7H-BLGV6







[C] [Z]





C/



[L] [M]



























Copie exécutoire délivrée le :





à :



Me Caroline PAYEN





Me Gilles MATHIEU






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Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal judiciaire d'AIX EN PROVENCE en date du 24 Mars 2023 enregistrée au répertoire général sous le n° 22/000487.





APPELANT



Monsieur [C] [Z]

né le 07 Septembre 1958, demeurant [Adresse 2]



représenté par Me Caroline PAYEN, membre de la SCP DRUJON D'ASTROS & ASSOCIES, avoc...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-8

ARRÊT AU FOND

DU 12 JUIN 2024

N° 2024/ 281

N° RG 23/06037

N° Portalis DBVB-V-B7H-BLGV6

[C] [Z]

C/

[L] [M]

Copie exécutoire délivrée le :

à :

Me Caroline PAYEN

Me Gilles MATHIEU

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal judiciaire d'AIX EN PROVENCE en date du 24 Mars 2023 enregistrée au répertoire général sous le n° 22/000487.

APPELANT

Monsieur [C] [Z]

né le 07 Septembre 1958, demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Caroline PAYEN, membre de la SCP DRUJON D'ASTROS & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée et plaidant par Me Manon CHAMPEAUX, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIME

Monsieur [L] [M]

né le 17 Décembre 1975 à [Localité 3] (13), demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Gilles MATHIEU, membre de la SELARL MATHIEU DABOT & ASSOCIÉS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée et plaidant par Me Bastien BENEJAM, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Avril 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Philippe COULANGE, Président

Madame Céline ROBIN-KARRER, Conseillère

Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Maria FREDON.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 12 Juin 2024.

ARRÊT

Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 12 Juin 2024, signé par Monsieur Philippe COULANGE, Président et Madame Maria FREDON, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE ANTÉRIEURE

Par suite du décès de [W] [M], la propriété du domaine [Adresse 5], situé sur le territoire de la commune de [Localité 9] (Bouches-du-Rhône), comprenant divers bâtiments d'habitation et d'exploitation entourés de terres et de bois, a été transmise à ses trois enfants mineurs [L], [O] et [Y], placés sous l'administration légale de leur mère [H] [V], veuve du susnommé.

Cette dernière a consenti divers baux d'habitation portant sur une partie des bâtiments, dont l'un au profit de Monsieur [C] [Z] et de Madame [S] [I], ayant pris effet le 1er octobre 1989, et portant sur un logement de trois pièces au rez-de-chaussée du bâtiment dénommé La Ferme.

Suivant acte notarié de partage du 30 avril 2021, Monsieur [L] [M] s'est vu attribuer la pleine propriété du domaine.

Par exploits d'huissier du 18 juin 2021, il a fait signifier à chacun des locataires en place (au nombre de six) un congé motivé par sa volonté de reprendre la totalité des bâtiments afin d'y habiter.

Monsieur [C] [Z] a saisi le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence pour contester le motif du congé à lui délivré, tout en précisant que Madame [I] avait quitté le logement depuis plusieurs années.

Par jugement rendu le 24 mars 2023, le tribunal a :

- débouté le demandeur des fins de son action,

- déclaré valide le congé pour reprise personnelle,

- Ordonné l'expulsion de [C] [Z] et de tous occupants de son chef, sous peine d'astreinte,

- débouté [L] [M] de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts,

- et condamné [C] [Z] aux dépens, ainsi qu'au paiement d'une somme de 1.200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Monsieur [C] [Z] a interjeté appel de cette décision le 28 avril 2023.

Il a néanmoins libéré les lieux le 31 mai suivant, en exécution du commandement qui lui avait été signifié le 31 mars.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses conclusions récapitulatives notifiées le 29 mars 2024, Monsieur [C] [Z] soutient que le congé revêt un caractère frauduleux, faisant valoir que le bailleur, qui avait emménagé avec son épouse et leurs deux enfants dans le bâtiment principal du domaine, dénommé la Bastide, n'avait nul besoin des six autres logements répartis dans les autres bâtiments pour son usage personnel, et que sa réelle intention était soit de relouer à des conditions plus avantageuses, soit de vendre l'ensemble du domaine libre de toute occupation.

Il indique que la cour de céans, statuant dans une autre composition, a rendu le 7 décembre 2023 un arrêt invalidant le congé délivré à un autre locataire du domaine, et que cette décision aurait autorité de chose jugée entre les parties à la présente instance. À tout le moins, il considère que la cour ne peut statuer à présent dans un sens opposé, alors que les données du litige sont identiques.

Il conclut à l'infirmation du jugement entrepris et demande à la cour :

- d'annuler le congé litigieux,

- de condamner M. [L] [M] à lui payer la somme de 5.520,96 euros en réparation de son préjudice matériel, constitué par la différence entre le montant du loyer qu'il acquittait précédemment et celui de son nouveau logement, calculée sur une période de 36 mois, et celle de 20.000 euros en réparation de son préjudice moral,

- et de mettre les entiers dépens à la charge de l'intimé, outre le paiement d'une somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions récapitulatives en réplique notifiées le 29 mars 2024, Monsieur [L] [M] soutient en premier lieu que les dernières écritures de l'appelant seraient irrecevables en application de l'article 910 alinéa 1er du code de procédure civile imposant un délai de trois mois pour conclure, de même que ses demandes en dommages-intérêts en vertu de l'article 564 du même code prohibant les demandes nouvelles en cause d'appel.

Sur le fond, il soutient que le congé est parfaitement régulier puisque :

- il occupe effectivement avec sa famille la totalité des bâtiments du domaine, lequel doit être considéré comme une unité indivisible, à l'exception du logement ayant fait l'objet de l'arrêt précité rendu le 7 décembre 2023, contre lequel il a formé un pourvoi en cassation,

- il a également entrepris de reprendre l'exploitation agricole des terres,

- et il n'a aucune intention de vendre, ni de relouer.

Il produit à l'appui de ses dires un constat dressé le 27 mars 2024 par Maître Sylvie CAPDEVIELLE, commissaire de justice.

Il ajoute qu'il n'appartient pas aux juges de se livrer à un contrôle d'opportunité de la décision de reprise.

Il conclut à la confirmation du jugement déféré, sauf en ce qu'il l'a débouté de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts, qu'il réitère en cause d'appel à hauteur de la somme de 6.000 euros, faisant valoir à cette fin que le logement en cause ne constituait pas en réalité la résidence principale de [C] [Z], dont le centre des intérêts se situait à [Localité 4].

Il réclame en sus paiement de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre ses dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 avril 2024.

DISCUSSION

Sur les fins de non-recevoir invoquées par l'intimé :

En vertu de l'article 910 alinéa 1er du code de procédure civile, l'intimé à un appel incident ou à un appel provoqué dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de trois mois à compter de la notification qui lui en est faite pour remettre ses conclusions au greffe.

Toutefois, les parties pouvant invoquer de nouveaux moyens et conclure à nouveau jusqu'à la clôture de l'instruction, l'irrecevabilité des conclusions déposées par l'appelant principal n'a pas lieu d'être prononcée lorsque celles-ci tendent à développer son propre recours, comme tel est le cas en l'espèce.

M. [C] [Z] est d'autre part recevable à réclamer paiement de dommages-intérêts en suite du commandement de quitter les lieux qui lui a été délivré dans le cadre de l'exécution provisoire du jugement, s'agissant d'une demande qui constitue l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire des prétentions soumises au premier juge au sens de l'article 566 du même code.

Sur la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée :

Suivant l'article 1355 du code civil, l'autorité de chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement, et il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause, et qu'elle soit faite entre les mêmes parties. En conséquence, l'arrêt rendu le 7 décembre 2023 par la cour de céans, ayant invalidé le congé donné à un autre locataire du domaine [Adresse 5], est dépourvu d'autorité de chose jugée entre les parties à la présente instance.

Sur la validité du congé :

Selon l'article 15 I de la loi du 6 juillet 1989, lorsque le bailleur donne congé à son locataire, cet acte doit être justifié soit par sa décision de reprendre ou de vendre le logement, soit par un motif légitime et sérieux, notamment l'inexécution par le locataire de l'une de ses obligations. À peine de nullité, le congé doit indiquer le motif allégué et, en cas de reprise, l'identité du bénéficiaire, qui ne peut être que le bailleur lui-même, son conjoint, son partenaire ou son concubin notoire, ses ascendants, ses descendants ou ceux de son conjoint, partenaire ou concubin. En outre, lorsqu'il donne congé à son locataire pour reprendre le logement, le bailleur doit justifier du caractère réel et sérieux de sa décision.

Il appartient aux juges, en cas de contestation du congé par le locataire, d'apprécier a priori la réalité du motif invoqué par le bailleur, et a posteriori la réalité de la reprise.

En l'espèce, M. [L] [M] a fait signifier à chacun des locataires en place un congé motivé par sa volonté de reprendre la totalité des bâtiments du domaine 'afin d'y habiter', ce qui doit s'entendre d'une reprise personnelle faute d'indication d'un autre bénéficiaire.

Pour apprécier la situation de fait, la cour se réfère à la pièce n° 6 produite par l'appelant, intitulée 'explications sur la configuration du domaine [Adresse 5]', dont il résulte que celui-ci est constitué de plusieurs bâtiments d'habitation :

- un bâtiment principal dénommé '[Adresse 6]', d'une surface habitable de plus de 400 m²,

- un second bâtiment dénommé '[Adresse 7]' divisé en quatre logements, à savoir un studio, un appartement de 65 m² sur rez-de-jardin élevé d'un étage, un appartement de 65 m² en rez-de-jardin (celui loué à M. [Z]) et un appartement de 130 m² sur deux niveaux,

- et un troisième bâtiment dénommé '[Adresse 8], lui-même divisé en trois appartements.

S'il est constant que M. [L] [M] a emménagé dans la Bastide avec son épouse et leurs deux enfants, il n'est pas démontré en revanche que la famille habiterait également les deux autres bâtiments du domaine.

Le constat dressé le 27 mars 2024 par Maître [A] [T], commissaire de justice, établit au contraire que le logement précédemment loué à M. [Z] est désormais occupé par la mère du propriétaire Madame [H] [K] et son second mari. Or il ne s'agit pas là d'une occupation personnelle de la part du bailleur, et les époux [K] n'ont pas été désignés dans le congé comme les bénéficiaires de la reprise.

D'autre part, la circonstance que M. [L] [M] ait entendu mettre fin à la totalité des baux dans le but de restituer au domaine [Adresse 5] son unité originelle est sans effet sur la solution du litige dès lors qu'un tel motif n'est nullement prévu par la loi.

Enfin, il était parfaitement loisible au bailleur de reprendre l'exploitation agricole des terres du domaine sans reprendre possession de tous les locaux d'habitation.

Il convient en conséquence d'infirmer le jugement déféré et d'annuler le congé litigieux.

Sur la réparation des préjudices subis par le locataire évincé :

Le bailleur qui délivre à son locataire un congé irrégulier doit être condamné à réparer le préjudice subi par ce dernier sur le fondement de la responsabilité contractuelle.

Considérant que M. [C] [Z] était locataire depuis plus de trente ans, qu'il n'est pas établi que le logement en cause ne constituait pas sa résidence principale, qu'il en a été expulsé à l'âge de 65 ans et s'est trouvé contraint de bouleverser ses habitudes de vie, il convient de lui allouer la somme de 10.000 euros au titre de son préjudice moral.

En revanche, la différence existant entre le montant du loyer qu'il acquittait précédemment et celui de son nouveau logement ne constitue pas un préjudice direct ouvrant droit à réparation. Au demeurant, il convient de relever que la preuve du montant du nouveau loyer n'est pas rapportée par l'appelant.

Sur la demande reconventionnelle en dommages-intérêts :

Du fait de l'annulation du congé, le jugement entrepris doit être confirmé, par substitution de motifs, en ce qu'il a débouté M. [L] [M] de sa demande en dommages-intérêts.

Sur les frais du procès :

L'intimé doit être condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à verser à l'appelant une somme de 5.000 euros au titre de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Rejette l'ensemble des fins de non-recevoir,

Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a débouté Monsieur [L] [M] de sa demande en dommages-intérêts,

Statuant à nouveau :

Annule le congé pour reprise signifié le 18 juin 2021 à Monsieur [C] [Z],

Condamne Monsieur [L] [M] à payer à Monsieur [C] [Z] la somme de 10.000 euros en réparation de son préjudice moral,

Rejette la demande en réparation d'un préjudice matériel,

Condamne Monsieur [L] [M] aux entiers dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à verser à la partie adverse une somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-8
Numéro d'arrêt : 23/06037
Date de la décision : 12/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 18/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-12;23.06037 ?
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