COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-2
ARRÊT AU FOND
DU 06 JUIN 2024
N° 2024/140
Rôle N° RG 21/06464 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BHL2I
[U] [W] épouse [V]
C/
[X] [E]
S.A. SOCIETE GENERALE
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Jean-baptiste DURAND
Me Jean-christophe MICHEL
Me Florence ADAGAS-CAOU
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de DRAGUIGNAN en date du 13 Avril 2021 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 2019/4058.
APPELANTE
Madame [U] [W] épouse [V]
née le [Date naissance 1] 1967 à [Localité 5] (TUNISIE), demeurant Les Hauts de St Joseph Lot. [Adresse 3]
représentée par Me Jean-baptiste DURAND de l'AARPI DDA & ASSOCIES, avocat au barreau de TOULON
INTIMES
Monsieur [X] [E]
Agissant en qualité de Liquidateur Judiciaire de Monsieur [A] [V], demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Jean-christophe MICHEL, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
S.A. SOCIETE GENERALE,
dont le siège social est sis [Adresse 4], prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualité audit siège,
représentée par Me Florence ADAGAS-CAOU de la SCP DUHAMEL ASSOCIES, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 03 Avril 2024 en audience publique devant la cour composée de :
Madame Gwenael KEROMES, Président de chambre, Magistrat rapporteur
Madame Muriel VASSAIL, Conseiller
Madame Agnès VADROT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Laure METGE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Juin 2024.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 06 Juin 2024,
Signé par Madame Gwenael KEROMES, Président de chambre et Madame Chantal DESSI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
La Société Générale a consenti à M. et Mme [V], mariés sous le régime légal tunisien (séparation de biens) un prêt immobilier d'un montant de 137 000 euros suivant acte notarié en date du 31 octobre 2013, garanti par une inscription de privilège de prêteur de deniers à hauteur de 178 100 euros.
Par jugement du 26 janvier 2016, le tribunal de commerce de Draguignan a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de M. [G] [V], conformément aux dispositions du titre III du Livre VI du code de commerce, convertie en liquidation judiciaire le 22 mars 2016, Me [X] [E] étant désigné en qualité de liquidateur judiciaire.
Le bien immobilier a fait l'objet d'une déclaration d'insaisissabilité.
La Société Générale a déclaré sa créance dans le cadre de la procédure collective de M. [G] [V].
Le prêt immobilier a été dénoncé du fait de la liquidation judiciaire de M. [G] [V] et par courrier du 1er mars 2018, la Société Générale a mis en demeure Mme [U] [W] épouse [V] de lui verser la somme de 128 556,21 euros.
Un plan d'apurement de la dette a été mis en place prévoyant le remboursement de la somme restant due par des mensualités de 1030.77 euros à compter du 10 juin 2016.
Postérieurement à l'ouverture de la procédure collective, des remboursements du prêt ont été effectués via le compte bancaire de M. [G] [V] au profit de la Société Générale, laquelle a indiqué les avoir acceptés, après avoir interrogé Me [X] [E] ès qualités par courrier du 30 mai 2016, qui lui a répondu le 31 mai 2016, en des termes qu'elle a interprétés comme étant un accord, jusqu'à ce que par courrier du 14 mars 2018, Me [E] demande à la banque le remboursement des sommes ainsi perçues postérieurement au jugement d'ouverture.
La banque a informé M. et Mme [V] qu'elle n'était plus autorisée à percevoir les échéances du prêt immobilier et leur a fait délivrer un commandement de payer aux fins de saisie-vente.
Saisi par le liquidateur judiciaire d'une action dirigée contre la Société Générale aux fins de remboursement de la somme de 19 584,00 euros représentant les mensualités réglées à la banque postérieurement au jugement de liquidation judiciaire de M. [G] [V], outre le paiement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, le tribunal de commerce de Draguignan a, par jugement rendu le 13 avril 2021 :
- débouté la Société Générale et Mme [U] [V] de leurs demandes,
- condamné la Société Générale à payer à Me [X] [E] ès qualités la somme de 19 584 euros,
- condamné la Société Générale à payer à Me [X] [E] ès qualités la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné Mme [U] [V] à payer à Me [X] [E] ès qualités la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la Société Générale et Mme [U] [V] aux entiers dépens ;
- ordonné l'exécution provisoire de la décision.
Mme [U] [V] née [W] a interjeté appel du jugement le 29 avril 2021.
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Par conclusions d'appelante n°2 déposées et notifiées par RPVA le 12 novembre 2021, Mme [U] [V] sollicite à titre principal :
- l'infirmation du jugement rendu par le tribunal de commerce de Draguignan en date du 13 avril 2021,
en conséquence :
- le débouté de Me [X] [E] ès qualités, de l'ensemble de ses demandes ;
- qu'il soit constaté et au besoin jugé que les sommes ayant permis de rembourser les échéances mensuelles du prêt immobilier Société Générale depuis le 10 juin 2016, pour un montant, sauf à parfaire de 16 584,63 euros, proviennent des fonds propres de Mme [U] [V] et qu'ils ne peuvent dès lors être appréhendés par les organes de la procédure ;
à titre subsidiaire :
- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Draguignan du 13 avril 2021 en toutes ses dispositions
statuant à nouveau :
- débouter Me [X] [E] ès qualités de l'ensemble de ses demandes ;
- constater et au besoin juger que les sommes ayant permis de rembourser les échéances mensuelles du prêt immobilier Société Générale depuis le 10 juin 2016, pour un montant, sauf à parfaire de 16 584,63 euros, proviennent des fonds propres de Mme [U] [V] et qu'ils ne peuvent dès lors être appréhendés par les organes de la procédure ;
à titre infiniment subsidiaire,
- infirmer le jugement ;
- ne faire droit que partiellement aux demandes de Me [X] [E] ès qualités s'agissant de la condamnation de la Société Générale au paiement de la somme de 19 584,00 euros sauf à parfaire ;
en tout état de cause,
- condamner Me [X] [E] ès qualités à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
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Par conclusions déposées et notifiées par RPVA le 03 septembre 2021, la Société Générale conclut :
- à la réformation du jugement déféré et en conséquence,
- au débouté de Me [X] [E] ès qualités de l'ensemble de ses demandes,
- à sa condamnation à la restitution des sommes qui lui ont été remises dans le cadre de l'exécution provisoire du jugement dont appel,
- au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de l'instance dont distraction au profit de la SCP Duhamel Associés.
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Par conclusions déposées et notifiées par RPVA le 30 septembre 2021, Me [X] [E] ès qualités demande au visa des articles L 622-7, L 622-17, L 641-3 et L. 641-9 du code de commerce, de :
- condamner la Société Générale au paiement de la somme de 19 584 euros sauf à parfaire d'éventuels règlement postérieurs,
- condamner Mme [U] [W] épouse [V] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la Société Générale au paiement de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 mars 2024.
Il sera renvoyé, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens respectifs.
MOTIFS
Sur la demande de restitution des fonds prélevés indument par la Société Générale sur le compte de M. [G] [Y] :
C'est à juste titre que les premiers juges ont considéré qu'il n'était pas contesté par les parties que postérieurement au jugement de conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire, des échéances mensuelles de remboursement du prêt immobilier ont continué à être versées à la Société Générale par prélèvement sur le compte propre, personnel et individuel de M. [G] [V], et que les fonds qui y ont été déposés étaient, sauf preuve contraire, présumés lui appartenir, la charge de la preuve contraire incombant à la partie qui entend contrebattre cette présomption.
Mme [U] [W] épouse [V] oppose à cet effet au liquidateur judiciaire :
- qu'elle a été employée en qualité de femme de ménage, suivant CDI du 4 novembre 2019 au salaire de 1 400 euros et, qu'elle était en capacité de rembourser les mensualités du prêt immobilier à l'aide de ses fonds propres ;
- avant d'être embauchée, elle percevait des aides financières de ses trois enfants et reversait ces fonds sur le compte ouvert au nom de son époux, ce compte servant de compte commun au couple, sur lequel étaient prélevées par la Société Générale, les mensualités du prêt.
- sa fille, [S], atteste avoir donné à sa mère 10 000 euros par chèque à sa mère (copie du chèque) et que c'est à tort que le tribunal a écarté les attestations des enfants de l'appelante.
- conformément à l'article 1538 du code civil un époux peut prouver par tous moyens sa propriété d'un bien et elle démontre qu'elle effectuait des versements peu de temps avant le prélèvement de l'échéance mensuelle.
- l'ALS versée sur le compte de M. [G] [V] (1050 euros le 8 novembre 2016 pour honorer l'échéance de 1030,77 euros, 1060 euros le 9 novembre 2016 pour couvrir l'échéance du 12 décembre 2016 ; 1040 euros le 10 janvier 2017 pour couvrir l'échéance du 10 janvier 2017) ayant un caractère social, ne peut être rapportée aux comptes de la liquidation judiciaire.
- cela démontre bien que M. [G] [V] ne disposait pas de revenus à cette époque et que Mme [U] [W] épouse [V] et l'ALS ont permis, par leurs versements, d'honorer les mensualités du prêt.
Me [X] [E] ès qualités, fait valoir que les éléments versés par Mme [U] [W] épouse [V] sont insuffisants à démonter que les fonds provenaient de son travail et que l'examen des relevés de compte de M. [G] [V] font apparaître du 1er novembre 2016 au 1er juin 2017 que les fonds créditeurs sont constitués de l'ALS (allocation de logement social) qui intervient un jour avant le prélèvement de la Société Générale de 1030,77 euros. Quant à l'attestation de la fille de Mme [U] [W] épouse [V] , celle-ci ne répond pas au formalisme requis et que ni la copie du chèque, ni le justificatif du décaissement au profit de la Société Générale ne figurent au dossier.
La société générale conclut pour sa part que Me [X] [E] ès qualités ne démontre pas la provenance des fonds et que Mme [U] [W] épouse [V] rapporte la preuve que les mensualités ont été honorées grâce aux fonds lui appartenant.
Il ressort des relevés du compte de M. [G] [V] pour la période du 21 mai 2016 au 30 avril 2018 produits par l'appelante (pièce n°3) que le compte bancaire personnel de ce dernier a été alimenté essentiellement par l'allocation de logement social (ALS) dont les versements ont couvert en totalité les mensualités du plan d'apurement du solde du prêt immobilier sur la période concernée. Le jugement du 22 mars 2016 convertissant le redressement judiciaire en liquidation judiciaire relève que M. [V] aurait réalisé en 2016 un chiffre d'affaire de 556 112 pour un résultat de 55 324 euros et a lui-même indiqué ne plus avoir aucune activité depuis l'ouverture de la procédure collective.
Seuls deux versements intitulés 'Cadeaux' de 1 050 euros et 100 euros les 10 et 18 octobre 2016 et une remise de chèque de 1005 euros du 15 juillet 2017 ont été portés au crédit du compte, sans que l'origine des fonds puisse être déterminée.
S'agissant des salaires que Mme [U] [W] épouse [V] déclare avoir perçus, outre le fait qu'ils n'apparaissent pas sur le compte bancaire de M. [G] [V] sur lequel ont été prélevées les mensualités de remboursement du prêt et dont il n'est pas contesté qu'il a continué à être utilisé par les époux après le jugement de redressement judiciaire du 26 janvier 2016 et le jugement de conversion en liquidation judiciaire du 22 mai 2016, ceux afférents au contrat de travail daté du 4 novembre 2019, sont postérieurs à la période considéré (depuis la déchéance du terme prononcée le 22 mars 2016 jusqu'au 1er mars 2018 date d'arrêté des comptes par la Société Générale) et ne peuvent donc être considérés comme ayant servi au remboursement des mensualités du prêt.
Quant au chèque de 10 000 euros émis par Mme [S] [V] le 27 octobre 2020, à supposer qu'il ait été encaissé par Mme [V], les fonds ainsi remis n'ont pu être utilisés par elle pour payer les mensualités de remboursement du prêt immobilier sur la période concernée.
Il y a lieu d'écarter, à l'instar des premiers juges, l'attestation de Mme [S] [V] (pièce n°5 de l'appelante) et celle de Mme [U] [W] épouse [V] relativement aux sommes qu'elle a perçus de ses enfants, comme étant dépourvue de force probante.
En revanche, s'agissant de l'allocation de logement social (ALS), versée sous condition de ressources par la caisse d'allocations familiales aux personnes qui ne peuvent bénéficier de l'APL, afin de réduire le coût du loyer ou de l'accession à la propriété, cette allocation à caractère social, dont le montant est calculé en fonction notamment, du montant des mensualité du prêt, des ressources du foyer et de la situation familiale de l'allocataire, doit bénéficier à Mme [V] à concurrence de la moitié des sommes versées qui représente la part que celle-ci s'est acquittée au titre du remboursement du prêt contracté suivant acte notarié en date du 31 octobre 2013.
Il sera par conséquent fait droit à la demande de restitution formée par Me [E], mais seulement à hauteur de la moitié de la somme réclamée. Le jugement sera par conséquent infirmé sur ce point.
Sur les demandes accessoires
Les dépens seront employés en frais privilégiés de la procédure collective de M. [G] [V] ;
Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt rendu contradictoirement, par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Draguignan le 13 avril 2021 en ce qu'il a :
- condamné la Société Générale à payer à M. [L] [E] ès qualités de liquidateur judiciaire de M. [G] [V], la somme de 19 584 euros ;
- condamné Mme [U] [W] épouse [V] à payer à Me [L] [E] ès qualités, la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il a condamnée celle-ci, avec la Société Générale, aux dépens ;
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la Société Générale à payer à Me [E] ès qualités la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il a condamné la Société Générale aux dépens ;
Statuant à nouveau des seuls chefs d'infirmation et y ajoutant,
Condamne la Société Générale à payer à M. [L] [E] ès qualités de liquidateur judiciaire de M. [G] [V], la somme de 9 792 euros au titre des échéances du prêt immobilier indûment prélevées sur le compte personnel de M. [G] [V] ;
Déboute Me [E] du surplus de sa demande au titre des échéances du prêt immobilier indûment prélevées sur le compte personnel de M. [G] [V] ;
Condamne Me [L] [E] ès qualités à restituer à la Société Générale le montant trop perçu dans le cadre de l'exécution provisoire du jugement dont appel, à concurrence de la somme de 9 792 euros ;
Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et rejette les demandes des parties à ce titre ;
Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de la procédure collective.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE