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31/05/2024 | FRANCE | N°20/00506

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-3, 31 mai 2024, 20/00506


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3



ARRÊT AU FOND



DU 31 MAI 2024



N° 2024/ 88



RG 20/00506

N° Portalis DBVB-V-B7E-BFNRD







SAS CAFE [3]





C/



[T] [U]



















Copie exécutoire délivrée le 31 Mai 2024 à :



-Me Djaouida KIARED, avocat au barreau de MARSEILLE



- Me Pierre ARNOUX, avocat au barreau de MARSEILLE









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Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 13 Décembre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° F 18/01392.





APPELANTE



SAS CAFE [3], demeurant [Adresse 1]



représentée par Me D...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3

ARRÊT AU FOND

DU 31 MAI 2024

N° 2024/ 88

RG 20/00506

N° Portalis DBVB-V-B7E-BFNRD

SAS CAFE [3]

C/

[T] [U]

Copie exécutoire délivrée le 31 Mai 2024 à :

-Me Djaouida KIARED, avocat au barreau de MARSEILLE

- Me Pierre ARNOUX, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 13 Décembre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° F 18/01392.

APPELANTE

SAS CAFE [3], demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Djaouida KIARED, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Alexis CAUGNE, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

Madame [T] [U], demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Pierre ARNOUX, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Jérémy VIDAL, avocat au barreau de TOULON

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Février 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre, chargée du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre

Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant

Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 31 Mai 2024.

ARRÊT

CONTRADICTOIRE

Prononcé par mise à disposition au greffe le 31 Mai 2024

Signé par Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS- PROCEDURE-PRETENTIONS DES PARTIES

Selon contrat de travail à durée indéterminée du 4 mai 2015, avec reprise d'ancienneté au 6 septembre 2010, Mme [T] [U] a été embauchée à temps plein, par la société Café [3], en qualité de «préparatrice et vendeuse dans la restauration rapide et approvisionneur en DA», son salaire étant fixé au SMIC en vigueur au 1er janvier 2015.

La convention collective applicable était celle du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.

Par lettre recommandée du 5 février 2018, la salariée a été mise à pied à titre conservatoire et convoquée à un entretien préalable au licenciement fixé au 19 février 2018, puis licenciée pour faute lourde le 22 février 2018.

Contestant notamment son licenciement, Mme [U] a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille par requête du 5 juillet 2018.

Selon jugement du 13 décembre 2019, le conseil de prud'hommes a constaté l'absence de faute lourde et jugé le licenciement de Mme [U] dépourvu de cause réelle et sérieuse, le considérant comme brutal.

Après avoir fixé la moyenne des trois derniers mois de salaires à 1 590,33 €, il a condamné la société à payer à la salariée les sommes suivantes :

- 5 894,04 € à titre de rappel de salaires pour les heures supplémentaires

- 589,40 € de congés payés afférents

- 3 180,66 € d'indemnité de préavis

- 318,06 € de congés payés afférents

- 986,24 € de rappel de salaire concernant la mise à pied

- 96,82 € de congés payés afférents

- 3 180,66 € d'indemnité conventionnelle de licenciement

- 4 000 € pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 1 000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral

- 1 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Il a débouté les parties de leurs autres demandes et condamné l'employeur aux dépens.

Le conseil de la société a interjeté appel par déclaration du 13 janvier 2020.

Dans ses dernières écritures transmises au greffe par voie électronique le 18 janvier 2021, la société demande à la cour de :

«INFIRMER le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Marseille le 13 décembre 2019 en ce qu'il a constaté l'absence de faute lourde et jugé le licenciement de Madame [U] dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

En conséquence, INFIRMER le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Marseille le 13 décembre 2019 en ce qu'il condamne la Société CAFE [3] à payer à Madame [U] les sommes suivantes :

- 3180.66 € d'indemnité de préavis ;

- 318.06 € de congés payés afférents ;

- 986.24 € de rappel de salaire concernant la mise à pieds ;

- 96.82 € de congés payés afférents ;

- 3180.66 € d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

- 4000 € pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

INFIRMER le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Marseille le 13 décembre 2019 en ce qu'il a considéré le licenciement de Madame [U] comme ayant un caractère brutal;

En conséquence, INFIRMER le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Marseille le 13 décembre 2019 en ce qu'il a condamné la Société CAFE [3] à verser à Madame [U] la somme de 1000 euros à titre de préjudice moral.

INFIRMER le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Marseille le 13 décembre 2019 en ce qu'il condamne la Société CAFE [3] à payer à Madame [U] la somme de 5894,04 € à titre de rappel de salaires pour les heures supplémentaires outre l'incidence de congés payés d'un montant de 589,40 €.

INFIRMER le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Marseille le 13 décembre 2019 en ce qu'il fixe la moyenne des trois derniers mois de salaires à 1590.33 €.

INFIRMER le jugement du Conseil de prud'hommes de Marseille du 13 décembre 2019 en ce qu'il condamne la Société CAFE [3] à payer à Madame [U] la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

STATUER à NOUVEAU ET

A titre principal,

CONSTATER la légitimité et le bien fondé du licenciement notifié pour faute lourde le 22 février 2018 à Madame [U]

En conséquence,

FAIRE DROIT à l'ensemble des demandes fins et conclusions d'appelante de la Société CAFE [3]

DEBOUTER Madame [U] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions

A titre subsidiaire, si par extraordinaire la Cour estimait non caractérisée l'existence d'une faute lourde, CONSTATER que le licenciement notifié le 22 février 2018 à Madame [U] repose sur une faute grave

En conséquence,

FAIRE DROIT à l'ensemble des demandes fins et conclusions d'appelante de la Société CAFE [3]

DEBOUTER Madame [U] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

A titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire la Cour estimait que ne se trouvaient pas réunies les circonstances d'une faute grave,

CONSTATER que le licenciement notifié le 22 février 2018 à Madame [U] est en tout état de cause justifié par une cause réelle et sérieuse.

RAMENER à juste proportion les sommes indemnitaires au titre de la rupture du contrat de travail sur la base du salaire moyen de Madame [U].

DEBOUTER Madame [U] de ses autres prétentions, fins et conclusions.

En tout état de cause

FIXER la moyenne des 3 derniers mois de salaires s'élève à 1 512, 86 €.

CONSTATER l'absence d'élément probant de nature à justifier de l'accomplissement par Madame [U] d'heures supplémentaires

CONSTATER l'absence de travail dissimulé

En conséquence,

DEBOUTER Madame [U] de ses demandes de ces chefs

CONDAMNER Madame [U] à régler à la Société CAFE [3] la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile

LA CONDAMNER encore aux entiers dépens. »

Aux termes de ses dernières conclusions transmises au greffe par voie électronique le 19 octobre 2020, Mme [U] demande à la cour de :

«CONFIRMER le jugement rendu le 13 décembre 2019 par le Conseil de Prud'hommes en ce qu'il a jugé le licenciement de Madame [U] comme dépourvu de cause réelle et sérieuse.

CONFIRMER le jugement rendu le 13 décembre 2019 par le Conseil de Prud'hommes en ce qu'il a condamné l'employeur à verser à Madame [U] la sornme de 5.894,04 € à titre de rappel d'heures supplémentaires, augmentée de la somrne de 589,40 € au titre des congés payés afférents.

INFIRMER le jugement rendu le 13 décembre 2019 par le Conseil de Prud'hommes en ce qu'il a débouté Madame [U] de sa demande de dommages et intérêts pour travail dissimulé.

STATUANT A NOUVEAU

ACCEUILLIR Madame [T] [U] en ses demandes et les dire bien fondées ;

FIXER le salaire mensuel moyen brut de Madame [T] [U] à la somme de 1.590,33 €;

CONSTATER l'absence de faute lourde imputable à Madame [T] [U] ;

CONSTATER l'absence de toute faute commise par Madame [T] [U] ;

DIRE ET JUGER que la société CAFE [3] ne rapporte pas la preuve des griefs qu'elle reproche à Madame [T] [U] ;

DIRE ET JUGER que le licenciement dont a fait l'objet Madame [T] [U] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

CONSTATER le caractère brutal et vexatoire du licenciement survenu ;

DIRE ET JUGER que la société CAFE [3] a exécuté de manière déloyale le contrat de travail conclu avec Madame [T] [U] ;

En conséquence,

CONDAMNER la société CAFE [3] à verser à Madame [T] [U] les sommes suivantes :

- 5.894,04 € à titre de rappel de salaires pour les heures supplémentaires ;

- 589,40 € au titre des congés payés afférents ;

- 9.541,98 € à titre de dommages-intérêts pour travail dissimulé ;

- 3.180,66 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 318,06 € au titre des congés payés afférents ;

- 968,24 € à titre de rappel de salaire suite à la mise à pied à titre conservatoire ;

- 96,82 € au titre des congés payés afférents ;

- 3.180,66 € à titre d'indemnnité conventionnelle de licenciement ;

- 12.722,64 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 5.000 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral distinct ;

ORDONNER la remise de documents de fin de contrat (certificat de travail, attestation Pôle Emploi, solde de tout compte) rectifiés conformément à la décision à intervenir, sous astreinte de 100€ par jour de retard à compter de la notification de ladite décision, la Cour se réservant le droit de liquider l'astreinte ;

DIRE ET JUGER que les condamnations prononcées seront assorties d'intérêts à taux légal à compter de la saisine du Conseil de Prud'hommes ;

ORDONNER la capitalisation des intérêts ;

CONDAMNER la Société CAFE [3], outre aux entiers dépens de l'instance, au paiement de la somme de 2.500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.»

Pour l'exposé plus détaillé des prétentions et moyens des parties, il sera renvoyé, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions des parties sus-visées.

MOTIFS DE L'ARRÊT

A titre liminaire, la cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile , elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et que les «dire et juger» et les «constater» ainsi que les «donner acte» ne sont pas des prétentions en ce que ces demandes ne confèrent pas de droit à la partie qui les requiert hormis les cas prévus par la loi; en conséquence, la cour ne statuera pas sur celles-ci, qui ne sont en réalité que le rappel des moyens invoqués.

Sur les heures supplémentaires

Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1 du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

Selon l'article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure comme postérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

Selon l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

La salariée produit à l'appui de sa demande :

- son courrier du 12/10/2016 (pièce 12) adressé à l'employeur et à l'inspection du travail, dans lequel elle évoque notamment des problèmes liés à l'hygiène, un conflit avec l'employeur sur ses demandes d'acompte et relève l'absence d'heures supplémentaires sur les bulletins de salaire

- les tickets de pointeuse du 02/03/2015 au 07/02/2018 mentionnant une date d'arrivée et de départ sur le lieu de travail (pièce 11)

- un tableau récapitulatif des heures effectuées sur les années 2015-2016 et 2017 (pièce 7).

L'employeur relève des incohérences entre les horaires dont se prévaut la salariée et les plannings, précisant que lorsqu'un salarié dépasse les horaires initialement prévus, son ticket doit être validé par la responsable.

Il fait valoir qu'il n'a jamais demandé ni autorisé l'accomplissement de ces heures supplémentaires et s'étonne que Mme [U] n'en ait pas sollicité le paiement dans ses écrits et main courantes.

Il produit notamment les pièces suivantes :

- un planning de janvier 2017 et un planning d'avril 2016 (pièce 7a)

- des tickets horodateurs concernant un autre salarié, édités de juin à octobre 2018 (pièce 7b).

Il est manifeste que cette dernière pièce n'est pas de nature à démontrer les horaires effectués par Mme [U], mais permet de dire que l'employeur a mis en place, après le départ de la salariée, un système de contrôle plus efficient.

Le reste de l'argumentation de la société est inopérant, les deux seuls plannings produits ne pouvant venir contredire utilement les éléments précis versés aux débats par Mme [U].

En considération de l'ensemble de ces éléments, et en soulignant l'absence manifeste d'outils utilisés par l'employeur pour comptabiliser les heures de travail de ses salariés, la cour a la conviction que Mme [U] a effectué des heures supplémentaires qui n'ont pas été rémunérées.

Cependant, la cour note que la salariée :

- n'a fait aucune corrélation entre les tickets produits par elle édités par jour et les semaines indiquées dans son tableau, au surplus sans indication des mois,

- n'a pas spécifié si elle a comptabilisé un temps de pause notamment pour le repas méridien,

- n'a pas opéré le calcul du nombre d'heures supplémentaires effectuées par année ou même sur les trois années concernées, se contentant de donner non un volume mais une somme globale dans son tableau, en commettant des erreurs sur le taux horaire à 25 % et à 50 % en sa défaveur, sur 2015 et 2016.

Il existe également une incohérence dans le nombre de semaines indiquées (41 pour 2015, 24 pour 2016 et 28 pour 2017) alors qu'elle dispose de tickets mais surtout des anomalies sur certaines semaines (exemples : semaines 9 et 21 en 2015, semaine 3 en 2017) où elle comptabilise un temps de travail de près de 70 heures, sans donner d'explication concrète, étant précisé en outre qu'aucun ticket n'est produit avant mars 2015 ni pour la semaine 10 de mars 2016.

En conséquence, la cour fixe de la façon suivante, la créance :

- année 2015 : (120 h x 12,01) + (25h x 14,41) = 1 801,45

- année 2016 : (50 h x 12,08) + (15 h x 14,505) = 821,57

- année 2017 : (35 h x 12,20) + (15 h x14,64) = 646,60

soit un total de 3'269,62 euros outre l'incidence de congés payés.

Sur le travail dissimulé

L'article L.8221-5-2° du code du travail dispose notamment qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paie, un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli.

Toutefois, la dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle.

En l'espèce, si l'employeur a démontré sa négligence dans le suivi de la charge de travail de la salariée il ne peut en être déduit qu'il a entendu dissimuler son activité en ce que Mme [U], souvent autonome dans ses fonctions, n'a formulé aucune demande en paiement pendant la période contractuelle.

Dès lors, la salariée doit être déboutée de sa demande indemnitaire forfaitaire formée sur le fondement de l'article L.8223-1 du code du travail.

Sur le licenciement

1- sur le bien fondé

En vertu des dispositions de l'article L.1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement, comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur ; la motivation de cette lettre fixe les limites du litige.
 

En l'espèce, la lettre de licenciement du 22 février 2018 est libellée de la manière suivante:

«Nous avons eu à déplorer de votre part des agissements gravement fautifs :

En effet, nous avons appris par un agent d'entretien que le 2 février, sur le point de vente auquel vous êtes affectée à la station DROMEL, vous avez critiqué ouvertement CAFE [3] ainsi que moi-même auprès de chauffeurs de la RTM, qui sont nos clients.

Vous avez indiqué souhaiter faire fermer les points de vente et vous avez critiqué les produits vendus.

Compte-tenu de la gravité de ces accusations, nous vous avons convoquée par courrier recommandé avec AR en date du 5 février à un entretien préalable fixé au 19 février, avec mise à pied conservatoire.

Nous avons entre temps diligenté une enquête auprès du personnel de l'entreprise et de clients.

A l'occasion de cette enquête, nous avons appris :

- que les faits du 2 février n'étaient pas isolés et que vous avez été entendue à plusieurs reprises dénigrant I'entreprise auprès de la clientèle et manifestant le souhait de faire fermer les points de vente en vue de me «faire chanter ''.

- que vous ne respectiez pas les protocoles de préparation ni les règles d'hygiène,

- que vous aviez soustrait de la nourriture sans la payer pour vous et pour votre famille et que vous avez même fait entrer celle-ci dans la réserve du point de vente pour remplir des cabas.

A ces faits, s'ajoutent les multiples absences injustifiées constatées au cours des derniers mois.

Les explications recueillies auprès de vous au cours de notre entretien du 19 février ne peuvent en aucun justifier les agissements d'une gravité exceptionnelle dont vous vous êtes rendue coupable et par lesquels vous avez volontairement tenté de nuire à l'entreprise. Nous vous informons que nous avons, en conséquence, décidé de vous licencier pour faute lourde.

Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien, même temporaire, dans l'entreprise s'avère impossible; le licenciement prend donc effet immédiatement à la date du 22 février 2018, sans indemnité de préavis ni de licenciement.

Nous vous rappelons que vous faites l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire. Par conséquent, la période non travaillée du 5 au 22 février nécessaire pour effectuer la procédure de licenciement, ne sera pas rémunérée.»

La faute lourde est celle qui, comme la faute grave, résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée limitée du préavis. Elle suppose, en outre, l'intention de nuire du salarié.

L'employeur qui invoque la faute lourde pour licencier doit en rapporter la preuve.

S'agissant du dénigrement de l'entreprise, la seule attestation de M.[Y] (pièce 4a) concernant des faits du 2 février 2018 ne peut suffire à démontrer le comportement de la salariée, celui-ci ne rapportant pas de propos précis et aucun chauffeur de la RTM n'ayant attesté.

Les autres attestations des salariés de l'entreprise (pièces 4b, 4c et 4d) ne citent aucune date, se contentant de dire qu'«à plusieurs reprises» Mme [U] a critiqué la nourriture vendue et l'hygiène devant des clients, de sorte que le motif disciplinaire soumis à la prescription, ne peut être retenu que comme un unique fait.

Concernant la soustraction frauduleuse de marchandises, de la même façon, les attestations produites (pièces 4d, 5a, 5b) ne situent pas le grief dans le temps, étant précisé que Mme [H] qui témoigne, était la responsable des points de vente et n'a jamais empêché de tels faits en procédant par exemple à un rappel à l'ordre.

L'employeur qui invoque encore une pluralité de manquements de la part de Mme [U] à ses obligations contractuelles, ayant selon lui, conduit à un climat délétère par une attitude nuisible de la salariée, se borne à produire des attestations imprécises (4b,5b,5c) sauf celle de Mme [B] (pièce 5d) laquelle évoque dans la semaine du 29 janvier au 2 février, un non respect des procédures de fabrication des sandwichs, sans que le grief soit davantage précisé.

Quant au reproche concernant les absences de la salariée, aucune date n'est citée par Mme [H] dans son attestation (pièce 5d), et aucune retenue n'apparaît sur les bulletins de salaire, pas plus que le témoin ne précise la date des menaces verbales et physiques dont elle aurait été victime de la part de la salariée.

En conséquence, c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes, constatant que les seules attestations présentées par la société à l'appui du licenciement, ne relataient pas des faits précis, datés et vérifiables, a dit que l'employeur ne faisait pas la preuve, qui lui incombe, de la faute lourde ni encore d'une faute grave ou d'une cause réelle et sérieuse.

2- sur les conséquences financières

La somme allouée par les premiers juges au titre du rappel de salaire pour mise à pied injustifiée n'est pas autrement discutée dans son montant.

Le salaire de référence sollicité par la salariée et repris par le conseil de prud'hommes, pour le calcul des indemnités de rupture, se révèle erroné puisque la moyenne des trois derniers mois travaillés (novembre, décembre 2017 et janvier 2018), étant la plus favorable pour Mme [U], s'établit à 1 512,86 euros.

En conséquence, cette dernière est en droit d'obtenir la somme de 3'025,72 euros outre l'incidence de congés payés, correspondant à deux mois de salaire pour l'indemnité compensatrice de préavis.

La salariée réclame une indemnité conventionnelle de licenciement mais les dispositions de la convention collective applicable renvoient à l'indemnité légale et l'intimée a effectué son calcul en application de l'article R.1234-2 du code du travail.

L'indemnité légale de licenciement doit être calculée en fonction de l'ancienneté de la salariée qui n'est pas de 8 années mais de 7 ans 7 mois et 17 jours, soit :

1/4 [(1 512,86 x 7) + (1 512,86 x 7/12) + (1 512,86 x 17/365)] = 2'885,75 euros.

Eu égard à son ancienneté et la société employant moins de 11 salariés, Mme [U] est susceptible d'obtenir une indemnité située entre 2 et 8 mois de salaire ; il convient de fixer le préjudice résultant de la perte de l'emploi à la somme de 9 000 euros.

C'est par des motifs exacts et pertinents repris par la cour que les premiers juges ont établi l'existence d'un préjudice moral distinct, dont l'indemnisation à hauteur de 1 000 euros doit être approuvée.

Sur les autres demandes

Les sommes allouées à titre de salaires porteront intérêts au taux légal à compter de la date de convocation de l'employeur (présentation de la lettre recommandée) à l'audience de tentative de conciliation valant mise en demeure.

  Les sommes allouées à titre indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter de la date du jugement.

La capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.

Il convient de compléter le jugement concernant la remise de certains documents, sans nécessité d'une astreinte.

La société succombant au principal doit s'acquitter des dépens d'appel, être déboutée de sa demande faite sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à ce titre payer la somme supplémentaire de 1 500 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, en matière prud'homale,

Confirme le jugement déféré SAUF s'agissant du quantum des sommes allouées au titre des heures supplémentaires et des indemnités liées à la rupture,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et Y ajoutant,

Condamne la société Café [3] à payer à Mme [T] [U] les sommes suivantes :

- 3'269,62 euros au titre des heures supplémentaires (années 2015-2016 et 2017)

- 326,96 euros au titre des congés payés afférents

- 3'025,72 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis

- 302,57 euros au titre des congés payés afférents

- 2'885,75 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement

- 9 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Dit que les intérêts au taux légal doivent courir à compter du 24/07/2018 pour les créances salariales et à compter du 13/12/2019 pour les créances indemnitaires,

Ordonne la capitalisation des intérêts à condition qu'ils soient dus au moins pour une année entière,

Ordonne à la société Café [3] de remettre à Mme [T] [U] une attestation Pôle Emploi rectifiée quant au motif du licenciement, et un bulletin de salaire récapitulatif des sommes allouées précisant les années pour les heures supplémentaires, le tout conformément aux dispositions confirmées du jugement et du présent arrêt,

Condamne la société Café [3] à payer à Mme [T] [U] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Café [3] aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-3
Numéro d'arrêt : 20/00506
Date de la décision : 31/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-31;20.00506 ?
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