COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-8
ARRÊT AU FOND
DU 12 JUIN 2024
N° 2024/ 280
N° RG 22/08561
N° Portalis DBVB-V-B7G-BJSDD
[R] [Z] [P]
C/
SARL MASSTER HOLDINGS LTD
Copie exécutoire délivrée le :
à :
Me Souad SAMMOUR
Me Sébastien BADIE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du tribunal judiciaire de NICE en date du 05 Mai 2022 enregistrée au répertoire général sous le n° 20/03849.
APPELANTE
Madame [R] [Z] [P]
née le 28 Juin 1981 à [Localité 3] (RUSSIE), demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Souad SAMMOUR, membre de la SEP GABORIT - SAMMOUR, avocat au barreau de NICE substituée par Me Marie-Monique CASTELNAU, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMEE
SARL MASSTER HOLDINGS LTD
représentée par Monsieur [M] [U] en qualité d'administrateur unique depuis le 29 août 2019, domicilié es qualité au siège social sis [Adresse 1] - ILES VIERGES BRITANNIQUES
représentée par Me Sébastien BADIE, membre de la SCP BADIE, SIMON-THIBAUD, JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, ayant pour avocat plaidant Me Laura MOUREY, avocat au barreau de STRASBOURG
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Avril 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Philippe COULANGE, Président
Madame Céline ROBIN-KARRER, Conseillère
Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Maria FREDON.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 12 Juin 2024.
ARRÊT
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 12 Juin 2024, signé par Monsieur Philippe COULANGE, Président et Madame Maria FREDON, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE ANTÉRIEURE
Suivant acte notarié du 31 mars 2016, la société MASSTER HOLDINGS LTD, immatriculée aux Îles Vierges Britanniques, a fait l'acquisition d'un appartement et d'un garage constituant les lots n° 21 et 10 de l'état descriptif de division d'un ensemble immobilier dénommé LE [Adresse 5], sis [Adresse 2] à [Localité 4].
En vertu d'un accord verbal conclu depuis l'origine, elle a autorisé Madame [R] [P] à occuper les lieux.
Par lettre recommandée adressée le 22 février 2020 par l'intermédiaire de son conseil, la société MASSTER HOLDINGS LTD a informé Madame [P] de son intention de mettre fin à cette mise à disposition à l'expiration du délai d'un mois.
L'intéressée s'étant maintenue dans les lieux, elle l'a assignée à comparaître devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Nice par acte délivré le 31 août 2020, afin d'entendre prononcer la résiliation de la convention de prêt à usage sur le fondement des articles 1875 et suivants du code civil, et ordonner son expulsion sous astreinte.
En défense, Madame [P] a opposé en premier lieu une fin de non-recevoir fondée sur le défaut de droit d'agir. Sur le fond, elle a contesté le caractère gratuit de la mise à disposition du bien, faisant valoir qu'elle réglait l'ensemble des frais du logement, et a conclu au rejet des demandes adverses.
Par jugement rendu le 5 mai 2022, le tribunal a :
- déclaré recevable l'action de la société MASSTER HOLDINGS LTD,
- constaté la résiliation du contrat de prêt à usage,
- ordonné l'expulsion de Madame [P] et de tous occupants de son chef,
- dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte,
- et condamné la défenderesse aux dépens, ainsi qu'au paiement d'une somme de 1.200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Cette décision a été signifiée le 30 mai 2022 en même temps qu'un commandement de quitter les lieux, et Madame [P] a interjeté appel le 14 juin suivant.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses conclusions d'appel notifiées le 13 septembre 2022, Madame [R] [P] réitère la fin de non-recevoir invoquée devant le premier juge, faisant valoir que la société MASSTER HOLDINGS LTD ne justifie pas d'un extrait d'immatriculation de moins de trois mois, ni de l'identité de son représentant légal actuel, ni encore d'un pouvoir spécial donné à celui-ci afin d'ester en justice. Elle ajoute que l'article 6 de ses statuts lui interdit d'exercer une activité de gestion de sociétés.
Elle reprend également l'argumentation de fond soutenue en première instance en contestant le caractère gratuit de la mise à disposition du bien, faisant valoir qu'elle s'acquitte de l'ensemble des frais du logement, à l'exception d'un loyer. Elle en déduit que les règles du commodat ne sont pas applicables au litige.
Elle ajoute que la convention n'a pas été déclarée à l'administration fiscale.
Elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, et statuant à nouveau :
- au principal, de déclarer l'action irrecevable,
- subsidiairement, de débouter la société requérante de l'ensemble de ses prétentions,
- en tout état de cause, de condamner l'intimée aux entiers dépens, ainsi qu'à lui payer la somme de 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions en réplique notifiées le 6 décembre 2022, la société MASSTER HOLDINGS LTD poursuit pour sa part la confirmation du jugement déféré.
Pour justifier de son droit d'agir, elle produit aux débats divers documents émis en application des lois régissant les sociétés commerciales aux Îles Vierges Britanniques.
Sur le fond, elle soutient que les articles 1875 et suivants du code civil régissant le prêt à usage sont bien applicables à la convention conclue entre les parties, et qu'elle pouvait y mettre fin à tout moment en respectant un délai de préavis raisonnable.
Elle réclame en sus paiement d'une somme de 3.000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel, outre ses dépens.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 16 avril 2024 avant l'ouverture des débats.
DISCUSSION
Sur la fin de non-recevoir :
Les documents produits aux débats établissent que la société MASSTER HOLDINGS LTD a été régulièrement constituée depuis le 5 janvier 2015 en vertu des lois en vigueur sur le territoire des Îles Vierges Britanniques, qu'elle est toujours immatriculée au registre des sociétés commerciales, qu'elle est représentée par Monsieur [M] [U] en qualité d'administrateur unique depuis le 29 août 2019, et ses statuts permettent à ce dernier d'agir en justice sans avoir à justifier d'un pouvoir spécial.
D'autre part, si l'article 6 des statuts lui interdit de gérer d'autres sociétés, le présent litige ne s'inscrit nullement dans le cadre de l'exercice d'une telle activité.
Le premier juge a donc justement écarté la fin de non-recevoir.
Sur le fond :
En vertu de l'article 1876 du code civil, le prêt à usage ou commodat est un contrat essentiellement gratuit, ce qui le distingue du contrat de bail lorsqu'il porte sur un immeuble.
Le fait que l'emprunteur assume les charges courantes liées à l'occupation du logement ne permet pas de requalifier la convention en considérant qu'elle revêt un caractère onéreux, étant en outre relevé que Madame [P] reconnaît dans ses conclusions qu'il ne lui était réclamé aucun loyer.
Les règles régissant le commodat sont donc pleinement applicables au présent litige, et notamment l'article 1888 du code civil tel qu'interprété par la jurisprudence, suivant laquelle, lorsque aucun terme n'a été convenu pour le prêt d'une chose d'un usage permanent, sans qu'aucun terme naturel soit prévisible, le prêteur est en droit d'y mettre fin à tout moment en respectant un délai de préavis raisonnable.
Il n'y a pas lieu de rechercher en l'espèce si une condition d'occupation personnelle avait été imposée à Madame [P], ni si celle-ci l'avait effectivement enfreinte, dès lors que le prêteur peut exercer son droit de reprise de la chose indépendamment de toute faute de la part de l'emprunteur.
D'autre part, si le délai d'un mois imparti par la société MASSTER HOLDINGS LTD dans son courrier du 22 février 2020 était excessivement bref, il reste que l'assignation n'a été délivrée que le 31 août suivant, de sorte que Madame [P] a bénéficié de fait d'un délai de six mois pour libérer les lieux.
Enfin, le défaut de déclaration du prêt à l'administration fiscale est sans effet sur les obligations civiles contractées par les parties.
Le jugement entrepris doit donc être confirmé.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant, condamne Madame [R] [P] aux dépens de l'instance d'appel,
Rejette les demandes formées en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LE PRESIDENT