COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-8
ARRÊT AU FOND
DU 29 MAI 2024
N° 2024/ 265
N° RG 23/06236
N° Portalis DBVB-V-B7H-BLHRY
S.A.R.L. GROUPE FRANCAIS DES ENERGIES (G.F.E.)
C/
[R] [U]
S.A. CA CONSUMER FINANCE
Copie exécutoire délivrée le :
à :
Me Paule ABOUDARAM
Me Lysa LARGERON
Me Sylvain
DAMAZ
Décision déférée à la Cour :
Jugement du tribunal judiciaire de MARSEILLE en date du 13 Avril 2023 enregistrée au répertoire général sous le n° 21/02395.
APPELANTE
S.A.R.L. GROUPE FRANCAIS DES ENERGIES (G.F.E.)
prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié es qualité audit siège sis [Adresse 2]
représentée par Me Paule ABOUDARAM, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Gaëlle CROCE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIMES
Monsieur [R] [U]
né le 02 Février 1955 à ZAGREB, demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Lysa LARGERON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
ayant pour avocat plaidant Me Jérémie BOULAIRE, membre de la SELARL BOULAIRE, avocat au barreau de DOUAI
S.A. CA CONSUMER FINANCE
anciennement SOFINCO, prise en la personne de son représentant légal en exercice sis [Adresse 1]
représentée par Me Sylvain DAMAZ, membre de l'AARPI ADSL, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 02 Avril 2024 en audience publique devant la cour composée de :
Monsieur Philippe COULANGE, Président
Madame Céline ROBIN-KARRER, Conseillère
Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Maria FREDON.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 29 Mai 2024.
ARRÊT
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 29 Mai 2024, signé par Monsieur Philippe COULANGE, Président et Madame Maria FREDON, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE ANTÉRIEURE
Suivant contrat conclu le 9 février 2018 à l'issue d'un démarchage à domicile, Monsieur [R] [U] a commandé à la SARL GROUPE FRANÇAIS DES ÉNERGIES (ci-après GFE), exploitant la marque EVASOL, la fourniture et l'installation de matériels de production d'électricité photovoltaïque, moyennant le prix de 10.900 euros TTC entièrement financé par un crédit affecté souscrit auprès de la société CA CONSUMER FINANCE (anciennement SOFINCO).
Les travaux ont fait l'objet d'une réception sans réserve le 26 février 2018, en suite de laquelle le prêteur a débloqué les fonds au profit du vendeur.
Un 'rapport d'expertise sur investissement' établi le 8 septembre 2020 par Monsieur [P] [D] à la demande de Monsieur [U] a conclu que la promesse d'autofinancement faite par le vendeur n'était pas tenue, et que la rentabilité économique de l'opération ne serait pas atteinte avant une durée de 40 ans.
Par actes délivrés les 29 mars et 1er avril 2021, Monsieur [U] a fait assigner les sociétés GFE et CA CONSUMER FINANCE à comparaître devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Marseille aux fins d'entendre prononcer la nullité du contrat de vente pour cause de dol et de violation des dispositions impératives du code de la consommation, et par voie de conséquence celle du contrat de crédit, voir ordonner le retrait du matériel installé et obtenir la restitution de toutes les sommes versées, outre des dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral.
Par jugement rendu le 13 avril 2023, le tribunal a :
- déclaré cette action recevable,
- prononcé la nullité des contrats,
- condamné la société GFE à restituer à M. [U] le prix de 10.900 euros, ainsi qu'à procéder à ses frais au retrait du matériel dans un délai de six mois,
- condamné la société CA CONSUMER FINANCE à restituer à M. [U] toutes les sommes perçues en exécution du prêt,
- débouté M. [U] de sa demande en dommages-intérêts,
- et condamné in solidum les sociétés défenderesses aux dépens, ainsi qu'au paiement d'une somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour statuer en ce sens, le premier juge a retenu d'une part que le vendeur avait commis une réticence dolosive en s'abstenant d'informer son client sur la rentabilité réelle de l'opération, alors que ce dernier disposait déjà d'une installation photovoltaïque dont il souhaitait simplement améliorer la productivité, et d'autre part que l'établissement de crédit avait commis une faute en libérant les fonds sans vérifier la régularité du contrat principal.
La société GFE a interjeté appel de cette décision le 4 mai 2023.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses conclusions récapitulatives notifiées le 11 janvier 2024, la société GROUPE FRANÇAIS DES ÉNERGIES fait successivement valoir :
- que le contrat avait pour objet principal de reprendre l'installation existante, et notamment l'étanchéité de la toiture qui était défectueuse,
- que la rentabilité économique de l'installation ne constitue une caractéristique essentielle au sens de l'article L 111-1 du code de la consommation qu'à la condition que les parties l'aient fait entrer dans le champ contractuel, ce qui n'est pas le cas en l'espèce,
- que suivant l'article 1136 du code civil, l'erreur par laquelle un contractant, sans se tromper sur les qualités essentielles de la prestation, fait seulement de celle-ci une appréciation économique inexacte, ne constitue pas une cause de nullité de la convention,
- que la promesse d'autoconsommation de l'énergie produite ne doit pas être confondue avec celle d'autofinancement,
- que le moyen fondé sur le dol ne repose que sur de simples allégations, lesquelles sont formellement contestées,
- que les juges ne peuvent fonder leur décision sur les seules conclusions d'une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l'une des parties, étant au demeurant observé que la méthode utilisée par l'expert est sérieusement critiquable,
- que le bon de commande est conforme aux dispositions impératives du code de la consommation, et qu'en toute hypothèse l'exécution volontaire du contrat a emporté confirmation de l'acte nul.
Elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, de débouter M. [U] des fins de son action, et de le condamner en revanche à restituer les sommes perçues en exécution du jugement frappé d'appel, ainsi qu'à lui verser 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et ses entiers dépens.
Par conclusions notifiées le 9 août 2023, la société CA CONSUMER FINANCE poursuit également l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions, faisant valoir que le raisonnement tenu par le premier juge revient à lui reprocher de ne pas avoir vérifié la rentabilité économique de l'installation, alors qu'aucune clause du contrat de prêt ne met à sa charge une telle obligation et que cette rentabilité ne pouvait être appréciée a priori. Elle demande à la cour de débouter M. [U] de l'ensemble de ses prétentions et de le condamner aux entiers dépens, ainsi qu'au paiement d'une somme de 800 euros au titre de ses frais irrépétibles.
Dans ses conclusions notifiées le 13 octobre 2023, Monsieur [R] [U] soutient pour sa part :
- que le contrat principal portait essentiellement sur la fourniture de matériels d'optimisation de la production d'électricité, tandis que la reprise de l'installation existante, parfaitement fonctionnelle, ne constituait qu'une prestation supplémentaire offerte à titre accessoire,
- qu'il a donné son consentement sur la foi d'une promesse d'autofinancement de l'installation, ou tout au moins d'une économie substantielle, au vu des documents qui lui ont été produits par le démarcheur et de la publicité effectuée par la société GFE sur son site internet,
- que l'engagement de rentabilité procède en tout état de cause de la nature même de la chose vendue,
- que le rapport d'expertise de M. [D] démontre qu'il a été trompé sur ce point,
- qu'en outre le bon de commande n'est pas conforme aux dispositions impératives du code de la consommation, en ce qu'il ne précise pas les caractéristiques essentielles des biens ou des services, la date de livraison ou d'exécution de la prestation, les modalités de financement du prix, ni les coordonnées du médiateur compétent en cas de litige,
- que la banque s'est rendue complice du dol commis par le vendeur et a libéré les fonds sans vérifier la validité du contrat principal, au vu d'une fiche de réception des travaux imprécise et ambiguë et sans ordre exprès de sa part, ces fautes devant conduire à la priver du droit à la restitution du capital prêté.
Il demande à la cour de confirmer la décision déférée, sauf en ce qu'elle l'a débouté de sa demande accessoire en dommages-intérêts, et statuant à nouveau de ce chef de condamner solidairement les sociétés GFE et CA CONSUMER FINANCE à lui payer la somme de 5.000 euros en réparation de son préjudice moral. Y ajoutant, il réclame paiement d'une somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre ses dépens.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 21 février 2023.
DISCUSSION
Sur le contrat principal :
- Sur le moyen tiré d'une violation du code de la consommation :
En vertu de l'article L 221-5 du code de la consommation, la conclusion d'un contrat de vente de biens ou de fourniture de services entre un professionnel et un consommateur doit être précédée d'une information renforcée lorsque le contrat est conclu à distance ou en dehors de l'établissement du professionnel, portant notamment sur :
- les caractéristiques essentielles des biens ou des service proposés,
- leur prix,
- le délai de livraison,
- l'existence et les modalités de mise en oeuvre des garanties légales ou commerciales,
- le délai et les modalités d'exercice du droit de rétractation,
- la possibilité de recourir à un médiateur en cas de litige.
Suivant l'article 1112-1 du code civil, le manquement à cette obligation peut entraîner l'annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants du même code. Il en résulte que le consommateur doit établir que le défaut d'information qu'il allègue a été à l'origine de l'erreur ou du dol ayant vicié son consentement.
- Sur le moyen fondé sur l'erreur :
L'article 1132 du code civil dispose que l'erreur constitue une cause de nullité lorsqu'elle porte sur les qualités essentielles de la prestation promise, c'est à dire celles qui ont été expressément ou tacitement convenues entre les parties.
En l'espèce, M. [U] soutient que le bon de commande ne précisait pas les caractéristiques essentielles des biens ou services proposés, la date de livraison des biens ou celle de l'exécution des prestations, les modalités de financement du prix, ainsi que les coordonnées du médiateur compétent en cas de litige.
Il convient d'examiner successivement l'ensemble de ces griefs.
1° - Le bon de commande souscrit le 9 février 2018 mentionnait la fourniture et l'installation d'un kit EVATECH 'optimiseur' de puissance comprenant 12 modules, un câblage 220 volts, une passerelle de communication et 'reporting' internet, la reprise de l'ancien onduleur, l'installation de 2 panneaux de 250 Wc (watts-crête), et la reprise de l'installation sur tuiles fournies par le client.
La facture émise par la société GFE reprend le détail de ces prestations, qui ont donc essentiellement consisté dans la fourniture et la pose d'un kit d'optimisation de centrale photovoltaïque composé de 12 micro-onduleurs, alors que la reprise de l'installation existante en toiture ne constituait qu'une prestation accessoire offerte par le vendeur, qui en a directement réglé le coût auprès de son sous-traitant la société ENR.
Il apparaît ainsi que l'objet du contrat était le remplacement de l'onduleur central existant par des micro-onduleurs plus performants, censés accroître la production d'électricité. Dans ces conditions, la rentabilité économique de l'installation constituait bien une condition déterminante du consentement de l'acheteur.
Toutefois, pour démontrer que l'installation ne lui procure aucun gain de productivité substantiel, M. [U] ne s'appuie que sur le rapport de M. [D] ; or il est de jurisprudence constante que les juges ne peuvent fonder leur décision sur les seules conclusions d'une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l'une des parties.
À titre surabondant, il doit être relevé que ce rapport est sérieusement contestable, dans la mesure où il ne constitue pas une expertise technique du matériel mais une étude 'mathématique et financière', et que son auteur y développe un raisonnement purement théorique, sans analyser concrètement l'évolution de la production d'électricité de l'installation avant et après la mise en place du kit d'optimisation.
2 ° - Le délai de livraison était stipulé à 60 jours, et le délai d'installation à 90 jours. Or la réception des travaux est intervenue dès le 26 février 2018, de sorte qu'aucun retard n'a été subi par le client.
3° - Le prix global était de 10.900 euros TTC, comprenant 2.000 euros de frais de pose, déduction faite de la somme de 1.000 euros au titre de la reprise de l'ancien onduleur, aucune disposition légale ou réglementaire n'imposant au vendeur de ventiler ce prix article par article.
D'autre part, en même temps que la souscription du bon de commande, M. [U] avait adhéré à l'offre de prêt de la société SOFINCO, détaillant précisément la durée totale d'amortissement, le taux d'intérêt nominal, le taux effectif global, le montant des échéances mensuelles et le coût total du crédit, de sorte que les modalités de financement lui étaient parfaitement connues.
4° - Les conditions générales annexées au bon de commande mentionnaient que l'acquéreur pouvait recourir gratuitement à une procédure de médiation pour régler les litiges non résolus par le service clients, et il n'apparaît pas que le défaut de communication des coordonnées du ou des médiateurs compétent(s), prescrite par l'article R 221-2 du code de la consommation, ait été de nature à vicier le consentement de M. [U], ce dernier ne justifiant au demeurant d'aucune réclamation préalable adressée au vendeur.
En définitive, il y a lieu de considérer que l'erreur alléguée par le consommateur n'est pas démontrée.
- Sur le moyen fondé sur le dol :
Selon l'article 1137 du code civil, le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manoeuvres ou des mensonges. Il est également constitué en cas de dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie. En revanche, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation.
La jurisprudence a eu l'occasion de préciser que la simple exagération publicitaire, lorsqu'elle ne dépasse pas ce qui est habituel dans les pratiques commerciales, n'est pas constitutive de dol.
En l'espèce, M. [U] soutient qu'il aurait contracté sur la foi d'une promesse d'autofinancement de l'installation, au vu des documents qui lui avaient été produits par le démarcheur de la société GFE. Cependant, il ne produit aucun de ces documents promotionnels, de sorte que la cour n'est pas en mesure d'apprécier la présentation du produit qui a pu lui être faite. Aucune promesse d'autofinancement n'est en particulier démontrée, cette notion ne devant pas être confondue avec celle d'autoconsommation.
D'autre part, le bon de commande ne contient aucun engagement précis quant au gain de productivité pouvant être attendu de l'installation.
Enfin, il n'est produit aux débats aucun élément de nature démontrer l'existence de manoeuvres ou de mensonges de la part du vendeur, et le premier juge n'a pas caractérisé la réticence dolosive imputée à ce dernier.
En conséquence, la nullité du contrat ne peut être davantage prononcée de ce chef.
Sur le contrat de crédit affecté :
Bien que le contrat principal n'encoure pas la nullité, l'emprunteur demeure recevable à rechercher la faute du prêteur s'il démontre que ce dernier a commis une faute à l'occasion de la libération des fonds lui ayant directement causé un préjudice.
En vertu de l'article L 312-48 du code de la consommation, les obligations de l'emprunteur prennent effet à compter de la livraison du bien ou de la fourniture de la prestation.
L'emprunteur qui détermine l'établissement de crédit à verser les fonds au vu d'un document comportant sa signature et propre à caractériser l'exécution complète du contrat principal n'est pas recevable à soutenir ensuite que celle-ci aurait été imparfaite.
En l'espèce, la banque a libéré les fonds au vu d'une facture et d'une fiche de réception des travaux datée et signée de la main de M. [U] le 26 mai 2018 qui ne contenait aucune réserve de sa part, l'intéressé se déclarant au contraire très satisfait de l'installation et de la finition du chantier.
En tout état de cause, l'intimé ne caractérise pas l'existence d'un préjudice en lien avec les fautes qu'il reproche à la banque alors qu'il dispose d'une installation opérationnelle, étant précisé qu'il n'incombait pas au prêteur de vérifier la rentabilité économique de l'investissement.
Les demandes formées contre la société CA CONSUMER FINANCE ne peuvent donc aboutir.
Sur la demande en restitution des sommes versées en exécution du jugement :
Le présent arrêt emporte de plein droit obligation pour l'intimé de restituer les sommes perçues en exécution du jugement infirmé, et constitue le titre exécutoire permettant de l'y contraindre, sans qu'il y ait lieu de statuer sur la demande en répétition formulée par l'appelante.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement déféré, et statuant à nouveau :
Déboute Monsieur [R] [U] de l'ensemble de ses demandes,
Le condamne aux entiers dépens de première instance et d'appel,
Rejette les demandes adverses fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LE PRESIDENT