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30/05/2024 | FRANCE | N°22/13367

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-8a, 30 mai 2024, 22/13367


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8a



ARRÊT AU FOND ET DE SURSIS À STATUER

DU 30 MAI 2024



N°2024/ 120





Rôle N° RG 22/13367 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BKEG3







[B] [I]



C/



S.A.S. [11]



CPAM DES BOUHES DU RHONE



Syndicat [7]





























Copie exécutoire délivrée

le : 30/05/2024

à :



- Me Aude ADJEMI

AN



- CPAM



- S.A.S. [11]

















Décision déférée à la Cour :



Jugement du Pole social du Tribunal Judiciaire de Marseille en date du 07 Septembre 2022,enregistré au répertoire général sous le n° 19/02987.





APPELANTE



Madame [B] [I], demeurant [Adresse 2]



comparante en pe...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8a

ARRÊT AU FOND ET DE SURSIS À STATUER

DU 30 MAI 2024

N°2024/ 120

Rôle N° RG 22/13367 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BKEG3

[B] [I]

C/

S.A.S. [11]

CPAM DES BOUHES DU RHONE

Syndicat [7]

Copie exécutoire délivrée

le : 30/05/2024

à :

- Me Aude ADJEMIAN

- CPAM

- S.A.S. [11]

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Pole social du Tribunal Judiciaire de Marseille en date du 07 Septembre 2022,enregistré au répertoire général sous le n° 19/02987.

APPELANTE

Madame [B] [I], demeurant [Adresse 2]

comparante en personne, assistée de Me Aude ADJEMIAN, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEES

S.A.S. [11] prise en la personne de son représentant légal en exercice, Monsieur [O] [X], Président

Prise en son établissement de [Localité 9], SIRET [N° SIREN/SIRET 4], sis [Adresse 5], demeurant [Adresse 3]

non comparante

CPAM DES BOUHES DU RHONE, demeurant [Adresse 8]

non comparant, dispensée en application des dispositions de l'article 946 alinéa 2 du code de procédure civile d'être représentée à l'audience

PARTIE(S) INTERVENANTE(S)

Syndicat [7] Pris en la personne de son Secrétaire Général en exercice, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Aude ADJEMIAN, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Avril 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Mme Emmanuelle TRIOL, Présidente

Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseiller

Monsieur Benjamin FAURE, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Anne BARBENES.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 30 Mai 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 30 Mai 2024

Signé par Mme Emmanuelle TRIOL, Présidente et Mme Séverine HOUSSARD, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Par deux déclarations datées du 25 juillet 2018 et du 7 août 2018, la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône a été informée par la société [11], d'un accident du travail survenu le 8 juillet 2018 à 12h30, dont Mme [I], opératrice sûreté qualifiée, salariée depuis le 1er mars 2018, a été victime alors qu'elle était à son poste depuis 12h15.

Le certificat médical initial joint, datant du 9 juillet 2018 mentionait un 'syndrome dépressif réactionnel'.

Après envoi de questionnaires à la victime et son employeur, la caisse primaire d'assurance maladie a, par courrier du 31 octobre 2018, notifié sa décision de refus de prise en charge de l'accident au titre de la législation sur les risques professionnels, faute 'd'établir l'existence d'un fait accidentel, à savoir un événement soudain (daté et précis) et violent, lié au travail'.

Par courrier daté du 28 décembre 2018, Mme [I] a formé un recours contre cette décision devant la commission de recours amiable qui, dans sa séance du 2 avril 2019, l'a rejeté.

Entre-temps, par requête remise en main propre le 15 mars 2019, Mme [I] avait élevé son recours contre la décision implicite de rejet de la commission, devant le tribunal des affaires de sécurité sociale des Bouches-du-Rhône, et sollicité la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur à l'origine de son accident.

Par jugement du 7 septembre 2022, le tribunal, devenu pôle social du tribunal judiciaire de Marseille, a:

- déclaré le recours de Mme [I] recevable mais mal fondé,

- confirmé la décision de refus de prise en charge en date du 31 octobre 2018 de l'accident allégué de Mme [I] du 8 juillet 2018 au titre de la législation professionnelle,

- débouté Mme [I] de son action tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur et de toutes ses autres demandes de ce chef,

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté toute autre demande plus ample ou contraire,

- condamné Mme [I] aux entiers dépens de la procédure.

Les premiers juges ont fondé leur décision sur le fait que la requérante ne verse aux débats aucun élément susceptible de caractériser, autrement que par ses propres affirmations, un événement soudain survenu sur son lieu de travail, qu'il résulte des faits décrits par la salariée comme par l'employeur, qu'ils correspondent à une situation normale d'exécution du contrat de travail et que la requérante échoue à démontrer que les manifestations réactionnelles médicalement constatées sont consécutives aux deux entretiens téléphoniques du 8 juillet 2018 avec son supérieur hiérarchique, alors qu'elle se plaint, par ailleurs, de harcèlement au travail.

A l'audience du 4 avril 2024, Mme [I], et le syndicat [7], intervenant volontairement, reprennent les conclusions déposées et visées par le greffe le jour-même. Ils demandent à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il a confirmé la décision de refus de prise en charge de l'accident au titre de la législation professionnelle, l'a déboutée de son action en reconnaissance de faute inexcusable et de toutes autres demandes de ce chef, rejeté toute autre demande plus ample ou contraire et l'a condamnée aux dépens,

Statuant à nouveau sur le caractère professionnel de l'accident,

- annuler la décision de refus de prise en charge,

- annuler la décision implicite de rejet de la commission de recours amiable intervenue le 28 décembre 2018 et sa décision explicite de rejet du 2 avril 2019,

- reconnaître le caractère professionnel de l'accident survenu le 8 juillet 2018 et condamner la caisse primaire d'assurance maladie à le prendre en charge au titre de la législation sur les risques professionnels,

Statuant à nouveau sur l'action en reconnaissance de faute inexcusable,

- dire que la société [11] a commis une faute inexcusable à l'origine de l'accident du 8 juillet 2018,

- ordonner une expertise aux frais avancés par la société, aux fins d'évaluer le préjudice psychologique résultant de cette faute inexcusable,

En tout état de cause,

- condamner la caisse primaire d'assurance maladie et la société [11] à lui payer la somme de 1.500 euros à titre de frais irrépétibles,

- condamner la caisse primaire d'assurance maladie et la société [11] aux dépens de la première instance et de l'appel.

Au soutien de leurs prétentions, ils font valoir que dès lors qu'elle rapporte la preuve de la matérialité de l'accident et de sa survenance sur le lieu et dans le temps du travail par le fait que ses déclarations sont corroborées par un certificat médical établi le jour du fait accidentel allégué, par le constat médical des lésions le lendemain du fait accidentel, par le fait qu'elle ait averti son supérieur hiérarchique le jour-même, et par l'absence de réserve de la part de l'employeur lorsqu'il déclare l'accident du travail, la requérante bénéficie de la présomption du caractère professionnel de l'accident. Ils en concluent que Mme [I] n'a pas à rapporter la preuve du lien de causalité entre ses lésions et le travail.

Ils expliquent que le fait accidentel consistant dans l'agression verbale de la salariée par son supérieur hiérarchique n'a pas à revêtir un caractère violent; il suffit qu'il soit soudain, daté et précis et qu'il provoque une lésion psychologique constatée le jour-même.

Ils indiquent que si Mme [I] a pu préalablement dénoncé des comportement déplacés dont elle était victime, elle n'avait, jusqu'au jour de l'accident du 8 juillet 2018, subi aucun arrêt de travail pour ces faits, ni symptômes physiques de sorte que l'apparition de sa lésion est soudaine.

Ils concluent qu'à défaut pour la caisse de justifier d'une cause étrangère au travail, celle-ci doit être condamnée à prendre en charge l'accident au titre de la législation sur les risques professionnels.

Subsidiairement, si la présomption d'imputabilité n'était pas retenue par la cour, ils font valoir que l'accident étant survenu sur le lieu et dans le temps du travail sans que cela soit contesté par l'employeur, que Mme [I] ait été contrainte de se rendre à l'infirmerie alors qu'elle avait pris son poste de travail, que les certificats médicaux mentionnent un conflit sur le lieu du travail et une situation de souffrance professionnelle, ils considèrent que la preuve du lien entre son malaise et le travail est établi.

Ils rappellent que l'absence de prise en charge de l'accident au titre de la législation professionnelle n'empêche pas de statuer sur la faute inexcusable de l'employeur.Ils font valoir que l'employeur avait conscience du danger que Mme [I] encourait dès lors que celle-ci avait alerté la Direction de plusieurs incidents au cours de l'année 2016, que la question des difficultés relationnelles rencontrées par des salariés avec leurs collègues a été abordée en réunion CHSCT du 8 septembre 2016 et qu'elle avait encore signalé un incident avec sa supérieure hiérarchique quelques semaines avant l'accident.

Ils indiquent enfin qu'aucune mesure de protection n'a été prise pour préserver Mme [I] du danger de sorte que moins d'un mois après son dernier signalement, elle a été victime d'un comportement agressif inapproprié de son collègue M. [T] ayant entraîné la dégradation de son état santé physique et psychique.

Ils se fondent sur des certificats médicaux pour démontrer la réalité du préjudice subi et justifier leur demande d'expertise aux fins de l'évaluer.

La caisse primaire d'assurance maladie, dispensée de comparaître, se réfère à ses conclusions datées du 20 mars 2024. Elle demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et de condamner Mme [I] à lui payer la somme de 1.000 euros à titre de frais irrépétibles.

Au soutien de ses prétentions, elle reprend les pièces de la procédure en indiquant qu'elle produit le certificat médical initial, produit à trois reprises par l'assurée à la caisse et sur lequel elle a instruit la demande, et qui se distingue du certificat médical initial produit en pièce 5 par la requérante.

Elle fait valoir qu'aucun témoin n'a pu relater si le ton sur lequel s'est exprimé le chef de poste était agressif et qu'il n'est produit aucun élément extrinsèque permettant de prouver la matérialité de l'accident allégué par l'assurée à la date du 8 juillet 2018.

Elle considère que les faits décrits correspondent à des conditions normales de travail consistant en l'expression de l'insatisfaction du responsable hiérarchique concernant le respect des consignes et commandes de travail.

Elle ajoute que la qualification d'accident du travail doit être écartée dès lors que le syndrome dépressif médicalement constaté ne constitue pas la manifestation d'un lésion apparue soudainement mais d'une maladie au long cours. Elle s'appuie sur l'attestation du syndicat [6] du 26 novembre 2018 selon laquelle l'assurée subirait un comportement déplacé, s'apparentant à du harcèlement moral depuis plsuieurs années qui la mettrait dans une grande détresse psychologique.

Elle indique qu'en l'absence de caractère professionnel des faits allégués, la demande en reconnaissance de faute inexcusable à l'origine de l'accident ne pourra qu'être déclarée sans objet.

Subsidiairement, si la cour reconnaissait le caractère professionnel de l'accident, la caisse considère qu'il conviendrait de renvoyer l'assurée devant elle pour liquider ses droits et de sursoir à statuer sur la faute inexcusable de l'employeur jusqu'à la fixation de la date de consolidation de l'état de santé de l'assurée, ou statuer sur la faute inexacuble sans ordonner une quelconque majoration de la rente, ni liquider les préjudices.

La société par actions simplifiée (SAS) [11], bien que régulièrement convoquée par courrier recommandé avec accusé de réception retourné signé le 3 novembre 2023, ne comparait pas.

Il convient de se reporter aux écritures oralement reprises par les parties à l'audience pour un plus ample exposé du litige.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le caractère professionnel de l'accident du 8 juillet 2018

Aux termes de l'article L.411-1 du Code de la sécurité sociale :

'Est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.'

Il résulte de ces dispositions un principe de présomption d'imputabilité d'un accident au travail dés lors qu'il survient au temps et sur le lieu du travail.

Il appartient à l'assuré de rapporter la preuve de la matérialité d'un fait accidentel sur les lieux et dans le temps du travail pour justifier de sa prise en charge au titre de la législation professionnelle et, il appartient ensuite à la caisse qui refuse la prise en charge de détruire la présomption d'imputabilité en rapportant la preuve que la lésion survenue a une cause totalement étrangère au travail.

En l'espèce, il ressort des deux déclarations d'accident du travail établies les 25 juillet 2018 et 7 août 2018 par la société [11], sans aucune réserve de sa part, que le 8 juillet 2018, Mme [I], à son poste d'opératrice sûreté qualifiée depuis 12h15, est partie de façon anticipée à 12h30.

La première déclaration indique que la salariée est partie suite à un malentendu, tandis que la seconde déclaration précise que la salariée est partie à l'infirmerie en mentionnant que son chef de poste l'avait agressée.

Les deux déclarations d'accident du travail divergent sur la date à laquelle l'accident a été connu puisque la première indique que les préposés de l'employeur en ont eu connaissance le 23 juillet 2018, et la seconde déclaration indique qu'ils ont été prévenus immédiatement.

La première déclaration indique encore qu'aucun tiers n'a causé l'accident, tandis que la seconde déclaration précise que l'accident a été causé par un tiers dénommé [K] [T].

De façon constante, dans ses réponses au questionnaire de la caisse, dans sa contestation devant la commission de recours amiable comme dans ses conclusions devant la cour, l'assurée explique que 25 minutes après sa prise de poste à 12h15 le 8 juillet 2018, son chef de poste, M. [T], lui a reproché, par téléphone, de ne pas l'avoir avisé de sa prise de poste pour lui permettre de lui transmettre les consignes. Elle indique qu'elle était stupéfaite car ce n'était pas le fonctionnement habituel et qu'elle a immédiatement appelé son chef d'équipe, M. [Y], qui l'a rassurée sur l'absence de changement d'organisation en indiquant qu'il en parlerait au chef de poste. Elle raconte encore que M. [T] l'a alors rappelée pour lui reprocher d'avoir contacté le chef d'équipe pour se plaindre et que suite à leur discussion, elle a eu des palpitations et des angoisses. Elle indique alors avoir rappelé son chef d'équipe pour l'en avertir et que celui-ci lui a proposé de la remplacer. Elle conclut s'être rendue à l'infirmerie, puis, plus tard dans la journée, aux urgences de l'hopital de [Localité 10].

Les réponses de l'employeur au questionnaire de la caisse primaire d'assurance maladie le 15 septembre 2018, permettent de vérifier que les déclarations de la salariée sont corroborées par celles de son employeur. En effet, il y ait indiqué que la salariée a quitté son poste à 12h35 en ayant averti son chef d'équipe par téléphone le jour-même, en se plaignant du fait que son chef de poste lui avait mal parlé, qu'elle a fait constaté ses blessures à l'infirmerie de l'aéroport en déclarant qu'elle avait subi une agression verbale et qu'il lui avait été conseillé de rentrer chez elle.

En outre, les déclarations de la salariée sont corroborées par l'avis de passage à l'infirmerie notant que Mme [I] y a été reçue le 8 juillet 2018 de 13h20 à 13h50 et par un certificat médical établi le 8 juillet 2018 par l'unité d'urgence du centre hospitalier de [Localité 10] constatant un état d' 'anxiété secondaire à un conflit sur le lieu de travail'.

De même, la proximité dans le temps de l'établissement du certificat médical initial joint à la déclaration d'accident du travail, le 9 juillet 2018, soit le lendemain de l'accident allégué, ainsi que l'identité du siège des lésions constatées avec celles invoquées par l'assurée, sous les termes de 'syndrome dépressif réactionnel' permettent de vérifier qu'elle a bien été victime d'une lésion psychique apparue pendant le temps et sur le lieu du travail.

C'est en vain que la caisse invoque la caractérisation d'une maladie plutôt que d'un accident du travail.

Il résulte, en effet, de l'attestation de Mme [E], représentante au CHSCT de 2015 à 2018, que Mme [I] lui avait fait part, à plusieurs reprises, du comportement inadapté de certains collègues à son égard (moqueries, ignorance, transmission de fausse information pour la pousser à l'erreur) et que la question a été abordée lors d'une réunion du CHSCT le 8 septembre 2016. Il résulte également de l'entretien avec l'infirmier de l'entreprise en date du 17 mai 2016, que la salariée dénonçait déjà des relations difficiles avec certains collègues et le fait qu'elle pouvait avoir 'envie de pleurer mais ne s'écoutait pas'.

Néanmoins, la dégradation des conditions de travail depuis plusieurs mois avant l'accident, établie par ces documents, n'est pas de nature à justifier d'une dégradation progressive de l'état de santé de la salariée et à contredire la constataion médicale d'un effondrement psychique survenu soudainement le 8 juillet 2018 suite à deux échanges téléphoniques avec son chef de poste.

Enfin, contrairement à ce qui est retenu par les premiers juges, le caractère anormal des conditions de travail dans le cadre duquel est survenu l'accident, n'est pas une condition pour présumer son imputabilité au travail. Il importe donc peu que quiconque ne puisse témoigner du caractère agressif, brutal ou violent des propos tenus par le chef de poste à la salariée lors des échanges téléphoniques ayant provoqué les palpitations et angoisses de cette dernière.

Il s'en suit que le fait accidentel survenu dans le temps et sur le lieu du travail, dont la matérialité est établie par d'autres éléments que les seules déclarations de l'assurée, contrairement à ce qui est indiqué par les premiers juges, permet de présumer l'imputabilité de l'accident au travail à moins que la caisse primaire d'assurance maladie ne justifie d'une cause étrangère au travail.

Or, à défaut pour la caisse de justifier d'une cause étrangère au travail, la présomption d'imputabilité de l'accident au travail n'est pas renversée et la caisse est tenue de prendre en charge l'accident au titre de la législation sur les risques professionnels.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté Mme [I] de sa demande en reconnaissance du caractère professionel de son accident du 8 juillet 2018.

Sur la demande en reconnaissance de faute inexcusable à l'origine de l'accident du 8 juillet 2018

Aux termes de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire.

Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

La charge de la preuve de la faute inexcusable incombe au salarié qui l'invoque.

En l'espèce,il a été vu plus haut que le syndrome psychique réactionnel dont a été victime Mme [I] a été provoqué par les reproches exprimés par son chef de poste lors deux échanges téléphoniques successifs le 8 juillet 2018.

Et, l'article L.4121-1 du code du travail, dans sa version en vigueur depuis le 1er octobre 2017, fait obligation à l'employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur doit veiller à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

Or, Mme [E], représentante au CHSCT de 2015 à 2018, atteste que Mme [I] lui a fait part, à plusieurs reprises, du comportement inadapté de certains collègues à son égard (moqueries, ignorance, transmission de fausse information pour la pousser à l'erreur) et que la question a été abordée lors d'une réunion du CHSCT le 8 septembre 2016.

Les questions posées en CHSCT du 8 septembre 2016 sont produites et il y est en effet indiqué que le comité évoque les difficultés relationnelles entre collègues indiquant que les comportements de certains sont ressentis par d'autres comme des brimades et sollicite, dans un souci de prévention, de faire un rappel sur le respect d'autrui. Il est mentionné qu'une note de service sera mise sur les postes de travail à ce sujet.

En outre, il résulte de l'entretien infirmier de Mme [I] le 17 mai 2016 qu'elle dénonçait déjà des relations difficiles avec certains de ses collègues, une mauvaise ambiance de travail et des relations trés tendues avec un membre du CHS, de sorte qu'elle ne vivait pas de manière sereine son travail.

Enfin, il ressort d'un document de liaison avec la Direction d'exploitation, que Mme [I] a signalé à Mme [D], un incident survenu le 2 juin 2018 avec sa supérieure hiérarchique, Mme [N], qui lui avait reproché de n'être arrivée au poste situé au HF du B2 à 22h09, plutôt qu'à 22h comme cela été planifié, alors que son coordonnateur lui avait demandé de partir en même temps que lui de son précédent poste sur le T2 et que le ton était monté entre elles. Elle conclut le message en indiquant : 'je ne comprends toujours pas aujourd'hui pourquoi tant d'acharnement à mon égard depuis quelques temps déjà (...) Si je vous relate ces faits, c'est pour éviter qu'une telle situation ne se reproduise à l'avenir.'

Il résulte de ces éléments que la société employeuse, alertée tant au niveau du CHSCT, de son service médical que de sa Direction, du climat de violence interne à l'entreprise, avait ou aurait dû avoir conscience des risques psycho-sociaux auxquel été exposée sa salariée.

S'il résulte de la réunion du CHSCT du 8 septembre 2016, qu'il a été décidé de faire circuler une note de service pour prévenir les comportements irrespectueux entre collègues, aucun élément versé aux débats ne permet à la cour de vérifier que cette mesure de prévention ait été effective.

Il n'est justifié d'aucune réponse de la Direction au message d'alerte adressé par Mme [I] sur l'incident du 2 juin 2018.

Aucun élément dans le dossier ne permet de vérifier non plus qu'une mesure telle que la formation des salariés sur les risques psycho-sociaux, ait été mise en place pour faire suite aux divers signalements de Mme [I].

Il s'en suit qu'il est suffisamment rapporté la preuve qu'alors que la société employeuse avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposée sa salariée, elle n'a pris aucune mesure pour éviter sa réalisation.

Le jugement qui a débouté Mme [I] de sa demande en reconnaissance de faute inexcusable à l'origine de l'accident du 8 juillet 2018 sera infirmé et il sera dit que l'accident du travail est dû à une faute inexcusable de la société [11].

Sur les conséquences de la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur

En vertu de l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale : dans le cas de reconnaissance d'une faute inexcusable de l'employeur à l'origine de l'accident du travail, 'la victime ou ses ayants droit reçoivent une majoration des indemnités qui leur sont dues en vertu du présent livre.

Lorsqu'une indemnité en capital a été attribuée à la victime, le montant de la majoration ne peut dépasser le montant de ladite indemnité.

Lorsqu'une rente a été attribuée à la victime, le montant de la majoration est fixé de telle sorte que la rente majorée allouée à la victime ne puisse excéder, soit la fraction du salaire annuel correspondant à la réduction de capacité, soit le montant de ce salaire dans le cas d'incapacité totale.'

En outre, aux termes de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale :

'Indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit en vertu de l'article précédent, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. Si la victime est atteinte d'un taux d'incapacité permanente de 100 %, il lui est alloué, en outre, une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation.

(...)

La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur.'

En l'espèce, à défaut de décision de la caisse primaire d'assurance maladie sur la date de consolidation de l'état de santé de Mme [I] suite à l'accident du travail du 8 juillet 2018, la cour n'est pas en mesure de vérifier si celle-ci remplit les conditions pour se voir attribuer un capital ou une rente.

De même, si Mme [I] produit des ordonnances médicamenteuses établies par le docteur [R], docteur en psychiatrie, du 10 juillet 2018 au 27 avril 2020, permettant de vérifier qu'elle est suivie et traitée sur le plan psychique depuis l'accident, rapportant ainsi la matérialité d'un préjudice, à défaut de consolidation de son état de santé, l'expert que pourrait désigner la courserait dans l'incapacité de distinguer les préjudices temporaires des préjudices définitifs.

En conséquence, il covnient de sursoir à statuer sur la majoration de la rente et sur la demande d'expertise aux fins d'évaluation des préjudices, ainsi que sur les frais et dépens, jusqu'à la fixation de la date de consolidation par la caisse primaire d'assurance maladie.

PAR CES MOTIFS

la cour statuant publiquement par décision contradictoire,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Condamne la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône à prendre en charge l'accident dont Mme [I] a été victime le 8 juillet 2018 au titre de la législation sur les risques professionnels,

Renvoie Mme [I] devant la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône pour faire liquider ses droits,

Dit que l'accident du travail dont Mme [I] a été victime le 8 juillet 2018 est dû à la faute inexcusable de son employeur, la société [11],

Sursoit à statuer sur la majoration de la rente, la demande d'expertise aux fins d'évaluation des préjudices, ainsi que les frais et les dépens jusqu'à la fixation de la date de consolidation de l'état de santé de Mme [I] en suite de l'accident du travail dont elle a été victime le 8 juillet 2018,

Dit que l'instance sera reprise à la diligence de l'une ou l' autre partie qui justifiera de la date de consolidation et de la décision de la CPAM sur l'éventuel taux d'incapacité.

Le greffier La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-8a
Numéro d'arrêt : 22/13367
Date de la décision : 30/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-30;22.13367 ?
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