COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Délég.Premier Président
ORDONNANCE DE VISITES DOMICILIAIRES
du 06 Juin 2024
N° 2024/10
Rôle N° RG 22/16445 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BKOY6
Rôle N° RG 22/16894 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BKQAS
Société BT HOME
C/
Commune DE [Localité 6]
DIRECTION NATIONALE D ENQUETES FISCALES
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Guillaume BLANC
Me Maxime SENO
Prononcée à la suite de la déclaration d'appel en date du 13 décembre 2022 contre l'ordonnance du Juge des Libertés et de la détention de GRASSE le 01 décembre 2022.
DEMANDERESSE
Société BT HOME, demeurant [Adresse 4].
représentée par Me Maxime SENO de l'ASSOCIATION VEIL JOURDE, avocat au barreau de PARIS
DEFENDEURS
Commune DE [Localité 6], demeurant [Adresse 5]
représentée par Me Guillaume BLANC de la SELARL FAYOL AVOCATS, avocat au barreau de VALENCE
* * * *
DÉBATS ET DÉLIBÉRÉ
L'affaire a été débattue le 04 Avril 2024 en audience publique devant
Laurent SEBAG, Conseiller,
délégué par ordonnance du premier président.
En application des articles 957 et 965 du code de procédure civile
Greffier lors des débats : Cécilia AOUADI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Juin 2024.
ORDONNANCE
Contradictoire,
Prononcée par mise à disposition au greffe le 06 Juin 2024.
Signée par Laurent SEBAG, Conseiller et Cécilia AOUADI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE :
La société BT HOME, dont madame [R] [S] est la gérante, est propriétaire de parcelles cadastrées section BM n°[Cadastre 1], [Cadastre 2] et [Cadastre 3], sises [Adresse 5] (Alpes-Maritimes).
Sur ces parcelles est construite, notamment, une maison à usage d'habitation.
Courant 2022, les services de l'urbanisme de la commune de [Localité 6]-Golfe-Juan ont été alertés du fait que madame [S] procédait à des travaux et constructions diverses sur les parcelles susvisées.
Un procès-verbal d'infraction n° 22/2022 dressé par les services de l'urbanisme en date du 25 mars 2022 depuis la voie publique a fait état de travaux de construction réalisés sans autorisation administrative préalable, et notamment :
- la création de murs cyclopéens,
- la création d'un abri voiture à proximité des limites séparatives,
- la création d'une clôture,
- le ravalement des façades et le changement des garde-corps,
- l'apport de remblais derrière les murs cyclopéens sur une hauteur de plus de deux mètres et sur plus de 100m² de surface.
Ce procès-verbal a été notifié à madame [S], gérante de cette société, par lettre recommandée avec accusé de réception. Ces dernières ont présenté des observations par courrier du [Cadastre 1] avril 2022, contestant les infractions retenues à leur encontre et concluant au caractère régulier et terminé des travaux.
Suivant arrêté portant ordre d'interruption immédiate des travaux du 6 mai 2022 (daté par erreur au 15 avril 2022) et réceptionné par madame [S] le 10 mai 2022, le maire de la commune de [Localité 6]-Golfe-Juan a mis en demeure cette dernière de :
-cesser tous les travaux entrepris en infraction des dispositions du code de l'urbanisme,
-d'assurer la sécurité du chantier afin de prévenir tous dommages et toutes nuisances au voisinage,
-déposer à la mairie, dans les 24 heures, l'état descriptif des travaux à réaliser.
La société BT HOME a poursuivi les travaux en dépit de l'arrêté interruptif de travaux, ce qui était constaté le 12 juillet 2022 aux termes d'un additif au procès-verbal n°22/2022.
Par courrier daté du 19 mai 2022, le Conseil de la Société BT HOME indiquait que sa cliente s'opposait à tout contrôle, par la commune, des travaux réalisés sur sa propriété, et à en laisser l'accès, refus qui sera réitéré dans une correspondance datée du 21octobre 2022, portant aussi rejet de la date de rendez-vous proposée pour le contrôle envisagé, sur leur propriété et fixé le 25 octobre 2022.
C'est dans ce contexte que par requête reçue par le tribunal judiciaire de Grasse, en date du 23 novembre 2022, la commune de [Localité 6]-Golfe-Juan a saisi le juge des libertés et de la détention aux fins d'être autorisée à procéder à une visite domiciliaire de la propriété de la société BT HOME.
Suivant ordonnance n° 2022/04 du 23 novembre 2022, le juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire de Grasse a autorisé la visite domiciliaire de la propriété de la société BT HOME en vue de vérifier que les constructions, aménagements installations et travaux soumis aux dispositions du code de l'urbanisme étaient respectés.
En date du 1er décembre 2022, les opérations de visite domiciliaire ont été diligentées par la direction de l'urbanisme de la commune de [Localité 6]-Golfe-Juan en application de l'ordonnance du Juge des libertés et de la détention.
Un procès-verbal n°22bis/2022 a été établi le même jour, puis notifié à la société BT HOME le 6 décembre 2022, aux termes duquel ont été listés les travaux litigieux.
Par déclaration au greffe du 7 décembre 2022 reçue le 8 décembre 2022 (enregistrée sous le numéro n° RG 22/16445), la société BT HOME a interjeté appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du 23 novembre 2022.
Par déclaration au greffe du 13 décembre 2022 et reçue le 16 décembre 2022 (enregistrée sous le numéro 22/16894), la société BT HOME a interjeté appel à l'encontre du déroulement des opérations de visite du 1er décembre 2022 autorisées par le juge des libertés et de la détention.
Par conclusions reçues au greffe le 30 octobre 2023 et soutenues oralement à l'audience du 4 avril 2024, la société BT HOME sollicite l'annulation de l'ordonnance portant autorisation de visite domiciliaire du Juge des libertés et de la détention rendue le 23 novembre 2022, ainsi que celle du procès-verbal de visite et constat dressé le 1er décembre 2022.
Au titre de l'annulation de l'ordonnance du Juge des libertés et de la détention du 23 novembre 2022, la société BT HOME fait valoir :
- le détournement manifeste de la procédure de visite administrative prévue aux articles L.461-1 et suivants du code de l'urbanisme,
-l'absence de motivation de l'ordonnance juge des libertés et de la détention.
Au titre de l'annulation des opérations de visite et de l'annulation du procès-verbal du 1er décembre 2022, la Société BT HOME conclut à:
-l'irrégularité des opérations de visite comme conséquence de l'irrégularité de l'ordonnance du Juge des libertés et de la détention
-le non-respect de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention lors des opérations de visite le 1er décembre 2022.
Enfin, la société BT HOME demande la condamnation de la commune de [Localité 6]-Golfe-Juan à lui régler la somme de 7 000 euros au titre des frais de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens de l'instance.
En défense, par conclusions notifiées le 2 avril 2024 par voie électronique et soutenues oralement lors des débats devant la cour, la commune de [Localité 6] sollicite la confirmation de l'ordonnance déférée et le rejet de l'ensemble des demandes de la société BT HOME. Elle soutient en substance que la visite domiciliaire effectuée entre dans le champ d'application de l'article L. 461-1 du code de l'urbanisme, dès lors que les dispositions précitées visent les lieux accueillant ou susceptibles d'accueillir des constructions, aménagements, installations, et travaux soumis aux dispositions dudit code.
Elle sollicite la condamnation de la société BT HOME à lui régler la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par deux avis distincts du 21 mars 2024 lus à l'audience, madame l'avocate générale indique être d'avis de confirmer l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention. Elle fait valoir en substance que l'ordonnance précise les constatations pour lesquelles a été justifiée une telle autorisation (création de murs cyclopéens, abri voiture, ravalement de façades'etc, sans autorisation) et qu'il importe peu de savoir si les infractions sont ou non caractérisées.
Concernant la validité des opérations, elle indique notamment que les tiers présents lors des visites n'ont pas participé activement aux opérations de constatations ou de contrôle et n'ont pas non plus constaté matériellement l'existence d'infractions, leur présence ayant pour seul dessin de permettre le déroulement des opérations dans un climat serein.
Les débats clos, la décision a été mise en délibéré au 6 juin 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
1-Sur la recevabilité de l'appel
La recevabilité des appels contre l'ordonnance d'autorisation du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Grasse n'est pas contestée, pas plus que celui diligenté contre les opérations de visite du 1er décembre 2022 et, les éléments du dossier ne font pas apparaître d'irrégularité.
Les appels sont ainsi recevables.
2-Sur la jonction des instances
Il y a lieu en application de l'article 367 du code de procédure civile d'ordonner la jonction des instances enregistrées sous les numéros RG 22/16445 et 22/16894 à joindre sous le numéro RG 22/16445.
3- Sur l'annulation de l'ordonnance querellée
Aux termes de l'article L. 461-1 du code de l'urbanisme, le préfet et l'autorité compétente mentionnée aux articles L. 422-1 à L. 422-3 ou leurs délégués, ainsi que les fonctionnaires et les agents mentionnés à l'article L. 480-1 peuvent visiter les lieux accueillant ou susceptibles d'accueillir des constructions, aménagements, installations et travaux soumis aux dispositions du présent code afin de vérifier que ces dispositions sont respectées et se faire communiquer tous documents se rapportant à la réalisation de ces opérations.
Le droit de visite et de communication prévu au premier alinéa du présent article s'exerce jusqu'à six ans après l'achèvement des travaux.
L'article L. 461-3-I du même code dispose que lorsque l'accès à un domicile ou à un local comprenant des parties à usage d'habitation est refusé ou que la personne ayant qualité pour autoriser l'accès à un tel domicile ou à un tel local ne peut être atteinte, les visites peuvent être autorisées par ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire dans le ressort duquel sont situés les lieux ou les locaux à visiter.
La société appelante prétend que ce régime d'autorisation de visite par le juge des libertés et de la détention pour contrôler administrativement la conformité de travaux aurait été détourné de son champ d'application pour y étendre celui afférent à la recherche d'une preuve de commission d'une infraction au droit pénal de l'urbanisme tel que passible des dispositions distinctes des articles L. 480-1 et suivants du code de l'urbanisme, dont l'article L. 480-17.
Or, il n'en est rien puisqu'il n'existe pas deux régimes différents d'autorisation de visite par le juge des libertés et de la détention en telle matière urbanistique et c'est bien sur le fondement de l'article L. 461-1 dudit code que le juge est fondé à autoriser une visite en l'absence de consentement des propriétaires, dans le cadre général du contrôle des conformités de travaux qui est aussi le support de la constitution des délits en matière d'urbanisme.
D'ailleurs, la requête ayant saisi le juge des libertés et de la détention de Grasse ne mentionnait que le visa de l'article L. 461-1 du code de l'urbanisme.
Ce moyen est donc parfaitement inopérant en l'espèce.
Par ailleurs, concernant l'exigence de motivation de l'ordonnance attaquée, contrairement aux affirmations de l'appelante, elle est pleinement satisfaite. En effet, celle-ci ne se limite pas à acter le refus des occupants à la visite des lieux. Elle précise en outre les constatations pour lesquelles est justifiée une telle autorisation, soit la création de murs cyclopéens, la création d'un abri voiture sans autorisation administrative préalable, la création d'une clôture sans autorisation administrative préalable, le ravalement des façades et le changement des garde-corps, sans autorisation préalable et l'apport de remblais derrière les murs cyclopéens sur une hauteur de plus de deux mètres, au visa du premier procès-verbal dressé le 25 mars 2022 et ensuite du refus de la propriétaire des lieux en date du 21 octobre 2022.
Cela suffit à écarter ce dernier moyen.
La cour observe au surplus, en vertu de l'effet dévolutif de l'appel que l'ordonnance était d'autant plus justifiée face au refus réitéré de cette société d'autoriser un tel contrôle, en l'état de la contestation de l'arrêté interruptif de travaux devant le tribunal administratif, alors même que trois procès-verbaux mentionnaient des problématiques importantes en matière d'urbanisme. Enfin, la circonstance que ces procès-verbaux aient été communiqués au parquet de Grasse, est sans incidence sur la validité de l'ordonnance dès lors qu'à ce stade, au jour où statuait le juge des libertés et de la détention, il importait peu de savoir si la ou les infractions urbanistiques dénoncées étaient caractérisées ou non.
Il convient en conséquence de confirmer l'ordonnance déférée.
4-Sur l'annulation des opérations de visite et du procès-verbal du 1er décembre 2022 :
Il convient de rejeter le moyen principal relatif à la nullité des opérations de visite en l'état de la nullité de l'ordonnance, celle-ci n'ayant pas été annulée.
La société appelante ajoute que six des personnes ayant visité la propriété le 1er décembre 2022 n'avaient pas été autorisées à pénétrer dans les lieux par l'ordonnance rendue le 23 novembre 2022, à savoir [W] [C], [K] [B], [T] [J], [N] [Y], [Z] [M] et [V] [H], tant et si bien que l'ordonnance querellée n'aurait pas été respectée dans les modalités de son autorisation.
En l'espèce, le procès-verbal des opérations de visite réalisé le 1er décembre 2022, a été dressé par [D] [L], agent attaché à la mairie de [Localité 6], commissionné, et madame [U] [P], directrice du service urbanisme de cette commune, tous deux nommément désignés dans l'ordonnance du 23 novembre 2022 autorisant cette visite, et ce, en présence, et au contradictoire de M. [I] [A], occupant des lieux.
S'il est annexé en dernière page (page 7), les nom et qualité, comme signatures des personnes présentes, parmi lesquelles figurent des policiers municipaux, des fonctionnaires de police, il ne résulte pas des énonciations de ce même procès-verbal que ces derniers ont constaté matériellement l'existence d'infractions, et ont ainsi participé activement aux opérations de constatations et de contrôle. Bien au contraire, les tensions pouvant exister entre la société BT HOME d'une part, la mairie d'autre part, et enfin, les deux personnes autorisées à y procéder, qu'ils convenaient d'éviter, pouvaient justifier la présence de tiers afin d'assurer le déroulement de ces opérations dans un climat apaisé.
Cette demande doit donc être rejetée.
5- Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la commune intimée les frais, non compris dans les dépens, qu'elle a exposés pour la présente procédure.
Il convient de lui allouer à ce titre la somme de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société appelante supportera en outre les dépens de l'instance.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement,
Déclarons recevable l'appel formé par la société BT HOME contre l'ordonnance d'autorisation du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Grasse en date du 23 novembre 2022 ;
Déclarons recevable l'appel formé par la société BT HOME contre le procès-verbal des opérations de visite en date du 1er décembre 2022 ;
Ordonnons la jonction des procédures enregistrées sous les numéros RG 22/16894 et 22/16445 sous le numéro de RG 22/16445 ;
Confirmons l'ordonnance du juge des libertés et de la détention de Grasse en date du 23 novembre 2022 ;
Rejetons le recours formé contre les opérations de visite réalisées le 1er décembre 2022 et écartons toutes les demandes d'annulation afférentes à ces opérations ;
Déboutons la société BT HOME de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
Condamnons la société BT HOME à payer à la commune de [Localité 6] Golfe Juan la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamnons la société BT HOME aux dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT