COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
CHAMBRE 1-11, Rétention Administrative
ORDONNANCE
DU 04 JUIN 2024
N° 2024/776
N° RG 24/00776 - N° Portalis DBVB-V-B7I-BND6E
Copie conforme
délivrée le 04 Juin 2024 par courriel à :
-l'avocat
-le préfet
-le CRA
-le JLD/TJ
-le retenu
-le MP
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance rendue par le Juge des libertés et de la détention de NICE en date du 02 Juin 2024 à 13H34.
APPELANT
X se disant Monsieur [B] [U]
né le 24 Décembre 2001 à [Localité 5] (Tunisie)
de nationalité Tunisienne, demeurant Actuelement au CRA de [Localité 6] -
représenté par Me Karim MAHFOUD, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, avocat commis d'office;
INTIMÉ
Monsieur le Préfet des Alpes-Maritimes
Représenté par Monsieur [X] [Z];
MINISTÈRE PUBLIC
Avisé et non représenté;
******
DÉBATS
L'affaire a été débattue en audience publique le 04 Juin 2024 devant M. Guillaume KATAWANDJA, Conseiller à la cour d'appel délégué par le premier président par ordonnance, assisté de M. Corentin MILLOT, Greffier.
ORDONNANCE
Contradictoire,
Prononcée par mise à disposition au greffe le 04 Juin 2024 à 18h15,
Signée par M. Guillaume KATAWANDJA, Conseiller, et M. Corentin MILLOT, Greffier.
PROCÉDURE ET MOYENS
Vu les articles L 740-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) ;
Vu la peine d'interdiction du territoire français d'une durée de trois ans prononcée à l'encontre de X se disant Monsieur [B] [U] par jugement du tribunal correctionnel de Nice en date du 23 décembre 2022;
Vu l'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes en date du 3 mai 2024 portant exécution de la peine d'interdiction du territoire susvisée, notifié à X se disant Monsieur [B] [U] le même jour à 12h05;
Vu la décision de placement en rétention prise le 03 mai 2024 par le préfet des Alpes-Maritimes notifiée à X se disant Monsieur [B] [U] le même jour à 12H05;
Vu l'ordonnance du 02 Juin 2024 rendue par le Juge des libertés et de la détention de NICE décidant le maintien de X se disant Monsieur [B] [U] dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire pour une durée maximale de 30 jours ;
Vu l'appel interjeté le 03 Juin 2024 à 12h35 par Me Johanes LESTRADE, avocat de X se disant Monsieur [B] [U] ;
X se disant Monsieur [B] [U] n'a pas comparu, la déclaration d'appel établie par son conseil précisant que l'intéressé ne souhaitait pas comparaître à l'audience de la cour et désirait être représenté par l'avocat de permanence compte tenu de l'indisponibilité de son avocat habituel.
Son avocat a été régulièrement entendu. Il sollicite l'infirmation de l'ordonnance déférée et la remise en liberté du retenu. A cette fin, il soutient que l'appelant n'a pas accès aux soins au centre de rétention en dépit d'un courriel adressé par son conseil au médecin du centre de rétention le 12 mai dernier, mail dans lequel il était aussi demandé au praticien d'évaluer l'état de vulnérabilité du retenu au regard de l'article R752-5 du CESEDA. Il fait valoir en outre qu'aucune démarche relative aux deux points susvisés ne figure au dossier. De plus, il demande à la cour d'examiner la conventionnalité du critère de prolongation de la rétention fondé sur la menace à l'ordre public au regard de l'article 5-1 de la convention européenne des droits de l'Homme. Enfin, il estime que le préfet n'a pas accompli les diligences nécessaires à l'exécution de la mesure d'éloignement, considérant les démarches vers l'Algérie infondées et tardives.
Le représentant de la préfecture sollicite la confirmation de l'ordonnance déférée. Il déclare:
'Sur l'accès aux soins, il y a un service médical qui peut être saisi. Maître Lestrade précise que le médecin du CRA n'a pas saisi l'OFII, il n'a pas à se plier aux injonctions de l'avocat. Je vous demande le rejet de ce moyen. Art 5 CEDH n'est pas bafoué. Le placement peut être contesté. Monsieur n'a pas de passeport, une demande de laissez-passer a été faite à l'Algérie, l'audition a eu lieu. Nous sommes dans l'attente d'une réponse, ce n'est pas imputable à la préfecture. Je vous demande de bien vouloir confirmer l'ordonnance du JLD.'
MOTIFS DE LA DÉCISION
1) Sur la recevabilité de l'appel
Aux termes des dispositions de l'article R743-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), 'L'ordonnance du juge des libertés et de la détention est susceptible d'appel devant le premier président de la cour d'appel, dans les vingt-quatre heures de son prononcé, par l'étranger, le préfet de département et, à Paris, le préfet de police. Lorsque l'étranger n'assiste pas à l'audience, le délai court pour ce dernier à compter de la notification qui lui est faite. Le délai ainsi prévu est calculé et prorogé conformément aux articles 640 et 642 du code de procédure civile.
Le ministère public peut interjeter appel de cette ordonnance selon les mêmes modalités lorsqu'il ne sollicite pas la suspension provisoire.'
Selon les dispositions de l'article R743-11 alinéa 1 du CESEDA, 'A peine d'irrecevabilité, la déclaration d'appel est motivée. Elle est transmise par tout moyen au greffe de la cour d'appel qui l'enregistre avec mention de la date et de l'heure.'
L'ordonnance querellée a été rendue le 2 juin 2024 à 13 heures 34. X se disant Monsieur [B] [U] a interjeté appel le 3 juin 2024 à 12h35 en adressant au greffe de la cour, par l'intermédiaire de son avocat, une déclaration d'appel motivée. Son recours sera donc déclaré recevable.
2) Sur le moyen tiré du défaut d' accès aux soins et du défaut d'évaluation de la vulnérabilité du retenu
Aux termes des dispositions de l'article L744-4 du CESEDA, 'L'étranger placé en rétention est informé dans les meilleurs délais qu'il bénéficie, dans le lieu de rétention, du droit de demander l'assistance d'un interprète, d'un conseil et d'un médecin, et qu'il peut communiquer avec son consulat et toute personne de son choix. Ces informations lui sont communiquées dans une langue qu'il comprend.
En cas de placement simultané en rétention d'un nombre important d'étrangers, la notification des droits mentionnés au premier alinéa s'effectue dans les meilleurs délais.
Les modalités selon lesquelles s'exerce l'assistance de ces intervenants sont précisées, en tant que de besoin, par décret en Conseil d'Etat.'
L'article R 744-14 du CESEDA dispose que dans les conditions prévues aux articles R. 744-6 et R. 744-11, des locaux et des moyens matériels adaptés permettent au personnel de santé de donner des consultations et de dispenser des soins dans les centres et locaux de rétention. Les conditions dans lesquelles les établissements de santé interviennent au bénéfice des personnes retenues, en application de l'article L. 6111-1-2 du code de la santé publique, sont précisées par voie de convention passée entre le préfet territorialement compétent et un de ces établissements selon des modalités définies par arrêté conjoint du ministre chargé de l'immigration, du ministre chargé des affaires sociales et du ministre chargé de la santé. Pour les centres de rétention administrative, cet arrêté précise notamment les conditions de présence et de qualification des personnels de santé ainsi que les dispositions sanitaires applicables en dehors de leurs heures de présence au centre.
Selon les dispositions de l'article R744-18 du CESEDA, 'Pendant la durée de leur séjour en rétention, les étrangers sont hébergés et nourris à titre gratuit.
Ils sont soignés gratuitement. S'ils en font la demande, ils sont examinés par un médecin de l'unité médicale du centre de rétention administrative, qui assure, le cas échéant, la prise en charge médicale durant la rétention administrative'.
L'article 4 de l'arrêté du 17 décembre 2021 relatif à la prise en charge sanitaire des personnes retenues dans les centres de rétention administrative prévoit que chaque unité médicale du centre de rétention comprend des temps de : médecins, infirmiers, pharmaciens, psychologues, secrétaires médicaux. Elle peut comprendre également, en fonction de la capacité d'accueil du centre, de sa localisation, de la population accueillie, des problématiques médicales rencontrées, notamment des temps de : sages-femmes, chirurgiens-dentistes. L'accès à un psychiatre est assuré y compris en dehors des situations d'urgence.
La composition, la quotité de travail des différentes catégories de professionnels intervenant au sein de l'unité médicale du centre de rétention administrative et les périodes de présence et, le cas échéant, les périodes d'astreinte sont fixées par la convention mentionnée à l'article 14.
Il a été jugé qu'un accès aux soins est présumé s'il est établi que le centre de rétention dispose d'un service médical comprenant une permanence infirmière ; ainsi, s'il est avisé dès son arrivée au centre de la possibilité de demander à rencontrer un médecin, l'étranger concerné est réputé mis en mesure d'exercer ses droits. Il appartient à l'intéressé de prouver qu'il n'a pas été à même d'accéder au service médical ou à des soins appropriés ( Civ 1ère, 12 mai 2010, n°09-12.877).
Selon les dispositions de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver, conformément à la loi, les faits nécessaires au succès de ses prétentions.
En l'espèce, si l'appelant invoque dans sa déclaration d'appel la nécessité de soins et donc des problèmes de santé, il sera observé qu'il ne produit aucun document en ce sens, pas plus que le mail qui aurait été adressé au service médical du centre de rétention le 12 mai. Ce dernier document n'est effectivement pas joint à la déclaration d'appel. Devant le premier juge, X se disant Monsieur [B] [U] avait déclaré avoir des problèmes de dents pour lesquels lui avait administré du Doliprane. Il ressort donc de ses propres déclarations qu'il a bénéficié d'un accès aux soins, outre une visite médicale d'entrée réalisée le 3 mai comme cela ressort de la copie du registre de rétention. Il avait également invoqué en première instance un problème psychiatrique, qui n'est aujourd'hui étayé par aucun document. Enfin, l'appelant ne démontre pas avoir sollicité l'évaluation de sa vulnérabilité, le mail du 12 mai dernier adressé au service médical du centre de rétention n'étant pas produit. Il ne saurait donc invoquer une carence de l'administration sur ce point.
Les moyens seront rejetés.
3) Sur le moyen tiré de la conventionnalité du critère de prolongation de la rétention fondé sur la menace à l'ordre public
Selon les dispositions de l'article L742-4 du CESEDA, 'Le juge des libertés et de la détention peut, dans les mêmes conditions qu'à l'article L. 742-1, être à nouveau saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de trente jours, dans les cas suivants :
1° En cas d'urgence absolue ou de menace pour l'ordre public ;
2° Lorsque l'impossibilité d'exécuter la décision d'éloignement résulte de la perte ou de la destruction des documents de voyage de l'intéressé, de la dissimulation par celui-ci de son identité ou de l'obstruction volontaire faite à son éloignement ;
3° Lorsque la décision d'éloignement n'a pu être exécutée en raison :
a) du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l'intéressé ou lorsque la délivrance des documents de voyage est intervenue trop tardivement pour procéder à l'exécution de la décision d'éloignement ;
b) de l'absence de moyens de transport.
L'étranger peut être maintenu à disposition de la justice dans les conditions prévues à l'article L. 742-2.
Si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court à compter de l'expiration de la précédente période de rétention et pour une nouvelle période d'une durée maximale de trente jours. La durée maximale de la rétention n'excède alors pas soixante jours.'
Selon les dispositions de l'article 5-1 f de la CEDH, toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf s'il s'agit de l'arrestation ou de la détention régulières d'une personne pour l'empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d'expulsion ou d'extradition est en cours.
Vu l'article 55 de la constitution du 4 octobre 1958;
La compatibilité des lois internes avec les dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme peut être appréciée par toutes les juridictions.
En l'espèce, l'appelant demande à la cour d'apprécier la compatibilité de l'article L742-4 du CESEDA avec les dispositions de l'article 5-1f de la CEDH, en dépit de la formulation maladroite du moyen.
Il apparaît que la disposition critiquée n'est pas contraire aux dispositions de l'article 5-1 f de la CEDH. En effet, contrairement à ce que soutient X se disant Monsieur [B] [U], la seule menace à l'ordre public que représenterait un étranger ne permet pas de le placer en rétention, ni a fortiori de prolonger cette mesure, dès lors que tout placement en rétention induit préalablement une mesure d'éloignement du territoire prise à l'encontre de l'étranger et devenue exécutoire, soit une expulsion au sens de la convention. Si le préfet des Alpes-Maritimes sollicite la prolongation de la rétention en visant notamment la menace à l'ordre public que l'appelant représente au regard de cinq condamnations correctionnelles, cette prolongation de la rétention et la rétention elle-même reposent sur une peine d'interdiction judiciaire du territoire définitive.
Le moyen est donc infondé et sera rejeté.
4) Sur le moyen tiré du défaut de diligences de l'autorité préfectorale
Vu l'article L7424-4 du CESEDA;
Aux termes de l'article L741-3 du CESEDA, 'Un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L'administration exerce toute diligence à cet effet.'
Il appartient au juge des libertés et de la détention, en application de l'article L. 741-3 du CESEDA de rechercher concrètement les diligences accomplies par l'administration pour permettre que l'étranger ne soit maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. Cela induit, sauf circonstances insurmontables, la production de pièces par l'administration qui établissent ces diligences, en fonction de la situation de l'étranger.
En l'espèce, le préfet justifie de la saisine des autorités consulaires tunisiennes par mail du 22 avril 2024 à 14h15, soit durant l'incarcération de X se disant Monsieur [B] [U], aux fins de délivrance d'un laissez-passer, l'intéressé se réclamant de nationalité tunisienne. Cette anticipation était de nature à réduire le temps de rétention éventuel de l'intéressé. Ce dernier a ensuite été entendu par les autorités consulaires tunisiennes le 8 mai 2024, soit cinq jours après le placement en rétention, avant que ne soient initiées le 11 mai 2024 des investigations complémentaires en Tunisie. Le représentant de l'Etat a ensuite saisi les autorités consulaires algériennes le 15 mai 2024 d'une demande d'identification, qui ne saurait lui être reproché en ce qu'elle constitue une démarche tendant à élargir le processus d'identification et à accélérer l'exécution de la mesure d'éloignement.
Le préfet justifie donc de diligences utiles.
Le moyen sera rejeté.
Aussi, l'ordonnance déférée sera confirmée.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement par décision contradictoire en dernier ressort, après débats en audience publique,
Déclarons recevable l'appel formé par X se disant Monsieur [B] [U],
Rejetons les moyens soulevés,
Confirmons l'ordonnance du Juge des libertés et de la détention de NICE en date du 02 Juin 2024.
Les parties sont avisées qu'elles peuvent se pourvoir en cassation contre cette ordonnance dans un délai de 2 mois à compter de cette notification, le pourvoi devant être formé par déclaration au greffe de la Cour de cassation, signé par un avocat au conseil d'Etat ou de la Cour de cassation.
Le greffier Le président
Reçu et pris connaissance le :
X se disant Monsieur [B] [U]
né le 24 Décembre 2001 à [Localité 5] (Tunisie)
de nationalité Tunisienne
assisté de , interprète en langue arabe.
Interprète
COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-11, Rétentions Administratives
[Adresse 7]
Téléphone : [XXXXXXXX02] - [XXXXXXXX03] - [XXXXXXXX01]
Courriel : [Courriel 4]
Aix-en-Provence, le 04 Juin 2024
À
- Monsieur le préfet des Alpes-Maritimes
- Monsieur le directeur du centre de rétention administrative de [Localité 6]
- Monsieur le procureur général
- Monsieur le greffier du Juge des libertés et de la détention de NICE
- Maître Karim MAHFOUD
NOTIFICATION D'UNE ORDONNANCE
J'ai l'honneur de vous notifier l'ordonnance ci-jointe rendue le 04 Juin 2024, suite à l'appel interjeté par :
X se disant Monsieur [B] [U]
né le 24 Décembre 2001 à [Localité 5] (Tunisie)
de nationalité Tunisienne
Je vous remercie de m'accuser réception du présent envoi.
Le greffier,
VOIE DE RECOURS
Nous prions Monsieur le directeur du centre de rétention administrative de bien vouloir indiquer au retenu qu'il peut se pourvoir en cassation contre cette ordonnance dans un délai de 2 mois à compter de cette notification, le pourvoi devant être formé par déclaration au greffe de la Cour de cassation.