COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-2
ARRÊT
DU 30 MAI 2024
N° 2024/368
Rôle N° RG 23/09469 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BLUOP
SARL LES MELIES
C/
[C] [K]-[B]
S.C.I. LA COUR DE [B]
S.A.S. UNIQUE HOLIDAYS FRANCE
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Agnès ERMENEUX de la SCP ERMENEUX - CAUCHI & ASSOCIES
Me Frédéric BERENGER de la SELARL CABINET DEBEAURAIN & ASSOCIÉS
Me Michel GOUGOT de la SCP TROEGELER - GOUGOT - BREDEAU- TROEGELER - MONCHAUZOU
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance de référé rendue par le Président du tribunal judiciaire d'AIX EN PROVENCE en date du 27 juin 2023 enregistrée au répertoire général sous le n° 23/00488.
APPELANTE
SARL LES MELIES
Prise en la personne de son représentant légal en exercice
dont le siège social est situé [Adresse 3]
représentée par Me Agnès ERMENEUX de la SCP ERMENEUX - CAUCHI & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
et assistée de Me Aurélie DAUGER de la SCP LEFEVRE PELLETIER ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Paul VAZEUX, avocat au barreau de PARIS, plaidant
INTIMES
Monsieur [C] [K]-[B]
demeurant [Adresse 5]
représenté par Me Frédéric BERENGER de la SELARL CABINET DEBEAURAIN & ASSOCIÉS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Justine DUVIEUBOURG, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant
S.C.I. LA COUR DE [B]
Prise en la personne de son représentant légal
dont le siège social est situé [Adresse 5]
représentée par Me Frédéric BERENGER de la SELARL CABINET DEBEAURAIN & ASSOCIÉS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Justine DUVIEUBOURG, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant
S.A.S. UNIQUE HOLIDAYS FRANCE
prise en la personne de son représentant légal en exercice
dont le siège social est situé [Adresse 6]
représentée par Me Michel GOUGOT de la SCP TROEGELER - GOUGOT - BREDEAU- TROEGELER - MONCHAUZOU, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Marie LESSI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 09 Avril 2024 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Mme NETO, Conseillère, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
M. Gilles PACAUD, Président
Mme Angélique NETO, Conseillère rapporteur
Mme Florence PERRAUT, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Julie DESHAYE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 30 Mai 2024.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 30 Mai 2024,
Signé par M. Gilles PACAUD, Président et Mme Julie DESHAYE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
La société civile immobilière (SCI) La cour de [B] est propriétaire d'un corps de bâtiments, constitués de deux immeubles séparés par une cour avec puits, cadastré section AB n° [Cadastre 1], situé [Adresse 5]).
Un bail commercial a été consenti à la société par actions simplifiée (SAS) Unique Holidays France portant sur l'un des bâtiments afin d'y effectuer de la location saisonnière.
Un bail professionnel a été consenti à M. [C] [K]-[B] portant sur l'autre bâtiment afin qu'il puisse y exercer sa profession d'avocat.
La société à responsabilité limitée (SARL) Les Méliès est propriétaire de la parcelle voisine cadastrée section AB n° [Cadastre 2]. Elle a entrepris sur sa parcelle, suivant un permis de construire en date du 26 avril 2021, des travaux de démolition afin de construire un ensemble immobilier à usage d'habitation, à savoir des logements avec toitures tropéziennes, dont deux avec piscine, et de commerce en pied d'immeuble.
Les travaux de démolition ont été effectués entre les mois d'avril 2022 et janvier 2023. Les travaux de fondation et de gros-oeuvre devaient s'étendre entre les mois de janvier 2023 et juin 2024.
Se prévalant de nuisances et désordres causées par le chantier, et notamment des chutes de gravats, la société La Cour de [B] et M. [B] ont assigné, une première fois, la société Les Méliès, par acte d'huissier en date du 17 juin 2022, devant le juge des référés du tribunal judicaire d'Aix-en-Provence, selon la procédure de référé d'heure à heure, afin notamment d'obtenir la suspension du chantier, sous astreinte, et une expertise judiciaire.
Par ordonnance en date du 24 juin 2022, ce magistrat a rejeté leurs demandes.
A la fin du mois de mars 2023, des fissures ont affecté les bâtiments appartenant à la société La Cour de [B].
A la demande du maire de la commune, par requête en date du 24 mars 2023, le tribunal administratif de Marseille a désigné un expert judiciaire pour déterminer les mesures provisoires et immédiates nécessaires pour mettre fin au danger imminent lié à l'état des bâtiments.
L'expert, M. [I], désigné par le juge administratif s'est rendu sur les lieux le 3 avril 2023. Il a constaté d'importantes fissures au niveau des murs et sols des bâtiments appartenant à la société La Cour de [B]. Il a estimé que l'immeuble présentait un danger manifeste et imminent pour la sécurité du public en raison d'un déséquilibre des voûtes en pierre et léger tassement du mur Nord. Il a également relevé une décompression des sols en raison d'un niveau des terres qui a été descendu à 0,80 mètres au-dessous du niveau de la rue. Il a préconisé l'évacuation de l'immeuble n° [Adresse 4] et [Adresse 5], la condamnation de la [Adresse 7] située au droit du n° [Adresse 4] et [Adresse 5], la neutralisation de la zone de chantier située au droit de ce mur Nord et la mise en place d'étais de butée au droit des deux voûtes en pierres.
Un arrêté de mise en sécurité a été pris le 4 avril 2023 par le maire de la commune dans l'attente de la réalisation des travaux préconisés par l'expert judiciaire.
Se prévalant de l'aggravation des nuisances et désordres causés par le chantier, la société La Cour de [B] et M. [B] ont assigné, une deuxième fois, la société Les Méliès, par acte d'huissier en date du 4 avril 2023, et la société Unique Holidays France, par acte d'huissier en date du 11 avril 2023, devant le juge des référés du tribunal judicaire d'Aix-en-Provence, afin notamment d'obtenir une expertise judiciaire et des provisions à valoir sur la réparation de leurs préjudices.
Par ordonnance en date du 27 juin 2023, ce magistrat a :
- ordonné une expertise judiciaire aux frais avancés de la société La Cour de [B] et M. [B] en désignant M. [O] [V], en qualité d'expert judiciaire, avec pour mission notamment de :
* fournir tous éléments techniques et de fait relatifs à l'implantation des immeubles en cours de construction, à leur orientation, aux distances laissées les séparant de l'immeuble de la société La Cour de [B], aux vues créées sur ce dernier, aux éventuelles pertes d'ensoleillement, de luminosité, de clarté et de vue ;
* dire si les ouvertures et les terrasses créées sont conformes aux prescriptions techniques des articles 676 et 678 du code civil ;
* dire si les lieux, objets du litige, sont affectés de désordres tels que visés dans l'assignation, les dernières conclusions et les justificatifs visés, notamment les fissures ;
* en préciser le siège, indiquer la date de leur apparition et en déterminer l'origine et la cause ;
* indiquer les conséquences de ces désordres quant à la soliditeé, l'habitabilité, l'esthétique des ouvrages et, plus généralement, quant à l'usage qui peut en être attendu ou quant à la conformité à sa destination ;
* décrire les travaux entrepris par la société Les Méliès pour remédier aux désordres et pour obtenir la mainlevée de l'arrêté de péril ;
* fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre à la juridiction éventuellementsaisie de déterminer Ies responsabilités encourues et d'évaluer, s'il y a lieu, les préjudices subis ;
* indiquer et évaluer les travaux éventuellement nécessaires à mettre un terme aux désordres occasionnés, en chiffrer le coût à l'aide de devis fournis par les parties, à défaut proposer une estimation, et en déterminer la durée prévisible ;
* renseigner le tribunal sur les éléments constituant les préjudices qui pourront être allégués par les demandeurs, notamment les prejudices économiques, de jouissance, la perte de valeur du bien ;
* plus généralement répondre à toute question et tous dires des parties après leur avoir adressé un pré-rapport comportant la détermination et l'évaluation du coût des travaux à realiser et leur avoir imparti un delai, qui ne pourra être inférieur à un mois, pour présenter leurs dires ;
- condamné la société Les Méliès à régler :
* à la SCI La Cour de [B], la somme de 25 000 € à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices matériels, économiques et de jouissance ;
* à M. [K]-[B] la somme de 25 000 € à valoir sur l'indemnisation de ses prejudices matériels, économiques et de jouissance ;
- dispensé la société Unique Holidays France du paiement de ses loyers dus à la SCI La Cour de [B] à compter du 1er mai 2023 en application de l'article L 521-2 I du code de la construction et d'habitation ;
- condamné la société Les Méliès au règlement de la somme de 4 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile à la SCI La Cour de [B] ;
- condamné la société Les Méliès aux dépens, à l'exception de l'avance des frais de l'expertise judiciaire ordonnée mis à la charge des demandeurs, sauf décision ultérieure du juge du fond.
Il a estimé que l'expertise judiciaire se justifiait par un motif légitime au regard, d'une part, des désordres affectant les biens appartenant à la société La Cour de [B], et notamment les fissures et traces d'infiltrations, provenant des travaux entrepris par la société Les Méliès sur sa propriété voisine et, d'autre part, des nuisances sonores et de vue causées par lesdits travaux.
Par ailleurs, il a considéré que ces travaux étaient à l'origine de préjudices matériels, économiques et de jouissance non sérieusement contestables causés à la société La Cour de [B] et à M. [K]-[B] dès lors que les fissures compromettaient la solidité de l'ouvrage, de sorte que l'occupation des lieux était interdite. Enfin, il a dispensé la société Unique Holidays France du paiement de ses loyers et accessoires à compter du 1er mai 2023 en application de l'article L 521-2 I du code de la construction et de l'habitation.
Suivant déclaration transmise au greffe le 17 juillet 2023, la société Les Méliès a interjeté appel de cette décision en toutes ses dispositions dûment reprises.
Aux termes de ses écritures transmises le 26 mars 2024, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des prétentions et moyens, elle sollicite de la cour qu'elle :
à titre liminaire,
- prononce le rejet des notifications tardives des 18 et 19 mars 2024 des intimés ;
- à défaut, révoque l'ordonnance de clôture rendue le 26 mars 2024 afin d'admettre ses écritures transmises le 26 mars 2024 ;
- lui donne acte de ses plus expresses protestations et réserves relatives à la désignation de l'expert judiciaire sollicitée ;
à titre principal,
- infirme partiellement l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :
* l'a condamnée à verser une provision de 25 000 euros à la société La Cour de [B] ;
* l'a condamnée à verser une provision de 25 000 euros à M. [B] ;
* dispensé la société Unique Holidays France du paiement des loyers et de ses accessoires à compter du 1er mai 2023 ;
* l'a condamnée au paiement de la somme de 4 500 euros au titre des frais irrépétibles ;
- statuant à nouveau ;
- déboute la société La Cour de [B] et M. [K]- [B] de leurs demandes de provisions initiales et complémentaires ;
- juge que la dispense de règlement des loyers dus par la société Unique Holidays France à la société La Cour de [B] à compter du 1er mai 2023 cessera à compter du premier jour du mois suivant le constat de la réalisation des mesures prescrites pour lever le péril ;
à titre subsidiaire,
- ramène à de plus justes proportions le montant des provisions sollicitées, à savoir 15 190 euros pour la société La Cour de [B] et 10 272 euros pour M. [K]-[B] ;
en tout état de cause,
- déboute les intimés de leurs demandes relatives aux frais irrépétibles et dépens ;
- condamne in solidum la société La Cour de [B] et M. [K]-[B] à verser à la société Les Méliès la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens avec distraction au profit de Me Agnès Ermeuneux, avocat aux offres de droit.
Concernant le rejet des dernières écritures transmises les 18 et 19 mars 2024, soit 5 jours ouvrables avant le prononcé de l'ordonnance de clôture, elle expose que les parties ont été informées, depuis le 6 septembre 2023, de ce que l'ordonnance de clôture serait rendue le 26 mars 2024, ce qui n'a pas empêché les intimés de reconclure tardivement en la mettant dans l'impossibilité d'y répondre avant la clôture, et ce, en méconnaissance du principe du contradictoire.
Concernant la mission de l'expertise, elle explique abandonner son appel formé de ce chef au motif que l'expert a débuté ses opérations d'expertise au contradictoire des parties mises en cause par les riverains mais également d'autres parties qu'elle a elle-même mises en causes, à savoir les constructeurs qui sont intervenus à l'occasion de l'opération, la communauté de communes de la Vallée des Baux-Alpilles en sa qualité de gestionnaire des réseaux d'eau fuyards situés à proximité, la Socotec et la mairie en tant que dépositaire du pouvoir de lever le péril. Elle indique, qu'alors même qu'elle a réalisé l'ensemble des travaux de nature à remédier aux fissures, la mairie attend, avant d'ordonner la mainlevée de l'arrêté de péril, que des travaux de confortement soient réalisés dans l'immeuble voisin, ce qu'elle ne peut faire faute pour les riverains de la laisser pénétrer dans leur propriété afin de pallier leur carence dans l'établissement de devis. Par ailleurs, elle souligne que la réhabilitation de l'ensemble immobilier s'est poursuivie, de sorte que l'expert est désormais en mesure de donner son avis sur la réalité et l'ampleur des désordres allégués. Elle n'entend donc plus discuter la mission de l'expert.
Concernant les provisions sollicitées, elle affirme, à titre principal, que les préjudices allégués se heurtent à des contestations sérieuses dès lors que l'expertise judiciaire qui a été ordonnée vise à établir leur existence et, le cas échéant, à déterminer le responsable des désordres, que les intimés n'apportent pas la preuve de liens contractuels les unissant, qu'ils se contentent de solliciter des indemnités évaluées forfaitairement et que les préjudices allégués sont hypothètiques et injustifiés.
Elle insiste sur le fait que les préjudices allégués cesseront dès la levée de l'arrêté de péril. Elle relève que la société La Cour de [B] fait état d'une perte de loyers concernant la société Unique Holidays France allant jusqu'au 30 septembre 2024, que M. [K]-[B] se prévaut d'annulations de réservations sans aucune preuve objectivement vérifiable, qu'il ne justifie que moins de 3 000 euros de dépenses en lien avec son déménagement et que l'anormalité des nuisances alléguées, qui aurait privé M. [K]-[B] de poursuivre l'exercice de son activité sur les lieux, n'est pas démontrée, sachant qu'il est admis que les nuisances causées par les chantiers en milieu urbain dense doivent être considérées comme n'étant pas anormales.
Elle souligne que les intimés n'ont transmis à l'expert aucun élément de nature à justifier leurs préjudices matériels et immatériels, de sorte que les sommes sollicitées en réparation de leurs prétendus préjudices sont injustifiées. Elle insiste sur le fait que les sommes sollicitées, initiales et complémentaires, sont déconnectées de la réalité et incohérentes. Elle fait observer que la société La Cour de [B] sollicite une provision de 47 000 euros alors qu'elle évalue ses préjudices à 35 360 euros tandis que M. [K]-[B] demande une provision additionnelle de 15 000 euros alors qu'il évalue ses préjudices à 55 000 euros. Par ailleurs, elle relève que sa responsabilité dans le trouble anormal de voisinage subi par les riverains n'est pas démontrée. Elle insiste sur le fait que les intimés n'entreprennent pas les travaux de confortement nécessaires à la mainlevée totale de l'arrêté de mise en sécurité, et ce, alors même qu'ils sont en mesure de le faire depuis les constatations faites par l'expert le 17 octobre 2023. Elle relève qu'ils n'ont fait dresser aucun devis en ce sens. Elle estime donc que les préjudices allégués résultent du laxisme des riverains eux-mêmes.
A titre subsidiaire, elle discute poste par poste les préjudices allégués. S'agissant de la perte de loyers de la société La Cour de [B] relative au local pris à bail par M. [K]-[B], elle indique n'être en rien responsable de la réduction de loyer qui a été octroyée à ce dernier entre les mois d'octobre 2022 et avril 2023, dès lors que l'anormalité des nuisances alléguées, qui aurait privé M. [K]-[B] de poursuivre normalement l'exercice de son activité sur les lieux, n'est pas démontrée, sachant qu'il est admis que les nuisances causées par les chantiers en milieu urbain dense doivent être considérées comme n'étant pas anormales. Elle relève que M. [K]-[B], qui n'est autre que le gérant de la société La Cour de [B], ne s'est jamais plaint de la moindre nuisance auprès des acteurs du chantier, pas plus qu'à l'expert judiciaire. Elle indique que, si M. [K]-[B], ne pouvait plus occuper les lieux à compter du 1er avril 2023, elle ne peut être tenue que d'une perte locative allant jusqu'au mois d'octobre 2023, soit 7 mois de loyers correspondant à 8 050 euros, faute pour les intimés de réaliser les travaux de confortement leur incombant nécessaires à la mainlevée de l'arrêté de mise en sécurité. S'agissant de la perte totale de loyers de la société La Cour de [B] relative au local pris à bail par la société Unique Holidays France, elle expose qu'il n'est pas possible de calculer cette perte jusqu'au 30 septembre 2024, date d'expiration du bail, dès lors que l'arrêté de péril peut être levé d'ici-là, et que, pour les mêmes raisons que celles exposées ci-dessus, elle ne peut être tenue responsable de la perte locative subie au-delà du 17 octobre 2023, de sorte que le préjudice subi ne peut excéder 7 mois de loyers correspondant à 7 140 euros. S'agissant des préjudices allégués par M. [K]-[B], elle relève qu'il justifie n'avoir dépensé que 2 809 euros dans le cadre de son déménagement et se prévaut d'annulations de réservations sans aucune preuve objectivement vérifiable. Dans tous les cas, elle estime n'être en rien responsable des pertes locatives qui auraient été subies postérieurement au 17 octobre 2023, ce qui ramène le montant de ce préjudice à la somme de 7 463,75 euros (soit 12 795 euros de bénéfices annuels X 7 mois). Enfin, elle indique qu'il n'est pas fondé à solliciter le remboursement du devis de maîtrise d'oeuvre de 10 080 euros pour la réalisation des travaux de reprise dès lors que ce devis n'a pas été soumis à l'expert judiciaire, que la somme n'a pas été réglée et que le responsable des désordres n'a pas encore été déterminé.
Concernant la suspension du paiement des loyers et accessoires, elle considère que les dispositions de l'article L 521-2 I du code de la construction et de l'habitation ne peuvent s'appliquer que jusqu'au constat de la réalisation des mesures prescrites.
Aux termes de ses écritures transmises le 27 mars 2024, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des prétentions et moyens, la société La Cour de [B] et M. [K]-[B] demandent à la cour de :
- prononcer la révocation de l'ordonnance de clôture rendue le 26 mars 2024 ;
- confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
- compléter la décision dont appel s'agissant du montant des provisions qui leur ont été allouées par le premier juge compte tenu des préjudices subis depuis l'ordonnance entreprise ;
- condamner l'appelante à verser à la soicété La Cour de [B] une provision complémentaire de 22 000 euros à valoir sur le préjudice subi depuis que l'ordonnance entreprise a été rendue ;
- condamner l'appelante à verser à M. [K]-[B] une provision complémentaire de 15 000 euros à valoir sur le préjudice subi depuis que l'ordonnance entreprise a été rendue ;
- déclarer irrecevable la demande de modification de la mission confiée à l'expert judiciaire sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile ;
- rejeter l'ensemble des demandes formées par la société Les Méliès ;
- condamner la société Les Méliès à la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Concernant le rejet de ses écritures et pièces transmises le 18 mars 2024, ils exposent qu'elles n'ont pour objet que d'actualiser leurs demandes provisionnelles au regard de l'avancée des opérations d'expertise et du délai qui s'est écoulé depuis que l'appel a été interjeté, outre le fait que l'appelante y a répliqué, dans ses dernières écritures, tout en développant de nouveaux arguments, auxquels ils doivent répondre. Ils demandent donc la révocation de l'ordonnance de clôture pour accueillir les dernières écritures de chaque partie.
Concernant l'expertise, ils indiquent que les pièces de la procédure démontrent que les désordres affectant les biens appartenant à la société La Cour de [B] résultent de l'exécution du chantier entrepris par l'appelante, ce qui leur cause des préjudices locatifs et professionnels. Ils font également valoir que le projet de construction, qui va culminer à près de 16 mètres, comporte des terrasses tropéziennes, deux piscines et des ouvertures qui vont donner directement sur la propriété de la société La Cour de [B], et ce, en violation des articles 676 et 678 du code civil et du principe selon lequel nul ne doit causer de troubles anormaux de voisinage. Ils estiment que le fait pour l'appelante de contester une partie de la mission de l'expert constitue une prétention nouvelle irrecevable en application de l'article 564 du code de procédure civile. En tout état de cause, ils relèvent que les nuisances subies peuvent très bien être examinées par un expert judiciaire au moyen de logiciels qui permettent de se prononcer sur l'impact du projet de construction en termes d'ensoleillement et de clarté et d'études qui permettant de comparer la configuration des lieux avant et après les travaux entrepris. Ils soulignent que l'état d'avancement de la construction est tel que certaines fenêtres violent, à l'évidence, les dispositions des articles 676 et suivants du code civil. Ils font observer que le premier compte-rendu établi par M. [V] démontre que sa désignation est justifiée, l'expert ayant clairement indiqué que le chef de la mission contesté ne lui posait aucun problème, étant donné qu'il pouvait, à partir des plans à l'échelle, donner un avis sur les préjudices subis et que, lors de la visite, il a été constaté que certaines fenêtres avaient été posées en violation manifeste des dispositions du code civil. Ils relèvent que l'heure n'est pas à l'évaluation de leurs préjudices déifinitifs mais bien de mettre un terme aux désordres subis. Ils soulignent, qu'il résulte de la note diffusée aux parties par l'expert, que la société La Cour de [B] a missionné le bureau d'études Axiolis d'une maîtrise d'oeuvre pour la reprise des désordres moyennant la somme de 8 400 euros hors taxes, qui doit être incluse dans les provisions sollicitées. Dans tous les cas, ils relèvent que l'appelante reconnaît, désormais, que l'expertise sollicitée était justifiée.
Concernant les provisions sollicitées, ils indiquent que tous les occupants ont dû quitter les lieux et que les biens ne peuvent plus être loués. Ils insistent sur l'aggravation des désordres, faisant valoir que la commune a maintenu, le 8 août 2023, son arrêté de péril. Ils indiquent que la levée de l'arrêté permettra seulement de faire intervenir un bureau d'études qui, en accord avec l'expert judiciaire, proposera des solutions de reprise pour remédier aux désordres subis. Au titre du préjudice locatif, ils font valoir que la société La Cour de [B] a conclu avec M. [K]-[B] un bail professionnel moyennant un loyer de 1 150 euros par mois, lequel a été réduit à la somme de 650 euros à compter du mois d'octobre 2022, avant que tout paiement soit suspendu à compter du mois d'avril 2023. Ils évaluent la perte locative à 17 000 euros. Ils relèvent que la société La Cour de [B] a conclu un bail commercial de courte durée avec la société Unique Holidays France, allant jusqu'au 30 septembre 2024, moyennant un loyer mensuel de 1 020 euros. Ils évaluent la perte locative à 18 360 euros, sachant qu'elle a été dispensée de règler ses loyers et accessoires. Ils soulignent que M. [K]-[B] n'a pas pu bénéficier de locations saisonnières, et ce, alors même que ses revenus locatifs s'élevaient, les autres années, à environ 15 000 euros. Ils évaluent la perte locative subie en 2023 et 2024 à 30 000 euros. Au titre du préjudice économique, ils exposent que M. [K]-[B] a dû déménager son cabinet d'avocat à deux reprises, les 1er octobre 2022 et 1er mai 2023, ce qui a engendré des frais, et notamment le paiement de loyer. Ils évaluent ces frais à 10 000 euros. Ils font également état des frais de maîtrise d'oeuvre confiée au bureau d'études Axiolis pour un montant de 10 800 euros toutes taxes comprises. En réplique aux dernières écritures, ils exposent qu'il n'est pas possible de déterminer l'ampleur de leurs préjudices tant que les travaux de reprise n'auront pas été réalisés mais qu'ils sont fondés, d'ores et déjà, à solliciter des provisions à valoir sur la réparation de leurs préjudices, lesquelles sont nécessairement évaluées de manière forfaitaire. Ils insistent sur le fait apporter la preuve de la gravité des désordres et, dès lors, de l'importance des préjudices subis. Ils relèvent, qu'outre le fait que l'appelante doit assumer toutes les conséquences des désordres causés, ils ne peuvent procéder aux travaux de reprise dans leurs locaux avant le nouvel accedit de l'expert judiciaire.
Aux termes de ses écritures transmises le 2 novembre 2023, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des prétentions et moyens, la société Unique Holidays France demande à la cour de :
- confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
- débouter l'appelante de ses demandes ;
- la condamner à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Elle expose avoir loué à la société La Cour de [B] l'un de ses bâtiments, suivant acte sous seing privé en date du 1er octobre 2021, pour une durée de trois ans, afin d'exercer son activité commerciale de location. Elle indique que les travaux entrepris par l'appelante ont causé d'importantes fissurations dans le local commercial pris à bail, à la suite de quoi un arrêté de mise en sécurité sera pris le 4 avril 2023 prescrivant des travaux par étaiement et la condamnation d'une partie de la [Adresse 7] ainsi qu'une neutralisation dela zone de chantier située aux droits du mur Nord. Elle indique être fondée à se prévaloir des dispositions de l'article L 521-2 I du code de la construction et de l'habitation.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 26 mars 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire, il convient de relever que l'appelante abandonne, dans ses dernières écritures, son appel formé, dans sa déclaration d'appel, à l'encontre de l'étendue de la mission confiée à l'expert judiciaire par le premier juge, de sorte que la cour ne peut que confirmer l'ordonnance entreprise de ce chef, et ce, sans avoir à répondre aux prétentions et moyens soutenus par les parties sur ce point. Il en est ainsi de la demande de la société La Cour de [B] et de M. [K]-[B], qui a été maintenue dans le dispositif de leurs dernières écritures, de déclarer irrecevable la demande de modification de la mission confiée à l'expert comme étant nouvelle en appel.
Sur le rabat de la clôture
Il résulte de l'article 802 du code de procédure civile, qu'après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office : sont cependant recevables les demandes en intervention volontaire, les conclusions relatives aux loyers, arrérages, intérêts et accessoires échus, aux débours faits jusqu'à l'ouverture des débats, si leur décompte ne peut faire l'objet d'aucune contestation sérieuse, ainsi que les demandes en révocation de l'ordonnance de clôture.
L'article 803 du code de procédure civile dispose que l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue. Elle peut être révoquée, d'office ou à la demande des parties, soit par ordonnance motivée du juge de la mise en état, soit, après l'ouverture des débats sur décision du tribunal.
Par ailleurs, l'article 15 du code de procédure civile énonce que les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacun soit à même d'organiser sa défense.
Enfin, aux termes de l'article 16 du même code, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.
Il est admis que le juge dispose d'un pouvoir souverain pour apprécier si des conclusions et/ou des pièces ont été déposées en temps utile. Ainsi, s'il estime qu'elles ont été déposées peu de temps avant le moment prévu pour l'ordonnance de clôture, il doit veiller au respect des droits de la défense et, éventuellement, les écarter des débats en caractérisant les circonstances particulières qui l'ont conduit à se prononcer en ce sens.
En outre, par application des dispositions de ce texte, doivent également être considérées comme tardives les conclusions déposées le jour ou la veille de la clôture de la procédure dont la date a été communiquée à l'avance.
En l'espèce, après avoir échangé des écritures les 2 et 3 novembre 2023, pour les intimés, et le 1er décembre 2023, pour l'appelante, la société La Cour de [B] et M. [K]-[B] ont reconclu le 18 mars 2024 en communiquant des nouvelles pièces (60 à 62). Cela a conduit l'appelante à y répliquer, par conclusions transmises le 26 mars 2024, auxquelles ont été annexées de nouvelles pièces (50 à 72). La société La Cour de [B] et M. [K]-[B] ont conclu en dernier, le 27 mars 2024, en y annexant une nouvelle pièce (63).
Il s'avère que les dernières conclusions transmises le 26 mars 2024 par l'appelante et le 27 mars suivant par la société La Cour de [B] et M. [K]-[B] sont postérieures à l'ordonnance de clôture qui a été prononcée le 26 mars 2024.
Même si l'appelante sollicite, dans ses écritures, à titre principal, le rejet des écritures transmises le 18 mars 2024 par la société La Cour de [B] et M. [K]-[B], et, à titre subsidiaire, la révocation de l'ordonnance de clôture pour accueillir ses dernières écritures, les avocats ne se sont pas opposés, à l'audience, à la révocation de l'ordonnance de clôture sollicitée par l'appelante afin d'admettre les derniers jeux des conclusions.
La cour a donc, de l'accord général, révoqué ladite ordonnance puis clôturé à nouveau l'instruction de l'affaire, celle-ci étant en état d'être jugée.
Sur les demandes de provisions
Par application de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
Il appartient au demandeur d'établir l'existence de l'obligation qui fonde sa demande de provision tant en son principe qu'en son montant et la condamnation provisionnelle, que peut prononcer le juge des référés sans excéder ses pouvoirs, n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.
Une contestation sérieuse survient lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point.
C'est au moment où la cour statue qu'elle doit apprécier l'existence d'une contestation sérieuse, le litige n'étant pas figé par les positions initiale ou antérieures des parties dans l'articulation de ce moyen.
Il est de principe que 'nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage'.
Le trouble anormal de voisinage étant indépendant de la notion de faute, le juge doit en toute hypothèse rechercher si le trouble allégué dépasse les inconvénients normaux du voisinage, que son auteur ait ou pas enfreint la réglementation applicable à son activité. Cette appréciation s'exerce concrètement notamment selon les circonstances de temps (nuit et jour) et de lieu (milieu rural ou citadin, zone résidentielle ou industrielle). L'anormalité du trouble de voisinage s'apprécie en fonction des circonstances locales, doit revêtir une gravité certaine et être établie par celui qui s'en prévaut.
L'auteur du trouble anormal de voisinage, qui voit sa responsabilité engagée, peut être condamné à réparer les préjudices subis par son voisin.
En l'espèce, il ressort des pièces de la procédure que l'opération de démolition et construction entreprise par la société Les Méliès, maître de l'ouvrage, est à l'origine de dommages causés au fonds voisin appartenant à la société La Cour de [B].
Il est aquis que, lors des opérations d'affouillement entreprises sur le chantier, le 23 mars 2023, le phénomène de décompression du sol, qui s'est produit, a entraîné un tassement sous le mur mitoyen avec apparition de lézardes sur ce dernier et sur la voute de l'immeuble voisin. M. [I], expert désigné par le tribunal administratif de Marseille, à la demande du maire de la commune, par décision du 28 mars 2023, a notamment préconisé, dans son rapport daté du 4 avril 2023, l'évacuation des immeubles concernés, la mise en place d'un étaiement de butée dans un délai 24 à 48 heures au droit des deux voûtes en pierre de l'immeuble du fonds voisin et l'avis d'un géotechnicien et d'un bureau d'études pour définir la reprise et/ou le confortement des fondations des deux immeubles mitoyens à réaliser selon les niveaux d'assises et la nature du sol ainsi que les dispositions à prendre pour assurer leur blocage. Un arrêté de mise en sécurité sera pris par le maire de la commune dans l'attente de la réalisation des travaux conservatoires. La société Les Méliès a procédé à des travaux entre le 24 mars et le 18 avril 2023, et notamment à la reprise par passe des fondations mitoyennes, la mise en place de butons inclinés fixés sur les micropieux du projet, l'étaiement de la voûte située au rez-de-chaussée de l'immeuble voisin, l'installation de jauges Saugnac pour contrôler les fissures et au remblaiement et compactage de la plateforme. Il reste que le maire de la commune va prendre, le 9 juin 2023, un nouvel arrêté aux termes duquel il ordonne la mainlevée de la [Adresse 7] mais maintient l'interdiction temporaire à l'accès des deux immeubles litigieux au motif que la stabilisation réalisée ne garantit pas suffisamment la sécurité de leurs occupants. Cette mesure a été prise en dépit de la note dressée, le 2 juin 2023, par le bureau d'études Beccamel, mandaté par la mairie, dans laquelle il constate un arrêt de l'évolution des fissures et une stabilisation des immeubles suite aux travaux de reprise en sous-oeuvre, de butonnage et d'étaiement réalisés par la société Les Méliès. M. [I] estime également, dans un rapport en date du 23 juillet 2023, qu'il y a lieu de maintenir l'arrêté de péril du 9 juin 2023 au vu des désordres et des mesures mises en oeuvre qui ne sont pas celles prévues par le bureau d'études structure de l'opération et ne permettent pas d'assurer un blocage pérenne des immeubles.
M. [V], expert désigné par le premier juge, relève, dans son compte-rendu dressé suite à un accédit, en date du 17 octobre 2023, qu'alors même que les travaux entrepris par la société Les Méliès sont au stade gros-oeuvre du plancher haut du R +3, les façades du bâtiment voisin, comportant un rez-de-chaussée et un étage, appartenant à la société La Cour de [B], donnant sur la rue et la cour, présentent de multiples fissures d'allure verticale. Des fissures sont également relevées sur les murs des bureaux situés à l'étage d'allure principalement verticale ainsi que sur ceux du logement. L'expert constate, dans la partie logement, des morceaux d'enduits jonchant le sol. Il observe des fissures au niveau de la voûte du local situé au rez-de-chaussée et le soulèvement des carreaux du sol. En se rendant sur le chantier, l'expert relève la présence de renforts métalliques et des butons au droit des bâtis anciens existants ainsi que des plaques en tréflon de 40 mm au droit des planchers du projet et sur le mur mitoyen. Il souligne que les bâtiments, qui ont été démolis par la société Les Méliès, étaient mitoyens avec l'immeuble appartenant à la société La Cour de [B] et que la nouvelle construction est surélevée par rapport à l'immeuble voisin en gardant la même emprise au sol.
Dans un courriel, en date du 24 janvier 2024, la mairie relève que, même si les mesures qui ont été prises permettent de garantir la non-évolution des désordres et la stabilisation pérenne du bâtiment mitoyen au chantier, la présence d'étais est toujours source d'insécurité pour les occupants et affecte sa destination. Elle envisage de transformer l'arrêté de péril imminent en un arrêté de péril ordinaire, à la condition de réaliser les travaux qui seront préconisés par l'expert judiciaire à l'intérieur du bâtiment mitoyen.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les travaux de démolition et construction entrepris par la société Les Méliès sont à l'origine de désordres dommageables excédant les inconvénients normaux de voisinage dès lors que les biens appartenant à la société La Cour de [B], fonds voisin, ne peuvent plus être occupés depuis le 4 avril 2023 pour des raisons de sécurité.
Or, la responsabilité de plein droit de la société Les Méliès, maître de l'ouvrage, fondée sur la théorie des inconvénients excessifs de voisinage, ne se heurte à aucune contestation sérieuse.
En effet, si la société Les Méliès soutient que l'expertise judiciaire a vocation à déterminer les responsabilités des différents intervenants sur le chantier à l'origine des désordres frappant le fonds voisin, il n'en demeure pas moins que les éventuelles fautes commises par ces derniers ne sauraient exonérer le maître de l'ouvrage de sa responsabilité à l'égard de ses voisins. Celui-ci doit assumer la charge de la réparation des préjudices occasionnés par les désordres causés, et en particulier les multiples fissures, à ses voisins du fait de l'opération de construction effectuée sur son fonds, et ce, indépendamment de toute faute et peu important que les travaux ont été effectués par des tiers. Il lui appartiendra d'exercer, le cas échéant, une action subrogatoire contre les entrepreneurs responsables, selon lui, des troubles occassionnés au voisinage du fait de l'opération de construction.
De plus, la société Les Méliès se prévaut de la persistance d'un trouble anormal de voisinage en raison du refus de son voisin de procéder, au sein même de sa propriété, aux travaux de reprise. Si l'expert judiciaire relève effectivement qu'aucun travaux n'a été mis en oeuvre, lors de son accédit du 17 octobre 2023, dans les locaux de la société La Cour de [B], il indique que cette dernière a missionné, le 20 décembre 2023, le bureau d'études Axiolis pour une mission de maîtrise d'oeuvre moyennant un coût de 8 400 euros hors taxes et 10 080 euros toutes taxes comprises. L'expert souligne que la désignation d'un maître d'oeuvre est utile et nécessaire à la poursuite des opérations et que la mission confiée au bureau d'études Axiolis, comprenant les phases de diagnostic, conception de confortement, DCE et ACT, permettra d'avoir un avis technique sur l'état du bâti de la société de La Cour de [B] et de déterminer et, le cas échéant, définir l'éventuelle solution de confortement. L'expert demande à cette société de diffuser les compte-rendus de chaque phase dans le cadre de ses opérations d'expertise afin que les parties puissent formuler leurs éventuelles observations. Il indique (en page 41) qu'un nouvel accédit sera organisé afin de faire constater les désordres allégués et que, dans cette attente, aucune intervention de reprise ne devra être engagée dans les locaux de la société La Cour de [B]. Dans ces conditions, la société Les Méliès ne peut sérieusement opposer à la société La Cour de [B] une résistance abusive dans la mise en oeuvre de travaux de reprise, lesquels n'ont pas encore été définis et ne peuvent, dans tous les cas, être réalisés tant que l'expert ne les aura pas validés.
Les moyens de défense opposés par l'appelante n'étant pas des contestations sérieuses à son obligation de réparer les préjudices subis par les intimés, ces derniers sont fondés à solliciter la réparation, à titre provisionnel, de leurs préjudices.
Il est acquis que la société La Cour de [B] loue son immeuble, pour partie, à la société Unique Holidays France, suivant un bail commercial de courte durée allant du 1er octobre 2021 au 30 septembre 2024, afin d'y effectuer de la location saisonnière, et, pour partie, à M [B], suivant un bail professionnel, afin d'y exercer son activité d'avocat.
La société La Cour de [B] se prévaut de pertes de loyers résultant de l'inhabitabilité de ses locaux et d'une perte financière consécutive aux frais engagés dans le cadre de la maîtrise d'oeuvre qu'elle a sollicitée pour remettre en état son immeuble.
Dès lors que les locaux ne peuvent être occupés depuis le mois d'avril 2023, la perte de loyers ne se heurte à aucune contestation sérieuse. Son montant non sérieusement contestable s'établit de la manière suivante :
- perte totale des loyers échus de M. [K]-[B] d'avril 2023 à avril 2024 : 1 150 euros X 12 mois = 13 800 euros ;
- perte totale des loyers échus de la société Unique Holidays France d'avril 2023 à avril 2024 : 1 020 euros X 12 mois = 12 240 euros ;
soit un total de 24 480 euros.
Par opposition, la perte totale des loyers à écheoir de la société Unique Holidays France alléguée par la société La Cour de [B], allant de mai à septembre 2024, se heurte à une contestation sérieuse. Si le bail consenti à cette société arrive à expiration le 30 septembre 2024, il n'en demeure pas moins que la suspension du paiement des loyers dont elle bénéficie en application de l'article L 521-2 I du code de la construction et de l'habitation cessera à compter du premier jour du mois suivant la mainlevée de l'arrêté de péril. Il s'ensuit que la perte des loyers restant à écheoir, qui reste hypothétique, n'est pas établie avec l'évidence requise en référé.
De même, si la société La Cour de [B] soutient avoir réduit le montant du loyer dû par M. [K]-[B] entre les mois d'octobre 2022 et mars 2023 en raison des troubles occassionnés par les travaux entrepris par la société Les Méliès, il résulte de ce qui précède que les troubles ayant justifié l'intervention de la mairie à la présente procédure, à savoir les fissures affectant l'immeuble, ne sont apparus qu'à la fin du mois de mars 2023. Si la société La Cour de [B] et M. [K]-[B] ont, par acte d'huissier en date du 17 juin 2022, dénoncé d'autres désordres, et en l'occurrence des bruits de marteaux piqueurs, des chutes de gravats et de la poussière, leurs demandes tendant à la suspension des travaux et la mise en oeuvre d'une expertise judiciaire ont été rejetés par ordonnance du juge des référés en date du 24 juin 2022. En outre, si postérieurement à cette décision définitive, M. [K]-[B] s'est plaint, à nouveau, de désordres, aux termes d'un courrier adressé au mairie de la commune le 15 décembre 2022, dans lequel il indique que les travaux réalisés par la société Les Méliès qui consistent à détruire un immeuble provoquent un tel fracas sonore et des vibrations si intenses qu'il est impossible de vivre ou travailler dans son voisinage, aucune suite n'apparaît avoir été donnée à ce courrier. Enfin, alors même qu'il est admis que les nuisances causées par un chantier en milieu urbain ne peuvent être considérées, en soi, comme anormales, la société La Cour de [B] échoue à rapporter la preuve, avec l'évidence requise en référé, de la réalité de troubles anormaux de voisinage entre les mois d'octobre 2022 et mars 2023 à l'origine d'un préjudice de jouissance pour M. [K]-[B] justifiant de réduire le montant du loyer.
En revanche, outre les pertes totales de loyers subies par la société La Cour de [B] entre les mois d'avril 2023 et avril 2024, qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse, elle justifie avoir pris en charge le coût de la maîtrise d'oeuvre dressée par le bureau d'études Axiolis afin de reprendre les désordres moyennant un coût de 8 400 euros hors taxes et 10 080 euros toutes taxes comprises. Dès lors que l'expert indique que cette désignation est nécessaire à la poursuite des opérations afin notamment d'avoir un avis technique sur l'état du bâti de la société de La Cour de [B] et de déterminer et, le cas échéant, définir l'éventuelle solution de confortement, il s'agit là d'une perte financière devant, de toute évidence, être prise en charge par la société Les Milies comme étant consécutive au trouble anormal de voisinage qu'elle a causé.
Il s'ensuit que le montant non sérieusement contestable de la provision à allouer à la société La Cour de [B] à valoir sur les pertes financières subies s'élève à 34 560 euros (24 480 euros +10 080 euros).
L'ordonnance entreprise sera donc infirmée en ce qu'elle a fixé cette provision à 25 000 euros. La société Les Méliès sera condamnée à verser à la société La Cour de [B] une provision de 34 560 euros sur les 47 000 euros réclamés (25 000 euros + 22 000 euros).
M. [K]-[B] se prévaut, quant à lui, de dommages matériels et de pertes financières.
Compte tenu de l'inhabitabilité des locaux, il justifie avoir déménagé ses bureaux dans d'autres locaux. Si les loyers consécutifs au déménagement effectué partiellement en octobre 2022 se heurtent à une contestation sérieuse, dès lors qu'il résulte de ce qui précède que les troubles à l'origine de l'évacuation des locaux sont survenus à la fin du mois de mars 2023, il en va différemment des frais engagés, à compter du mois d'octobre 2022, pour équiper les nouveaux bureaux. En effet, s'agissant de l'achat de meubles (218,97 euros + 771,09 euros) et de l'installation d'un réseau informatique (457,44 euros), nécessaires à la poursuite de l'activité de M. [K]-[B] à compter du mois d'avril 2023, ils sont consécutifs au trouble anormal de voisinage résultant de la présente procédure. Si les loyers consécutifs au déménagement effectué totalement en avril 2023 doivent être, à l'évidence, pris en charge par la société Les Méliès, il convient de relever que les intimés ne versent aux débats qu'une facture visant le loyer du mois de mai 2023 à hauteur de 1 092 euros. Aucune autre facture concernant des loyers réglés à compter du mois d'avril 2023 n'est versée aux débats. Il sera également tenu compte de la cotisation annuelle d'assurance réglée par M. [K]-[B] à hauteur de 707 euros pour garantir des locaux qu'il n'occupe plus ainsi que des frais engagés d'un montant de 144 euros pour souscrire un contrat de réexpédition du courrier. En revanche, les factures d'électricité produites, qui visent une période antérieure à l'évacuation des lieux (février et mars 2023), ne seront pas prises en compte. En considération de ces éléments, le montant non sérieusement contestable de la provision à valoir sur les dommages matériels subis par M. [K]-[B] s'établit à la somme de 3 350 euros.
En outre, afin de justifier la perte de locations saisonnières concernant le bien loué, une partie étant à usage de bureaux et l'autre partie à usage d'habitation, M. [K]-[B] verse aux débats un constat d'huissier en date du 17 avril 2023. En se rendant sur la plate forme Airbnb, sur le profil de M. [K]-[B], l'officier ministériel constate que les revenus locatifs tirés de cette location se sont élevés à 21 049 euros en 2016, 14 032 euros en 2017, 16 025 euros en 2018, 12 543 euros en 2019, 7 513 euros en 2021 et 15 550 euros en 2022. Il constate également que, pour les années 2023 et 2024, 11 réservations ont été faites entre le 13 juin 2023 et 31 mars 2024 pour un montant de 12 795,17 euros, lesquelles ont toutes été annulées. Il en est de même d'une réservation effectuée entre le 17 et 24 avril 2023 pour un montant de 809 euros. En outre, Mme [J] [N] atteste s'être rapprochée de M. [K]-[B] pour louer son bien du 20 au 28 août 2023 moyennant un prix de 1 400 euros mais que cette location a été annulée. Dans ces conditions, le montant non sérieusement contestable de la provision à valoir sur la perte financière subie par M. [K]-[B] s'établit à la somme de 15 000 euros.
Il s'ensuit que le montant non sérieusement contestable de la provision à allouer à M. [K]-[B] à valoir sur les dommages matériels et pertes financières subis s'élève à 18 350 euros (3 350 euros + 15 000 euros).
L'ordonnance entreprise sera donc infirmée en ce qu'elle a fixé cette provision à 25 000 euros. La société Les Méliès sera condamnée à verser à M. [K]-[B] une provision de 18 350 euros sur les 40 000 euros réclamés (25 000 euros + 15 000 euros).
Sur la suspension du paiement des loyers de la société Unique Holidays France
En application de l'article L 521-2 I du code de la construction et d'habitation, qui énonce que le loyer versé en contrepartie de l'occupation cesse d'être dû pour les locaux qui font l'objet d'un arrêté de mise en sécurité à compter du 1er jour du mois qui suit l'envoi de la notification de l'arrêté ou de son affichage à la mairie et sur la façade de l'immeuble jusqu'au 1er jour du mois qui suit l'envoi de la notification ou l'affichage de l'arrêté de mainlevée, il y a lieu d'ajouter à l'ordonnance entreprise en disant que le droit pour la société Unique Holidays France de suspendre le paiement de ses loyers et locaux à compter du 1er mai 2023 prendra fin à compter du 1er jour du mois qui suivra l'envoi de la notification ou l'affichage de l'arrêté de mainlevée.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Etant donné que la société Les Méliès succombe en ses demandes principales, il y a lieu de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle l'a condamnée aux dépens de première instance, excepté la provision à valoir sur les honoraires de l'expert, et à verser à la société La Cour de [B] la somme de 4 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dès lors que la société Les Méliès est redevable à l'égard de la société La Cour de [B] d'une provision supérieure à celle allouée par le premier juge, elle sera condamnée aux dépens de la procédure d'appel.
En outre, l'équité commande de la condamner à verser à la société La Cour de [B] la somme de 4 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel non compris dans les dépens et à la société Unique Holidays France celle de 1 500 euros sur le même fondement.
M. [K]-[B], à l'égard duquel la provision allouée par le premier juge a été réduite, sera débouté de sa demande formée sur le même fondement.
Il en est de même de la société Les Méliès, partie perdante.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Rappelle qu'à l'audience, avant l'ouverture des débats, la cour a révoqué l'ordonnance de clôture puis clôturé à nouveau l'instruction de l'affaire, celle-ci étant en état d'être jugée ;
Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne le montant des provisions allouées à la SCI La Cour de [B] et M. [C] [K]-[B] et sauf à préciser la date à laquelle l'autorisation donnée à la SASU Unique Holidays France de suspendre le paiement de ses loyers prendra fin ;
Statuant à nouveau et y ajoutant :
Condamne la SARL Les Méliès à verser à la SCI La Cour de [B] une provision de 34 560 euros à valoir sur les pertes financières subies ;
Condamne la SARL Les Méliès à verser à M. [C] [K]-[B] une provision de 18 350 euros à valoir sur les dommages matériels et pertes financières subis ;
Dit que la SASU Unique Holidays France sera dispensée à régler ses loyers et accessoires jusqu'au 1er jour du mois qui suivra l'envoi de la notification ou l'affichage de l'arrêté de mainlevée ;
Condamne la SARL Les Méliès à verser à la SCI La Cour de [B] la somme de 4 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel non compris dans les dépens ;
Condamne la SARL Les Méliès à verser à la SASU Unique Holidays France [B] la somme de 1 500 euros sur le même fondement ;
Déboute M. [C] [K]-[B] de sa demande formée sur le même fondement ;
Déboute la SARL Les Méliès de sa demande formée sur le même fondement ;
Condamne la SARL Les Méliès aux dépens de la procédure d'appel.
La greffière Le président