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07/06/2024 | FRANCE | N°20/00500

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-2, 07 juin 2024, 20/00500


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-2



ARRÊT AU FOND

DU 07 JUIN 2024



N° 2024/104













Rôle N° RG 20/00500 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BFNQU







[M] [C]





C/



S.A.S. COMPAGNIE DE DISTRIBUTION GENERALE - CODIGEL -

















Copie exécutoire délivrée

le : 07 JUIN 2024

à :



Me Benjamin CORDIEZ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

(Vest

227)



Me Joseph MAGNAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

(Vest 351)

























Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AIX EN PROVENCE en date du 03 Décembre 2019 enregistré(e) au répertoire général s...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-2

ARRÊT AU FOND

DU 07 JUIN 2024

N° 2024/104

Rôle N° RG 20/00500 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BFNQU

[M] [C]

C/

S.A.S. COMPAGNIE DE DISTRIBUTION GENERALE - CODIGEL -

Copie exécutoire délivrée

le : 07 JUIN 2024

à :

Me Benjamin CORDIEZ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

(Vest 227)

Me Joseph MAGNAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

(Vest 351)

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AIX EN PROVENCE en date du 03 Décembre 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 17/00885.

APPELANT

Monsieur [M] [C], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Benjamin CORDIEZ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIMEE

S.A.S. COMPAGNIE DE DISTRIBUTION GENERALE - CODIGEL - prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège, demeurant [Adresse 5]

représentée par Me Joseph MAGNAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Jacques REMOND, avocat au barreau de VERSAILLES

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Mars 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Marianne FEBVRE, Présidente de chambre suppléante, chargée du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Marianne FEBVRE, Présidente de chambre suppléante

Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre

Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Cyrielle GOUNAUD.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 24 Mai 2024, délibéré prorogé au 07 Juin 2024

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 07 Juin 2024

Signé par Mme Marianne FEBVRE, Présidente de chambre suppléante et Mme Cyrielle GOUNAUD, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

M. [M] [C] (M. [Z], ci-après) a été engagé en qualité de commercial par la société Compagnie de Distribution Générale (la société Codigel, ci-après) exploitant une entreprise de vente de mobilier et matériel culinaire à des fins professionnelles, et ce dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à effet du 1er mai 1992.

Les fonctions attribuées au salarié ont évolué ainsi que sa rémunération : ajout d'une part variable (en juillet 1999), puis passage à une rémunération fixe sur la base d'un forfait annuel en heure (en janvier 2000).

Au dernier état de la relation contractuelle, étant classé coefficient 390 niveau VI échelon A, de la grille des emplois de la convention collective nationale des entreprises d'installation sans fabrication, y compris entretien, réparation, dépannage de matériel aéraulique, thermique, frigorifique et connexe (Aéraulique), il exerçait ses fonctions de commercial chargé de région moyennant une rémunération mensuelle brute de 3.508,62 €.

Au cours de l'exécution du contrat de travail, le salarié a fait l'objet de deux rappels à l'ordre les 17 avril et 3 décembre 2014, de deux avertissements les 26 mars et 18 décembre 2015 ainsi que d'une mise en garde en date du 17 février 2016.

Parallèlement, le salarié a été destinataire de deux propositions de modification de son contrat de travail effectuées les 4 février 2013 et 11 janvier 2016, auxquelles il n'a pas donné suite et portant sur ses modalités de rémunération (avec réintroduction d'une part variable sur objectifs) et, pour la second, de son secteur d'intervention.

M. [Z] a été victime d'un accident de travail le 24 février 2016 (malaise sur la route lors d'un déplacement professionnel) et consécutivement placé en arrêt de travail jusqu'au 31 mai 2016.

La société Codigel a organisé une réunion le 15 juin 2016 au siège social à la suite de laquelle elle a formalisé une 'ultime mise au point' dans un courrier daté du 17 juin suivant.

Le 18 juillet 2016, M. [Z] a été convoqué à un entretien préalable à éventuel licenciement fixé au 27 juillet suivant, avec mise à pied conservatoire.

Après cet entretien qui s'est tenu en présence de trois membres de la direction, le salarié a été licencié pour faute grave par une lettre du 2 août 2016 rédigée en ces termes :

'A la suite de notre entretien du 27 juillet 2016 on présence de Messieurs [G] [E] et [D] [X]. nous vous informons que nous avons décidé do vous licencier pour les différents motifs énoncés dans cet écrit.

(...) Depuis 2014. lors de nos divers échanges nous vous avons alerté sur vos résultats commerciaux décevants compte tenu du potentiel de votre région et des performances de vos collègues. Nous vous avons donc invité à plus de rigueur dans votre travail afin de redresser la situation.

Devant votre absence de réaction, nous avons été contraints de formaliser nos mises en garde.

Le 17 avril 2014. nous vous rappelons que nous ne pouvions plus tolérer de dérogation concernant le respect des directives suivantes :

- Envoi de plannings,

- Communication des comptes rendus.

- Retour d'information transmise par les fournisseurs.

- Mise à jour du fichier clientèle + mails,

- Retour écrit sur les opérations commerciales ou demandes d'information de la direction,

- Visite prioritaire des revendeurs groupement.

- Règlement des litiges,

Ce premier courrier, doublé d'un envoi en RAR le 29 avril 2014, est resté sans effet.

D'autres ont suivi, malheureusement, eux aussi sans résultat :

- 3 décembre 2014: nouveau rappel à l'ordre ;

- 26 mars 2015 : 1er avertissement

- 18 décembre 2015 : 2ème avertissement caractérisant une attitude d'insubordination,

- 17 février 2016 : dernière mise en garde

Vous admettrez que vous avez été abondamment prévenu que vos méthodes de travail devaient changer. C'est en raison de votre ancienneté dans notre entreprise que nous avons fait preuve d'autant de patience.

L'ensemble de ces sanctions n'ayant provoqué aucun changement de votre part, nous avons tenté une ultime démarche pédagogique au cours d'une réunion qui s'est tenue le 15 juin en présence de Messieurs [G] [E] et [A] [B]. Le 15 juin un courrier formalisant le contenu de cet entretien, accompagné de nombreux outils devant vous aider dans votre travail vous a été adressé. Était incluse notamment le liste des clients à visiter de façon prioritaire au cours des semaines 22 à 39.

Or, force est de constater que cette dernière mise au point n'a pas eu plus d'effet que les précédentes.

Nous déplorons en effet à ce jour :

- Le non-respect du planning communiqué,

- L'absence de reporting sur vos visites (compte rendus de visites hebdomadaires)

- L'absence de devis,

- La non mise à jour de votre fichier clients.

- L'absence de commentaires et informations venant compléter les données transmises le 17 juin (notre seule base d'information étant le relevé du télépéage, nous constatons que le plan de visites qui vous avaient été transmis n'a pas été respecté)

- L'absence de suivi des litiges,

S'ajoutent des pratiques personnelles incompatibles avec les règles de gestion en vigueur dans l'entreprise :

- Le prise de congés sans autorisation nous mettant le jour même devant le fait accompli (2 fois en juillet 2016).

- La non-communication de vos dates de congés d'été + solde 2015 malgré les demandes insistantes de votre hiérarchie

- L'absence de communication de vos notes de frais depuis le mois de janvier.

Le persistance de votre refus d'appliquer nos directives relève de l'insubordination (...)'

M. [Z] a saisi le conseil des prud'hommes d'Aix-en-Provence le 24 novembre 2017 pour contester la régularité et le bien fondé de son licenciement et pour voir également prononcer l'annulation des sanctions disciplinaires. Outre les indemnités en relation avec ces chefs de demandes, il demandait un rappel de salaire pour non respect des minimas conventionnels, un autre au titre de la revalorisation du coefficient applicable et un troisième pour retenue sur salaire pour contravention ainsi que des dommages et intérêts pour non respect de l'égalité de traitement, pour mise à disposition d'une partie de son domicile pour son activité professionnelle, pour exécution fautive du contrat de travail, pour non respect des obligations en matière de formation professionnelle et pour préjudice subi du fait de la pratique de sanction pécuniaire.

Vu le jugement en date du 3 décembre 20109 qui a :

- dit le licenciement justifié par une faute grave,

- débouté M. [Z] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la société Codigel de sa demande reconventionnelle,

- condamné le salarié demandeur aux dépens,

Vu la déclaration d'appel de M. [Z] en date du 13 janvier 2020,

Vu ses dernières conclusions récapitulatives et responsives, transmises par voie électronique le 19 mai 2023, par lesquelles il est demandé à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions mais, en substance, de

- dire son licenciement irrégulier et dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamner la société Codigel au paiement des sommes suivantes :

- 197,00 € à titre de rappel de salaire pour retenue illégale,

- 618,88 € à titre de rappel de salaire pour la mise à pied conservatoire,

- 61,88 € à titre des congés payés afférents,

- 50.524,13 € à titre d'indemnité de licenciement,

- 1.679 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 1.167,90 € au titre des congés payés afférents,

- 3.893 à titre de dommages intérêts pour licenciement irrégulier,

- 30.000 € à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail de la part de l'employeur,

- 75.000 € à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- enjoindre à la société Codigel d'avoir à lui délivrer une attestation destinée pôle emploi mentionnant au titre de la rupture un « licenciement sans cause réelle et sérieuse »,

- condamner la société Codigel au paiement d'une indemnité de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 21 avril 2021 pour la société Codigel, aux fins de confirmation du jugement entrepris et condamnation de M. [Z] au paiement d'une somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

Vu l'ordonnance de clôture en date du 20 février 2024,

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites susvisées.

A l'issue de l'audience, les parties présentes ont été avisées que la décision était mise en délibéré pour être rendue le 24 mai 2024 par mise à disposition au greffe. Elles ont été informées par le greffe du prorogé de ce délibéré au 7 juin 2024.

SUR CE :

Selon l'article 954 du code de procédure civile, les parties doivent reprendre, dans leur dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures ; à défaut, elles sont réputées les avoir abandonnées et la cour ne statue que sur les dernières conclusions déposées qui déterminent ainsi l'étendue de sa saisine.

En l'espèce, alors que la déclaration d'appel critiquait expressément le rejet de tous les chefs de demandes présentées en premières instance, aux termes de ses dernières conclusions, M. [Z] ne formule aucune demande au titre des sanctions disciplinaires, du caractère vexatoire et abusive de la procédure de licenciement, du non respect des minimas conventionnels, de la revalorisation du coefficient applicable, du non respect du principe d'égalité de traitement, de la mise à disposition d'une partie de son domicile pour son activité professionnelle ainsi que du préjudice subi suite non respect par l'employeur de ses obligations au titre de la formation professionnelle ou de l'interdiction des sanctions pécuniaires.

Aussi bien et nonobstant la formule par laquelle l'appelant demande l'infirmation du jugement entrepris 'en toutes ses dispositions', il convient d'interpréter le dispositif de ses dernières écritures et de constater que les prétentions listées ci-dessus sont réputées abandonnées et la cour ne statuera que sur les demandes figurant au dispositif des dernières conclusions de M. [Z].

Sur le rappel de salaire pour retenue illégale :

Visant les dispositions de l'article L.1331-2 du code du travail prohibant 'les amendes ou autres sanctions pécuniaires', M. [Z] - qui ne réclame plus de dommages et intérêts pour préjudice subi du fait de la pratique de la sanction pécuniaire - réitère néanmoins sa demande de rappel de salaire suite à la retenue d'un montant de 197 € au titre d'une amende qui lui aurait été imputable et au sujet de laquelle il n'a jamais été informé.

La société Codigel reconnaît avoir opéré diverses retenues à l'occasion de contravention que le salarié aurait eues avec son véhicule 'personnel' et en dehors du temps de travail et elle produit quatre amendes à savoir : 45 € le 30/04/14, 45 le dimanche 13/07/14, 17 € le 04/05/15 lors de ses congés et 90 € le 21/08/15 sur [Localité 4], soit effectivement un total de 197 € correspondant à la retenue litigieuse.

Elle objecte ensuite qu'elle aurait bien pu dénoncer le salarié, ce qui aurait eu pour conséquence, non seulement de l'amener à régler les contraventions mais en plus à en subir les conséquences pour son permis. Pour cette raison, elle demande à ne pas être pénalisée alors qu'elle estime avoir agi au mieux des intérêts du salarié.

Le conseil des prud'hommes d'Aix-en-Provence a retenu cette argumentation et constaté que le salarié n'avait subi aucun préjudice.

Cependant et comme le fait également valoir M. [Z], la société Codigel ne pouvait procéder à la retenue litigieuse et il lui appartenait de dénoncer le conducteur de véhicule auprès des autorités compétentes sans pouvoir procéder à la retenue sur salaire après règlement des amendes dont elle avait été destinataire.

De plus, si la société Codigel affirme que les infractions ont été commises par le salarié avec son véhicule personnel et en dehors de ses temps de travail, il est incompréhensible qu'elle ait été destinataire des procès verbaux pour des infractions imputables au salarié.

Enfin, M. [Z] souligne également à bon escient que les plaques d'immatriculation des véhicules visés par ces infractions ne sont pas les mêmes, à savoir [Immatriculation 3] pour les unes et [Immatriculation 2] pour d'autres. Or la société Codigel ne justifie pas du ou des véhicules mis à la disposition de M. [Z].

Par suite, le jugement sera infirmé et la demande de rappel de salaire accueillie de ce chef.

Sur l'exécution fautive du contrat de travail :

Se référant à l'obligation de bonne foi dans l'exécution du contrat de travail, M. [Z] affirme que la société intimée s'est 'fautivement abstenue de ses obligations' et énumère ses manquements au regard de celle de préserver son état de santé, de la pression constante subie, d'un entretien de licenciement 'totalement dévoyé', d'une sanction pécuniaire illicite et d'avertissements infondés.

Il affirme également que son accident du travail du 24 février 2016 lié à une dépression était en lien direct avec la détérioration de ses conditions de travail et un syndrome d'épuisement, ce qui justifie à ses yeux l'octroi d'une somme de 30.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation d'un préjudice distinct de ceux susceptibles d'être indemnisé au titre de ses autres demandes.

La société Codigel objecte cependant à juste titre que M. [Z] n'établit pas l'existence d'un lien entre l'accident dont il été victime le 28 février 2016 suite à un malaise et initialement déclaré comme maladie d'origine non professionnelle, tandis que le 13 juillet 2016, la caisse primaire d'assurance maladie a notifié une prise en charge partielle au titre de la législation sur les accidents du travail, avec cette précision importante : « à l'exclusion des lésions dépression réactionnelle suite à un burn-out ''.

La société intimée fait également valoir que lors de la visite de reprise du travail le 13 juin 2016, le salarié a été reconnu apte sur une fiche de visite mentionnant à une maladie ou accident non professionnel, ce qui n'est cependant pas un moyen utile dès lors que c'est l'employeur luoi-même qui le détermine au moment où il saisit le médecin du travail et organise la visite de reprise. D'ailleurs, la décision de la caisse de sécurité sociale est intervenue postérieurement.

En revanche, et alors que cette preuve lui incombe, il est indéniable que le salarié appelant ne démontre pas en quoi les troubles qu'il a présenté étaient dus aux manquements imputables à l'employeur qu'il se contente d'ailleurs de lister sans fournir ni explication ni justification. En effet, M. [Z] ne précise pas en quoi la société Codigel a manqué à son obligation de préserver son état de santé et il ne conteste plus désormais les sanctions disciplinaires et les rappels à l'ordre dont il a fait l'objet. Quant aux conditions de déroulement de l'entretien préalable au licenciement, elles ne peuvent avoir de lien avec la détérioration de l'état de santé du salarié qui lui est chronologiquement antérieure. Enfin, les conditions de déroulement de la procédure de rupture ne peuvent donc faire l'objet d'une indemnisation au titre de l'exécution du contrat de travail alors que le salarié en demande déjà l'indemnisation au titre de l'irrégularité de la procédure de licenciement.

En conséquence le jugement entrepris sera confirmé quand au rejet de la demande d'indemnisation pour l'exécution fautive du contrat de travail.

Sur la procédure de licenciement :

M. [Z] conteste tout d'abord le nombre de personnes présentes lors de l'entretien préalable. Il invoque ensuite ne pas avoir été informé lors de l'entretien des griefs qui lui ont été faits dans la lettre de licenciement. Enfin, il reproche au dirigeant de la société Codigel de lui avoir fait part de la décision de le licencier pour insubordination dans le cadre de cet entretien préalable.

Nul doute qu'un salarié est fondé à solliciter une indemnité pour non respect de la procédure s'il établit que les griefs énoncés dans la lettre de licenciement n'ont pas été évoqués au cours de l'entretien préalable en méconnaissance de l'article L.1232-3 du code du travail, ou bien en cas de non respect du délai de deux jours ouvrables après la date de l'entretien pour notifier la décision de licencier prévu à l'article L.1232-6. Tel est le cas si la décision est notifiée au cours de l'entretien préalable.

De même, la jurisprudence guidée par l'idée que cet entretien a été institué dans le seul intérêt du salarié, pour lui permettre de s'expliquer sur les faits qui lui sont reprochés, interdit à l'employeur de se faire assister par un nombre de personnes trop important, cela pour éviter que l'entretien préalable soit détourné de son objet et se transforme en procédure d'enquête.

La société Codigel conteste que la décision de licenciement ait été annoncée dès l'entretien préalable et souligne avoir respecté le délai de réflexion puisque la lettre de licenciement n'a été envoyée que le 2 août 2016 (pour un entretien qui s'est tenu le 27 juillet précédent).

En l'absence de compte rendu d'entretien notamment par une personne assistant le salarié, ce dernier ne rapporte pas la preuve - qui lui incombe - de ces allégations sur le déroulement de l'entretien préalable, et de ce qui lui a été dit ou - au contraire - de ce qui aurait été omis et ce nonobstant le fait que l'employeur ne se prononce pas sur les omissions dénoncées par M. [Z] concernant les griefs formulés.

En revanche, et indépendamment du fait que le salarié n'était pas assisté lors de cet entretien, la cour constate que la participation de deux personnes autour du représentant de la société ne respecte pas les exigences du code du travail quant au déroulement d'un entretien préalable au licenciement.

En l'occurrence, et comme cela ressort des explications fournies de part et d'autres, M. [J] [E], le gérant de la société Codigel, était assisté à la fois de son fils [G] [E] auquel il était en train de transmettre la direction de l'entreprise, et de M. [X] chargé de fournir des éléments d'ordre comptable, ce qui créait un déséquilibre en défaveur du salarié qui ne se trouvait pas en position de s'expliquer contradictoirement sur les faits qui lui étaient reprochés.

En conséquence le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire présentée par le salarié au motif inopérant que celui-ci avait fait le choix de ne pas être assisté.

Il sera au contraire jugé que M. [Z] est fondé à réclamer le paiement d'une indemnité pour procédure irrégulière sur le fondement de l'article L.1235-2 du code du travail, laquelle ne peut être supérieure à un mois de salaire, soit 3.508,62 €, somme correspondant à la moyenne de douze derniers mois et sur laquelle les parties s'accordent de se référer.

Sur le bien fondé et les conséquences du licenciement :

L'employeur qui prend l'initiative de rompre le contrat de travail doit énoncer son ou ses motifs dans la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige. Les motifs avancés doivent être précis et matériellement vérifiables, des motifs imprécis équivalant à une absence de motif. Le licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, c'est-à-dire être fondé sur des faits exacts, précis, objectifs et revêtant une certaine gravité.

La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Elle justifie une mise à pied conservatoire.

Alors que la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n'incombe pas particulièrement à l'une ou l'autre des parties, il revient en revanche à l'employeur d'apporter la preuve de la faute grave qu'il reproche au salarié.

S'il subsiste un doute concernant l'un des griefs invoqués par l'employeur ayant licencié un salarié pour faute grave, il profite au salarié. Lorsque que les faits sont établis mais qu'aucune faute grave n'est caractérisée, le juge du fond doit vérifier si les faits initialement qualifiés de faute grave par l'employeur constituent ou non une cause réelle et sérieuse de licenciement.

En l'espèce, le conseil des prud'hommes d'Aix-en-Provence a estimé que le licenciement pour faute grave était justifié après avoir constaté :

- que M. [Z] ne pouvait ignorer les attentes de son employeur et le risque de sanction sans changement de comportement après qu'il a été relancé et mis en garde à de nombreuses reprises depuis 2014, avec des demandes précises et détaillées de la part de la direction en matière de respect des procédures et de reporting,

- que malgré les avertissements de 2015 et les nombreux rappels à l'ordre, le salarié n'avait pas modifié son attitude,

- que, dans un courrier du 17 février 2016, la société Codigel rappelle à M. [Z] que malgré l'avertissement de décembre 2015, il n'a toujours pas transmis ses plannings hebdomadaires et lui a précisé qu'il s'agissait 'de la dernière mise en garde',

- que le salarié n'apporte aucun élément pour justifier son comportement, qu'il n'a d'ailleurs pas modifié après la réunion de mise au point du 15 juin 2016 formalisée dans un écrit le 17 juin suivant,

- qu'il est démontré que M. [Z] a - de manière répétée - refusé d'appliquer les directives de la société Codigel, ce qui caractérisait l'insubordination dénoncée dans la lettre de licenciement

Au soutien de son appel et pour contester néanmoins son licenciement, M. [Z] fait valoir que :

- l'ensemble des critiques formulées dans les différents courriers qui lui avaient été adressés ne relevait pas d'une sanction disciplinaire mais d'une prétendue insuffisance professionnelle invoquée par l'employeur à son encontre,

- il était question de critiques sur l'organisation de son travail, sur les baisses de chiffres d'affaires dans ses secteurs, sur un prétendu défaut de mise à jour de fichier clients, compte rendu Excel, analyse sectorielle par client,

- la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige évoquait elle-même la mauvaise qualité de son travail et des motifs relevant de l'insuffisance professionnelle et ne pouvant dès lors justifier un licenciement disciplinaire tel qu'un licenciement pour faute grave,

- en effet, il était question de ses résultats commerciaux, en dessous des attentes de l'employeur et de ses collègues de travail, et les attestations fournies par l'employeur évoquent une baisse de chiffre d'affaires et des difficultés sur les visites,

- le planning de visite produit pas la société Codigel ne mentionne pas son nom et il n'est pas démontré que ce soit celui qui lui a été remis, ou même qu'il n'est pas été forgé pour les besoins de la cause,

- inversement, le relevé de télépéage - qui était concordant avec l'agenda de ses déplacements - prouvait qu'il avait continué d'exercer son activité et effectué des déplacements chez de multiples clients de l'entreprise,

- la société Codigel ne peut se fonder sur un listing de devis qui auraient été effectués par un autre salarié alors qu'il était le seul salarié chargé d'effectuer les devis sur son secteur.

Il ajoute que :

- les griefs formulés à son encontre avaient déjà été mis en avant lors de précédentes sanctions et que la réunion du 15 juin 2017 à laquelle il avait été convoqué avec la faculté de se faire assister par un représentant du personnel et ayant abouti à l'envoi d'un courrier le 17 suivant devait s'analyser en une sanction disciplinaire de sorte qu'il ne pouvait être sanctionné à nouveau pour les mêmes faits,

- son agenda pour la période entre la fin de son arrêt maladie du 31 mai 2016 et sa mise à pied conservatoire du 18 juillet 2016 permet de constater que contrairement aux affirmations de la société intimée, il effectuait régulièrement des visites auprès des clients de l'entreprise,

- il avait la faculté d'organiser ses visites en fonctions de la disponibilité des clients, en sa qualité de cadre et d'adapter le planning prédéfini par l'entreprise,

- le non respect par un autre commercial - M. [W] - des plannings proposés par l'entreprise n'a pas donné lieu à sanction,

- la société Codigel avait fait preuve de célérité en procédant à sa mise à pied.

De son côté, l'employeur oppose que M. [Z] a fait preuve de non respect des directives qui lui avait été données dans un premier temps de manière informelle et oralement, compte tenu des relations interpersonnelles et de la taille de l'entreprise, puis par le biais de courriers formalisant la procédure à respecter, en soulignant l'existence d'une corrélation entre le non respect des procédures et les résultats commerciaux catastrophiques de M. [Z].

Le simple rappel de cette baisse de résultats commerciaux n'est pas de nature à modifier l'analyse de la lettre de licenciement qui se fonde expressément sur une insubordination liée au non respect des procédures, des plannings et des demandes de rapport, tout à fait légitimes face aux difficultés déjà constatées, y compris à l'égard d'un cadre évoquant lui-même des troubles de santé (dépression) pouvant influer sur sa manière d'exercer son activité.

Le fait que les griefs formulés dans la lettre de licenciement aient déjà été formulés par le passé n'interdisait pas la société Codigel de les invoquer à nouveau si le salarié - ce qui était le cas - continuait de ne pas respecter les instructions et directives qui lui étaient données, sans que - comme justement relevé par les premiers juges - l'intéressé ne fournisse la moindre explication concernant les manquements reprochés.

La cour estime par ailleurs que la lettre de licenciement évoque des manquements précis, vérifiables et justifiés.

Ainsi, le non respect du planning des visites communiqué n'est d'ailleurs pas véritablement contesté par M. [Z] qui revendique au contraire le droit, en tant que cadre, d'adapter ses manières de travailler, et la société Codigel justifie de ce que le salarié n'a réalisé aucune des visites prévues dans celui qui lui avait été remis le 15 juin tandis que l'agenda produit par le salarié comporte de nombreuses incohérences (par exemple des rendez-vous fixés à des dates où il est en congé).

M. [Z] ne conteste pas le grief relatif à l'absence de reporting sur ses visites et il ne justifie pas d'un seul compte rendu, ni de la transmission du moindre devis.

Le salarié ne justifie pas avoir mis à jour son fichier clients et ne conteste pas le grief relatif à l'absence de suivi des litiges alors que la société Codigel établit quant à elle qu'il n'a pas réagi à un mail de relance du 14 juin sur un problème datant du début février.

L'employeur établit enfin que M. [Z] a pris des congés au cours du mois de juillet 2016 sans avoir déposé de demande d'autorisation préalable.

C'est donc par une exacte appréciation des faits et de justes motifs que le conseil de prud'hommes a jugé que le licenciement reposait bien sur une faute grave et débouté le salarié de ses prétentions indemnitaires à ce titre ainsi que de sa demande de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire.

Le jugement entrepris sera donc confirmé de ces chefs.

Sur les autres demandes :

Les deux parties étant perdantes au sens de l'article 696 du code de procédure civile, elles supporteront les dépens par moitié.

Par ailleurs, l'équité et la situation économique des parties commandent de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement et par arrêt mis à la disposition des parties au greffe:

- Infirme le jugement rendu le 3 décembre 2019 par le conseil des prud'hommes d'Aix-en-Provence sur le rejet des demandes de M. [Z] au titre du rappel de salaire pour retenue injustifiée et de l'indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement ainsi que sur la charges des dépens ;

- Confirme le jugement entrepris pour le surplus, dans les limites de la saisine ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés, et y ajoutant,

- Condamne la société Codigel à payer à M. [M] [Z] les sommes suivantes, nettes de tous prélèvements sociaux ou fiscaux :

- 197 € à titre de rappel de salaire pour retenue injustifiée,

- 3.508,62 € à titre d'indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement ;

- Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Fait masse de tous les dépens de première instance et d'appel, et les partage par moitié entre les parties.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-2
Numéro d'arrêt : 20/00500
Date de la décision : 07/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-07;20.00500 ?
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