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23/05/2024 | FRANCE | N°22/06377

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-4, 23 mai 2024, 22/06377


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-4



ARRÊT AU FOND

DU 23 MAI 2024



N° 2024/





Rôle N° RG 22/06377 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJKNK







S.A. BPCE ASSURANCES





C/



[S] [J]

Etablissement Public ETABLISSEMENT NATIONAL DES INVALIDES DE LA MARINE (ENIM)







Copie exécutoire délivrée

le :

à :



Me Fabien BOUSQUET



Me Cyril OFFENBACH












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Décision déférée à la Cour :



Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de GRASSE en date du 15 Mars 2022 enregistrée au répertoire général sous le n° 21/05573.





APPELANTE



S.A. BPCE ASSURANCES

, demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Fabien B...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-4

ARRÊT AU FOND

DU 23 MAI 2024

N° 2024/

Rôle N° RG 22/06377 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJKNK

S.A. BPCE ASSURANCES

C/

[S] [J]

Etablissement Public ETABLISSEMENT NATIONAL DES INVALIDES DE LA MARINE (ENIM)

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Fabien BOUSQUET

Me Cyril OFFENBACH

Décision déférée à la Cour :

Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de GRASSE en date du 15 Mars 2022 enregistrée au répertoire général sous le n° 21/05573.

APPELANTE

S.A. BPCE ASSURANCES

, demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Fabien BOUSQUET de la SARL ATORI AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Damien NOTO, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMES

Monsieur [S] [J]

né le [Date naissance 1] 1966 à [Localité 5], demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Cyril OFFENBACH, avocat au barreau de NICE substitué par Me Florian CUORDIFEDE, avocat au barreau de NICE

Etablissement Public ETABLISSEMENT NATIONAL DES INVALIDES DE LA MARINE (ENIM)

, demeurant [Adresse 3]

défaillante

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Mars 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Adrian CANDAU, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Inès BONAFOS, Présidente

Mme Véronique MÖLLER, Conseillère

M. Adrian CANDAU, Conseiller

Greffier lors des débats : Monsieur Achille TAMPREAU.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 23 Mai 2024.

ARRÊT

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

 

Le 11 mai 2019, vers 23h30, Monsieur [S] [J], exerçant la profession de mécanicien, a été victime d'un accident de quai dans l'enceinte privée d'un chantier naval à [Localité 6], alors qu'il participait, en compagnie de ses collègues de travail, à un repas de fin de chantier au sein duquel ils étaient employés. Souhaitant récupérer sa carte bancaire, tombée sur un des rebords de la cale sèche, la victime a basculé et chuté de 10 mètres.

 

Pris en charge par les pompiers, polytraumatisé, il a été transporté vers l'Hôpital Nord de [Localité 6]. Il présentait des traumatismes crânien, facial, thoracique et abdomino-pelvien, accompagnés de nombreuses fractures et hématomes. M. [J] a été hospitalisé au sein d'un service de neurochirurgie du 12 mai 2019 au 21 mai 2019, puis dans un centre de rééducation au sein duquel il a séjourné du 21 mai 2019 au 09 août 2019.

 

Monsieur [S] [J] a déclaré son accident auprès de son assureur, la société BPCE, dans le cadre de son contrat n° 009235604 « Garantie des accidents de la vie ».

 

Une expertise amiable a été mise en 'uvre par la société BPCE et réalisée par le Dr [C] le 9 décembre 2020. Monsieur [S] [J] a contesté les conclusions de ce dernier.

 

***

 

Par actes d'huissier en date du 18 juin 2021, M. [S] [J], a donné assignation à comparaitre à la société BPCE et à l'Etablissement National des Invalides de la Marine, devant le juge des référés de DRAGUIGNAN, en vue d'obtenir l'indemnisation de son préjudice et la désignation d'un médecin expert ainsi que le paiement d'une indemnité provisionnelle.

 

Par ordonnance de référé en date du 29 septembre 2021, le Président du Tribunal judiciaire de DRAGUIGNAN, a ordonné la réalisation d'une expertise judiciaire confiée au Dr [D] [Y] et a rejeté la demande provisionnelle en l'état de contestations sérieuses.

 

Avant même la remise du rapport d'expertise, par acte d'huissier en date du 29 novembre 2021, M. [S] [J], a donné assignation à jour fixe à la société BPCE ASSURANCES ainsi qu'à l'Etablissement National des Invalides de la Marine, d'avoir à comparaitre devant le Tribunal judiciaire de GRASSE.

 

Par jugement en date du 15 mars 2022 par le Tribunal judiciaire de GRASSE :

-          Ordonne la mise en 'uvre de la garantie d'assurance sur les accidents de la vie souscrite le 7 février 2017 par monsieur [S] [J] auprès de la compagnie BPCE ASSURANCES, suivant contrat n°009235604 ;

-          Déboute monsieur [S] [J] de sa demande d'expertise ;

-          Sursoit à statuer sur la liquidation du préjudice corporel de monsieur [S] [J] en l'attente du dépôt du rapport d'expertise résultant de l'ordonnance du juge des référés du Tribunal judiciaire de Draguignan en date du 29 septembre 2021 ;

-          Renvoie l'affaire à l'audience de mise en état du 17 octobre 2022 à 10H00 ;

-          Condamne la compagnie BPCE ASSURANCES à payer à monsieur [S] [J] la somme de 3.000€ à monsieur [S] [J] sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

-          Reserve les dépens de l'instance ;

-          Constate l'exécution provisoire de droit de la présente décision.

 

Par déclaration en date du 29 avril 2022, la société BPCE ASSURANCES, a formé appel du jugement rendu par le Tribunal judiciaire de GRASSE en date du 15 mars 2022, à l'encontre de M.  [S] [J], en ce qu'il a :

-          Ordonné la mise en 'uvre de la garantie d'assurance sur les accidents de la vie souscrite par Monsieur [J] et a sursis à statuer sur la liquidation du préjudice.

-          En ce qu'il a jugé qu'aucune exclusion n'était opposable.

-          En ce qu'il a condamné la BPCE au paiement de la somme de 3000 euros.

 

***

 

Les parties ont exposé leur demande ainsi qu'il suit, étant rappelé qu'au visa de l'article 455 du code de procédure civile, l'arrêt doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens :

 

La société BPCE ASSURANCES par conclusions d'appelant notifiées le 19 juillet 2022, demande à la Cour :

Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, 

Vu les dispositions de l'article 1103, 1104, 1353 du code civil ;

Vu les dispositions de l'article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale

Vu le contrat en date du 07/02/2017 (n°009235604) ;

Vu le rapport d'examen médico-légal du Docteur [C] en date du 09/12/2020 ;

Vu la jurisprudence,

Vu les pièces versées aux débats,

Et tous autres à produire, déduire ou suppléer, au besoin même d'office, l'intimée conclut à ce qu'il plaise à la Cour d'appel d'Aix-en-Provence de :

-          REFORMER le jugement entrepris en ce qu'il a ordonné la mise en 'uvre de la garantie d'assurance sur les accidents de la vie souscrite, le 7 février 2017, par Monsieur [S] [J] ;

-          REFORMER le jugement entrepris en ce qu'il a jugé qu'aucune exclusion n'était opposable à Monsieur [S] [J] ; 

-          REFORMER le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé le sursis à statuer sur la liquidation du préjudice corporel dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise résultant de l'ordonnance du juge des référés du Tribunal judiciaire de Draguignan en date du 29 septembre 2021 ;

-          REFORMER le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la BPCE au paiement de la somme de 3.000,00 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

 

Puis, statuant à nouveau,

-          JUGER que les conditions de mise en jeu du contrat « garantie des accidents de la vie » (n°009235604) en date du 07/02/2017 ne sont pas remplies ;

-          JUGER que la compagnie BPCE est fondée à opposer à M. [S] [J] l'exclusion de garantie prévue au contrat pour les dommages subis à l'occasion d'activité professionnelle ;

 

En conséquence,

-          DEBOUTER M. [S] [J] de l'ensemble de ses demandes formulées devant les premiers juges ;

-          LE CONDAMNER à la somme de 3 000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens. 

La société BPCE ASSURANCES par conclusions d'appelant n°2 notifiées le 25 janvier 2023, maintient ses prétentions initiales et sollicite en outre, en tout état de cause de :

-          REJETER les demandes de Monsieur [J] et le débouter de son appel incident

-          REJETER sa demande de liquidation partielle.

-          JUGER les demandes provisionnelles nouvelles et irrecevables.

En cas de condamnation, JUGER que Monsieur [J] devra satisfaire à l'expertise judiciaire ordonnée en référé et si la cour entendait entrer en voie de condamnation, limiter la provision à la somme de 20.000 euros

 

La société BPCE reproche à la décision attaquée d'avoir écarté la non-garantie opposé s'agissant d'un dommage subi à l'occasion de l'activité professionnelle de l'assuré au motif que l'accident est survenu hors des horaires de travail de Monsieur [J] et de son activité professionnelle. Elle considère au contraire qu'au regard de ses circonstances, cet accident n'entre pas dans le champ du contrat d'assurance qui couvre les accidents de la vie privée. Elle soutient que l'accident litigieux a bien eu lieu à l'occasion de l'activité professionnelle de Monsieur [J]. Elle se prévaut du fait que cet accident est survenu lors d'un repas de fin de chantier entre collègues aux abords du chantier concerné ; qu'il a bien été considéré en premier lieu comme un accident du travail ; que le fait générateur de celui-ci se rattache manifestement au travail de Monsieur [J].

 

La BPCE fait en outre valoir qu'elle n'a pas à pallier le fait que Monsieur [J] n'ait pas procédé aux démarches nécessaires pour que son accident soit pris en charge au titre de la législation sur les accidents professionnels et souligne que ce dernier n'a pas produit les justificatifs de cette situation professionnelle.

 

En réponse aux moyens développés par son contradicteur, la BPCE indique qu'elle n'a renoncé à aucune exception de garantie et que la clause contenue dans le contrat excluant une prise en charge des accident intervenus lors de l'activité professionnelle est parfaitement valide et justifiée. S'agissant de la demande de liquidation partielle, elle fait valoir que celle-ci est irrecevable en appel car nouvelle.

 

La BPCE précise en outre que le dossier est revenu à la mise en état devant la juridiction de première instance, le demandeur n'ayant pas conclu ni déféré à l'expertise médicale ordonnée en référé et validée par le premier juge.

 

M. [S] [J] par conclusions d'intimé déposées et notifiées par RPVA le 18 octobre 2022, demande à la Cour :

Vu le contrat souscrit auprès de la BPCE,

Vu les pièces versées aux débats,

Vu le code des assurances,

Vu la jurisprudence,

Vu le jugement rendu le 15 mars 2022 par le tribunal judiciaire de GRASSE pole civil, 1ère chambre section A RG 21/05573 décision 2022/265

-          CONFIRMER le jugement rendu le 15 mars 2022 par le tribunal judiciaire de GRASSE pole civil, 1ère chambre section A RG 21/05573 décision 2022/265 en ce qu'il a retenu que la garantie d'assurances   des   accidents   de   la   vie   souscrite   auprès   de   la   compagnie   BPCE ASSURANCES doit être mise en 'uvre.

-          DIRE et JUGER que la compagnie BPCE doit l'indemnisation intégrale des préjudices subis par Monsieur [S] [J]

-          REFORMER le jugement rendu le 15 mars 2022 par le tribunal judiciaire de GRASSE pole civil, 1ère chambre section A RG 21/05573 décision 2022/265 :

o   En ce qu'il a sursis à statuer dans l'attente de l'expertise ordonnée par ordonnance de référé du 29 septembre 2021, la désignation d'expert étant caduque et par ailleurs confiée au Docteur [Y] exerçant pour le compte des compagnies d'assurances.

Ce faisant,

-          DESIGNER tel expert médical (et au besoin un ergothérapeute) qu'il plaira sur le ressort de [Localité 7] avec mission limitée à l'évaluation des postes de préjudices suivants :

o   Frais de logement adapté,

o   Frais de véhicule adapté,

o   Assistance temporaire par tierce personne,

o   Assistance permanente par tierce personne,

o   Préjudice sexuel,

o   Préjudice d'agrément.

-          REFORMER le jugement rendu le 15 mars 2022 par le tribunal judiciaire de GRASSE pole civil, 1ère chambre section A RG 21/05573 décision 2022/265 :

En ce qu'il a sursis à statuer sur la liquidation des postes de préjudices non soumis à la demande d'évaluation par voie d'expertise.

 

Ce faisant,

-          S'ENTENDRE CONDAMNER la compagnie BPCE à payer par provision à Monsieur [S] [J] pour réparation de son préjudice corporel et économique les sommes suivantes :

- Tierce personne :

Avant consolidation (à titre provisionnel) :'''''''''''......   3.000,00 €

Après consolidation (à titre provisionnel)  :''''''''''''.  85.569,12 €

- Déficit Fonctionnel Permanent :''''''''''''''''  122.175,00 €

Pertes de gains professionnels actuels :'''''''''''''.    48.000,00 €

- Pertes de gains professionnels futurs :'''''''''''''. 1.316.448,00 €

- Incidence professionnelle :''''''''''''''''''  200.000,00 €

Subsidiairement, '''''..''''''''''''''''.. 300.000,00 €

- Souffrances endurées :'''''''''''''''''''..     35.000,00 €

- Dommage esthétique permanent :'''''''''''''''.       5.000,00 €

-          CONFIRMER le jugement rendu le 15 mars 2022 par le tribunal judiciaire de GRASSE pole civil, 1ère chambre section A RG 21/05573 décision 2022/265 en ce qu'il a condamné la compagnie BPCE à payer à Monsieur [S] [J] la somme de 3.000 € par application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile outre les entiers dépens.

 

Y ajoutant, en cause d'appel,

-          S'ENTENDRE   CONDAMNER la   compagnie   BPCE   à   payer   à   Monsieur   [S] [J] la somme de : 3.000 € (Trois mille euros) par application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile

-          S'ENTENDRE CONDAMNER la compagnie BPCE en tous les dépens d'appel.

 

 

M. [S] [J] expose qu'à défaut de ressources suffisantes, il n'était pas en mesure de verser la somme demandée au titre de l'expertise judiciaire ; il fait valoir qu'au cours de l'instruction, la BPCE n'a émis aucune réserve sur les garanties applicables de sorte qu'elle n'est plus fondée à se prévaloir d'un tel refus. S'agissant de la clause d'exclusion dont la BPCE se prévaut, il fait valoir que celle-ci doit être réputée non écrite en ce qu'elle prive de sa substance l'obligation essentielle de l'assureur ; que par ailleurs cette clause doit être déclarée inopposable par application des dispositions de l'article L112-2 du Code des assurances imposant à l'assureur de porter à la connaissance de l'assuré l'existence d'une clause de limitation au moment de l'adhésion.

 

Monsieur [J] conclut en tout état de cause que la garantie due par la BPCE est acquise au vu des circonstances de l'accident, lequel est intervenu dans un cadre privé après une fin de chantier et non pas dans le cadre professionnel, le jugement attaqué ayant justement apprécié ce point.

 

Concernant sa demande de liquidation partielle, il fait valoir que celle-ci est nécessaire compte tenu de son état de santé et formule donc ses demandes par référence aux conclusions du Dr [C] ; il sollicite en outre une expertise pour les postes de préjudice qui n'ont pas été évalué par le Dr [C] : le préjudice sexuel et le préjudice d'agrément, et demande que cette expertise doit diligentée dans le ressort du Tribunal judiciaire de GRASSE compte tenu de son lieu de résidence et qu'elle ne soit pas confiée au Dr [Y] qui exerce une activité pour le compte des assureurs.

 

S'agissant de la perte de gain professionnels actuel, le Dr [C] ayant retenu la période du 11/05/2019 au 11/05/2020, M. [J] ayant un revenu mensuel moyen de 4.000 euros, il estime son indemnisation à 48.000 euros

S'agissant de la perte de gains professionnels futurs, le Dr [C] a considéré M. [J] inapte définitivement à son métier de mécanicien de bord. Cette perte totale est estimée à 1.316.448,00 euros. 

S'agissant de l'incidence professionnelle, au regard de la nomenclature DINTILHAC une indemnisation distincte est possible en ajout du préjudice de perte de gains professionnel futurs. M. [J] étant atteint d'un déficit fonctionnel de 45%, il estime à 200.000 euros l'indemnisation du fait de l'abandon de la profession exercée.

S'agissant des souffrances endurées, le Dr [C] a évalué à 4,5/7 les souffrances endurées, M. [J] estime à une somme plancher de 35.000 euros l'indemnisation de ce préjudice.

S'agissant du dommage esthétique permanent, le Dr [C] a évalué à 1/7, M. [J] estime à une somme plancher de 5.000 euros l'indemnisation de ce préjudice compte tenu de l'exophorie séquellaire retenue par l'expert.

 

L'Etablissement National des Invalides de la Marine (ENIM) a fait l'objet d'une assignation délivré à la demande de la BPCE ASSURANCES le 25 juillet 2022, par acte remis à personne habilitée.

 

L'ENIM n'a pas constitué avocat et n'est pas intervenu dans l'instance.

 

L'affaire a été clôturée par ordonnance du 05 février 2024 et appelée en dernier lieu à l'audience du 06 mars 2024.

 

MOTIFS DE LA DECISION

 

Sur la demande principale :

 

La BPCE conclut donc à titre principal à la réformation du jugement du Tribunal judiciaire de GRASSE en ce qu'il a ordonné la mise en 'uvre de la garantie d'assurance sur les accidents de la vie et jugé qu'aucune exclusion n'était opposable à Monsieur [S] [J].

 

Les parties sont en l'état d'un contrat d'assurance souscrit le 7 février 2017 auprès de la Caisse d'Epargne dont l'objet est une assurance garantie des accidents de la vie applicable aux accidents de la vie privée, aux accidents médicaux et aux accidents dus à une agression ou à un attentat, à une catastrophe naturelle ou technologique. La BPCE se prévaut du fait que selon les conditions générales de ce contrat, les accidents de la vie privée s'envisagent comme « les conséquences des dommages corporels résultant d'évènements soudains et imprévisibles, individuels ou collectifs, dus à des causes extérieures et survenus dans le cadre de votre vie privée ». Qu'en outre, il est stipulé que « les dommages subis à l'occasion d'activités professionnelles (y compris les activités sportives donnant lieu à rémunération) ou de fonctions publiques et/ou électives ou syndicales ou d'accidents de trajet tels que définis par le Code de la Sécurité Sociale » (conditions générales p.1 et 2) ne sont pas couverts.

 

La BPCE considère qu'il ressort sans contestation possible des circonstances de l'accident que celui-ci est intervenu à l'occasion de l'activité professionnelle de Monsieur [J] de sorte qu'il relève de la législation des accidents du travail et qu'il entre dans le champ de l'exclusion de garantie prévue au contrat.

 

Monsieur [J] oppose que la BPCE a renoncé aux exceptions de garantie, que la clause d'exclusion dont l'assureur se prévaut doit être déclarée non écrite et qu'elle lui est inopposable.

 

'         Sur la renonciation aux exceptions de garantie :

 

Monsieur [J] fait valoir qu'à aucun moment de la procédure pré-contentieuse, l'assureur n'a exprimé de réserves sur les garanties applicables, que l'expertise amiable s'est notamment déroulée sans qu'aucun refus de garantie ou exception de garantie ne soient invoqués ; qu'ainsi, par application des dispositions de l'article L113-7 du Code des assurances, la BPCE n'est plus fondée à invoquer une exception de garantie.

 

L'article L113-7 du Code des assurances, comme l'a relevé le premier juge concernait, avant son abrogation, la possibilité d'une résiliation ou d'une diminution de la prime applicable au contrat en fonction de l'évolution des circonstances du risque en cours d'exécution du contrat.

 

L'article L113-17 du même Code prévoit en revanche que « l'assureur qui prend la direction d'un procès intenté à l'assuré est censé aussi renoncer à toutes les exceptions dont il avait connaissance lorsqu'il a pris la direction du procès.

L'assuré n'encourt aucune déchéance ni aucune autre sanction du fait de son immixtion dans la direction du procès s'il avait intérêt à le faire ». 

 

Cependant, ces dispositions ne concernent que les situations dans lesquelles l'assureur prend la direction d'un procès, à savoir les cas dans lesquels l'assureur défend son assuré à l'occasion d'un litige dont l'objet est de nature à déclencher la mise en 'uvre de sa garantie. Elles ne sont dont pas applicables à l'espèce et ne permettent pas de caractériser une renonciation de l'assureur aux exceptions de garantie.

 

'         Sur le caractère non écrit de la clause d'exclusion :

 

Monsieur [J] se fonde sur les dispositions de l'article 1170 du Code civil et se réfère à la jurisprudence dite « Chronopost » et à la notion de cause qui permettent de réputer non écrites les clauses qui vident de leur substance l'obligation essentielle du débiteur. Il considère que faire droit à la position de la BPCE reviendrait à nier l'obligation essentielle de ce contrat qui est d'indemniser la victime en cas d'accident de la vie, notamment en l'absence de tiers responsable.

 

Selon la BPCE, la non prise en compte des dommages survenus dans le cadre de l'activité professionnelle est parfaitement valide est justifiée, l'objet du contrat étant précisément de garantir les accidents de la vie privée.

 

L'article 1170 du Code civil prévoit en effet que « toute clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ».

Au sens de cet article, une clause d'exclusion de garantie doit être considérée comme non écrite lorsqu'elle prive de sa substance l'obligation essentielle du contrat et qu'elle contredit en conséquence la portée de l'engagement souscrit.

 

En l'espèce, il doit être considéré que la clause litigieuse qui conduit à exclure du champ d'application des accidents de la vie privée les accidents survenus à l'occasion de l'activité professionnelle n'est pas de nature à priver de sa substance le contrat d'assurance des accidents de la vie. En effet, l'obligation essentielle de ce contrat est la garantie des accidents de la vie privée, médicaux ou résultant d'une agression, un attentat ou une catastrophe naturelle. Par ailleurs, au vu de sa formulation, cette clause opère une exclusion formelle et limité de la garantie des accidents qui surviennent à l'occasions d'activités professionnelles sans qu'elle n'ait lieu à être interprétée.

 

Il en résulte qu'il n'y a pas lieu de la déclarer non écrite.

 

'         Sur l'opposabilité de la clause :

 

Monsieur [J] fonde sa demande d'inopposabilité sur les dispositions de l'article L112-2 du Code des assurances selon lequel :

 

« L'assureur doit obligatoirement fournir une fiche d'information sur le prix et les garanties avant la conclusion du contrat.

Avant la conclusion du contrat, l'assureur remet à l'assuré un exemplaire du projet de contrat et de ses pièces annexes ou une notice d'information sur le contrat qui décrit précisément les garanties assorties des exclusions, ainsi que les obligations de l'assuré (') ».

 

Il considère qu'en l'espèce la BPCE n'apporte pas la preuve du fait que les limitations et exclusions des garantie ont été portées à sa connaissance au moment de la souscription.

Cependant, comme l'a justement relevé le premier juge, l'exemplaire du contrat signé par Monsieur [J] mentionne expressément en p.4/4 : « vous avez choisi de consulter les conditions générales (Réf 871A) sur l'espace assurances. Vous certifiez en avoir pris connaissance avant la signature. Les présentes Conditions Particulières et les Conditions générales constituent votre contrat définitif ».

 

De surcroît, les Conditions Générales en leur page 2 mentionnent de façon très apparente sous la forme d'un encadré contrastant et en caractère gras les risques qui ne sont pas garantis par le contrat.

 

Ainsi, Monsieur [J] a bien été destinataire des Conditions Générales qui prévoient l'exclusion de garantie, ce dont l'assureur rapporte la preuve en versant aux débats l'exemplaire du contrat dont la page faisant état de cette prise de connaissance comporte la signature de l'assuré.

 

Il convient en conséquence de confirmer la décision attaquée en ce qu'elle a considéré que la clause d'exclusion invoquée par la BPCE était valide et opposable à Monsieur [J].

 

'         Sur la mise en 'uvre de la garantie :

 

La BPCE conclut à l'infirmation de la décision attaquée en ce qu'elle a fait droit à la demande de mise en 'uvre de la garantie. Elle expose que le premier jugement a fait une mauvaise appréciation des circonstances de l'accident, lequel ne saurait entrer dans le champ de la garantie. Elle soutient donc que l'accident de Monsieur [J] a bien eu lieu à l'occasion de l'activité professionnelle de celui-ci en ce qu'il est survenu sur le lieu de travail s'agissant d'un repas de fin de chantier entre collègues aux abords du chantier de maintenance sur lequel intervenait Monsieur [J]. La BPCE souligne en outre le fait que pendant la durée du chantier, Monsieur [J] logeait sur le navire ATMOSPHERE qui faisait l'objet de la maintenance. Ainsi, pour l'assureur, le lien entre l'activité professionnelle de Monsieur [J] et l'accident est établi de sorte que la clause de non garantie s'applique.

 

La BPCE excipe également du fait que Monsieur [J] n'a pas déféré à la demande visant à obtenir la communication de son contrat de travail et bulletins de salaire ainsi que l'attestation d'affiliation à son organisme social alors que ces éléments permettraient notamment de démontrer si Monsieur [J] occupait le navire à titre de logement de fonction pendant la durée du chantier et d'apprécier si au moment de l'accident il était sous l'emprise du pouvoir de contrôle, de surveillance et d'autorité exercé par l'employeur.

 

Monsieur [J] oppose qu'il ne peut pas être considéré que son accident est survenu dans un cadre professionnel et que le fait qu'il ait logé temporairement sur le navire afin d'éviter les aller-retours depuis son domicile n'a pas de conséquence sur la mise en 'uvre de la garantie. Il soutient donc que son accident est bien survenu au cours d'une activité privée.

 

La qualification d'un accident en accident professionnel suppose de prendre en compte le temps et le lieu de celui-ci ainsi que l'existence d'une soumission à l'autorité et à la surveillance de l'employeur. En l'espèce, les circonstances de l'accident, telles qu'elles ressortent des éléments versés aux débats établissent que, bien qu'il soit survenu sur le lieu du chantier, cet évènement a eu lieu à l'occasion d'un repas qui ne saurait être considéré comme entrant dans le temps de travail rémunéré de Monsieur [J] et pendant lequel il restait soumis à l'autorité et la surveillance de son employeur. Aucun élément ne permet de considérer que le repas à l'occasion duquel l'accident est survenu était en lien avec les nécessités de l'emploi. Cet accident n'a donc pas lieu d'être considéré comme intervenu « à l'occasion » de l'activité professionnelle de l'assuré au sens du contrat litigieux.

 

C'est donc à juste titre que le premier juge a considéré que l'accident avait eu lieu dans des circonstances qui ne font pas partie de l'activité professionnelle.

 

Il convient en conséquence de confirmer la décision attaquée en ce qu'elle a dit que la garantie d'assurance des accidents de la vie souscrite auprès de la Cie BPCE ASSURANCES doit être mise en 'uvre.

 

Sur la demande de condamnation provisionnelle :

 

Monsieur [J] conclut à la réformation de la décision attaquée en ce qu'elle a rejeté ses demandes d'indemnisation provisionnelle. Il fait valoir qu'en considération des postes de préjudice dont la réparation est prévue par son contrat d'assurance et au vu de son état de santé, il est fondé à demander la liquidation par provision par référence aux conclusions d'ores et déjà adoptées par le Dr [C], expert intervenu dans le cadre amiable.

 

La BPCE oppose que Monsieur [J] est mal fondé à solliciter une liquidation partielle de ses préjudices sur la base d'un rapport qu'il conteste et cela alors qu'il n'a pas déféré à l'expertise judiciaire qu'il avait sollicitée. Elle fait en outre valoir que cette demande est irrecevable car nouvelle puisque le premier juge avait indiqué ne pas être valablement saisi de cette prétention.

 

S'agissant de la recevabilité de cette demande, en première instance, Monsieur [J] avait sollicité une liquidation partielle de ses préjudices ainsi que la désignation d'un expert médical, au besoin ergothérapeute pour évaluer les préjudices non pris en compte dans la première expertise.

 

En effet, le premier juge s'est déclaré non valablement saisi de la demande de provision formulée par Monsieur [J] par application de l'article 768 du Code de procédure civile et compte tenu du fait que cette prétention, formulée dans le corps de ses écritures, n'était pas reprise dans le dispositif de celle-ci.

 

L'article 564 du Code de procédure civile prévoit que « à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ».

 

Au sens de cet article, doit être considérée comme nouvelle une prétention sur laquelle le juge d'appel est conduit à se prononcer alors qu'elles n'ont pas été formulées devant le premier juge. En l'espèce, compte tenu de ce que la demande de provision a été formulée en 1ère instance dans des conditions qui n'ont pas imposé au 1er juge l'obligation de se prononcer sur cette prétention (le défaut de saisine valable du juge de première instance quant à ce chef de demande n'étant pas contesté), il doit être considéré qu'il s'agit d'une demande nouvelle en cause d'appel. Cette prétention en vue d'obtenir une provision doit en conséquence être déclarée irrecevable par application des dispositions de l'article 564 du Code de procédure civile.

 

Sur la demande d'expertise judiciaire :

 

Les parties se trouvent en l'état d'un rapport amiable établi par le Dr [C], mandaté par la Cie d'assurances BPCE.

 

Par ordonnance de référé en date du 29 septembre 2021, le Dr [Y] a été commis en qualité d'expert judiciaire avec pour mission de procéder à l'évaluation du préjudice corporel de Monsieur [J]. Ce dernier fait valoir que l'expertise ordonnée par voie de référé est frappée de caducité et qu'en outre, Monsieur [Y] exerçant une activité pour le compte des assureurs, il ne saurait exercer une activité d'expert judiciaire.

 

Monsieur [J] demande que l'expertise judiciaire sollicitée porte sur l'évaluation des postes de préjudices suivants :

o   Frais de logement adapté,

o   Frais de véhicule adapté,

o   Assistance temporaire par tierce personne,

o   Assistance permanente par tierce personne,

o   Préjudice sexuel,

o   Préjudice d'agrément.

 

Cependant, aucun élément ne vient justifier de la caducité alléguée de la première expertise ordonnée et il n'y a pas lieu de mettre en 'uvre une nouvelle mesure d'expertise en l'état de celle déjà ordonnée par le juge des référés de DRAGUIGNAN et qui donne déjà à l'expert mission de se prononcer sur les postes de préjudice mentionnés ci-dessus. Ainsi, le premier juge a justement relevé d'une part la nécessité de recourir à une mesure d'expertise judiciaire en l'état du désaccord des parties sur l'évaluation des préjudices de l'assuré et, d'autre part, que faire droit à cette prétention reviendrait à doubler la mesure déjà ordonnée alors qu'il appartient à Monsieur [J] de faire valoir au juge chargé du suivi des expertises compétent des arguments en vue d'assurer l'effectivité de cette mesure.

 

En conséquence, il convient de confirmer la première décision en ce qu'elle a ordonné un sursis à statuer dans l'attente du rapport d'expertise judiciaire

 

La décision du Tribunal judiciaire de GRASSE en date du 15 mars 2022 sera en conséquence confirmée en toutes ses dispositions.

 

Sur les demandes annexes :

 

Compte tenu de la solution du litige, il convient de condamner Monsieur [J] à payer à a BPCE une somme de 1.000€ au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

 

Monsieur [J] sera également condamné aux dépens de l'instance d'appel.

 

PAR CES MOTIFS

 

La Cour,

Statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe,

 

Déclare irrecevable comme étant nouvelle en cause d'appel la demande de provision formée par Monsieur [S] [J] ;

 

Confirme en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal judiciaire de GRASSE en date du 15 mars 2022 ;

 

Y ajoutant,

 

Condamne Monsieur [S] [J] à payer à la société BPCE ASSURANCES une somme de 1.000€ au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

 

Condamne Monsieur [S] [J] aux entiers dépens de l'instance.

Prononcé par mise à disposition au greffe le 23 Mai 2024

Signé par Madame Inès BONAFOS, Présidente et Monsieur Achille TAMPREAU, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-4
Numéro d'arrêt : 22/06377
Date de la décision : 23/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-23;22.06377 ?
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