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23/05/2024 | FRANCE | N°21/13178

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-5, 23 mai 2024, 21/13178


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-5



ARRÊT AU FOND

DU 23 MAI 2024



N° 2024/







MS/KV





Rôle N°21/13178

N° Portalis DBVB-V-B7F-BICRK







[X] [D] [T]





C/



[G] [R]

























Copie exécutoire délivrée

le : 23/05/2024

à :



- Me Lucie ATGER, avocat au barreau de MARSEILLE



- Me Frédéric

ROSSLER, avocat au barreau de NICE































Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NICE en date du 27 Juillet 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 19/891.





APPELANT



Monsieur [X] [D] [T], demeurant [Adresse 2]



rep...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-5

ARRÊT AU FOND

DU 23 MAI 2024

N° 2024/

MS/KV

Rôle N°21/13178

N° Portalis DBVB-V-B7F-BICRK

[X] [D] [T]

C/

[G] [R]

Copie exécutoire délivrée

le : 23/05/2024

à :

- Me Lucie ATGER, avocat au barreau de MARSEILLE

- Me Frédéric ROSSLER, avocat au barreau de NICE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NICE en date du 27 Juillet 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 19/891.

APPELANT

Monsieur [X] [D] [T], demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Lucie ATGER, avocat au barreau de MARSEILLE

et par Me Patrick BERDUGO, avocat au barreau de PARIS,

INTIME

Monsieur [G] [R], demeurant [Adresse 1]

comparant en personne, assisté de Me Frédéric ROSSLER, avocat au barreau de NICE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 Février 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre

Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller

Madame Marie-Anne BLOCH, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Pascale ROCK.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 23 Mai 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 23 Mai 2024

Signé par Madame Michelle SALVAN, Président de Chambre et Mme Karen VANNUCCI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS ET PROCÉDURE

Ancien pilote automobile de nationalité russe et vanuataise, M. [D] [T] a confié à M. [R] et à M. [I] ressortissants ukrainiens, la réalisation de travaux de construction d'un garage dans sa résidence française à [Localité 3] (06).

Les travaux prévus pour une durée de 100 jours ont débuté le 18 septembre 2018, des versements ont été opérés par M. [D] [T] au fur et à mesure de l'avancement des travaux, sur le compte de tiers.

Au constat de malfaçons et de l'abandon du chantier, courant 2019, et après avoir fait chiffrer à dire d'expert le coût des travaux de reprise, M. [D] [T] a fait assigner M. [R] et M. [I] devant la juridiction civile afin de les voir condamner solidairement au paiement des travaux de réparation sur la base d'un contrat d'entreprise conclu entre les parties.

Parallèlement, M. [R] et M. [I] ont agi devant la juridiction prud'homale afin d'obtenir le paiement de diverses sommes à caractère salarial et indemnitaire, tant en exécution qu'au titre de la rupture d'un contrat de travail en faisant valoir l'existence d'un lien de subordination qui les liait à M. [D] [T].

Par jugement rendu le 27 juillet 2021, le conseil de prud'hommes de Nice:

- Constate l'existence d'un contrat de travail entre les parties,

- Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de M. [D] [T],

- Fixe la date de la résiliation au 21 mai 2019,

- Juge que la résiliation judiciaire du code du travail produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- Fixe le salaire moyen de M. [R] à 3.357,14€,

- Condamne M. [D] [T] à payer à M. [R]:

559€ nets au titre de l'indemnité légale de licenciement,

20.142,84€ nets au titre de l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L8223-1 du code du travail,

1900€ en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Déboute M. [D] [T] de l'ensemble de ses demandes tant principales que reconventionnelles,

- Condamne M. [D] [T] aux entiers dépens,

- Déboute M. [R] de sa demande de règlement de la somme de 900€ au titre des frais de traduction,

- Dit qu'une copie de la décision sera transmise pour suite à donner au procureur de la République et à l'Urssaf.

M. [D] [T] a interjeté appel de cette décision dans des formes et délais qui ne sont pas critiqués.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 1er février 2024.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par conclusions notifiées par voie électronique le 22 novembre 2021, M. [D] [T], par des moyens qui seront analysés par la cour dans les motifs de sa décision, se prévaut de la conclusion d'un contrat d'entreprise et par voie de conséquence, de l'application à M. [R] et M. [I] de la présomption de non salariat des travailleurs indépendants de l'article 8221-6-1 du code du travail. Il dément tout contrat de travail, considérant avoir seulement suivi le chantier dont les composantes principales (devis, plans échéancier des paiements) lui ont été présentées par les intimés. Il indique ne pas se trouver en possession des documents contractuels par la faute de ces derniers qui ne les lui ont pas transmis malgré sa demande et ont été supprimés du message électronique par l'expéditeur.

Subsidiairement, il conteste tout travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié, dès lors que les parties se trouvaient dans les liens d'un contrat d'entreprise et non d'un contrat de travail.

Encore plus subsidiairement, il conteste le calcul du salaire moyen opéré par le conseil de prud'hommes, lequel n'a pas déduit le coût des matériaux des montants versés.

Il demande à la cour, d'infirmer le jugement, et:

- à titre principal, de débouter M. [R] de ses demandes et de le renvoyer devant le tribunal judiciaire de Nice compétent,

- à titre subsidiaire, de fixer le salaire moyen à 2.067€ et l'indemnité de licenciement à 344,50€,

- à titre infiniment subsidiaire, de fixer l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé à 12.402€,

- en tout état de cause, de condamner l'intimé au paiement de la somme de 3.000€ au titre des frais de première instance et la même somme au titre des frais exposés en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 6 décembre 2021, par des moyens qui seront analysés par la cour dans les motifs de sa décision M. [R] demande à la cour de débouter l'appelant de toutes ses demandes, de confirmer le jugement et de condamner M. [D] [T] au paiement de la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens en ce compris ceux d'exécution forcée.

Il est soutenu que les parties se trouvaient dans les liens d'un contrat de travail et qu'en l'absence d'autorisation de séjour et d'autorisation de travail en France, l'activité salariée s'analyse en un travail dissimulé par dissimulation d'activité avec toutes conséquences de droit.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les demandes afférentes à la conclusion d'un contrat de travail

Selon l'article L8221-6 dans sa version en vigueur du 01 septembre 2017 au 01 janvier 2023

Modifié par la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 - art. 15:

I.-Sont présumés ne pas être liés avec le donneur d'ordre par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription :

1° Les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d'allocations familiales ;

2° Les personnes physiques inscrites au registre des entreprises de transport routier de personnes, qui exercent une activité de transport scolaire prévu par l'article L. 214-18 du code de l'éducation ou de transport à la demande conformément à l'article 29 de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs ;

3° Les dirigeants des personnes morales immatriculées au registre du commerce et des sociétés et leurs salariés ;

II.-L'existence d'un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci.

Dans ce cas, la dissimulation d'emploi salarié est établie si le donneur d'ordre s'est soustrait intentionnellement par ce moyen à l'accomplissement des obligations incombant à l'employeur mentionnées à l'article L. 8221-5.

Le donneur d'ordre qui a fait l'objet d'une condamnation pénale pour travail dissimulé en application du présent II est tenu au paiement des cotisations et contributions sociales à la charge des employeurs, calculées sur les sommes versées aux personnes mentionnées au I au titre de la période pour laquelle la dissimulation d'emploi salarié a été établie.

Au cas d'espèce, M. [R] n'est pas immatriculé au registre du commerce et des sociétés, ni au répertoire des métiers, ni au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d'allocations familiales.

Il ne fait pas débat que M. [R] est un ressortissant d'un pays tiers (non ressortissant des États membres de l'Union européenne, de l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse) qui a exercé une activité professionnelle salariée sur le territoire français sans détenir une autorisation de travail pour l'emploi qu'il a occupé.

Les développements de M. [D] [T] qui ont pour objet de démontrer la signature d'un contrat d'entreprise entre les parties, dont l'instrumentum n'est d'ailleurs pas versé au dossier, sont dès lors totalement inopérants dès lors que la conclusion d'un tel contrat relève du travail illégal.

Il résulte des articles L.1221-1 et suivants du code du travail que le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d'autrui moyennant rémunération.

L'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs.

Trois critères permettent de conclure à l'existence du contrat de travail: une prestation, une rémunération et un lien de subordination. Le lien de subordination se définit comme l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Peut constituer un indice de subordination, le travail au sein d'un service organisé lorsque l'employeur en détermine unilatéralement les conditions d'exécution.

En l'espèce, le conseil de prud'hommes a reconnu l'existence d'un contrat de travail entre M. [D] [T] et M. [R] en prenant en considération les pièces versées au dossier et leur traduction.

La preuve est libre en matière prud'homale. Les juges du fond apprécient, dans le cadre de leur pouvoir souverain, la valeur des éléments de fait et de preuve qui leur sont soumis.

Il résulte de l'entier dossier que:

- les plans de construction du garage à construire ont été communiqués à M. [R] par M. [D] [T] à partir d'un premier plan de construction établi par un cabinet d'architecture dénommé Cabinet LA Architectes remanié par un infographiste M. [P] qui en atteste.

- par des échanges de messages Viber entre M. [D] [T] et M. [R] M.[D] [T] donnait des instructions sur la nature même des travaux et sur leur avancement,

- nombre de matériaux de construction et matériel de protection (ex: chaussures de sécurité, tabliers et gants de soudeur) ont été acquis par M. [D] [T] chez Leroy Merlin via sa propre société la Sarl Red Square S.R.L. V.Veneto à [Localité 4].

Les dites pièces font la preuve tant de l'existence d'une prestation de travail, que d'un lien de subordination entre M. [R] et M. [D] [T].

Il n'est pas discuté que, comme le prouve le tableau des règlements de M. [D] [T] par virements bancaires celui-ci a versé la somme de 32.840 €. Le versement d'une rémunération en contrepartie du travail donné et son montant est également établi, ce qui suffit à prouver la rémunération.

Il résulte de cet examen que l'existence d'un contrat de travail entre M. [R] et M.[D] [T] est démontrée, comme l'a exactement retenu le conseil de prud'hommes dont la décision sera confirmée.

Sur les demandes relatives à l'exécution du contrat de travail

Le salarié étranger employé sans titre de travail est assimilé, à compter de la date de son embauche, à un salarié régulièrement engagé au regard des obligations de l'employeur définies à l'article L. 8252-1 du code du travail.

En l'espèce, M. [R] qui a la qualité de salarié n'est en possession ni d'un contrat de travail ni de bulletins de paie.

En l'absence de contrat écrit mentionnant le montant du salaire la juridiction prud'homale a justement requalifié la relation contractuelle en un contrat à durée indéterminée à temps complet et a exactement fixé le montant du salaire mensuel brut à la somme de 3.357,14€.

Aux termes de l'article 1353 du code civil ancien article 1315 du code civil:Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.

Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation il appartient a l'employeur de prouver le paiement du salaire qu'il invoque.

Il appartient à l'employeur qui prétend avoir payé la totalité du salaire d'en rapporter la preuve.

Or, en l'espèce, n'est pas prouvé par M. [D] [T] que le salaire doit être calculé sur la base d'un montant de 23.500€ versé à chacun des entrepreneurs sur une période de 7 mois, après déduction de la somme de 32.840€ des matériaux pour un coût s'élevant à 3.900€.

Il en découle que le jugement doit être confirmé en ses dispositions fixant le salaire de base au montant ci-dessus visé.

Sur le travail dissimulé

Le code du travail interdit d'embaucher, de conserver à son service ou d'employer, directement ou indirectement, pour quelque durée que ce soit, un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France.

Par ailleurs, nul ne peut, directement ou indirectement, recourir sciemment aux services d'un étranger non autorisé à travailler.

L'article L. 8221-1 du code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé défini par l'article L.8221-3 du même code relatif à la dissimulation d'activité ou exercé dans les conditions de l'article L.8221-5 du même code relatif à la dissimulation d'emploi salarié.

En l'espèce, la dissimulation totale et intentionnelle de l'activité du salarié est particulièrement caractérisée.

Le jugement doit être confirmé en sa disposition condamnant l'employeur à payer au salarié une indemnité forfaitaire correspondant à six mois de salaire au titre du travail dissimulé.

Sur les demandes relatives à la rupture du contrat de travail

L'article L.1232-6 du code du travail prévoit que lorsque l'employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception. Cette lettre comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur. Elle ne peut être expédiée moins de deux jours ouvrables après la date prévue de l'entretien préalable au licenciement auquel le salarié a été convoqué.

A défaut de lettre énonçant les motifs du licenciement conforme aux dispositions de l'article L.1232-6 du code du travail, le licenciement de M. [R] est dépourvu de cause réelle et sérieuse et ouvre droit à son profit au paiement des indemnités de rupture et de dommages-intérêts.

Sur l'indemnisation

Le conseil de prud'hommes a justement alloué au salarié l'indemnité légale de licenciement à laquelle il peut prétendre.

Sur les frais du procès

En application des dispositions des articles 696 et 700 du code de procédure civile, M. [D] [T] sera condamné aux dépens d'appel ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 2.500 euros au bénéfice de M. [R] ; M. [D] [T] sera déboutée de cette même demande.

La demande tendant à voir juger que les sommes retenues par l'huissier seront supportées par tout succombant en plus des frais irrépétibles et des dépens, est sans objet dès lors que s'agissant de créances nées de l'exécution du contrat de travail, le droit proportionnel n'est pas dû.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, en matière prud'homale, et en dernier ressort,

Confirme le jugement déféré,

Y ajoutant,

Condamne M. [D] [T] à payer à M. [R] la somme de 2.500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [D] [T] aux dépens de l'instance d'appel,

Rejette toute autre demande.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-5
Numéro d'arrêt : 21/13178
Date de la décision : 23/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-23;21.13178 ?
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