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31/05/2024 | FRANCE | N°20/00312

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-3, 31 mai 2024, 20/00312


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3



ARRÊT AU FOND



DU 31 MAI 2024



N° 2024/ 85



RG 20/00312

N° Portalis DBVB-V-B7E-BFM4K







[C] [G]





C/



S.A.R.L. SARL ATELIER THIERRY CHRISTIANE















Copie exécutoire délivrée le 31 Mai 2024 à :



- Me Benjamin CORDIEZ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

V227



- Me François ARNOULD, avocat au barreau de MARSEILLE
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Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 19 Décembre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° F19/01258.





APPELANT



Monsieur [C] [G], deme...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3

ARRÊT AU FOND

DU 31 MAI 2024

N° 2024/ 85

RG 20/00312

N° Portalis DBVB-V-B7E-BFM4K

[C] [G]

C/

S.A.R.L. SARL ATELIER THIERRY CHRISTIANE

Copie exécutoire délivrée le 31 Mai 2024 à :

- Me Benjamin CORDIEZ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

V227

- Me François ARNOULD, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 19 Décembre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° F19/01258.

APPELANT

Monsieur [C] [G], demeurant [Adresse 2]

comparant en personne, assisté de Me Benjamin CORDIEZ de la SCP CORDIEZ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIMEE

SARL ATELIER THIERRY CHRISTIANE, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me François ARNOULD, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Février 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre, chargée du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre

Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant

Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 31 Mai 2024.

ARRÊT

CONTRADICTOIRE

Prononcé par mise à disposition au greffe le 31 Mai 2024

Signé par Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS- PROCEDURE-PRETENTIONS DES PARTIES

La société Atelier Thierry Christiane dite ATC a pour activité la création et la fabrication d'articles de joaillerie et de bijouterie, et applique la convention collective nationale du 5 juin 1970, de la bijouterie, joaillerie, orfèvrerie et activités qui s'y rattachent (IDCC 567).

Cette société a engagé M.[C] [G], selon contrat de travail à durée indéterminée à effet du 9 mai 2005, en qualité d'ouvrier professionnel 3ème échelon, moyennant un salaire brut mensuel de 2289 euros pour 151,67 heures.

Victime d'un accident de trajet le 13 avril 2013, M.[G] a été placé en arrêt pour accident du travail jusqu'au 10 juillet 2014 puis en arrêt pour maladie non professionnelle ; il a bénéficié d'une pension d'invalidité catégorie 2 à compter du 1er août 2016.

Par requête reçue le 16 novembre 2016 par le conseil de prud'hommes de Marseille, M.[G] a saisi ce dernier notamment aux fins de voir constater la résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Par lettre recommandée du 27 février 2017, le salarié a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

La formation de référés du conseil de prud'hommes de Marseille a, le 27 juillet 2017, condamné la société à payer au salarié la somme de 1 500 euros à titre de provision sur dommages et intérêts pour défaut de délivrance des documents de fin de contrat et résistance abusive, outre celle de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et ordonné à la société de remettre sous astreinte les documents de fin de contrat.

Selon jugement du 12 décembre 2019, le conseil de prud'hommes a statué ainsi :

«Dit que la requête actuelle en date du 16/11/2016 contient des demandes, seules les demandes initiales sont recevables en vertu du décret N°2016-660 qui supprime le principe d'unicité de l'instance.

Déboute M.[G] de l'ensemble de ses demandes recevables.

Déboute la société ATC de sa demande reconventionnelle.

Condamne M.[G] aux dépens.»

Le conseil de M.[G] a interjeté appel par déclaration du 9 janvier 2020.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises au greffe par voie électronique le 5 octobre 2020, M.[G] demande à la cour de :

«INFIRMER le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

CONSTATER que la société ATELIER THIERRY CHRISTIANE sollicite la confirmation du jugement entrepris dans toutes ses dispositions et qu'elle n'a pas fondé d'appel incident visant à infirmer la moindre disposition dudit jugement.

DIRE en conséquence, irrecevable la demande de nullité de la saisine du Conseil de Prud'hommes soulevée par la société ATELIER THIERRY CHRISTIANE dans le dispositif de ses conclusions d'intimée,

STATUANT A NOUVEAU,

REJETER l'exception de nullité de la saisine du Conseil de prud'hommes soulevée par la société ATELIER THIERRY CHRISTIANE,

DIRE recevables et non prescrites l'ensemble des demandes formulées par Monsieur [G],

A TITRE PRINCIPAL, PRONONCER la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur ;

DIRE que cette résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

FIXER la date de cette résiliation judiciaire au 27 février 2017, date du licenciement.

SUBSIDIAIREMENT, DIRE le licenciement de Monsieur [G] dépourvu de cause réelle et sérieuse,

EN CONSEQUENCE ET EN TOUTE HYPOTHESE,

CONDAMNER la société ATELIER THIERRY CHRISTIANE au paiement des sommes suivantes :

- 5.000,00 € à titre de dommages et intérêts pour visite médicale de reprise tardive ;

- 14.162,39 € à titre de rappel de salaire au titre du complément employeur pour la garantie incapacité temporaire de travail,

- 47.215,23 € à titre de dommages et intérêts compensatoires de la garantie invalidité au titre de la prévoyance,

- 10.000,00 € à titre de dommages et intérêts pour défaut de souscription à une mutuelle santé ;

- 14.279,46 € à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé ;

- 10.000,00 € à titre de dommages et intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail ;

- 4.759,82 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 475,98 € à titre d'incidence congés payés sur indemnité précitée ;

- 30.000,00 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 3.500,00 € à titre d'indemnité prévue à l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

ORDONNER la délivrance sous astreinte de 150 € par jour de retard, 60 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, des documents suivants : Attestation Pôle Emploi mentionnant au titre de la rupture un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; Bulletins de salaire rectifiés conformément à l'arrêt

DIRE que les intérêts courront à compter du 24 octobre 2016, date de la saisine du Conseil de prud'hommes pour les créances salariales, et à compter de l'arrêt à intervenir pour les créances indemnitaires. (1231-7 du Code civil)

ORDONNER la capitalisation des intérêts en application des dispositions de l'article 1343-2 du Code Civil,

CONDAMNER la société ATELIER THIERRY CHRISTIANE au paiement de la somme de 3.500,00 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

LA CONDAMNER aux entiers dépens. »

Dans ses dernières écritures transmises au greffe par voie électronique le 7 juillet 2020, la société demande à la cour de :

«CONFIRMER le jugement du conseil de Prud'hommes de Marseille du 12 décembre 2019 dans toutes ses dispositions.

Et dans tous les cas :

FAIRE DROIT à l'exception de nullité de la saisine du Conseil de prud'hommes soulevée par la société ATELIER THIERRY CHRISTIANE,

CONSTATER que Monsieur [G] a été licencié pour inaptitude en février 2017;

CONSTATER que le décret 2016- 660 du 20/05/2016 a supprimé l'unicité de l'instance;

CONSTATER que Monsieur [G] a formulé de nouvelles demandes devant la juridiction prud'homale le 22/05/2019.

DIRE ET JUGER que les demandes de Monsieur [G] portant sur l'exécution du contrat de travail et celles relatives à la rupture du contrat de travail sont irrecevables et prescrites.

DEBOUTER Monsieur [C] [G] de l'ensemble de ses demandes comme étant infondées et injustifiées.

En tout état, DIMINUER le montant des sommes réclamées à titre de dommages et intérêts en l'état des pièces produites.

CONDAMNER Monsieur [C] [G] à verser à la société SARL ATELIER THIERRY CHRISTIANE (ATC) la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile distraits au profit de Maître François ARNOULD. »

Pour l'exposé plus détaillé des prétentions et moyens des parties, il sera renvoyé, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions des parties sus-visées.

MOTIFS DE L'ARRÊT

A titre liminaire, la cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile , elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et que les «dire et juger» et les «constater» ainsi que les «donner acte» ne sont pas des prétentions en ce que ces demandes ne confèrent pas de droit à la partie qui les requiert hormis les cas prévus par la loi; en conséquence, la cour ne statuera pas sur celles-ci, qui ne sont en réalité que le rappel des moyens invoqués.

Sur l'exception de nullité soulevée par la société

Cette demande est basée sur le non respect de l'article 58 du code de procédure civile, pour défaut de diligences amiables préalables à la saisine du conseil de prud'hommes.

Cette exception est soulevée après une demande de confirmation du jugement, de sorte qu'elle doit être déclarée irrecevable.

En tout état de cause, elle ne pouvait prospérer, d'une part en l'état d'une demande faite par le salarié par lettre recommandée du 3 août 2016, réceptionnée par la société le 24 août 2016 (pièce 11 salarié : accusé de réception en original) à laquelle la société n'a pas répondu, et de l'absence de grief invoqué utilement.

Sur la recevabilité des demandes

A- Sur la procédure

Dans le cadre de sa saisine initiale de novembre 2016, M.[G] sollicitait dans le dispositif de sa requête,des indemnités liées à la rupture par prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail, une indemnité pour travail dissimulé, des dommages et intérêts pour défaut de visite médicale de reprise et d'autres pour exécution fautive du contrat de travail, mais aussi la somme de 1 556,03 euros à titre de rappel de maintien de salaire à 100 % sur la période du 13/04 au 13/06/2013.

Il demandait en outre d'enjoindre à la société sous astreinte «d'avoir à régulariser les déclarations de la situation de M.[G] auprès de la prévoyance et d'avoir à communiquer les coordonnées de l'assureur et du contrat de prévoyance».

L'affaire a été radiée par décision du 23 janvier 2018 et dans le cadre de la réinscription de l'affaire demandée reçue le 21 mai 2019, le salarié modifiait ses demandes partiellement, d'une part au titre de l'exécution du contrat de travail, et d'autre part au titre de la rupture.

Malgré une rédaction défectueuse du dispositif de la décision querellée, il ressort des motifs de celle-ci que les premiers juges ont considéré comme irrecevables les demandes formulées lors du réenrôlement de la procédure, en l'absence d'application du principe de l'unicité de l'instance.

B- Sur les demandes au titre de l'exécution du contrat de travail

La société indique qu'aucune des demandes nouvelles telles que figurant dans les conclusions du 22 mai 2019 n'étaient présentes dans la requête initiale, reprochant à M.[G] de confondre sciemment mutuelle et prévoyance.

Le salarié soutient que la société ATC occulte volontairement les dispositions de l'article 70 du code de procédure civile, ses demandes actuelles n'étant que la suite directe, l'accessoire découlant de l'absence de communication d'un contrat de prévoyance souscrit par la société.

A l'instar du salarié, la cour constate que M.[G] avait formulé initialement une demande de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive et que dans ses écritures portées devant le conseil de prud'hommes en 2019 puis devant la cour, a simplement amplié la somme réclamée à ce titre, de sorte que la demande est forcément recevable.

La requête initiale ayant été déposée en novembre 2016, M.[G] n'était pas contraint de formuler ses nouvelles demandes dans le cadre de l'instance pendante, mais dans ce cas, elles devaient répondre aux conditions fixées par l'article 70 du code de procédure civile, à savoir : « Les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant ».

Les demandes nouvelles faites devant le conseil de prud'hommes étaient les suivantes :

- 14.162,39 € à titre de rappel de salaire au titre du complément employeur pour la garantie incapacité temporaire de travail,

- 47.215,23 € à titre de dommages et intérêts pour perte de chance de maintien de salaire à 100% net au titre de la prévoyance garantie invalidité incapacité permanente professionnelle,

- 20. 000 € à titre de dommages et intérêts pour défaut de mise en place d'un système de mutuelle santé et de prévoyance collectives.

En cause d'appel, le salarié a substitué à cette dernière demande, celle de 10.000,00 € à titre de dommages et intérêts pour défaut de souscription à une mutuelle santé.

Sur ce dernier point, contrairement à ce qu'indique le salarié page 11 de ses conclusions, il ne sollicitait pas dans sa requête initiale de 2016 de «régularisation de la situation de Monsieur [G] auprès de la mutuelle de la société ATC».

En conséquence, la demande relative à la mutuelle couplée à celle concernant la prévoyance ne présentait pas de lien suffisant avec la requête initiale, de même que celle formulée dans le dispositif de ses écritures devant la cour, de sorte qu'elles doivent être déclarées irrecevables.

S'agissant du complément de salaire, il figurait dans la requête initiale avec une somme moindre et concernant la demande à titre de dommages et intérêts relative à l'absence de prévoyance, elle doit être déclarée en lien avec la demande initiale.

C- Sur la prescription

La société se prévaut de l'article L.1471-1 du code du travail dans sa rédaction entrée en vigueur le 23 septembre 2017, ayant opéré une distinction entre le délai de contestation et son point de départ, selon la nature de l'action, pour dire les demandes relatives à l'exécution du contrat de travail, prescrites depuis le 27 février 2019, et celles relatives à la rupture, prescrites depuis le 27 février 2018.

Le salarié considère qu'en application de l'article R.1452-1 du code du travail et 2241 du code civil, la saisine de 2016 a interrompu la prescription.

1- sur les demandes relatives à l'exécution du contrat de travail

L'article L.1471-1 du code du travail, depuis son entrée en vigueur le 17 juin 2013, dispose que toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par 2 ans à compter du jour où le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance des faits à l'origine du droit.

L'article L. 3245-1 du Code du travail prévoit un délai de prescription de 3 ans pour les actions en paiement ou en répétition du salaire à compter de chaque échéance de paie, pour le montant dû à cette date ou, lorsque le contrat est rompu, sur les sommes dues au titre des 3 années précédant la rupture du contrat.

S'agissant du maintien du salaire, le salarié a fait une demande pour la période du 15 avril 2013 au 17 avril 2016.

La saisine étant intervenue le 16 novembre 2016, les sommes sollicitées antérieurement au 16 novembre 2013 sont prescrites, comme l'indique la société dans ses conclusions page 15.

Concernant les demandes nouvelles à titre de dommages et intérêts, même si la prescription a été interrompue par la saisine de novembre 2016, un nouveau délai de deux ans a commencé à courir et le salarié n'établit pas qu'il n'a pu connaître ses droits au-delà de la date de la rupture notamment, de sorte que ses demandes doivent être déclarées prescrites, les conclusions de reprise d'instance du 21 mai 2019 étant tardives.

2- sur les demandes relatives à la rupture

Le licenciement étant intervenu le 27 février 2017, la prescription prévue à l'article L.1471-1 du code du travail en vigueur à cette date, était de deux ans.

Ce délai a été réduit à un an par l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 et il résulte des dispositions transitoires prévues à l'article 40, II que « les dispositions prévues aux articles 5 et 6 s'appliquent aux prescriptions en cours à compter de la date de publication de la présente ordonnance, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure (...).»

En conséquence, sans que l'interruption par l'action introduite en 2016 puisse être utilement invoquée, le délai concernant le licenciement n'ayant pas encore commencé à courir à cette date, les conclusions de reprise d'instance du 21 mai 2019 étaient tardives, et l'action doit être déclarée prescrite.

Sur le maintien du salaire

Le salarié fait valoir que les dispositions conventionnelles prévoient le maintien de 100% du salaire net pour les salariés en arrêt de travail et jusqu'à la reprise, la mise en invalidité ou à la retraite, pour une durée maximale de 1095 jours.

Constatant que la société n'a maintenu son salaire que pendant une période de 60 jours, il établit le calcul du maintien de salaire dont il a été privé selon un tableau page 22 de ses écritures.

Après avoir conclu sur la demande initiale pour dire qu'elle est prescrite et que le salarié a été rempli de ses droits, la société soutient que la demande nouvelle n'est pas justifiée, faisant valoir que M.[G] ne remplit pas les conditions pour bénéficier d'une prise en charge au titre de la protection souscrite.

La cour relève que la pièce 10 produite par l'intimée, est une garantie spécifique souscrite pour les salariés travaillant dans des établissements de bijouterie, et victimes d'agressions extérieures, mais ne correspond manifestement pas à la prévoyance collective de nature générale que l'employeur devait souscrire, ainsi que les dispositions conventionnelles l'y obligent.

En effet, l'article 36 de la convention collective applicable dispose :

«L'ensemble du personnel des entreprises ou des établissements entrant dans le champ d'application de la convention collective nationale de la BJOC bénéficiera obligatoirement d'un régime de prévoyance collectif garantissant :

- le décès et l'invalidité absolue et définitive ;

- l'invalidité et l'incapacité permanente ;

- les indemnités journalières en complément et relais des indemnités conventionnelles et de sécurité sociale ;

- une rente éducation et/ou une rente conjoint en option.

Le personnel cadre (art. 4 et 4 bis) ne bénéficie pas de la garantie décès invalidité absolue et définitive, les dispositions de l'article 7 de la convention collective nationale du 14 mars 1947 devant être appliquées.

Un accord paritaire conclu au sein de la commission paritaire nationale à la même date que le présent avenant déterminera le niveau des garanties énumérées ci-dessus et désignera l'organisme assureur chargé de la gestion du régime de prévoyance (...).»

L'article 4 de l'avenant n° 1 du 1er février 2007 à l'accord du 26 janvier 2005 relatif à la prévoyance « Garantie incapacité temporaire de travail » édicte :

«La garantie s'applique à l'ensemble des salariés cadres et non cadres. En cas d'arrêt de travail consécutif à une maladie ou à un accident, professionnel ou non, indemnisé par la sécurité sociale, il sera versé aux salariés cadres et non cadres ayant une ancienneté minimale de 12 mois dans l'entreprise ou l'établissement, des indemnités journalières dont le montant, y compris les prestations sécurité sociale nettes de CSG et de CRDS et d'un éventuel salaire net de charges (temps partiel ou maintien de salaire conventionnel), aboutira à 100 % du salaire net qu'ils auraient perçu s'ils avaient été en activité (net à payer).

Les prestations seront servies en complément de la période d'appointements réduits telle que définie à l'article 8 de l'avenant " Mensuels" modifié par l'accord paritaire national du 6 juillet 1993 de la convention collective de la BJOC et en relais de la période d'appointements à plein tarif et cessent dans les cas suivants :

- lors de la reprise du travail ;

- lors de la mise en invalidité, ou reconnaissance d'une incapacité permanente professionnelle ;

- au décès ;

- à la liquidation de la pension de vieillesse ;

- et, au plus tard, en fin de départ légal en retraite.

En tout état de cause, les prestations ne peuvent être servies au-delà du 1095e jour d'arrêt de travail (...).»

Il résulte du bulletin de salaire du mois d'octobre 2013 que la somme de 3 745 euros a été réglée au salarié mais ensuite, la société n'a reversé aucune somme à M.[G], alors qu'elle aurait dû compléter les indemnités journalières de la sécurité sociale.

Le tableau établi par l'appelant tient compte d'un salaire net de 1 861,31 euros et des IJSS réglées par la caisse primaire d'assurance maladie, ayant couvert une large partie du salaire jusqu'en juillet 2014, de sorte qu'en excluant la partie de la créance prescrite, le salarié est en droit d'obtenir la somme nette de 13 393,54 euros.

Les intérêts au taux légal sur cette somme ne peuvent courir qu'à compter de la demande exprimée pour la première fois dans les conclusions de rétablissement au rôle du 21 mai 2019.

Sur la visite médicale de reprise

Le salarié fait valoir que la société a organisé la visite de reprise tardivement, soit 5 mois après la fin de l'arrêt de travail et la demande écrite formulée par lettre recommandée du 3 août 2016, et 2 mois après l'engagement de la procédure.

Il indique que du fait de l'inertie fautive de la société, il a été privé de ressources durant 5 mois hormis une maigre pension d'invalidité.

La société se prévaut de la jurisprudence établie par la Cour de cassation depuis 2016 relative à l'absence d'automaticité entre une éventuelle faute de l'employeur et l'octroi d'une indemnisation, ajoutant que le salarié ayant été classé en invalidité catégorie 2, il ne pouvait exercer aucune activité professionnelle.

En application de l'article R.4624-31 du code du travail, dès que l'employeur a connaissance de la date de la fin de l'arrêt de travail, il saisit le service de santé au travail qui organise l'examen de reprise le jour de la reprise effective du travail par le travailleur, et au plus tard dans un délai de huit jours qui suivent cette reprise.

En l'espèce, par sa lettre datée du 3 août réceptionnée par la société le 24 août 2013, le salarié s'est manifesté auprès de son employeur pour l'organisation de la visite de reprise, mais il est manifeste que celui-ci n'en a pas tenu compte et n'a pas même réagi après la réception en novembre 2016, de la convocation en conciliation devant le conseil de prud'hommes.

En conséquence, la convocation à la visite médicale intervenue pour le 10 janvier 2017 puis pour le 18 janvier était manifestement tardive et l'employeur ne justifie d'aucune façon d'un empêchement, de sorte que la faute est constituée.

Le préjudice financier du salarié est justifié car pendant la période de 5 mois s'étant écoulée, il ne percevait plus les indemnités journalières mais seulement une pension d'invalidité d'un montant brut mensuel de 1 398,54 euros, inférieure à son salaire brut.

En conséquence, il convient de faire droit à la demande indemnitaire de M.[G] à hauteur de 3 000 euros.

Sur le travail dissimulé

Au visa de l'article L.8221-5 du code du travail, l'appelant considère que l'absence de délivrance des bulletins de salaire pendant 4 ans, caractérise une situation de travail dissimulé.

La société rappelle qu'elle ne versait plus aucun salaire depuis décembre 2013, rendant inutile la délivrance des bulletins de salaire et considère que le caractère intentionnel de l'infraction n'est pas démontré.

Le travail dissimulé est un délit qui consiste soit à dissimuler totalement ou partiellement une activité soit à dissimuler totalement ou partiellement l'emploi d'un salarié.

En l'espèce, le fait de ne pas avoir délivré de bulletins de salaire à un salarié dont le contrat de travail était suspendu pour accident du travail constitue une faute mais ne peut s'apparenter à une situation de travail dissimulé.

En conséquence, M.[G] doit être débouté de sa demande à ce titre.

Sur l'exécution fautive du contrat de travail

Le salarié, au visa de l'article L.1222-1 du code du travail, invoque de multiples manquements de la part de la société : absence d'organisation de la visite de reprise, abstention de délivrer des bulletins de salaire, de souscrire un contrat de prévoyance et une mutuelle santé dont elle aurait dû prendre en charge 50% des cotisations, de délivrance des documents de fin de contrat. Il estime qu'il s'agit non de simples omissions mais d'actes délibérés.

La cour, à l'instar de la société, rappelle que l'appelant a obtenu pour la délivrance tardive des documents de fin de contrat, une provision sur indemnisation, d'un montant suffisant, le salarié ne démontrant pas un préjudice plus ample à ce titre.

Par ailleurs, la cour a déjà indemnisé le salarié pour le préjudice subi du fait de l'absence de visite de reprise.

Si en tant qu'employeur du secteur privé, la société avait l'obligation depuis le 1er janvier 2016, de proposer à ses salariés une couverture santé collective et de participer à son financement, M.[G] ne démontre pas le préjudice qu'il a subi personnellement.

En revanche, alors que la convention collective prévoit une couverture prévoyance obligatoire, la société n'a pas démontré qu'elle avait souscrit cette dernière, alors que les conditions d'indemnisation étaient plus favorables que celles légales limitées à 90 jours.

Le préjudice en résultant pour le salarié a déjà été indemnisé par l'octroi d'une somme limitée du fait de la prescription et les intérêts au taux légal à compter de la demande, mais la mauvaise foi de l'employeur sur ce point doit être soulignée, puisque :

- d'une part, il n'a jamais informé son salarié de cette couverture pour laquelle il lui a fait payer des cotisations, comme le démontrent les bulletins de salaire des mois de janvier à mars 2013 mentionnant une ligne 3630 à cet effet,

- d'autre part, il ressort d'une attestation délivrée au salarié (pièce 8) que les salaires bruts subrogés du 16/04 au 30/09/2013 s'élèvent à 10.172 euros, alors même qu'il n'a reversé sur la période concernée qu'une partie.

Il est constant et reconnu par la société qu'elle n'a délivré les bulletins de salaire de décembre 2013 à décembre 2017 que dans le cadre du contentieux, ce qui constitue une faute et une exécution fautive du contrat de travail, et même si le salarié n'a pas fait de demande avant sa lettre du 3 août 2016, il existe un préjudice découlant de l'absence d'information donnée au salarié sur sa situation et notamment celle relative aux congés payés, la délivrance de bulletins de salaire à 0 euro, pouvant permettre également à M.[G] de consulter un conseil ou un syndicat sur cette anomalie.

En conséquence, il convient de fixer l'indemnisation du salarié à ce titre, à la somme de 5 000 euros.

Sur la rupture du contrat de travail

A- Sur le bien fondé de la résiliation judiciaire

Au visa de l'article 1217 du code civil, le salarié expose avoir été lourdement pénalisé par son employeur dans la prise en charge de son arrêt de travail à la suite de son accident du travail, reprenant les différents manquements déjà exposés, et soulignant que ceux-ci ont perduré postérieurement à la saisine du conseil de prud'hommes.

La société indique que M.[G] n'a jamais sollicité la régularisation de sa situation, après avoir demandé la visite médicale de reprise et indique avoir organisé celle-ci avant la décision du conseil de prud'hommes.

La cour relève que la société n'a pas répondu à la lettre recommandée du salarié reçue le 24 août 2016, laquelle l'informait de son placement en invalidité, et lui demandait d'organiser la visite de reprise. Par ailleurs, cette missive soulignait l'inertie de l'employeur, malgré de précédentes demandes (verbales ') et pointait 5 griefs et demandes précises.

Les manquements de l'employeur à ses obligations résultant de la convention collective sont patents et ont eu pour effet de priver le salarié de partie de sa rémunération, situation non régularisée au jour de la décision du conseil de prud'hommes ; en outre, la société a failli en ses obligations légales concernant la visite de reprise et la délivrance des bulletins de salaire, manquements seulement régularisés en 2017.

Les faits reprochés à l'employeur, nonobstant une régularisation partielle, revêtent un caractère de gravité tel qu'ils justifient le prononcé de la résiliation judiciaire, laquelle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, à la date du 27 février 2017.

B- Sur les conséquences financières de la rupture

La rupture étant intervenue aux torts exclusifs de l'employeur, le salarié est en droit d'obtenir une indemnité compensatrice de préavis, nonobstant son incapacité à exercer une activité professionnelle, et sans critique sur son montant lequel correspond à deux mois de salaire brut tels que déclarés dans l'attestation Pôle Emploi, elle doit être fixée à la somme de 4.759,82 euros outre l'incidence de congés payés.

Les intérêts au taux légal sur ces sommes doivent courir à compter de la date de convocation de l'employeur (présentation de la lettre recommandée) à l'audience de tentative de conciliation valant mise en demeure, soit le 17 novembre 2016.

 

Il résulte du registre d'entrées et sorties du personnel (pièce 9 de la société) que celle-ci, à la date du licenciement employait plus de 11 salariés, rendant applicables les dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail dans leur rédaction antérieure aux ordonnances du 22 septembre 2017.

Compte tenu de son ancienneté de 12 ans, de son âge (58 ans), le préjudice tant financier que moral du salarié résultant de la rupture, doit être fixé à la somme de 20 000 euros.

Il convient d'appliquer la sanction de l'article L.1235-4 du code du travail à hauteur d'un mois de salaire.

Sur les autres demandes

Les sommes allouées à titre indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter de la date de la présente décision.

La capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.

La société devra remettre à M.[G] les bulletins de salaire rectifiés et une attestation Pôle Emploi conformes à la présente décision mais il n'est pas nécessaire d'assortir cette obligation d'une astreinte.

L'intimée succombant au principal doit s'acquitter des dépens de la procédure, être déboutée de sa demande faite sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à ce titre payer à l'appelant, la somme de 2 500 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, en matière prud'homale,

Déclare irrecevable l'exception de nullité soulevée par la société ATC,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et Y ajoutant,

Déclare irrecevables:

- la demande au titre du maintien de salaire antérieure au 16 novembre 2013,

- les demandes faites devant le conseil de prud'hommes, à titre de dommages et intérêts pour perte de chance de maintien de salaire à 100% net au titre de la prévoyance garantie invalidité incapacité permanente professionnelle et pour défaut de mise en place d'un système de mutuelle santé et de prévoyance collectives,

- les demandes faites devant la présente cour, à titre de dommages et intérêts compensatoires de la garantie invalidité au titre de la prévoyance et pour défaut de souscription à une mutuelle santé,

- les demandes salariales et indemnitaires relatives au licenciement pour inaptitude,

Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la société ATC, à la date du 27 février 2017,

Condamne la société Atelier Thierry Christiane à payer à M.[C][G], les sommes suivantes :

- 13 393,54 euros nets au titre du maintien du salaire du 16/11/2013 au 17/04/2016, avec intérêts au taux légal à compter du 21/05/2019,

- 4.759,82 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis

- 475,98 euros bruts au titre des congés payés afférents

avec intérêts au taux légal à compter du 17/11/2016,

- 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour visite médicale de reprise tardive

- 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution dE mauvaise foi du contrat de travail

- 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

Dit que les intérêts au taux légal sur les sommes indemnitaires doivent courir à compter du présent arrêt,

Ordonne la capitalisation des intérêts alloués à condition qu'ils soient dûs au moins pour une année entière,

Ordonne à la société ATC de remettre à M.[G] les bulletins de salaire rectifiés et une attestation Pôle Emploi conformes à la présente décision,

Dit n'y avoir lieu à astreinte,

Ordonne, s'il y a lieu, le remboursement par la société ATC à Pôle Emploi, des indemnités de chômage versées au salarié, dans la limite de 1 mois,

Dit qu'à cette fin, une copie certifiée conforme de la présente décision sera adressée à Pôle Emploi, par le greffe,

Déboute M.[G] du surplus de ses demandes,

Condamne la société ATC aux dépens de 1ère instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-3
Numéro d'arrêt : 20/00312
Date de la décision : 31/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-31;20.00312 ?
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