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07/06/2024 | FRANCE | N°22/08386

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-8b, 07 juin 2024, 22/08386


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8b



ARRÊT AU FOND

DU 07 JUIN 2024



N°2024/













Rôle N° RG 22/08386 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJRPO







[D] [E]





C/



CPAM DU VAR

S.A.S. [7]











































Copie exécutoire délivrée

le :

à :



Me Odile

LENZIANI

Me Stéphane CECCALDI

Me Ahmed-Chérif HAMDI















Décision déférée à la Cour :



Jugement du Pole social du TJ de Toulon en date du 18 Mai 2022,enregistré au répertoire général sous le n° 18/01656.





APPELANT



Monsieur [D] [E], demeurant [Adresse 1]



représenté par Me Odile LENZIANI de la SCP LENZIANI & ASSOCIES, avocat...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8b

ARRÊT AU FOND

DU 07 JUIN 2024

N°2024/

Rôle N° RG 22/08386 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJRPO

[D] [E]

C/

CPAM DU VAR

S.A.S. [7]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Odile LENZIANI

Me Stéphane CECCALDI

Me Ahmed-Chérif HAMDI

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Pole social du TJ de Toulon en date du 18 Mai 2022,enregistré au répertoire général sous le n° 18/01656.

APPELANT

Monsieur [D] [E], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Odile LENZIANI de la SCP LENZIANI & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Gilles BOUKHALFA, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMES

CPAM DU VAR, demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Stéphane CECCALDI, avocat au barreau de MARSEILLE

S.A.S. [7], demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Ahmed-Chérif HAMDI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Mars 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Isabelle PERRIN, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Colette DECHAUX, Présidente de chambre

Mme Isabelle PERRIN, Conseiller

Monsieur Benjamin FAURE, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Anne BARBENES.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 07 Juin 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 07 Juin 2024

Signé par Madame Colette DECHAUX, Présidente de chambre et Madame Anne BARBENES, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

M. [W] [E] ('le salarié') a été victime le 27 octobre 2014 d'un accident de trajet alors qu'il était employé depuis le 1er avril 2004 en qualité de conducteur d'engin auprès de la société [8] ('l'employeur').

La caisse primaire d'assurance maladie duu Var ('la caisse') a pris en charge ledit accident au titre de la législation sur les risques professionnels.

La caisse a fixé la date de consolidation de l'état du salarié au 30 septembre 2017 et son taux d'incapacité à 39 %.

La caisse a mis en oeuvre à la demande du salarié la procédure de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, lequel, par courrier du 19 décembre 2017, a reconnu le principe de la faute inexcusable et donné son accord sur la majoration de la rente, précisant toutefois que la transaction ne porterait que sur ladite majoration dans la mesure où l'ensemble des préjudices subis seraient indemnisés au titre de la loi Badinter dans le cadre d'une procédure en cours devant le tribunal de grande instance de Draguignan.

La caisse a attribué le 25 septembre 2018 la majoration de la rente à compter du 1er octobre 2017.

Une ordonnance du 21 décembre 2016 du juge des référés du tribunal de grande instance de Draguignan a ordonné une expertise médicale. Le docteur [S], expert commis, a rendu son rapport le 25 juillet 2019.

La société [9], assureur de la société [6], et le salarié ont signé le 13 mai 2020 un protocole transactionnel dans le cadre de la loi du 5 juillet 1985.

Le salarié a saisi le 23 novembre 2018 le tribunal des affaires de sécurité sociale du Var aux fins d'indemnisation des préjudices sexuel, d'assistance par tierce personne, du préjudice résultant de la perte ou la diminution de promotion professionnelle et du préjudice résultant de l'impossibilité de pouvoir exercer son activité de pompier bénévole et les indemnités y afférentes.

Par jugement du 18 mai 2022, le pôle social du tribunal judiciaire de Toulon ayant repris l'instance a :

- débouté M. [E] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté M. [E] et la société [5] de leurs demandes au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [E] aux dépens.

Le salarié en a interjeté appel dans des conditions de formes et de délais qui ne sont pas discutées.

En l'état de ses conclusions récapitulatives n°3 déposées au greffe le 18 mars 2024, reprises oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, le salarié sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a débouté de ses demandes et condamné aux dépens et demande à la cour :

avant dire droit, d'ordonner une expertise aux frais avancés de la caisse et le versement de la somme de 10 000 euros à titre de provision,

subsidiairement de fixer l'indemnisation de ses préjudices comme suit :

- 10 000 euros pour le préjudice sexuel,

- 28 750 euros au titre de l'assistance par tierce personne,

- 21 750 euros au titre de l'impossibilité de pouvoir exercer son activité de sapeur pompier volontaire et ses indemnités y afférentes,

- 15 000 euros au titre de la perte de possibilité de promotion professionnelle,

- 141 180 euros au titre du déficit fonctionnel permanent à titre principal et 29 900 euros à titre subsidiaire,

- juger que la caisse primaire d'assurance maladie devra lui faire l'avance des sommes allouées,

- condamner l'employeur à lui verser la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

En l'état de ses conclusions en réplique et récapitulatives déposées au greffe le 6 mars 2024, oralement développées à l'audience et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé de ses moyens et arguments, l'employeur sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté le salarié de l'ensemble de ses demandes et sa réformation au titre du fondement du rejet de ses demandes, et demande à la cour :

à titre principal, de:

- juger que les demandes du salarié se heurtent à l'autorité de chose transigée laquelle fait obstacle à l'introduction d'une action en justice ayant le même objet et en conséquence le débouter de ses demandes de ce chef,

- juger infondée la demande de nouvelle expertise,

- débouter le salarié de sa demande au titre du déficit fonctionnel permanent,

- débouter la caisse de toute demande contraire,

subsidiairement, de:

- mettre les frais d'expertise à la charge du salarié,

- débouter le salarié de sa demande de provision,

à titre infiniment subsidiaire, d'allouer au salarié les sommes suivantes:

- 4 000 euros au titre du prétendu préjudice sexuel,

- une somme au titre de l'assistance par tierce personne sur la base de 16 euros de l'heure,

- la somme de 28 600 euros au titre du déficit fonctionnel permanent,

en tout état de cause, de :

- condamner le salarié à lui verser la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel,

- rejeter la demande du salarié au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses conclusions déposées au greffe le 27 septembre 2023, oralement soutenues à l'audience et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé de ses moyens et arguments, la caisse demande à la cour de :

- constater qu'elle s'en rapporte à sa sagesse quant à la demande de provision et la nécessité d'ordonner une nouvelle expertise sur les préjudices complémentaires,

- limiter la mission d'expertise aux préjudices prouvés et à l'exclusion de ceux dont l'indemnisation est déjà couverte par le livre IV du code de la sécurité sociale,

- limiter le préjudice d'agrément à la définition jurisprudentielle,

- dire que les préjudices doivent être appréciés globalement sans distinguer les temporaires et les définitifs,

- rejeter les demandes d'indemnisation du préjudice sexuel, de l'assistance par tierce personne, de la diminution des possibilités de promotion professionnelle, de l'impossibilité de percevoir des indemnités liées à une activité bénévole, du déficit fonctionnel temporaire à 15%,

- de ne pas mettre à sa charge les frais d'expertise,

- de dire que dans l'hypothèse ou la faute inexcusable de l'employeur serait reconnue les sommes dont elle serait tenue de faire l'avance lui seront remboursées par l'employeur.

MOTIFS

I - Sur l'autorité de la chose transigée

Les premiers juges ont retenu qu'au regard du protocole transactionnel régularisé entre le salarié et l'assureur de l'employeur, aucune indemnisation n'a été proposée au premier quant aux préjudices complémentaires sollicités devant eux, à savoir le préjudice sexuel, le préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle relative à l'activité de sapeur-pompier, le préjudice résultant de l'impossibilité de pouvoir exercer son activité bénévole et de percevoir les indemnités liées à cette activité, et l'assistance par tierce personne. Ils ont ainsi jugé que le salarié était en droit de solliciter l'indemnisation de ces préjudices subis et non indemnisés dans le cadre de son recours initié sur le fondement de la Loi Badinter.

- sur l'identité des parties:

L'employeur, se fondant sur les dispositions de l'article 2052 'du code de procédure civile', fait valoir que l'ensemble des demandes indemnitaires du salarié se heurte au principe de l'autorité de la chose transigée qui les rend irrecevables, en ce que le protocole d'accord transactionnel, qui avait pour objet de permettre l'indemnisation complète du salarié, a bien été établi sur la base du rapport d'expertise judiciaire qui a répondu à une mission complète, et que bien que certains postes de préjudice n'aient pas donné lieu à indemnisation, il ne saurait pour autant être retenu une absence de proposition d'indemnisation de ces chefs, la transaction ayant de surcroît été conclue pour solde de tous comptes.

Il précise que tant dans le cadre de la conciliation de la procédure pour faute inexcusable de l'employeur que dans le cadre de la transaction intervenue sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985, le salarié a été indemnisé de l'ensemble de ses préjudices et que certains postes n'ont pas été retenus par l'expert. S'agissant particulièrement de l'indemnisation de la perte ou diminution des possibilités de promotion professionnelle, il objecte que ce poste ne comporte pas d'éléments de nature médicale et que les missions confiées aux experts ne comportent pas nécessairement cette appréciation, et qu'en tout état de cause, lors de la transaction le salarié a à tout le moins concédé une renonciation à faire valoir une demande au titre des postes non indemnisés dont il sollicite aujourd'hui réparation.

Le salarié répond que nonobstant le procès-verbal transactionnel, ses demandes d'indemnisation sont parfaitement recevables. Il souligne à cet égard que la réparation d'un accident du travail sur le fondement de la loi Badinter ne le prive pas de l'application des règles relatives à la faute inexcusable de l'employeur et qu'il sollicite ici l'indemnisation des préjudices complémentaires non indemnisés dans le cadre de la loi du 5 juillet 1985 causés par la faute inexcusable de l'employeur.

Il précise qu'aucune indemnisation ne lui a été proposée pour le déficit fonctionnel permanent, le protocole ayant indiqué que ce poste était absorbé par la rente, alors que la Cour de cassation considère désormais que la rente ne répare pas ce préjudice mais seulement les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle.

Il fait observer que les postes sur lesquels les parties ont transigé ont été négociés sur la base des conclusions médicales de l'expert, de sorte qu'il ne peut être considéré que les parties auraient renoncé à une indemnisation des postes non compris dans la transaction, le procès-verbal ne faisant nullement mention d'une telle renonciation.

Il ajoute que l'action introduite n'est aucunement dirigée à l'encontre des parties présentes à la transaction et que le procès-verbal transactionnel ne mentionne aucune renonciation de sa part à une action en indemnisation de ses préjudices complémentaires à l'encontre de son employeur.

La caisse ne répond pas sur ce point.

Sur quoi :

Aux termes de l'article 2052 du code civil, la transaction fait obstacle à l'introduction ou à la poursuite entre les parties d'une action en justice ayant le même objet.

Une transaction, fût-elle homologuée, n'a d'autorité de la chose jugée qu'à l'égard des parties ou de ceux qu'elle représentait lors de sa conclusion (Cass. soc., 31 mars 2009, n° 06-46.378).

En l'espèce, il résulte du procès-verbal d'accord transactionnel en date du 13 mai 2020, intervenu au cours de l'instance introduite sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985 devant le tribunal de grande instance de Draguignan et dont se prévaut l'employeur, que celui-ci a été signé entre la société [9], compagnie d'assurance de la société [6] et le salarié, et ni que la société [5], ni la caisse, n'y étaient ni parties ou représentées.

L'employeur, partie à la présente instance mais non à la conclusion du protocole transactionnel susvisé, ne peut en conséquence utilement opposer aux demandes du salarié l'autorité de la chose jugée s'attachant à cette transaction.

- sur la demande d'expertise:

Pour rejeter la demande d'expertise, les premiers juges ont retenu qu'au vu de la mission confiée à l'expert par l'ordonnance du juge des référés du 21 décembre 2016, ce dernier ayant envisagé l'ensemble des postes de préjudice indemnisables en la matière, et de son rapport d'expertise, dont il ressort que les conclusions ont été rendues après une étude approfondie du dossier médical en sa possession, examen clinique du salarié et prise en considération de ses doléances, ce dernier étant en outre assisté d'un médecin, ils étaient suffisamment informés sur les préjudices subis par la victime sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une nouvelle expertise médicale.

L'appelant soutient au contraire que l'expert commis dans le cadre de la procédure initiée sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985 ne s'est pas prononcé sur l'ensemble des préjudices complémentaires dont il demande ici réparation.

L'employeur répond essentiellement que la demande du salarié revient à une contre-expertise aux fins de se faire indemniser des préjudices non retenus par l'expert, dans la mesure où, dans le cadre de la procédure initiée sur le fondement de la loi Badinter, le juge des référés a ordonné une expertise dont la mission était complète, au cours de laquelle le salarié était assisté d'un conseil et d'un médecin, et où sur la base des conclusions de l'expert, il s'est vu verser, dans le cadre du protocole transactionnel, diverses indemnités. Il ajoute que le salarié ne justifie d'un quelconque préjudice nouveau qui n'aurait pas été soumis à l'expert ni une quelconque aggravation.

La caisse répond que l'expertise ne saurait porter ni sur les frais divers, ni la perte de gains professionnels, ni le déficit fonctionnel permanent, déjà pris en charge au titre des prestations légales, que la mission relative au préjudice d'agrément ne peut être définie que comme celle relative au préjudice lié à l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisir, et qu'aucune distinction ne doit être faite entre les préjudices nés avant et après la consolidation.

Sur quoi:

Aux termes de l'article 2044 du code civil, la transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître.

L'article 2048 du même code dispose par ailleurs que les transactions se renferment dans leur objet : la renonciation qui y est faite à tous droits, actions et prétentions, ne s'entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu.

Il n'est pas contesté en l'espèce que la conciliation entre l'employeur et le salarié n'a porté que sur le principe de la reconnaissance de la faute inexcusable par l'employeur, et sur sa conséquence à l'égard de la majoration de la rente versée par la caisse.

La mission confiée par le juge des référés du tribunal de grande instance de Darguignan au docteur [S] consistait:

- à déterminer le taux résultant d'une ou plusieurs atteintes permanentes à l'intégrité physique et psychique (AIPP) défini comme ''la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-psychologique médicalement constatable, appréciable par un examen clinique approprié complété par l'étude des examens complémentaires produits, à laquelle s'ajoutent des phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, normalement liées à l'atteinte séquellaire décrite ainsi que les conséquences habituellement et objectivement liées à cette atteinte à la vie de tous les jours',

- à quantifier les postes de préjudices tenant au déficit fonctionnel temporaire, au préjudice d'agrément, à l'incidence professionnelle, aux souffrances physiques endurées, au préjudice esthétique, à l'assistance par tierce personne, au préjudice sexuel,

- à déterminer la nécessité éventuelle de prothèses et leur coût, de soins post-consolidation et si l'état de la victime est susceptible d'aggravation ou d'amélioration.

L'expert a répondu à l'ensemble des questions posées à la mission et a quantifié en son rapport du 25 juillet 2019 les préjudices comme suit :

- déficit fonctionnel temporaire du 4 novembre 2014 au 3 novembre 2014 ;

- déficit fonctionnel temporaire partiel à 25% du 4 novembre 2014 au 23 février 2015 ;

- déficit fonctionnel temporaire partiel à 15% du 24 février 2015 au 27 décembre 2017;

- date de consolidation: 27 décembre 2017 ;

- AIPP : 13% ;

- préjudice d'agrément: allégué mais non documenté ;

- pretium doloris : 3,5/7 ;

- assistance par tierce personne: 0

- préjudice sexuel : 0

- soins post-consolidation: 0

- état non susceptible d'amélioration ou d'aggravation ;

- apte à reprendre son activité professionnelle antérieure avec une certaine pénibilité.

Il résulte par ailleurs du protocole transactionnel signé le 13 mai 2020 les élements suivants:

' A la suite de l'accident survenu le 27 octobre 2014 dont M. [E] [W] a été victime, il est convenu que le droit à indemnité est de 100% pour les dommages résultant des blessures.'

Les conclusions médicales de l'expertise judiciaire confiée au docteur [T] [S] constituent la base de la transaction qui se définit comme suit:

Préjudices patrimoniaux :

- perte de gains professionnels du 27octobre 2014 au 27 décembre 2017 : néant

- frais divers : 3170 euros

- incidence professionnelle: offre à 50 000 euros- pénibilité au poste de conducteur d'engins de travaux publics : 'absorbé'

Préjudices extra patrimoniaux :

- déficit fonctionnel total (8 jours): 227 euros

- déficit fonctionnel partiel 25% (112 jours): 784 euros

- déficit fonctionnel partiel 15% (1038 jours) : 4 411, 50 euros

- souffrances endurées 3,5/7 : 7 000 euros

- déficit fonctionnel permanent 13% à 1900 euros du point: absorbé

- préjudice d'agrément : 10 000 euros.

L'indemnité allouée à la victime est fixée, d'un commun accord, à la somme de 17 592 euros déduction faite des provisions et des prestations des tiers payeurs et pour solde de tout compte'.

Il en résulte que le salarié a transigé pour l'indemnisation sur la base des conclusions de l'expertise susmentionnée, et par conséquent sur les postes dont il demande ici réparation, à l'exception des préjudices résultant de la perte ou la diminution de promotion professionnelle et résultant de l'impossibilité de pouvoir exercer son activité de pompier bénévole, sur lesquels l'expert non commis sur ces points ne s'est pas prononcé. Toutefois, une expertise médicale judiciaire n'est pas utile à la cour pour statuer sur l'indemnisation éventuelle de ces deux derniers postes.

Par conséquent c'est à juste titre que les premiers juges, dont la décision doit être confirmée de ce chef, ont rejeté la demande d'expertise du salarié.

II. Sur l'indemnisation des préjudices

Sur le déficit fonctionnel permanent

L'appelant souligne qu'en l'état du revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation en ses arrêts du 20 janvier 2023 (civ. 2ème n°21-23947 et 20-23673) et du 28 septembre 2023 (2ème civ. 21-25690), la rente ne répare pas ce préjudice.

Se fondant sur les dispositions des articles 4 et 565 du code de procédure civile, il objecte à l'employeur que celui-ci ne saurait lui opposer l'irrecevabilité d'une demande nouvelle au titre du déficit fonctionnel permanent, dans la mesure où l'indemnisation de celui-ci tend à la même fin que l'indemnisation des préjudices complémentaires, à savoir la réparation intégrale de la faute inexcusable de l'employeur.

Il ajoute que les principes de 'croyance raisonnable' et de 'trouble grave' dont se prévaut l'employeur ne peuvent s'appliquer, d'une part au regard du principe de la rétroactivité de la jurisprudence et des précédents arrêts du Conseil d'Etat et de la CJUE ayant consacré l'absence de réparation, par la rente, du déficit fonctionnel permanent et des préjudices extra-patrimoniaux, et d'autre part, en l'absence de tout élément permettant d'étayer un risque grave structurel ou conjoncturel.

Sur le fond, il fait observer que le médecin conseil a retenu un taux d'incapacité permanente partielle de 39%, qu'il était âgé de 34 ans lors de la survenance de l'accident et que sur la base du référentiel '[J]' de septembre 2023, il doit lui être alloué une indemnisation d'un montant de 3620 (valeur du point) x 39 soit 141 180 euros.

Subsidiairement, il considère que l'expert, en retenant un taux d'AIPP de 13%, n'a pas tenu compte les céphalées ni de ses troubles dans ses conditions d'existence. Il ajoute que le sapiteurb ayant évalué la part du déficit fonctionnel permanent relevant de ses séquelles psychiatriques à 10% sur les 13%, les 3% attribués dès lors pour la part des séquelles en lien avec ses fonctions psychologiques, la douleur permanente et ses troubles dans ses conditions d'existence ne peuvent raisonnablement réparer intégralement son préjudice. Il estime que si le taux de 13% devait être retenu, il devrait lui être alloué 2300 (valeur du point) x13 soit 29 900 euros.

L'employeur soulève en premier lieu qu'il s'agit d'une demande nouvelle en cause d'appel.

Il se prévaut en outre de la notion de croyance raisonnable consacrée notamment par le CJUE en son arrêt du 28 février 1988 '[F] c/France', dans le fait que le déficit fonctionnel permanent n'était pas, au regard de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, indemnisée par la rente, et également du risque de trouble grave consacré par la CJUE en son arrêt du 21 octobre 2010 (C-242/09) et par la CEDH en son arrêt du 18 décembre 2018 n° 20153/04 Unedic c/FRance, en ce que l'application immédiate de la jurisprudence de la Cour de Cassation engendrerait un risque majeur d'insolvabilité.

Au fond, il objecte que l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent a été attribuée à l'assuré selon le protocole transactionnel par l'assureur, à hauteur de 13% et 'absorbé' [par la rente], et qu'appliquer la jurisprudence de la Cour de cassation sur ce point causerait un enrichissement sans cause du salarié à son préjudice et une double indemnisation.

Il ajoute subsidiairement que rien ne justifie de retenir un taux de 39% alors que l'expert judiciaire a retenu un taux de 13%, et que la somme allouée devrait être fixée à 2 200 x13 soit 28 600 euros.

La caisse soutient pour sa part que le déficit fonctionnel permanent est déjà indemnisé par la rente et ne répond pas aux autres moyens soulevés par les parties.

Sur quoi :

- Sur le moyen d'irrecevabilité tiré de la nouvelle demande en cause d'appel

Aux termes de l'article 4 du code de procédure civile, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

Ces prétentions sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense. Toutefois l'objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.

Selon l'article 562 du code de procédure civile, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.

Aux termes de l'article 564 du même code, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

L'article 565 du code de procédure civile dispose que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.

En l'espèce, l'action introduite devant la juridiction sociale du premier degré par le salarié vise à la réparation de ses préjudices complémentaires et donc non déja indemnisés par la rente, dans le cadre de la faute inexcusable de l'employeur. Ses demandes étaient, en effet, expressément limitées aux chefs de préjudice sexuel, d'assistance par tierce personne, du préjudice résultant de la perte ou la diminution de promotion professionnelle et du préjudice résultant de l'impossibilité de pouvoir exercer son activité de pompier bénévole et les indemnités y afférentes.

Il est ainsi exact que sa demande tendant à l'indemnisation d'un déficit fonctionnel permanent est une demande nouvelle en cause d'appel.

Toutefois, la Cour de cassation a jugé, en ses arrêts du 20 janvier 2023 (civ. 2ème n°21-23947 et 20-23673) et du 28 septembre 2023 (2ème civ. 21-25690), intervenus postérieurement au jugement attaqué, que la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent.

La demande du salarié d'indemnisation du déficit fonctionnel permanent étant ainsi tirée de l'évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation, elle présente un caractère connexe et tend aux mêmes fins (l'indemnisation des préjudices complémentaires) que les prétentions dont les premiers juges ont été saisis.

L'intimé est mal fondé en ce moyen.

- sur le moyen tiré de l'autorité de chose transigée sur le déficit fonctionnel permanent:

Le déficit fonctionnel permanent tend à indemniser la réduction définitive, après consolidation, du potentiel physique, psychosensoriel, ou intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique, à laquelle s'ajoute les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, et notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence (personnelles familiales et sociales).

Il indemnise ainsi, en sus du déficit fonctionnel lié à l'incapacité physique et de l'incidence professionnelle, la perte de qualité de vie, des souffrances après consolidation et des troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence du fait des séquelles qu'elle conserve.

Il résulte du protocole transactionnel susvisé que le salarié a expressément transigé sur la base des conclusions du rapport d'expertise.

La mission donnée à l'expert par le juge des référés pour quantifier l'AIPP donne à celle-ci la même définition que celle du déficit fonctionnel permanent, et l'expert a quantifié un AIPP de 13%.

Il résulte du protocole transactionnel que le déficit fonctionnel permanent au taux de 13% a été indemnisé par l'assureur, son offre d'indemnisation sur la base de 1 900 euros du point étant acceptée, et que le salarié a renoncé à celle-ci en acceptant que l'indemnisation de ce préjudice soit 'absorbé' par la réparation offerte par l'assureur.

Il a ainsi déjà été indemnisé dans le cadre de cette transaction du préjudice résultant du déficit fonctionnel permanent et a expréssement accepté avant le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation dans le cadre de la transaction précitée que ce préjudice était 'absorbé'.

Il résulte de l'article 2044 du code civil qu'une transaction implique des concessions réciproques.

Il s'ensuit que l'indemnisation du préjudice 'AIPP' qui correspond au déficit fonctionnel permanent proposée dans le cadre transactionnel, ayant été acceptée par le salarié, qui a renoncé à la percevoir en acceptant qu'elle était absorbée (en réalité par la rente), il ne peut en solliciter à nouveau l'indemnisation.

La circonstance que cette transaction soit antérieure au revirement de jurisprudence de la Cour de cassation est inopérante, puisque la conséquence de cette transaction, certes conclue avec l'assureur de l'employeur, mais agissant dans le cadre de sa garantie responsabilité civile, fait obstacle à ce que le salarié puisse solliciter à nouveau l'indemnisation de ce poste de préjudice

Par conséquent, le salarié soit être débouté de sa demande à ce titre, ce qui rend sans objet l'examen des moyens tirés la confiance légitime et de la non rétractivité d'un revirement jurisprudentiel.

- Sur l'indemnisation du préjudice sexuel et de l'assistance par tierce personne

S'agissant du préjudice sexuel, l'appelant se prévaut du rapport du docteur [P], sapiteur psychiatre adjoint à l'expert [S], pour soutenir qu'il existe un retentissement persistant sur le plan de sa sexualité avec perte de libido.

L'employeur soulève, outre les moyens développés précédemment selon lesquels la transaction a autorité de la chose jugée, que la lecture du dit rapport ne révèle aucune perte de libido, le sapiteur ayant uniquement consigné les doléances du salarié sur ce point.

La caisse se fonde sur le rapport d'expertise pour solliciter le rejet de la demande.

S'agissant de l'assistance par tierce personne, l'appelant soutient avoir été immobilisé pendant plusieurs mois, avoir été contraint de porter une minerve thermo-moulée du 3 novembre 2014 au 23 février 2015, avoir subi une perte de son autonomie et une situation de dépendance nécessitant d'avoir des recours à des aides extérieures pour les actes de la vie quotidienne et que sa compagne, infirmière puéricultrice d'état, lui a prodigué des soins constants (remplacements de pansements, toilette quotidienne, entretien de la minerve...) Et sollicite l'indemnisation de l'aide bénévole apportée par sa compagne sur la base de 25 euros de l'heure sur 1150 jours soit 28 750 euros.

L'employeur lui oppose, outre les moyens selon lesquels la transaction a autorité de la chose jugée, que l'expert a légitimement retenu l'absence de recours à tierce personne au regard du fait qu'à sa sortie d'hospitalisation le 3 novembre 2014, le salarié s'est seulement vu prescrire une ordonnance pour soins locaux sur écorchures et que ce dernier ne justifie aucunement de sa demande.

La caisse, se fondant sur le rapport d'expertise, conclut au débouté de la demande.

Sur quoi :

Comme précédemment rappelé, la transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître et les transactions se renferment dans leur objet : la renonciation qui y est faite à tous droits, actions et prétentions, ne s'entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu.

En l'espèce, les conclusions de l'expert, sur la base desquelles le protocole transactionnel a été signé, ont retenu l'inexistence du préjudice sexuel et l'absence d'assistance par tierce personne.

Il s'en suit que le salarié a expressément renoncé, par ce protocole, à l'indemnisation de ces deux postes de préjudice.

Le jugement qui l'a débouté de ces deux demandes doit dès lors être confirmé.

- Sur la perte de chance de promotion professionnelle

L'appelant soutient que son projet d'intégration dans le corps des pompiers professionnels, et donc ses chances de promotion professionnelle par intégration de ce corps, ont été réduit à néant du fait des conséquences de l'accident du travail, et que la perte de toute possibilité de promotion professionnelle n'est pas cantonnée au périmètre de la seule société [4]. Il ne fait par ailleurs valoir aucune perte de chance de promotion professionnelle au sein de ladite société.

L'employeur répond que le salarié confond perte de chance de promotion professionnelle et incidence professionnelle, laquelle est déjà indemnisée par la rente majorée, et ajoute qu'il ne produit aucun justificatif de nature à établir qu'il allait bénéficier d'une promotion, alors que la perte de chance doit être non pas hypothétique mais certaine.

La caisse réplique que le salarié ne justifie d'aucune chance de promotion professionnelle.

Sur ce:

Pour prétendre à l'indemnisation par application de l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale de la perte ou de la diminution de possibilités de promotion professionnelle, la victime doit démontrer que de telles possibilités préexistaient, étant par ailleurs relevé que le préjudice professionnel se trouve indemnisé par la rente et sa majoration.

En l'espèce, il est établi que le salarié était sapeur pompier volontaire depuis 2005 et qu'il a fait l'objet d'un avis médical d'inaptitude établi le 12 février 2020 par un médecin du service de santé et de secours médical exerçant au SDIS83, motivé par les séquelles neurologiques de l'accident du travail du 27 octobre 2014.

Le salarié est toutefois mal fondé à se prévaloir d'une activité bénévole pour prétendre à l'indemnisation de ce poste de préjudice par nature professionnel.

Par conséquent, le jugement qui l'a débouté de cette demande doit être confirmé.

Sur le préjudice né de l'impossibilité de pouvoir exercer son activité de sapeur pompier volontaire et de percevoir les indemnités y afférentes

L'appelant soutient en substance que du fait de la privation de son activité de pompier volontaire liée à l'accident du travail, il ne peut plus percevoir l'indemnité y afférente soit 250 euros mensuels sur la période d'octobre 2014, soit durant 87 mois au jour de sa demande.

Il argue de ce que ces indemnités ne sont pas un salaire au sens de l'article R 436-1 du code de la sécurité sociale et ne sont assujetties à aucun impôt ni soumises à prélèvements sociaux, de sorte qu'elles n'ont pas pu être prises en compte dans le calcul de la rente majorée, dont le calcul du capital représentatif est établi par la notification de rente majorée émanant de la caisse primaire d'assurance maladie.

Il ajoute que le médecin du travail a émis un avis d'inaptitude avec impossibilité de reclassement le 1er octobre 2020.

L'employeur ne répond pas sur ce point, indiquant de manière générale dans ses écritures que l'incidence professionnelle et la perte de gains professionnels sont déjà couverts par la rente.

La caisse objecte que la perte des gains professionnels est assurée par le versement des indemnités journalières puis par la rente de sorte que la demande doit être rejetée.

Sur quoi :

L'appelant ne fonde pas sa demande indemnitaire au titre de la réparation d'une incidence professionnelle sur ses possibilités d'emploi au sein de l'entreprise employeur ou sur le marché du travail, admettant lui-même que son activité de pompier volontaire n'est pas professionnelle mais bénévole, pour laquelle il ne perçoit pas une rémunération, mais des indemnités.

Or, la réparation d'un préjudice en lien avec des indemnités versées dans le cadre d'une activité bénévole ne peut être sollicitée dans le cadre d'une action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

En conséquence, le jugement qui l'a débouté de ce chef doit être confirmé.

Succombant, l'appelant est condamné aux dépens d'appel et ne peut se prévaloir des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité ne commande pas cependant de le condamner à une quelconque somme au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS:

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,

Y ajoutant,

Déboute M. [W] [E] de sa demande d'indemnisation du déficit fonctionnel permanent,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes et prétentions,

Condamne M. [W] [E] aux dépens d'appel.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-8b
Numéro d'arrêt : 22/08386
Date de la décision : 07/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-07;22.08386 ?
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