COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
20, Place Verdun
13616 AIX-EN-PROVENCE CEDEX 1
Chambre 2-4
N° RG 22/11062 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJ3CB
Ordonnance n° 2024/M135
Madame [E], [S] [K]
représentée par Me Agnès ERMENEUX de la SCP SCP ERMENEUX - CAUCHI & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Appelante
défenderesse à l'incident
Monsieur [U] [Z]
représenté par Me Jean-michel AUBREE, avocat au barreau de GRASSE
Intimé
demandeur à l'incident
ORDONNANCE D'INCIDENT
Nous, [E] BOYER, magistrat de la mise en état de la Chambre 2-4 de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, assistée de Fabienne NIETO, greffier ;
Après débats à l'audience du 14 Mai 2024, ayant indiqué à cette occasion aux parties que l'incident était mis en délibéré, avons rendu le 11 juin 2024, l'ordonnance suivante :
***
Exposé du litige
Madame [K] et Monsieur [Z], se sont mariés le [Date mariage 1] 1995 sous le régime de la séparation de biens.
Ils ont divorcé par un jugement du 16 avril 2015 du juge aux affaires familiales d'AIX EN PROVENCE, confirmé, sur le prononcé du divorce, par arrêt la cour d'appel d'AIX EN PROVENCE du 9 juin 2016.
Le 13 février 2020, ils ont procédé à la vente d'un bien sis à [Localité 2], indivis entre eux à raison de moitié chacun, moyennant la somme de 600.354 euros.
Le prix de la vente a été conservé par le notaire dans l'attente d'un accord ou d'une décision de justice sur les droits des vendeurs.
Par assignation du 4 août 2020, Madame [K] a sollicité la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des ex-époux et de l'indivision.
Par conclusions d'incident, Madame [K] a sollicité du juge de la mise en état le règlement d'une provision de 150.000 euros sur les fonds détenus en l'étude du notaire ayant reçu l'acte de vente.
Monsieur [Z] s'y est opposé et a sollicité également le versement par le notaire d'une somme de 150.000 euros à titre de provision à valoir sur la part du prix de vente de l'immeuble indivis.
Ils ont été déboutés de ces demandes par ordonnance du juge de la mise en état du 3 mai 2021. Le juge a motivé sa décision par le fait que, compte tenu des demandes réciproques relatives à des créances envers l'indivision ou entre ex-époux, il n'existait pas suffisamment de points non contestés pour déterminer a minima les droits de chacun et fixer une provision.
Par jugement du 2 juin 2022, le juge aux affaires familiales près le tribunal judiciaire d'AIX EN PROVENCE en Provence a, notamment :
- ordonné la poursuite des opérations de partage judiciaire des intérêts patrimoniaux et de l'indivision constituée entre Madame [E] [K] et de Monsieur [U] [Z], conformément aux dispositions des articles 1364 et suivants du code de procédure civile et selon ce qui est jugé par la présente décision,
- désigné pour y procéder un notaire
- fixé le montant du solde résultant de la vente du bien immobilier indivis situé à [Localité 2] à la somme de 459.658,35 euros,
- dit que Madame [E] [K] sera débitrice d'une indemnité d'occupation de 47.354,50 euros envers l'indivision au titre de la jouissance privative du bien indivis, sur la base de 2000 euros par mois
- dit que Monsieur [U] [Z] n'est pas débiteur d'une indemnité d'occupation
envers l'indivision au titre de sa jouissance privative du bien indivis eu égard à
l'accord des ex-époux,
- fixé la créance de Monsieur [U] [Z] sur l'indivision au titre du remboursement des échéances du prêt immobilier relatif au bien indivis à la somme de 261.974,56 euros
- débouté Monsieur [U] [Z] de sa demande de créance au titre du paiement
des cotisations d'assurance,
- fixé la créance de Monsieur [U] [Z] sur l'indivision au titre des honoraires de négociation de l'agence immobilière en charge de la vente du bien indivis à la
somme de 20.000 euros,
- dit que Monsieur [U] [Z] détient une créance de 50.565 euros envers
l'indivision au titre du remboursement de son prêt relatif à l'acquisition du droit au
bail,
- dit que Madame [E] [K] est débitrice d'une créance de 27.500 euros envers Monsieur [U] [Z] correspondant à la valeur de ses parts sur le droit au bail cédé,
- débouté Madame [E] [K] de sa demande de créance au titre des
travaux d'extérieurs qu'elle a financé au profit de l'immeuble sis à [Localité 3] ayant
appartenu à Monsieur [U] [Z],
- débouté Madame [E] [K] de ses demandes relatives à l'avance sur part dans l'indivision.
Le 28 juillet 2022, Madame [K] a formé appel de cette décision.
Le 21 septembre 2022, les parties ont été avisées de la désignation d'un conseiller de la mise en état.
L'appelante a conclu au fond le 27 octobre 2022 et le 11 avril 2023,
L'intimé a conclu le 18 janvier 2023 et a formé appel incident sur plusieurs chefs du jugement.
Le 12 octobre 2023, l'intimé a saisi le conseiller à la mise en état de conclusions d'incident par lesquelles il demande :
- d'ORDONNER le règlement d'une provision de 200.000 euros à son profit
- de RÉSERVER les dépens de l'instance.
Il soutient qu'il est fondé à solliciter le règlement de cette provision à valoir sur le partage à intervenir, compte tenu de la dépréciation du prix de vente immobilisé par l'effet de l'inflation.
Il fait valoir que Madame [K], dans son assignation, admet que doit lui revenir une somme de 243.206,75 euros sur le prix de vente du bien indivis.
Il ajoute que, si la cour admet la créance de 121.300 euros qu'elle invoque, il resterait une somme disponible de 338.000 euros en sa faveur dans la mesure où le tribunal a admis à son profit un total de créances de 444.222 euros.
Le 23 novembre 2023, par conclusions en réponse sur incident, l'appelante demande au conseiller de la mise en état de :
- DÉCLARER Monsieur [Z] irrecevable en sa demande tendant à ordonner le règlement d'une provision de 200.000 euros à son profit,
Subsidiairement,
- DÉCLARER le conseiller de la mise en état dépourvu de pouvoir pour statuer sur la demande de Monsieur [Z] tendant à ordonner le règlement d'une provision de 200 000 euros à son profit,
A titre très subsidiaire,
- DEBOUTER Monsieur [Z] de sa demande tendant à ordonner le règlement d'une provision de 200.000 euros à son profit,
- CONDAMNER Monsieur [Z] au paiement d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du CPC.
A titre infiniment subsidiaire, au visa de l'article 789 4° du CPC
- ACCORDER une provision à Madame [K] de 150.000 euros,
- JOINDRE les dépens au fond.
Elle soutient, à titre principal, que la demande de Monsieur [Z] n'est pas fondée juridiquement car l'article 1578 du code civil qu'il vise concerne le régime de participation aux acquêts.
A titre subsidiaire, elle soulève l'autorité de la chose jugée par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire d'AIX EN PROVENCE le 3 mai 2021.
Elle indique que Monsieur [Z] n'a pas formé appel de cette décision alors que l'article 795 du code de procédure civile le lui permettait.
Elle ajoute que le conseiller de la mise en état n'est pas le juge d'appel du juge de la mise en état.
A titre plus subsidiaire, elle soulève le défaut de pouvoir du conseiller de la mise en état pour prononcer une condamnation d'un époux envers l'autre dans le cadre d'une instance en liquidation des intérêts patrimoniaux qui a pour objet de fixer les créances.
A titre plus subsidiaire, elle soulève une contestation sérieuse sur l'existence de l'obligation à paiement.
Elle indique qu'elle formule, devant la cour, une demande de 160.000 euros au titre des indemnités d'occupation dues par Monsieur [Z] que le juge de première instance n'a pas tranché ; qu'il existe un désaccord sur la période pendant laquelle elle est débitrice d'une telle indemnité ; que les créances invoquées par l'un et l'autre sont contestées ; que le jugement n'a pas fixé la somme due à chacun mais seulement des créances envers ou contre l'indivision.
Le 27 novembre 2023, les parties ont été avisées de la fixation de l'incident à l'audience du 14 mai 2024 avec une date limite de dépôt des conclusions au 15 avril 2024.
Le 13 mai 2024, un nouveau conseil s'est constitué pour l'intimé.
A l'audience, ce conseil a sollicité un renvoi de l'audience de plaidoiries sur incident. L'appelante s'y est opposée.
Le conseiller de la mise en état a refusé d'y faire droit.
Motifs de la décision
En application des dispositions de l'article 914 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé pour plus de précisions sur les faits, prétentions et arguments des parties aux conclusions régulièrement déposées devant le conseiller de la mise en état.
Sur la question de la recevabilité de la demande de Monsieur [Z]
Sur le fondement juridique
Dans le dispositif de ses conclusions, Monsieur [Z] vise les articles 1578 et suivants du code civil. Ces textes concernent la liquidation judiciaire des intérêts des ex-époux dans le cadre du régime de la participation aux acquêts. Ils ne sont pas applicables au cas d'espèce concernant des époux qui étaient mariés sous le régime de la séparation de biens.
Cependant, malgré l'erreur dans le visa des textes applicables, le corps des conclusions contient les éléments permettant au juge et à l'intimée de connaître le fondement juridique de la demande de Monsieur [Z]. Celui-ci sollicite le bénéfice d'une partie de la part lui revenant dans le prix du bien indivis dont le partage est en cours.
Dès lors, il ne sera pas droit à la fin de non recevoir soulevée de ce chef.
Sur la question de l'autorité de la chose jugée
La chose jugée fait partie des moyens constituant une fin de non recevoir aux termes de l'article 122 du code de procédure civile.
L'article 794 du code de procédure civile prévoit que : ' Les ordonnances du juge de la mise en état n'ont pas, au principal, l'autorité de la chose jugée à l'exception de celles statuant sur les exceptions de procédure, sur les fins de non-recevoir, sur les incidents mettant fin à l'instance et sur la question de fond tranchée en application des dispositions du 6° de l'article 789.'
En l'espèce, la décision rendue par le juge de la mise en état du 3 mai 2021 n'a pas statué sur une exception de procédure, une fin de non recevoir ou une question de fond. Elle n'a donc pas autorité de chose jugée au principal.
La fin de non recevoir tiré de l'autorité de chose jugée de cette décision sera donc rejetée.
Sur la demande de provision de Monsieur [Z]
Elle est fondée sur l'article 907 du code de procédure civile et sur le jugement du 2 juin 2022.
L'article 907 cité concerne les pouvoirs du conseiller de la mise en état et renvoie aux articles 780 à 807 du code de procédure civile concernant le juge de la mise en état.
L'article 789 de ce code prévoit qu'il a le pouvoir d' 'Accorder une provision au créancier lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Le juge de la mise en état peut subordonner l'exécution de sa décision à la constitution d'une garantie dans les conditions prévues aux articles 514-5,517 et 518 à 522 ; (...)'
Le jugement du 2 juin 2022 n'a prononcé aucune condamnation à paiement. Il a fixé le montant des créances détenues par chaque indivisaire envers et contre l'indivision et les créances personnelles entre les ex-époux et renvoyé devant un notaire pour qu'il dresse un état liquidatif après établissement des comptes de l'indivision.
En ce qui concerne l'action en liquidation et partage du bien indivis et d'un fonds de commerce acquis pendant le mariage, la cour n'est pas saisie de demandes de condamnation à paiement mais seulement de fixation de créances sur et au profit de l'indivision dans le cadre des comptes à faire.
Monsieur [Z] ne peut donc se prévaloir d'une créance non sérieusement contestable au titre du solde des comptes d'indivision qui doivent être réalisés entre les parties.
La cour est aussi saisie de demandes en paiement relativement à des créances personnelles entre époux que le premier juge a limité à la somme de 27500 euros due par Madame [K] à Monsieur [Z] au titre de la moitié du prix de vente du fonds de commerce indivis.
Monsieur [Z] revendique devant la cour des créances à titre personnel envers son ex-épouse au titre de participation financière au financement et à la conservation du fonds de commerce.
Le caractère propre de ce bien est donc contestable et contesté car ce fonds a été acquis, en indivision par les deux époux.
Il convient, en conséquence, de rejeter la demande de provision de Monsieur [Z] qui est sérieusement contestable.
Sur la demande reconventionnelle de Madame [K] d'avance sur le partage
Dans la mesure où il n'a pas été fait droit à la demande de provision de Monsieur [Z], cette demande subsidiaire de l'appelante ne sera pas examinée.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Les dépens de l'incident seront laissés à la charge de Monsieur [Z].
Il sera condamné à verser à Madame [K] la somme de 1500 euros au titre des frais irrépétibles de procédure.
PAR CES MOTIFS
Le conseiller de la mise en état statuant après débats publics par mise à disposition au greffe, contradictoirement et susceptible de recours uniquement avec l'arrêt au fond :
Déclare recevable la demande de provision de Monsieur [Z] ;
Déboute Monsieur [Z] de sa demande de provision ;
Juge sans objet la demande infiniment subsidiaire de Madame [K] ;
Condamne Monsieur [U] [Z] aux dépens de l'incident ;
Condamne Monsieur [U] [Z] à verser à Madame [E] [K] la somme de 1500 euros au titre des frais irrépétibles de procédure ;
Fait à Aix-en-Provence, le 11 juin 2024
La greffière Le conseiller de la mise en état
Copie délivrée aux avocats des parties ce jour.
Le greffier