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31/05/2024 | FRANCE | N°20/00048

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-3, 31 mai 2024, 20/00048


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3



ARRÊT AU FOND



DU 31 MAI 2024



N° 2024/ 95





RG 20/00048

N° Portalis DBVB-V-B7E-BFMBP







SARL URBAN PROVENCE





C/



[Z] [D]



















Copie exécutoire délivrée le 31 Mai 2024 à :



-Me Delphine CO, avocat au barreau de MARSEILLE



- Me Odile LENZIANI, avocat au barreau de MARSEILLE






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Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 10 Décembre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° F18/00548.





APPELANTE



SARL URBAN PROVENCE, demeurant [Adresse 4]



représentée ...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3

ARRÊT AU FOND

DU 31 MAI 2024

N° 2024/ 95

RG 20/00048

N° Portalis DBVB-V-B7E-BFMBP

SARL URBAN PROVENCE

C/

[Z] [D]

Copie exécutoire délivrée le 31 Mai 2024 à :

-Me Delphine CO, avocat au barreau de MARSEILLE

- Me Odile LENZIANI, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 10 Décembre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° F18/00548.

APPELANTE

SARL URBAN PROVENCE, demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Delphine CO de la SELARL SELARL MANENTI & CO, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Jérôme PASCAL, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIME

Monsieur [Z] [D], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Odile LENZIANI, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Gilles BOUKHALFA, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Février 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant, chargée du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre

Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant

Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 31 Mai 2024.

ARRÊT

CONTRADICTOIRE

Prononcé par mise à disposition au greffe le 31 Mai 2024

Signé par Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCÉDURE

La société Urban Provence a une activité de travaux métalliques de mobilier urbain et applique la convention collective nationale des ouvriers du bâtiment du 8 octobre 1990.

M. [Z] [D] était engagé par cette société, à compter du 4 janvier 2016 selon contrat à durée indéterminée, en qualité de poseur qualification ouvrier d'exécution, niveau I, position 2, coefficient 170, avec une rémunération mensuelle brute de 1 906,66 € pour 39 heures de travail hebdomadaire.

Le salarié était victime le 7 octobre 2016 d'une chute qui a été déclarée en accident de travail le 27 octobre 2016. Il était en arrêt de travail jusqu'au 3 novembre 2017 pour des problèmes de lombalgie.

Le médecin du travail le déclarait inapte à son poste de poseur de mobilier à la visite de reprise du 9 novembre 2017. Il était reconnu travailleur handicapé le 29 juin 2017 par la MDPH des Bouches-du-Rhône.

Ce dernier était convoqué le 5 décembre 2017 à un entretien préalable à une mesure de licenciement fixé au 18 décembre suivant. Il était licencié pour inaptitude et défaut de reclassement par courrier 22 décembre 2017.

M. [D] saisissait le 15 mars 2018 le conseil de prud'hommes de Marseille en contestation du licenciement et en paiement d'indemnités.

Par jugement du 19 décembre 2019, le conseil de prud'hommes a statué comme suit :

« Dit et juge que le licenciement de Monsieur [D] [Z] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Dit et juge que la société Urban Provence n'a pas respecté son obligation de sécurité.

Condamne la société Urban Provence à verser Monsieur [D] [Z] la somme de :

- 5000 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et manquement de l'obligation de sécurité.

Déboute Monsieur [D] [Z] de ses demandes formées au titre du non respect de l'obligation de reclassement et au titre de rappel de salaire.

Condamner la société Urban Provence à verser à Monsieur [D] [Z] la somme de :

1 200 euros au titre des dispositions de l'Article 700 du Code de Procédure Civile.

Déboute Monsieur [D] [Z] du surplus de ces demandes.

Déboute la société Urban Provence de sa demande reconventionnelle.

Condamne la société Urban Provence aux entiers dépens de la présente procédure».

Par acte du 3 janvier 2020, le conseil de la société a interjeté appel de cette décision.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 30 janvier 2024, la société Urban Provence demande à la cour de :

«Infirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de Marseille du 10 décembre 2019 en ce qu'il a :

' Condamné à payer à Monsieur [D] la somme de 5.000 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et manquement à l'obligation de sécurité ;

' Condamné à payer à Monsieur [D] la somme de 1.200 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

' Débouté de sa demande de condamnation de Monsieur [D] au paiement de 2.500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

' Condamné aux entiers dépens ;

Confirmer le jugement dont appel sur les autres points ;

Déclarer irrecevables toutes demandes liées à un prétendu licenciement nul au motif que l'intimé n'ayant pas fait de demande devant le Conseil de Prud'hommes au titre d'un prétendu licenciement nul ne peut soumettre cette nouvelle prétention en appel dans des conclusions dites n°4,

Déclarer Irrecevables toutes demandes liées à un prétendu licenciement nul au motif que l'intimé n'ayant pas fait de demande dans ses premières conclusions d'intimé au titre d'un prétendu licenciement nul ne peut soumettre cette nouvelle prétention dans ses jeux de conclusions postérieurs en appel,

Déclarer irrecevables toutes demandes liées à un prétendu licenciement nul au motif que l'intimé ne peut pas demander dans son dispositif :

- de confirmer le jugement en ce qu'il a jugé celui-ci sans cause réelle et sérieuse

- tout en demandant par la suite de juger le licenciement nul

En conséquence,

Dire et Juger que l'employeur n'a manqué à aucune obligation,

Rejeter les entières demandes injustes et mal fondées de Monsieur [Z] [D],

Allouer à la SARL Urban Provence la somme de 2.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

Condamner Monsieur [Z] [D] aux entiers dépens de première instance et d'appel».

Dans ses dernières écritures communiquées au greffe par voie électronique le 31 janvier 2024, M. [D] demande à la cour de :

« Infirmer le jugement rendu par le Conseil des Prud'hommes de Marseille du 19 décembre 2019 en ce qu'il a débouté Monsieur [D] de sa demande en paiement des sommes suivantes:

1 688,56 € à titre de rappels de salaire

168,85 € d'incidence congés payés

Infirmer le jugement rendu en ce qu'il a débouté Monsieur [D] de sa demande relative à la rectification et à la remise, sous astreinte, d'une attestation employeur destinée à Pôle emploi conforme

Confirmer le jugement rendu en ce qu'il a dit et jugé que le licenciement prononcé à l'encontre de Monsieur [D] est sans cause réelle et sérieuse

Réviser le quantum des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse Infirmer le jugement rendu en ce qu'il a opéré une confusion entre le préjudice résultant de la perte injustifiée par le salarié de son emploi et le préjudice résultant de la violation de l'obligation de sécurité dans le cadre de l'exécution de la relation de travail

Confirmer le jugement rendu en toutes ses autres dispositions

Et, statuant à nouveau :

I. Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail

A titre principal, de :

Juger que le licenciement prononcé est nul

Par conséquent, de :

Condamner la société Urban Provence à verser à Monsieur [D] la somme de 12 479,94€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul

A titre subsidiaire, de :

Juger que le licenciement prononcé est sans cause réelle et sérieuse

Par conséquent, de :

Condamner la société Urban Provence à verser à Monsieur [D] la somme de 8 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

II. Sur les autres demandes

Condamner la société Urban Provence à verser à Monsieur [D] les sommes suivantes:

- 8 000 € à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail

- 1 688,56 € à titre de rappels de salaire et 168,85 € d'incidence congés payés

- 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice résultant des manquements à l'obligation de sécurité

- 2 500 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en sus de l'indemnité versée sur ce fondement en première instance

Condamner la société Urban Provence à rectifier et remettre à Monsieur [D] une attestation employeur destinée à Pôle emploi conforme, sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir, la Cour se réservant le droit de liquider le cas échéant cette astreinte

La Condamner aux dépens».

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs écritures susvisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I) Sur la recevabilité des demandes nouvelles

L'article 910-4 du code de procédure civile prévoit : « À peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures (...) »

En l'espèce, le salarié n'a pas demandé la nullité du licenciement pour discrimination liée au handicap devant le conseil des prud'hommes et n'a formulé sa demande de nullité du licenciement que dans ses conclusions récapitulatives numéro 4, notifiées le 24 janvier 2024, et non dans ses premières conclusions devant la cour d'appel du 20 avril 2020.

Les demandes à ce titre doivent donc être déclarées irrecevables.

II) Sur l'exécution du contrat de travail

a) sur le rappel de salaire

Le salarié soutient que l'employeur a déduit à tort :

- en juin 2016 : la somme de 1 291,40 €

- en novembre 2017 : la somme totale de 143,15 €, soit 93,73 € et 49,42 € de solde négatif.

- en décembre 2017 : la somme de 1 160,41 € qui n'est pas justifiée.

Il indique qu'en juin 2016, il aurait dû percevoir la somme supplémentaire de 301€ du fait d'un versement moindre sur son salaire.

Il réclame également le paiement de sa journée du 8 novembre, pour la somme de 84 €, correspondant au jour de son droit de retrait au visa des dispositions de l'article L.4131-3 du code du travail.

La société s'y oppose dans la mesure ou elle a donné le 15 janvier 2018 au salarié toutes les explications et indique que le droit de retrait était injustifié.

Il résulte de la pièce 20 de l'appelante et des bulletins de salaire des mois de juin 2016, novembre et décembre 2017(pièces 15 à 17 ) que :

- pour le mois de juin 2016 :

la somme de 1 291,40 € figurant dans la retenue du mois de juin 2016 correspond à deux acomptes de 500€ au vu des avis d'opération de virement du CIC du 18/05/2016 et du 20 juin 2016 et d'un acompte de 291,40 € pour frais de déplacement ; le montant total des gains qui figure sur le bulletin de salaire s'élève à la somme de 2 491,46 €, et non à celle de 1 958 € comme indiqué par le salarié, duquel il y a lieu de déduire la retenue de 1 824,15 €, et non 1 657€, soit un solde de 667,31 € qui est conforme au montant réglé.

- pour le mois de novembre 2017 :

il est déduit sur le bulletin de salaire de novembre 2017 la somme de 93,73 € et celles de 49,42€ et 7,28€.

La somme de 93,73 € correspond au revenu de 196,56 € duquel les sommes de 46,11 € au titre des charges salariales et celle de- 49,42 € (solde négatif correspondant à la CSG/CRDS sur la mutuelle de novembre 2016 à octobre 2017) ont été soustraites ainsi que la somme de 7,28 € au titre des tickets restaurant. (pièce appelante 3 : bulletins de salaire) ; cependant, il apparaît que les tickets restaurant (7,28 €) et le solde négatif (49,42 €) déjà intégrés dans la somme de 93,73€ ont été une seconde fois déduites sur le bulletin de salaire.

La société est donc redevable de la somme de 56,70 € à ce titre.

- pour le mois de décembre 2017 :

Le montant de 1 160,41 € déduit du salaire de décembre 2017 correspond à la mutuelle famille pour 10 mois souscrite par le salarié en mars 2017 (754 €) et celle de 406,27€, à un acompte de 500 € au vu de l'avis d'opération de virement du CIC versé le 23 septembre 2016 avec la déduction de la somme de 93,73€.

S'agissant du 8 novembre 2017, les dispositions de l'article L.4131-3 du code du travail prévoient qu'« aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l'encontre d'un travailleur ou d'un groupe de travailleurs qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d'eux ».

En l'espèce, le salarié avait un motif raisonnable de penser que sa situation de travail nécessitait une mesure de protection et présentait un danger suffisamment grave pour sa santé.

Le jugement entrepris de ce chef doit être infirmé de ce chef et la société condamnée à lui payer la somme de 84 € à ce titre et les congés payés afférents.

b) Sur l'attestation non conforme destinée à pôle emploi

Le salarié fait valoir que l'employeur n'a pas intégralement complété la partie 7.1 concernant les salaires des 12 derniers mois civils complets précédents le dernier jour travaillé et payé et qu'il est en droit d'en obtenir la rectification.

La société explique que l'attestation pôle emploi est conforme puisqu'elle reprend les mois antérieurs à 0 € et que le salarié ne justifie ni d'une erreur effective de sa part, ni d'un préjudice quelconque.

Selon l'article R 1234-9 du code du travail, l'employeur délivre au salarié, au moment de l'expiration ou de la rupture du contrat de travail, les attestations et justifications qui lui permettent d'exercer ses droits aux prestations mentionnées à l'article L. 5421-2 et transmet sans délai ces mêmes attestations à Pôle emploi.

Le dernier jour travaillé et payé du salarié est celui du 7 novembre 2017 et non le 22 décembre 2017, jour du licenciement.

L'attestation Pôle emploi aurait donc dû mentionner ce jour comme étant le dernier travaillé et payé, il convient toutefois de relever que les 12 mois précédents, soit de novembre 2016 à novembre 2017, correspondent à la période durant laquelle le salarié a été placé en arrêt de travail, sans maintien de son salaire, de telle sorte que l'attestation ne peut être considérée comme irrégulière.

La demande doit être rejetée.

III) Sur l'obligation de sécurité

Le salarié soutient que la société n'a pris aucune mesure de prévention de nature à protéger sa santé, que ce soit avant la survenance de l'accident de travail ou lors de la reprise de travail par le salarié. Il fait valoir qu'il ne lui a pas été fourni des équipements de protection et que la société s'est abstenue d'adapter le poste occupé n'ayant prévu aucune limitation de manutentions manuelles et de charges lourdes, telles que mentionnées par le médecin du travail, ce qui a eu des conséquences sur son état de santé.

Il indique également que l'employeur ne justifie nullement du respect des règles relatives à la prévention des risques professionnels pourtant obligatoires ou d'amélioration des conditions de travail et rappelle que l'origine professionnelle de l'inaptitude du salarié n'est pas subordonnée à la reconnaissance par la caisse primaire d'assurance maladie du lien de causalité entre l'accident du travail et l'inaptitude, la société lui ayant d'ailleurs versé l'indemnité spéciale de licenciement et l'indemnité équivalente à l'indemnité de préavis.

La société rétorque que le salarié n'a jamais fait de remarque particulière avant son accident sur ses équipements de sécurité et que ceux-ci sont restés en sa possession après l'accident de travail.

Elle précise qu'il n'y avait pas lieu d'adapter particulièrement le poste du salarié dans l'attente de la visite de reprise en l'état de l'absence d'avis du médecin du travail le 9 juin 2017, et que pour autant, et par souci de sécurité, le travail relatif aux charges avait été attribué aux autres membres de l'équipe dans l'attente de la visite de reprise réalisée dans le délai légal et que le droit de retrait du 8 novembre 2017 du salarié n'était pas justifié.

Elle précise, les photographies produites ne prouvant pas ses affirmations, ni même la lettre du Dr [B] qui se contente d'indiquer ses symptômes.

Aux termes de l'article L.4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

- des actions de prévention des risques professionnels,

- des actions d'information et de formation,

- la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

L'obligation générale de sécurité se traduit par un principe de prévention au titre duquel les équipements de travail doivent être équipés, installés, utilisés, réglés et maintenus de manière à préserver la santé et la sécurité des travailleurs.

Dès lors que le salarié invoque une inobservation des règles de prévention et de sécurité, il revient à l'employeur de démontrer l'absence de manquement de sa part à son obligation de sécurité, la charge de la preuve du respect de son obligation de sécurité lui incombant.

Par ailleurs, selon l'article R 4624-29 du code du travail, dans sa version applicable du 1er janvier 2017 au 31 mars 2022, en vue de favoriser le maintien dans l'emploi des travailleurs en arrêt de travail d'une durée de plus de trois mois, une visite de préreprise est organisée par le médecin du travail sur l'initiative du médecin traitant, du médecin conseil des organismes de sécurité sociale ou du travailleur.

L'article R.4624-30 du code du travail énonce que:

Au cours de l'examen de préreprise, le médecin du travail peut recommander :

1º Des aménagements et adaptations du poste de travail ;

2º Des préconisations de reclassement ;

3º Des formations professionnelles à organiser en vue de faciliter le reclassement du travailleur ou sa réorientation professionnelle.

A cet effet, il s'appuie en tant que de besoin sur le service social du travail du service de santé au travail interentreprises ou sur celui de l'entreprise.

Il informe, sauf si le travailleur s'y oppose, l'employeur et le médecin conseil de ces recommandations afin que toutes les mesures soient mises en oeuvre en vue de favoriser le maintien dans l'emploi du travailleur.

Le salarié a été en arrêt de travail à compter du 7 octobre 2016 suite à une chute en arrière en montant sur un camion sur son lieu de travail et l'origine professionnelle de l'accident n'est pas contestée en cause d'appel par la société.

Le salarié a bénéficié à sa demande, d'une visite de pré reprise le 9 juin 2017 et le médecin de travail a indiqué« Pas d'avis rendu. Des difficultés sont à attendre à la reprise » et a recommandé « Des restrictions seront à réévaluer à la reprise, mais on peut attendre des limitations sur les manutentions manuelles de charges lourdes et les postures de travail avec tronc penché en avant. Étude de poste et fiche d'entreprise à réaliser avant la reprise ».

Sur ce document, le salarié a donné son accord pour que le médecin du travail informe l'employeur et le médecin-conseil de la sécurité sociale de ces recommandations pour que toutes les mesures soient mises en 'uvre en vue de favoriser son maintien dans l'emploi, et la case « à revoir à la reprise effective du travail » a été cochée par le médecin du travail (pièce intimé 4).

Le salarié a néanmoins repris son poste le 6 novembre 2017 sur le chantier de [Localité 2] [Localité 3], soit après 12 mois d'arrêt de travail et 5 mois après la visite de préreprise, sans qu'il ne soit tenu compte des recommandations du médecin du travail, alors que la société en avait eu connaissance dès le 20 juin 2017, suite à son échange avec ce dernier.

Il est ainsi mentionné sur l'avis d'inaptitude du 9 novembre 2017 « une étude de poste et l'étude des conditions de travail au 20 juin 2017 et les échanges avec employeur le 20 juin 2017 et le 9 novembre 2017, la date de la dernière actualisation de la fiche d'entreprise étant du 20 juin 2017».

Dès lors, la société ne pouvait ignorer les recommandations du médecin du travail et laisser le salarié reprendre son travail, sans aucune adaptation (pièce intimé 8).

Par ailleurs, l'absence de mesures de prévention résulte notamment :

- des conclusions de la société mais encore du courrier de la société du 15 janvier 2018 adressé au salarié en réponse à sa lettre du 29 décembre 2017: « nous vous rappelons donc que le médecin du travail n'a émis aucun avis particulier pour votre reprise le 6 novembre, que vous deviez donc travailler normalement jusqu'à la visite de reprise du 09, sauf à solliciter de votre médecin traitant un nouvel arrêt travail, si vous estimiez ne pas être en mesure de reprendre l'emploi » (pièce intimé 13).

- de l'e-mail de [I] [P] du 9 novembre 2017 adressé à la direction qui atteste que rien n'avait été prévu pour la reprise du salarié « Je me permets de venir vers toi concernant le cas d'[Z]. Il était en accident de travail depuis un an et a repris le travail ce lundi 06 /11/17. J'ai rapidement établi qu'il ne pouvait travailler, douleurs au dos, manque d'envie. Mercredi matin 08/11/17 à l'embauche [Z] est arrivé en claquette criant qu'on ne le considérait pas et qu'il lui fallait des chaussures de sécurité et une veste. À savoir que lors de son accident de travail, [Z] est parti avec les chaussures de sécurité et la veste qui n'a toujours pas remis à ce jour. Il a également indiqué qu'il ne devait pas être là pour travailler car son état ne lui permet pas de le faire. Aussi [X] (chef de chantier) a pris la parole et a dit 'ceux qu'ils veulent travailler vous montez dans les camions, les autres vous n'avez qu'à rentrer chez vous. Les ouvriers ont pris les camions et sont partis sur les chantiers, [Z] a pris sa voiture et a décidé de rentrer chez lui(...) » (pièce appelante 22).

Bien que la société produise les témoignages d'employés de la société, [I] [P], conducteur de travaux, [F] [W], chef d'équipe, et [X] [U], chef de chantier, selon lesquels les manutentions lourdes auraient été assurées par les équipes présentes sur le chantier concerné et que les EPI (équipement de protection) étaient dans chaque camion, cette dernière ne justifie pas de l'adaptation préalable du poste ou que des consignes auraient été données aux équipes pour le 6 novembre 2017, ni de la remise au salarié de son matériel en l'absence de toute signature de sa part sur le document produit (pièces appelante 23, 25 et 26).

Et quand bien même le salarié aurait conservé son équipement avec lui, la société ne pouvait le laisser partir sans celui-ci sur un chantier.

Cette absence de mesure de prévention a amené le salarié à adresser le 7 novembre 2017 un courrier, reçu par la société le 10 novembre 2017, pour l'informer de son droit de retrait (pièces appelante 6 et 13).

Il s'ensuit que le manquement à l'obligation de sécurité et à la mise en 'uvre des mesures de prévention des risques professionnels est établi et il y a lieu d'allouer au salarié la somme de 2 500 euros à ce titre.

III) Sur l'exécution fautive du contrat de travail

Le salarié soutient que les bulletins de paie comportaient des irrégularités, que la journée au cours de laquelle il avait effectué son droit de retrait ne lui a pas été payée et que la société a réalisé plusieurs fautes contractuelles de nature à caractériser une exécution fautive du contrat de travail.

La société conclut au rejet de cette demande, estimant que l'obligation de sécurité n'a pas été violée, que les bulletins de paie étaient réguliers et que le droit de retrait du 8 novembre 2017 n'était pas justifié.

Tout contrat de travail comporte une obligation de loyauté qui impose à l'employeur d'exécuter le contrat de travail de bonne foi et celui qui réclame l'indemnisation d'un manquement doit prouver cumulativement l'existence d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice.

En l'espèce, la cour constate que la société a agi de façon déloyale envers le salarié en ne prenant pas en compte son état de santé et en retenant sur son salaire la journée de retrait qui était pourtant justifiée, de sorte qu'il y a lieu de lui allouer la somme de 1 500 € à ce titre.

IV) Sur le bien fondé du licenciement

La société soutient que c'est à tort que le conseil des prud'hommes a considéré que l'inaptitude du salarié était consécutive à un manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur alors que l'inaptitude physique du salarié n'a aucun lien avec un prétendu manquement de l'employeur.

Le salarié soutient au contraire que l'inaptitude est consécutive au manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

Du fait du manquement préalable à l'obligation de sécurité de la société, le salarié a repris son poste sans que les manutentions de charges lourdes ne soit limitées, ce qui a contribué à aggraver ses problèmes de santé.

En effet, à la visite de reprise du 9 novembre 2017, le médecin du travail a conclu à une inaptitude au poste de poseur de mobilier précisant que le salarié « pourrait occuper un poste sans port manuel de charges, exposition vibrations corps entier, sans station de travail, trop penché en avant, accroupie, agenouillé, sans marche prolongée, sans station debout prolongée. Une alternance des stations assises et de nécessaire. Pourrait par exemple réaliser des tâches de nature administrative, surveillance télésurveillance. Peu suivre une formation respectant les restrictions ci-dessus ».

Le salarié a eu un arrêt de travail pour lombalgie et a bénéficié d'une reconnaissance de travailleur handicapé le 29 juin 2017 par la MDPH des Bouches-du-Rhône.

Le 21 décembre 2017, le Dr [B] a retrouvé « à l'examen clinique un syndrome duremérien et une attitude en antéflexion dont la correction entraîne une majoration des lombalgies (...)

À l'examen neurologique, une aréflexie achilléenne et une hyporéfléxie rotulienne, un lasègue lombaire droit dès 20° et radiculaire gauche à 40°.

À l'examen segmentaire rachidien, des contractures des deux carrés des lombes prédominant à droite ainsi que des DIM articulaires postérieures prédominant en L4-L5, L5S1 avec douleurs sacro-iliaques droite (...)

Un important rétrécissement canalaire L4-L5 et à moindre degré L5-S1 d'origine discal et zygarthrosique (...)».

Ces constatations confirment l'intensification des problèmes lombaires du salarié ainsi que le lien entre le manquement à l'obligation de sécurité lors de la reprise du travail du salarié du 6 novembre 2017 et l'inaptitude constatée le 9 novembre 2017.

Dès lors, le licenciement pour inaptitude de M. [K], consécutif au manquement préalable de l'employeur à son obligation de sécurité qui l'a provoquée, est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La cour confirme dès lors, le jugement entrepris de ce chef, sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'obligation de reclassement.

V) Sur les conséquences financières de la rupture

M. [D], salarié dans une entreprise employant 5 salariés et qui présentait moins de deux années complètes d'ancienneté, peut prétendre en application de l'article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 22 septembre 2017 applicable au litige, à une indemnité de 0,5 mois de salaire.

Eu égard au montant de la rémunération mensuelle brute perçue par ce dernier avant la suspension de son contrat de travail (2 114,46 €), le préjudice résultant pour le salarié de la rupture du contrat de travail doit être fixé à la somme de 1 100 euros.

VI) Sur les autres demandes

La société qui succombe même partiellement doit s'acquitter des dépens, être déboutée de sa demande faite en application de l'article 700 du code de procédure civile, et à ce titre, condamnée à payer au salarié la somme supplémentaire de 2 000 €.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, en matière prud'homale,

Déclare irrecevables les demandes nouvelles liées à la nullité du licenciement ;

Confirme le jugement déféré SAUF s'agissant des sommes déduites indûment sur le salaire de novembre 2017 et la journée du 8 novembre 2017, du montant des dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité et de celui pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de l'exécution déloyale du contrat de travail ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la société Urban Provence à payer M. [Z] [D] les sommes suivantes :

- 56,70 € au titre des sommes déduites indûment sur le salaire de novembre 2017

- 84 € à titre du rappel de salaire pour la journée du 8 novembre 2017,

- 8,4 € au titre de congés payés y afférents,

- 2 500 € à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

- 1 100 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 1 500 € à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail,

- 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamne la société Urban Provence aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-3
Numéro d'arrêt : 20/00048
Date de la décision : 31/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-31;20.00048 ?
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