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30/05/2024 | FRANCE | N°19/11130

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-6, 30 mai 2024, 19/11130


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-6



ARRÊT AU FOND

DU 30 MAI 2024



N° 2024/153









Rôle N° RG 19/11130 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BESPG







[E] [F] épouse [C]





C/



[R] [A]

Organisme CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES BOUCHES DU RHONE

Société LA MEDICALE DE FRANCE





















Copie exécutoire délivrée

le :

à :

- Me Evelyne M

ERDJIAN

- Me François ROSENFELD

- Me Gilles MARTHA











Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance d'AIX EN PROVENCE en date du 13 Juin 2019 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 17/03997.





APPELANTE



Madame [E] [F] épou...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-6

ARRÊT AU FOND

DU 30 MAI 2024

N° 2024/153

Rôle N° RG 19/11130 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BESPG

[E] [F] épouse [C]

C/

[R] [A]

Organisme CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES BOUCHES DU RHONE

Société LA MEDICALE DE FRANCE

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

- Me Evelyne MERDJIAN

- Me François ROSENFELD

- Me Gilles MARTHA

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance d'AIX EN PROVENCE en date du 13 Juin 2019 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 17/03997.

APPELANTE

Madame [E] [F] épouse [C]

née le [Date naissance 3] 1982 à [Localité 8]

de nationalité Française, demeurant [Adresse 6]

représentée par Me Evelyne MERDJIAN, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMES

Monsieur [R] [A]

né le [Date naissance 2] 1962 à [Localité 11], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me François ROSENFELD de la SCP CABINET ROSENFELD & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Lugdiwine LAUGIER, avocat au barreau de MARSEILLE

Organisme CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES BOUCHES DU RHONE, demeurant [Adresse 5]

représentée par Me Gilles MARTHA de la SCP BBLM, avocat au barreau de MARSEILLE

Société LA MEDICALE DE FRANCE, demeurant [Adresse 4]

représentée par Me François ROSENFELD de la SCP CABINET ROSENFELD & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Lugdiwine LAUGIER, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 mars 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président chargé du rapport, et Madame Elisabeth TOULOUSE, Présidente de chambre,

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :

Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président de chambre

Madame Elisabeth TOULOUSE, Présidente de chambre

Monsieur Jean-Marc BAÏSSUS, Premier Président de chambre

Greffier lors des débats : Madame Sancie ROUX.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 30 mai 2024.

ARRÊT

contradictoire

Prononcé par mise à disposition au greffe le 30 mai 2024.

Signé par M. Jean-Wilfrid NOEL, Président et Mme Sancie ROUX, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS & PROCÉDURE

Le 16 décembre 2011, Mme [C] souffrant de lombalgies prédominantes du côté droit a consulté M. [A], ostéopathe. Ce dernier a préconisé un scanner lombaire, lequel a révélé une hernie discale L5-S1 postéro-médiane légèrement latéralisée à gauche.

Le 3 janvier 2012, Mme [C] a consulté derechef M. [A] qui s'est abstenu de procéder à toute manipulation vertébrale, mais a procédé à des man'uvres de décompression afin de relâcher la contracture musculaire. De vives douleurs dans le bas du dos irradiant dans la jambe droite sont apparues quelques heures plus tard, accompagnées de paresthésies des orteils. Dans la nuit du 3 au 4 janvier 2012, Mme [C] s'est rendue aux urgences du centre hospitalier de [Localité 10], qui ont conclu à une lombo-sciatique S1.

Mme [C] a été admise à la clinique [7] de [Localité 9] le 4 janvier 2012. Une IRM pratiquée le 5 janvier a révélé une aggravation de la protrusion L5-S1, avec un fragment de disque exclu, au contact de la racine S1 droite. Mme [C] a été opérée le jour même par le docteur [D], neurochirurgien, qui a procédé à l'exérèse de cette volumineuse hernie discale.

Par ordonnance du 1er avril 2014, le juge des référés d'Aix-en-Provence a commis le professeur [G], chirurgien orthopédiste, aux fins de donner toutes indications sur la nature, l'opportunité et les conséquences de l'intervention de M. [A].

Le professeur [G] a déposé son rapport le 1er mars 2016, assorti d'un avis sapiteur du docteur [K], titulaire d'un diplôme de médecine manuelle d'ostéopathie. L'expert a conclu qu'« aucune imprudence, inattention ou négligence ne peut être imputée à ce praticien :

- la dernière technique appliquée par M. [A] qui consistait à procéder à un étirement lombaire en décubitus latéral gauche a eu pour effet d'ouvrir l'espace discal L5-S1 du côté droit. Cette ouverture, associée à la torsion lombaire engendrée par une poussée postérieure à partir de l'aisselle droite de Mme [C] et une traction antérieure pelvienne droite a abouti à la rupture de l'annulus et à l'expulsion de matière discale dans le canal ;

- il n'y a pas eu d'erreur d'indication ni de faute dans les man'uvres pratiquées. Il s'agit d'une complication thérapeutique sans faute ».

Par assignation des 2 et 30 juin 2017, Mme [C] a saisi le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence d'une action indemnitaire dirigée contre M. [A] et son assureur, la compagnie d'assurances La Médicale de France, en réparation : i) de son préjudice consécutif à un défaut d'information prélable sur les risques enrourus, et ii) de son défaut de préparation aux conséquences de la manipulation du 3 janvier 2012.

Par acte d'huissier de justice du 31 octobre 2017, Mme [C] a dénoncé la procédure engagée à la caisse primaire d'assurance-maladie des Bouches-du-Rhône.

Par ordonnance du 19 février 2018, le juge de la mise en état a procédé à la jonction des instances.

Par jugement du 13 juin 2019, le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence a :

- déclaré le jugement commun à la caisse primaire d'assurance-maladie des Bouches-du-Rhône,

- déclaré recevables les demandes de Mme [C], en ce que la fédération française d'ostéopathie a fait le choix d'appliquer à ses membres les dispositions de l'article L.1111-2 du code de la santé publique concernant le devoir d'information du patient, et en ce que l'article 4-2 du code de déontologie de l'ostéopathie indique (page 55) que « le patient prend les décisions concernant sa prise en charge. L'ostéopathe respecte la volonté du patient. Il l'encourage, en toutes circonstances à solliciter ou accepter les soins pertinents. L'ostéopathe n'effectue aucun acte sans le consentement libre et informé du patient » ;

- dit que la théorie de l'estoppel ne peut être opposée à Mme [C], dans la mesure où elle a sollicité du juge des référés une expertise destinée à vérifier si les soins prodigués avaient été conformes aux données acquises de la science, alors qu'elle a fondé son assignation au fond sur le manquement au devoir d'information,

- dit que M. [A] n'a pas manqué à son obligation d'information, aux motifs : i) qu'il ne pouvait pas prévoir la complication qu'il n'avait jamais rencontrée, ni dans le cadre de ses études théoriques ni dans le cadre de sa pratique professionnelle, et que ii) Mme [C] avait conscience qu'elle présentait une protrusion discale révélée par le scanner, et que cet état limitait les possibilités thérapeutiques ouvertes à l'ostéopathe alors qu'elle était informée des man'uvres de décompression qui ne comportaient a priori pas de risques connus ;

- débouté Mme [C] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la caisse primaire d'assurance-maladie des Bouches-du-Rhône de ses demandes,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement,

- condamné Mme [C] aux dépens avec distraction.

Par déclaration du 10 juillet 2019 dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, Mme [C] a interjeté appel du jugement du tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence en ce qu'il a dit que M. [A] n'a pas manqué à son obligation d'information, et en ce qu'il l'a déboutée de toutes ses demandes.

Par arrêt avant dire droit du 17 septembre 2020, la cour, constatant que les griefs de Mme [C] portaient exclusivement sur le manquement au devoir d'information, a ordonné une expertise complémentaire confiée au professeur [L] [G], ultérieurement substitué par le docteur [T] [V], aux fins suivantes :

- dire si la complication apparue à la suite des gestes techniques d'étirements lombaires en décubitus latéral gauche, avec torsion lombaire engendrée d'une part, par la poussée postérieure à partir de l'aisselle droite de la patiente et d'autre part une traction antérieure pelvienne droite, consistant en la rupture de l'annulus et l'expulsion de matières discales, avec migration dans le canal était connue à la date du 3 janvier 2012 ;

- dans l'affirmative, indiquer à la cour quelle était à cette date du 3 janvier 2012 la fréquence chiffrée d'apparition de cette complication, précisant la littérature sur laquelle s'appuyer.

Le docteur [V] a déposé son rapport le 12 juillet 2023, également assorti d'un avis sapiteur du docteur [K]. Il conclut que :

- Mme [C] n'a pas précisément été informée, avant la réalisation de la séance d'ostéopathie litigieuse, d'un risque de rupture discale ;

- une revue complète de la littérature à ce sujet révèle qu'un seul et unique article fait mention de la survenue de ce risque, dans les suites d'une manipulation vertébrale lombaire, et fait mention d'une incidence estimée à moins de 1 cas pour 100 millions ;

- l'information orale prodiguée par M. [A] a donc été tout a fait adéquate à la situation de Mme [C].

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions en appel après rapport d'expertise notifiées par la voie électronique le 20 novembre 2023, Mme [C] demande à la cour de :

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes au titre de la perte de chance d'éviter les événements survenus, en refusant l'acte du 3 janvier 2012 et en réparation du préjudice moral pour ne pas avoir été préparée aux conséquences du risque encouru et réalisé, ainsi que de ses demandes de condamnation de l'ostéopathe de son assureur au titre des frais irrépétibles et des dépens,

- déclarer M. [A] responsable des différents préjudices subis par elle consécutifs au défaut d'information préalable des risques encourus et au défaut de préparation de sa patiente aux conséquences de la manipulation effectuée sur elle le 3 janvier 2012,

- condamner solidairement M. [A] et la compagnie d'assurances La Médicale de France à lui payer la somme de 37 132 euros au titre de la réparation de la perte de chance d'éviter l'évènement survenu en refusant l'accomplissement de l'acte du 3 janvier 2012 avec intérêts de droit à compter du jour de sa demande,

- condamner solidairement M. [A] et la la compagnie d'assurances La Médicale de France à lui payer la somme de 7 000 euros en réparation du préjudice moral distinct de la perte de chance, pour ne pas avoir préparé sa patiente aux conséquences du risque encouru et réalisé,

- condamner solidairement M. [A] et la compagnie d'assurances La Médicale de France à lui payer la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,

- condamner M. [A] et la compagnie d'assurances La Médicale de France aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise.

Mme [C] formule les observations suivantes:

en ce qui concerne le défaut d'information :

- M. [A] admet avoir ignoré que des complications peuvent survenir à la suite du geste pratiqué et ne pas en avoir informé Mme [C] alors même qu'il est ostéopathe depuis plusieurs années ;

- même si une telle complication est assez rare, l'article de M. [O] [H], paru dans la revue de rhumatologie a retenu l'attention de l'expert ; il s'agit d'un article de mars 2001, paru plus de dix ans avant le geste pratiqué et M. [A] se devait d'en informer Mme [C] ;

- par ailleurs, un article beaucoup plus récent de M. [H] publié dans la revue du Rhumatisme du 15 septembre 2008 indique que la complication subie par Mme [C] est la plus fréquente après la manipulation opérée par M. [A] ; M. [H] indique au chapitre 4 (accidents des manipulations) que « la littérature abonde d'articles de qualité concernant la fréquence de accidents après la manipulation vertébrale » ;

Sur la perte de chance d'éviter le dommage résultant de la réalisation du risque lié à la manipulation, en refusant définitivement ou temporairement l'intervention projetée, peut être évaluée à 80 % du préjudice subi ; soit 30 132 euros (37 665 euros x 80%), somme ventilée comme suit :

' DFT 100 % du 4 au 9 janvier 2012 : 6 jours x 30 euros x 100 % = 180 euros

' DFT 50 % du 10 janvier au 9 mars 2012 : 60 jours x 30 euros x 50 % = 900 euros

' DFT 10 % du 10 mars au 20 septembre 2012 : 195 jours x 30 euros x 10 % = 585 euros

' souffrances endurées 3/7 : 12 000 euros

' déficit fonctionnel permanent 6 % : 18 000 euros

' préjudice d'agrément reconnu pour toutes les activités faisant appel à la proprioceptivité des membres inférieurs : 6 000 euros

Sur le préjudice d'impréparation : Mme [C] n'était pas mentalement préparée à affronter les souffrances endurées et l'état séquellaire, pas plus que leurs répercussions profondes sur sa vie quotidienne et familiale ; ce défaut d'information génère un préjudice moral distinct de la perte de chance de ne pas avoir été préparée aux conséquences lorsque le risque se réalise.

* * *

Aux termes de ses dernières conclusions d'intimée n°2 notifiées notifiées par la voie électronique le 20 décembre 2023, M. [A] demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

débouter Mme [C] de ses demandes visant à :

- déclarer M. [A] responsable des différents préjudices subis par elle, consécutifs au défaut d'information préalable des risques encourus et au défaut de préparation de sa patiente aux conséquences de la manipulation effectuée sur elle le 3 janvier 2012,

- condamner solidairement M. [A] et la compagnie d'assurances La Médicale de France à lui payer la somme de 37 132 euros au titre de la réparation de la perte de chance d'éviter l'événement survenu en refusant l'accomplissement de l'acte du 3 janvier 2012, avec intérêts de droit a compter du jour de sa demande,

- condamner solidairement M. [A] et la compagnie d'assurances La Médicale de France à lui payer la somme de 7 000 euros en réparation du préjudice moral distinct de la perte de chance, pour ne pas avoir préparé sa patiente aux conséquences du risque encouru et réalisé,

- condamner solidairement M. [A] et la compagnie d'assurances La Médicale de France à lui payer la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en premiere instance et en appel,

- condamner M. [A] et la compagnie d'assurances La Médicale de France aux entiers dépens, en ce inclus les frais d'expertise,

débouter la caisse primaire d'assurance-maladie des Bouches-du-Rhône de ses demandes visant à :

- condamner in solidum M. [A] et la compagnie d'assurances La Médicale de France à lui verser la somme totale de 6 764,59 euros,

- condamner in solidum M. [A] et la sociéte La Médicale de France à lui verser la somme de 1 162 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion de l'article L.376-1 alinea 9 du code de la la sécurité sociale,

- condamner in solidum M. [A] et la compagnie d'assurances La Médicale de France à lui verser la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner in solidum M. [A] et la compagnie d'assurances La Médicale de France aux entiers depens de l'instance distraits au profit de Maître Gilles Martha, avocat, conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

condamner Mme [C] :

- à verser à la compagnie d'assurances La Médicale de France la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- aux dépens, distraits au profit de Maître Francois Rosenfeld, de la SCP Cabinet Rosenfeld & Associés, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

M. [A] indique en substance :

- qu'aucune faute n'est caractérisée à son encontre, le professeur [G] ayant relevé : i) qu'il a veillé d'emblée à demander un scanner au vu duquel il a refusé toute manipulation vertébrale, se contentant de quelques man'uvres de décompression, ii) que la réalisation d'une séance d'ostéopathie était indiquée, compte tenu des données de ce scanner, qui ne révélait aucune compression radiculaire ;

- que, s'agissant du devoir d'information, s'il est exact qu'il n'a pas fait remplir un document de consentement éclairé par sa patiente, une telle obligation n'existait pas en 2012 pour un ostéopathe, (point souligné par le docteur [K]) ;

- il ne prétend pas avoir indiqué à Mme [C] que la séance d'ostéopathie prévue pourrait favoriser une expulsion de l'hernie, car cette complication lui etait inconnue ; les recherches bibliographiques des experts n'ont révélé qu'un seul article mentionnant la survenue de ce risque après une séance d'ostéopathie, l'incidence étant inférieure à 1/100 000 000 ; en outre, cet unique article concernait les manipulations vertébrales lombaires, alors que M. [A] s'en était tenu à de simples man'uvres d'étirement et travail myo-fascial de décompression ;

- quant à l'article que Mme [C] produit, il concerne les complications des séances d'ostéopathie sur les vertèbres cervicales et non sur les lombaires.

* * *

Aux termes de ses dernières conclusions d'intimée notifiées par la voie électronique le 10 novembre 2023, la caisse primaire d'assurance-maladie des Bouches-du-Rhône demande à la cour de :

- réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Et, statuant à nouveau,

- condamner in solidum M. [A] et la compagnie d'assurances La Médicale de France à lui verser la somme totale de 6 764,59 euros avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir, ventilée comme suit :

' dépenses de santé actuelles : 4 323,97 euros

' perte de gains professionnels actuels : 2 440,62 euros

- condamner in solidum M. [A] et la compagnie d'assurances La Médicale de France à lui verser la somme de 1.162,00 € au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion de l'article L.376-1 alinéa 9 du code de la sécurité sociale ;

- condamner in solidum M. [A] et la compagnie d'assurances La Médicale de France à lui verser la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner in solidum M. [A] et la compagnie d'assurances La Médicale de France aux entiers dépens de l'instance distraits au profit de Maître Gilles Martha, avocat, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

La caisse primaire d'assurance-maladie des Bouches-du-Rhône fait valoir que M. [A] ne prouve pas avoir délivré l'information dont il était débiteur à l'égard de Mme [C]. Elle relève par ailleurs que le docteur [K], sapiteur, a fait état d'une complication thérapeutique sans faute, tout en précisant que l'hernie discale paralysante est la conséquence directe et certaine de l'acte de manipulation dont la responsabilité peut être engagée compte tenu de l'état dégénératif reconnu du disque L5-S1 (page 11 du rapport du docteur [K]).

* * *

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux dernières écritures déposées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

La clôture a été prononcée le 5 mars 2024.

Le dossier a été plaidé le 19 mars 2024 et mis en délibéré au 30 mai 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la nature de la décision rendue :

L'arrêt rendu sera contradictoire, conformément à l'article 467 du code de procédure civile.

Sur le défaut d'information :

Il résulte des dispositions de l'article 4-1 du code de déontologie de l'ostéopathie que l'ostéopathe n'effectue aucun acte sans le consentement libre et informé de son patient, que ce dernier a droit à une information exacte, loyale, claire et compréhensible, et que l'information est relative aux soins, moyens et techniques mis en oeuvre ainsi qu'au rapport bénéfice/risque que le patient est prêt à accepter. La charge de la preuve de l'obligation d'information pèse sur le praticien, même si elle peut être rapportée par tous moyens. La gravité d'un risque encouru doit être signalée même s'il est rare. Encore convient-il de déterminer si, en l'état des données acquises de la science, le risque inhérent à l'acte envisagé était connu au moment où l'acte a été pratiqué.

En l'occurrence, le complément d'expertise demandé au docteur [V] et l'avis sapiteur demandé au docteur [K] visaient précisément à déterminer :

- d'une part, si à la date du 3 janvier 2012, le risque d'une rupture de l'annulus et d'expulsion de matière discale avec migration dans le canal était connu, par suite de la technique d'étirement lombaire en décubitus latéral gauche pratiquée par M. [A] et de la torsion lombaire provoquée par une poussée postérieure à partir de l'aisselle droite de la patiente et une traction pelvienne droite,

- d'autre part, le cas échéant, la fréquence d'apparition de ladite complication.

Se fondant sur l'avis sapiteur du docteur [K] du 21 février 2023, le docteur [V] mentionne en premier l'absence de toute étude sérielle réalisée. Il ajoute n'avoir identifié à l'issue de ses recherches documentaires qu'un unique article du docteur [O] [H] publié dans la revue du rhumatologue en mars 2001. Aux termes de cet article, « les accidents après manipulations dorso-lombaires sont très rares » et le risque d'accident après manipulations vertébrales lombaires est évalué à 1/100.000.000e.

Précision étant faite que M. [A], compte tenu du résultat du scanner qu'il avait demandé, s'était abstenu de procéder à des manipulations vertébrales, en particulier le trust, et avait limité son intervention à des man'uvres de décompression afin de relâcher la contracture musculaire, man'uvres que le docteur [K], sapiteur, qualifie de non-agressives.

Le second article du docteur [O] [H] du 15 septembre 2008, que produit Mme [C] au soutien de ses demandes, est consacré aux accidents de manipulation vertébrale, et distingue expressément ces dernières des techniques non forcées qui sont celles que M. [A] a mises en oeuvre. Au surplus, ainsi que le souligne le conseil de M. [A], l'article du docteur [H] concerne la sinistralité des manipulations des cervicales et non des lombaires (pièce 20 de l'appelante : revue du rhumatisme, page 407, point 5).

Le docteur [V], expert judiciaire, ajoute que l'absence de support écrit du recueil du consentement éclairé du patient n'appelait pas d'observations particulières en 2012, et que l'information orale délivrée par M. [A] était en rapport avec l'état de santé de Mme [C].

Aucun manquement de M. [A] à son devoir d'information de Mme [C] n'apparaît caractérisé.

Sur le préjudice moral d'impréparation :

En l'absence de manquement au devoir d'information, Mme [C] ne peut demander réparation du préjudice moral résultant pour elle d'un défaut de préparation aux conséquences psychologiques de la réalisation du risque.

Le jugement entrepris est confirmé dans toutes ses dispositions.

Sur les demandes de la caisse primaire d'assurance-maladie des Bouches-du-Rhône :

Sans objet.

Sur les demandes annexes :

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles doivent être confirmées.

L'équité ne justifie pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, Mme [C] est condamnée aux dépens de l'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant dans les limites de sa saisine,

Confirme le jugement entrepris dans toutes ses dispositions.

Y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne Mme [C] aux entiers dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-6
Numéro d'arrêt : 19/11130
Date de la décision : 30/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-30;19.11130 ?
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