COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Délég.Premier Président
ORDONNANCE DE VISITES DOMICILIAIRES
du 06 Juin 2024
N° 2024/12
Rôle N° RG 23/08177 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BLPNS
Rôle N° RG 23/08962 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BLSLP
Rôle N° RG 23/08972 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BLSMH
S.C.I. [Localité 6] MAISONS
C/
[F] [X]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Pasquale CAMINITI
Me Narriman KATTINEH-BORGNAT
Prononcée à la suite de la déclaration d'appel en date du 21 juin 2023 contre l'ordonnance rendue par le Juge des Liberté et de la détention de NICE le 15 mai 2023.
DEMANDERESSE
S.C.I. [Localité 6] MAISONS prise en la personne de son gérant en exercice, M. [O] [Z] domicilié en cette qualité audit siège., demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Pasquale CAMINITI, avocat au barreau de NICE
DEFENDEUR
Monsieur [F] [X], Maire en exercice de la commune de [Localité 5], domicilié [Adresse 3], demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Narriman KATTINEH-BORGNAT, avocat au barreau de NICE
* * * *
DÉBATS ET DÉLIBÉRÉ
L'affaire a été débattue le 04 Avril 2024 en audience publique devant
Laurent SEBAG, Conseiller,
délégué par ordonnance du premier président.
En application des articles 957 et 965 du code de procédure civile
Greffier lors des débats : Cécilia AOUADI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Juin 2024.
ORDONNANCE
Contradictoire,
Prononcée par mise à disposition au greffe le 06 Juin 2024.
Signée par Laurent SEBAG, Conseiller et Cécilia AOUADI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE :
La SCI [Localité 6], dont le siège social est sis [Adresse 2] à [Localité 6], est propriétaire d'une parcelle cadastrée section AI numéro [Cadastre 4] au [Adresse 1] au [Localité 5]. Le gérant de la SCI est M. [O] [Z].
Ayant été avertie que des travaux étaient entrepris en infraction aux règles de l'urbanisme sur la parcelle susvisée, située en zone naturelle remarquable, la commune de [Localité 6] a dressé un procès-verbal d'infraction, en date du 15 décembre 2020.
Le 22 janvier 2021, la commune a pris un premier arrêté portant ordre d'interruption de travaux.
En date du 6 avril 2021, un nouvel arrêté portant ordre d'interruption des travaux a été pris par la commune de [Localité 6]. Des scellés ont été posés le 8 avril 2021 afin d'empêcher, en vain, la poursuite des travaux.
Enfin, un arrêté portant ordre d'interruption des travaux a été pris par la commune de [Localité 5] en date du 14 mars 2022.
Les travaux ont été poursuivis mais aucun contrôle n'a pu être effectué : tantôt parce que la propriété était fermée, tantôt parce que les ouvriers sur place n'avaient pas accepté la visite, sur ordre de M. [I] [R], gérant de fait.
C'est dans ces circonstances que, par requête du 12 mai 2023, le maire de la commune de [Localité 5] a saisi le Juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire de Nice afin d'être autorisé à procéder au contrôle des constructions et travaux litigieux.
Suivant ordonnance du 15 mai 2023, le juge des libertés et de la détention de Nice a fait droit à la demande de visite domiciliaire en présence des occupants et avec le concours d'un serrurier.
En date du 6 juin 2023, le maire accompagné d'un agent de la ville et de deux témoins ont procédé à la visite domiciliaire. Un procès-verbal a été dressé le même jour permettant d'identifier notamment trois constructions dont une maison, plusieurs serres et des toilettes.
Suivant déclaration d'appel déposée au greffe le 6 juillet 2023, la SCI [Localité 6] MAISONS a interjeté appel de l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention de Nice en date du 15 mai 2023 (dossiers tous trois enrôlés sous les numéros 23/08962, 23/08972 et 23/08177), ainsi que du déroulement des opérations de visite autorisées par le juge des libertés et de la détention.
Suivant conclusions déposées le 3 avril 2024 et soutenues oralement le lendemain à l'audience, la SCI [Localité 6] MAISONS sollicite l'annulation de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention rendue le 15 mai 2023, ainsi que celle du procès-verbal de visite dressé le 6 juin 2023 par le maire de commune de [Localité 5].
Elle réfute la régularité de l'ordonnance dont les conditions d'engagement prévues par l'article L. 461-3 du code de l'urbanisme ne sont pas réunies.
Elle conteste la régularité des opérations de visite notamment en ce que la visite, réalisée par le maire en exercice, aurait méconnu les dispositions de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et aurait largement excédé l'objet de l'autorisation du juge des libertés et de la détention dès lors qu'une fouille des objets personnels des occupants était intervenue.
Elle fait également valoir à l'appui de ses prétentions qu'au cours de cette visite, des personnes ne parlant pas français ont été entendues hors la présence d'un interprète, outre le fait que les témoins intervenus pendant la visite ne sont pas, selon elle, identifiés.
La SCI [Localité 6] MAISONS sollicite en outre la condamnation de la commune du [Localité 5] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des frais de l'article 700 du code de procédure civile, outre sa condamnation aux dépens.
En défense, la commune soutient oralement lors des débats du 4 avril 2024 sa sollicitation de la confirmation de l'ordonnance déférée, opposant un caractère fantaisiste aux arguments soulevés par la SCI [Localité 6].
La commune rappelle qu'aucune fouille n'a eu lieu durant la visite, qui n'a duré qu'une heure, contrairement à ce que soutient la SCI, et que la personne présente sur les lieux, qui prétendrait ne pas maîtriser la langue française, n'a pas souhaité représenter la SCI [Localité 6] MAISONS, ni même M. [R] [I].
Elle fait valoir que la SCI [Localité 6] n'apporte aucun élément propre à entraîner l'annulation du procès-verbal des opérations de visite, dès lors que trois constructions réalisées sans autorisation et, en violation des arrêtés interruptifs de travaux successifs et malgré la pose de scellés, ont été identifiées.
Elle indique, enfin, qu'un nouveau procès-verbal d'infraction a été établi le 18 mars 2024 démontrant que la SCI [Localité 6] a fait construire une terrasse dans le prolongement de la construction illégale, terrasse constitutive d'emprise au sol, ainsi qu'un escalier également constitutif d'emprise au sol.
La commune réclame également la condamnation de la SCI [Localité 6] à lui régler la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus des dépens.
Par deux avis du 22 mars 2024 lus à l'audience, madame l'avocate générale indique n'être favorable ni à l'annulation de l'ordonnance querellée ni à l'annulation du procès-verbal des opérations de visite consécutives.
Elle estime d'abord que compte tenu du silence de M. [Z], de la poursuite des travaux malgré deux arrêtés interruptifs de travaux et de l'opposition manifestée par M. [I] notamment, les conditions de l'article L.461-3-1 du code de l'urbanisme sont réunies, s'agissant d'un contrôle sur la réalité des constructions, ainsi que leur régularité.
Concernant les opérations de visite, elle conclut qu'il ne résulte pas de ce procès-verbal qu'un interrogatoire ait été mené, dès lors qu'une fois le refus de M. [U] de représenter soit le propriétaire, soit M. [I] acté, la visite a commencé, et paraissait linéaire et consacrée à la constatation matérielle des lieux. Elle prétend ensuite que cette visite de contrôle a été effectuée en présence de deux témoins, dont il appartient à la cour d'apprécier, au vu des pièces produites par les parties, d'une part l'éventuelle dépendance au maire, M. [X], ou à Mme [L], au regard d'une relation d'autorité qui doit être étayée pour être partagée, et d'autre part, la démonstration par la SCI [Localité 6] de la réalité des fouilles opérées par le maire et l'agent assermenté, au cours de ces opérations, et en présence de ces témoins : en l'absence de tout élément exterieur objectif étayant ces dires, ce proces-verbal fait foi.
Les débats clos, la décision a été mise en délibéré au 6 juin 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
1-Sur la recevabilité des appels
La recevabilité des appels contre l'ordonnance d'autorisation du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Nice n'est pas contestée, pas plus que ceuxi diligentés contre les opérations de visite du 6 juin 2023 et, les éléments du dossier ne font pas apparaître d'irrégularité.
Les appels sont ainsi recevables.
2-Sur la jonction des instances
Il y a lieu en application de l'article 367 du code de procédure civile d'ordonner la jonction des instances enregistrées sous les numéros RG 23/8177 et 23/8962 et 23/8972 à joindre sous le numéro RG 23/8177.
3- Sur l'annulation de l'ordonnance querellée
Aux termes de l'article L. 461-1 du code de l'urbanisme, le préfet et l'autorité compétente mentionnée aux articles L. 422-1 à L. 422-3 ou leurs délégués, ainsi que les fonctionnaires et les agents mentionnés à l'article L. 480-1 peuvent visiter les lieux accueillant ou susceptibles d'accueillir des constructions, aménagements, installations et travaux soumis aux dispositions du présent code afin de vérifier que ces dispositions sont respectées et se faire communiquer tous documents se rapportant à la réalisation de ces opérations.
Le droit de visite et de communication prévu au premier alinéa du présent article s'exerce jusqu'à six ans après l'achèvement des travaux.
L'article L. 461-3-I du même code dispose que lorsque l'accès à un domicile ou à un local comprenant des parties à usage d'habitation est refusé ou que la personne ayant qualité pour autoriser l'accès à un tel domicile ou à un tel local ne peut être atteinte, les visites peuvent être autorisées par ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire dans le ressort duquel sont situés les lieux ou les locaux à visiter.
La société appelante prétend que le premier juge ne pouvait pas octroyer l'autorisation faute qu'ait été établi devant lui que l'accès à la propriété avait été refusé à la commune ou que, la personne ayant qualité pour autoriser l'accès n'ait pu être atteinte.
Or, il n'en est rien puisque le gérant de la SCI [Localité 6], M. [Z] ne s'est jamais manifesté auprès aupres des services de l'urbanisme de la commune et ce, malgré plusieurs notifications des différents procès-verbaux et arrêtés interruptifs de travaux successifs par la comrnune, la seule contestation le 2 avril 2021 par le conseil de la SCI, ne suffisant pas à faire de lui un mandataire de la SCI au sens du code de l'urbanisme.
L'obstruction du gérant dans cette affaire est telle qu'à la lecture du dossier d'enquête pénale, même les gendarmes ne sont pas parvenus à obtenir son déplacement dans leurs locaux pour une audition, pas plus d'ailleurs que les époux [I].
Enfin la partie intimée produit les retours des services postaux infructueux adressés à M. [Z] (non réclamés) établissant que ce gérant n'a pu être atteint.
Il convient en conséquence de confirmer l'ordonnance déférée.
4-Sur l'annulation des opérations de visite et du procès-verbal du 6 juin 2023 :
Selon l'article L. 461-3-II du code de l'urbanisme, l'ordonnance est notifiée sur place au moment de la visite à l'occupant des lieux ou à son représentant, qui en reçoit copie intégrale contre récépissé ou émargement au procès-verbal de visite. En l'absence de l'occupant des lieux ou de son représentant, l'ordonnance est notifiée après la visite, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. La notification est réputée faite à la date de réception figurant sur l'avis. A défaut de réception, il est procédé à la signification de l'ordonnance par acte d'huissier de justice.
Il en ressort donc que le législateur a prévu la situation où le local visité est occupé par une autre personne que le propriétaire, comme en l'espèce.
La société appelante conteste d'abord la régularité des opérations de visite en ce que la visite, réalisée par le maire en exercice, aurait méconnu les dispositions de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et aurait largement excédé l'objet de l'autorisation du juge des libertés et de la détention dès lors qu'une fouille des objets personnels des occupants était intervenue. Elle fait également valoir à l'appui de ses prétentions qu'au cours de cette visite, des personnes ne parlant pas français ont été entendues hors la présence d'un interprète, outre le fait que les témoins intervenus pendant la visite ne sont pas, selon elle, identifiés.
En l'espèce, il est patent que selon le procès-verbal relatant les modalités et le déroulement de cette operation, le maire de la commune et [W] [L], responsable du service urbanisme de la mairie de [Localité 5] se sont présentés le 6 juin 2023 à 8 heures 36. En l'absence du gérant, et compte tenu du refus de M. [J] [U], présent sur les lieux, de représenter ce dernier, ainsi qu'il a pu étre fait lors d'une visite précédente, il a été recouru à deux témoins,
conformément à la loi, et mentionnés sur ce proces-verbal. Les opérations se sont déroulées aux fins de constater, sur cette parcelle, et terrasse par terrasse, l'existence ou non de constructions ou/et aménagements susceptibles d'être en infraction avec le PLU.
Contrairement aux dispositions de l'article 9 du code de procédure civile, la société appelante ne démontre en rien en quoi les deux témoins seraient subordonnés au maire, ni même en quoi des fouillles auraient porté atteinte à la vie privée de la SCI [Localité 6].
De plus, les opérations de visite se sont terminées avant l'arrivée de M. [R] [I], à 9heures 25, lequel a refusé de représenter la SCI [Localité 6] MAISONS.
En outre, le procès-verbal du 6 juin 2023 porte les signatures de M. [X], de Mme [L], de M. [T] et de Mme [G], ainsi que la mention du refus de M. [R] [I] et de M. [J] [U] de représenter la SCI [Localité 6] et recevoir, pour le compte de cette dernière, notification de l'ordonnance portant autorisation du premier juge.
Au delà, il ne ressort pas du procès-verbal critiqué qu'un interrogatoire ait été mené, dès lors qu'une fois le refus de M. [U] de représenter soit le propriétaire, soit M. [I] acté, la visite a commencé, se limitant à la constatation matérielle des lieux sans fouille particulière.
Cette demande doit donc être rejetée.
5- Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la commune intimée les frais, non compris dans les dépens, qu'elle a exposés pour la présente procédure.
Il convient de lui allouer à ce titre la somme de 1 800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société appelante supportera en outre les dépens de l'instance.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement,
Déclarons recevable l'appel formé par la SCI [Localité 6] contre l'ordonnance d'autorisation du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Nice en date du 15 mai 2023 ;
Déclarons recevable l'appel formé par la SCI [Localité 6] contre le procès-verbal des opérations de visite en date du 6 juin 2023 ;
Ordonnons la jonction des procédures enregistrées sous les numéros RG 23/8962 et 23/8972 et 23/8177 sous le numéro de RG 23/8177 ;
Confirmons l'ordonnance du juge des libertés et de la détention de Nice en date du 15 mai 2023 ;
Rejetons le recours formé contre les opérations de visite réalisées le 6 juin 2023 et écartons toutes les demandes d'annulation afférentes à ces opérations ;
Déboutons la SCI [Localité 6] de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamnons la SCI [Localité 6] à payer à la commune de [Localité 5] la somme de 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamnons la SCI [Localité 6] aux dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT