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24/05/2024 | FRANCE | N°22/08829

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-8b, 24 mai 2024, 22/08829


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8b



ARRÊT AU FOND

DU 24 MAI 2024



N°2024/.













Rôle N° RG 22/08829 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJTAP







[R] [F]





C/



S.A. [6]

S.E.L.A.F.A. MAITRE [P]

Organisme CPAM DU VAR



























Copie exécutoire délivrée

le :

à :



- Me Julie ANDREU


>

- La SELAFA [5],







- Me Stéphane CECCALDI







Décision déférée à la Cour :



Jugement du Pole social du TJ de TOULON en date du 18 Mai 2022,enregistré au répertoire général sous le n° 21/303.





APPELANT



Monsieur [R] [F], demeurant [Adresse 3]



représenté par Me Julie ANDREU de la SELARL TEISSONNIER...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8b

ARRÊT AU FOND

DU 24 MAI 2024

N°2024/.

Rôle N° RG 22/08829 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJTAP

[R] [F]

C/

S.A. [6]

S.E.L.A.F.A. MAITRE [P]

Organisme CPAM DU VAR

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

- Me Julie ANDREU

- La SELAFA [5],

- Me Stéphane CECCALDI

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Pole social du TJ de TOULON en date du 18 Mai 2022,enregistré au répertoire général sous le n° 21/303.

APPELANT

Monsieur [R] [F], demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Julie ANDREU de la SELARL TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Florent TIZOT, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEES

La SELAFA [5], prise en la personne de Me [Z] [P],

es qualité de mandataire ad hoc de la société [6] , demeurant [Adresse 1]

non comparante

CPAM DU VAR, demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Stéphane CECCALDI, avocat au barreau de MARSEILLE

dispensée en application des dispositions de l'article 946 alinéa 2 du code de procédure civile d'être représentée à l'audience

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Mars 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Isabelle PERRIN, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Colette DECHAUX, Présidente de chambre

Monsieur Benjamin FAURE, Conseiller

Mme Isabelle PERRIN, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Isabelle LAURAIN.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 24 Mai 2024.

ARRÊT

Réputé contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 24 Mai 2024

Signé par Madame Colette DECHAUX, Présidente de chambre et Madame Isabelle LAURAIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

M. [R] [F] ('le salarié') a été employé au sein de la société [4] devenue [6] ('l'employeur') du 4 décembre 1970 au 10 février 1987 en qualité de tôlier.

Le 14 octobre 2019, il a adressé à la caisse primaire d'assurance maladie du Var ('la caisse') une déclaration de maladie professionnelle accompagnée d'un certificat médical initial du 25 juin 2019 faisant état de plaques pleurales calcifiées.

Cette pathologie a été prise en charge, par décision du 3 mars 2020, au titre de la législation sur les risques professionnels par la caisse au titre d'une maladie professionnelle inscrite au tableau n°30 bis.

La caisse a fixé la date de consolidation de l'état du salarié au 15 novembre 2017 et son taux d'incapacité à 10 %.

Le salarié a saisi, le 31 mars 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Toulon aux fins de faire reconnaître la faute inexcusable de son ancien employeur susnommé.

Par jugement 18 mai 2022, ce tribunal a :

- dit que la maladie professionnelle du 14 octobre 2019 est imputable à la faute inexcusable de la société [6] ;

- ordonné la majoration de la rente à son taux maximum ;

- fixé l'indemnité réparant le préjudice moral de M. [F] à la somme de 10 000 euros ;

- débouté M. [F] de ses demandes présentées au titre des souffrances endurées et du préjudice d'agrément ;

- dit que la caisse primaire d'assurance maladie du Var devra faire l'avance des sommes ainsi allouées ;

- dit que les sommes allouées porteront intérêt au taux légal à compter du prononcé du jugement;

- condamné la SELAFA [5], prise en la personne de Me [Z] [P], es qualité de mandataire ad hoc de la société [6] aux dépens ;

- ordonné l'exécution provisoire.

M. [F] a interjeté appel partiel dit jugement, dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas discutées, en ce qu'il l'a débouté de ses demandes présentées au titre des souffrances physiques et du préjudice d'agrément.

En l'état des conclusions n°2 déposées au greffe le 9 février 2024, reprises oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, M. [F] sollicite la réformation du jugement entrepris en ce qu'il a fixé l'indemnité réparant son préjudice moral à la somme de 10 000 euros et l'a débouté de ses demandes présentées au titre des souffrances physiques et du préjudice d'agrément, et demande à la cour de :

- fixer l'indemnisation de son préjudice moral à la somme de 30 000 euros,

- fixer l'indemnisation de sa souffrance physique à la somme de 16 000 euros,

- fixer l'indemnisation de son préjudice d'agrément à la somme de 10 000 euros,

et de condamner la partie succombante à lui verser la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par courrier parvenu au greffe le 13 juillet 2023, la SELAFA [5], prise en la personne de Me [Z] [P], représentant la société [6] en qualité de mandataire ad hoc, a indiqué à la cour qu'elle n'entendait pas comparaître à l'audience ni former de demande.

En l'état de ses conclusions déposées au greffe le 21 février 2024, la caisse primaire d'assurance maladie du Var, dispensée de comparution, sollicite la confirmation du jugement en ses dispositions déférées et demande à la cour :

- subsidairement, de ramener les sommes allouées au titre de ses préjudices moral, physique et d'agrément à de plus justes proportions

- en tout état de cause, de débouter le salarié de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur le préjudice physique

L'appelant, se prévalant de littérature médicale, de documents d'imagerie médicale et de certificats médicaux, soutient s'agissant de son préjudice physique être tombé malade en novembre 2017 à l'âge de 68 ans et souffrir de dyspnée qui a notamment justifié l'attribution d'un taux d'incapacité permanente partielle de 10%, mais aussi d'une fatigue chronique, d'un essoufflement à l'effort et de bronchites à répétition. Il précise que les plaques pleurales sont incurables, irréversibles et évolutives et nécessitent des contrôles médicaux réguliers et contraignants.

Il fait observer que le préjudice physique est évalué suivant les conséquences engendrées par la maladie prise en charge et notamment le suivi médical, le traitement en cours, les contraintes d'examens, la perte de capacité respiratoire.

Il souligne que, dans ses deux arrêts du 20 janvier 2023, la Cour de Cassation considère désormais que la rente n'indemnise pas le déficit fonctionnel permanent.

La caisse répond que si le salarié se prévaut de nombreux éléments relevant de la littérature médicale décrivant de manière générale les plaques pleurales et leurs conséquences, il ne verse aucune pièce spécifique relative à son cas personnel faisant état de douleurs associées aux troubles fonctionnels découlant de sa maladie professionnelle.

Elle ajoute que, quand bien même il se plaindrait d'une dyspnée à l'effort depuis juin 2019, le certificat médical qu'il verse lui-même aux débats mentionne un état interférant, à savoir une insuffisance respiratoire chronique, lésions d'emphysème et bronchites liées à son passé de fumeur.

Elle en déduit que l'appelant ne démontre pas de préjudice physique en lien avec sa maladie professionnelle.

Sur quoi:

L'appelant ne produit aucun élément médical antérieur à 2019, excepté un scanner thoracique du 14 septembre 2017 qui fait état de calcifications du système coronarien gauche, de micronodules calcifiés séquellaires au niveau des lobes supérieurs avec présence de remaniements fibreux accompagnés de calcifications pleurales au niveau de l'apex droit.

Les scanners thoraciques réalisés les 31 mars 2019, 16 juin 2021 et 12 septembre 2022 concluent à une absence d'évolutivité.

Il résulte du rapport d'évaluation des séquelles que le salarié a été pris en charge par un pneumologue en juin 2019 suite à une décompensation respiratoire sur bronchite, qu'il se plaint d'un essoufflement à l'effort depuis juin 2019, et l'examen réalisé le 6 décembre 2019 par le médecin conseil de la caisse relève une dyspnée au moindre effort et une présence de sibilants avec une fréquence respiratoire toutefois normale.

Le médecin conseil cite le certificat médical établi par le pneumologue traitant le 8 octobre 2019, qui avait à l'exploration fonctionnelle noté un syndrome obstructif sévère, mais indiqué: 'je l'avais mis sous corticoïdes et aérosol, ce qui l'a amélioré, du point de vue symptomatique et également fonctionnel, puisqu'il a gagné 400 ml au niveau des débits et des volumes. Baisse de ses résistances, le transfert uCO est à 50% chez ce patient insuffisant respiratoire chronique sur une BPCO post tabagique avec broncho emphysème'.

Le médecin conseil a indiqué que l'assuré était atteint de trois pathologies pulmonaires: les épaississement pleuraux en partie calcifiés pouvant être en rapport avec l'exposition professionnelle à l'amiante, une insuffisance respiratoire chronique sévère en rapport avec une BPCO post tabagique non imputable à l'exposition professionnelle à l'amiante et des séquelles de tuberculose pulmonaire, et a conclu que la part de l'insuffisance respiratoire imputable aux épaississements pleuraux est évaluée à 10%.

Aucun élément n'est versé par l'appelant remettant en cause les constatations du médecin conseil quant à l'état interférant qu'il a relevé, médicalement étayé.

D'une part, l'appelant admet lui-même que la dyspnée au moindre effort dont il se prévaut en lien avec la maladie professionnelle a été indemnisée par la rente et d'autre part, il ne démontre pas que ses bronchites et sa fatigue chroniques soient en lien direct et certain avec sa maladie professionnelle.

Les nombreux éléments de littérature médicale qu'il produit par ailleurs, relatifs aux causes, à la symptomatologie et aux conséquences des plaques pleurales, sont des études rédigées en termes généraux, de sorte qu'ils n'éclairent pas la cour sur les conséquences de cette pathologie pour l'appelant en particulier, et le certificat médical du 9 novembre 2023 établi par le pneumologue traitant, qui indique que les plaques pleurales dont le patient est atteint ont une répercussion sur sa respiration en diminuant sa capacité respiratoire n'apporte pas d'élément supplémentaire quant aux souffrances physiques endurées en lien avec sa maladie professionnelle.

Enfin, l'appelant ne verse aucun élément justifiant de suivi médical ou traitements contraignants en cours, d'interventions chirurgicalesou d'examens invasifs.

Faute pour l'appelant de démontrer l'existence de souffrances physiques en lien avec sa maladie professionnelle qui pourraient donner lieu à une indemnisation particulière, c'est à juste titre que les premiers juges, dont la décision doit être confirmée de ce chef, l'ont débouté de sa demande tendant à la réparation de son préjudice physique.

Sur le préjudice moral

L'appelant soutient que son préjudice moral est nécessairement important dans la mesure où il est porteur d'une maladie professionnelle évolutive dont il craint qu'elle puisse dégénérer en maladie mortelle. Il précise être très angoissé, ne plus arriver à se projeter dans l'avenir et appréhender l'aggravation de son état et l'apparition d'un cancer. Il ajoute souffrir du fait de devoir renoncer à son rythme de vie et se soumettre à un suivi médical régulier, et d'un sentiment d'injustice dans la mesure où le caractère létal du matériau qu'il a manipulé pendant des années lui a été caché.

La caisse répond que les premiers juges ont pris en considération sa souffrance morale découlant de l'annonce, à 68 ans, d'une maladie irréversible due à l'amiante et aux craintes de son évolution en fixant son indemnisation à 10 000 euros. Elle ajoute que la demande de l'assuré est disproportionnée au regard du référentiel '[W]' comme de celui des cours d'appel, qui fixent pour une cotation médico-légal de 2/7 une indemnisation de 2 000 à 4 000 euros.

Sur quoi:

Le préjudice moral consiste en la conscience des conséquences de l'exposition à l'amiante, la peur liée à l'évolution prévisible de la maladie développée et son pronostic, l'appréhension du suivi médical.

En l'espèce, l'appelant s'est vu diagnostiquer, à l'âge de 68 ans, des plaques pleurales liées à son exposition à l'amiante et l'annonce de cette pathologie, irréversible et évolutive, lui a nécessairement causé, outre le choc du diagnostic, un préjudice d'anxiété lié aux craintes de son évolution péjorative à plus ou moins brève échéance, que le suivi médical auquel il est astreint du fait de ces pathologie ne peut que réactiver.

Au regard de la nature de la pathologie en cause et de l'âge de l'appelant au moment du diagnostic, les premiers juges, dont la décision doit être confirmée de ce chef, ont justement fixé l'indemnisation de son préjudice moral à la somme de 10 000 euros.

Sur le préjudice d'agrément

L'appelant soutient que tant ses souffrances que son anxiété face à l'annonce de sa pathologie entraînent une gêne importante dans les actes même les plus anodins de sa vie quotidienne. Il ajoute qu'il ne lui incombe pas de démontrer qu'il serait privé en raison de sa maladie d'une activité sportive régulière à laquelle il se serait régulièrement adonné, exigence qui reviendrait à privilégier les individus qui le sont déjà par l'âge, la fortune ou le talent, alors que la réparation d'un préjudice d'agrément doit s'entendre plus largement comme l'atteinte grave à la qualité de vie, sans que soit exigée la production de pièces justifiant la pratique d'activités sportives ou ludiques quelconques, a fortiori compte tenu de ce qu'elles sont devenues banales et le plus souvent pratiquées en-dehors de toute structure spécifique.

Il précise avoir été contraint, en raison de ses difficultés respiratoires, d'abandonner ses activités ludiques telles que les promenades à vélo, la pétanque et la pêche.

La caisse répond que le salarié ne justifie pas de la pratique d'une activité sportive ou de loisirs antérieure à sa maladie et objecte qu'il échoue à démontrer que ses difficultés respiratoires résultent exclusivement de sa maladie professionnelle.

Sur quoi :

Au contraire de ce qu'il soutient, pour obtenir réparation de ce préjudice, l'appelant doit justifier de l'impossibilité ou de la limitation dans la poursuite, à cause de sa pathologie liée à l'amiante, des activités de loisirs ou sportives auxquelles il s'adonnait antérieurement à cette maladie, preuve qui peut être établie par tous moyens et notamment, par voie d'attestations.

En l'espèce, il ne résulte d'aucune des attestations produites par l'appelant au soutien de sa demande, que la diminution voire l'arrêt de ses activités ludiques de cuisine, de pétanque et de pêche, ou sportive de marche et de vélo, ainsi que la cessation des célébrations d'anniversaires ou de fêtes de [R], soient consécutifs de sa maladie professionnelle, dans la mesure où ces attestations mentionnent une dégradation progressive de l'état de santé physique et moral de l'appelant sans la dater ni en mentionner la cause, et alors qu'il est établi qu'il souffrait déjà, avant sa maladie professionnelle, d'une insuffisance respiratoire chonique sévère en rapport avec une BPCO post tabagique non imputable à l'exposition professionnelle à l'amiante, et de séquelles de tuberculose pulmonaire.

Par conséquent, c'est à juste titre que le tribunal, dont le jugement doit être confirmé de ce chef, l'a débouté de sa demande en indemnisation de son préjudice d'agrément.

Succombant, l'appelant est condamné aux dépens d'appel et ne peut se prévaloir des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS:

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,

Y ajoutant,

Déboute M. [R] [F] de l'ensemble de ses demandes et prétentions,

Condamne M. [R] [F] aux dépens d'appel.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-8b
Numéro d'arrêt : 22/08829
Date de la décision : 24/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-24;22.08829 ?
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