COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-4
ARRÊT AU FOND
DU 23 MAI 2024
N° 2024/ 100
Rôle N° RG 20/06861 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BGCEK
E.U.R.L. DAN DECO
C/
[T] [G]
[U] [J] épouse [Y]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Philippe HUGON DE VILLERS
Me Marine DA CUNHA
Décision déférée à la Cour :
Jugement du tribunal judiciaire de Marseille en date du 20 Janvier 2020 enregistré au répertoire général sous le n° 17/13991
APPELANTE
E.U.R.L. DAN DECO, prise en la personne de son représentant légal en exercice dont le siège social est sis [Adresse 2]
représentée et assistée de Me Philippe HUGON DE VILLERS de la SELARL IN SITU AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
Madame [T] dite [N] [S] épouse [G]
née le 28 Mars 1937 à [Localité 4] (TUNISIE), demeurant [Adresse 3]
représentée et assistée de Me Marine DA CUNHA, avocat au barreau de MARSEILLE
PARTIE INTERVENANTE
Madame [U] [J] épouse [Y] liquidateur amiable de l'EURL DAN DECO
née le 08 Janvier 1956 à [Localité 5] (71), demeurant [Adresse 1]
représentée et assistée de Me Philippe HUGON DE VILLERS de la SELARL IN SITU AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Mars 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Laetitia VIGNON, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président
Madame Laetitia VIGNON, Conseiller
Madame Gaëlle MARTIN, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Valérie VIOLET.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 23 Mai 2024.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 23 Mai 2024
Signé par Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président et Madame Valérie VIOLET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
M. et Mme [O] [G] étaient propriétaires d'un immeuble sis [Adresse 3].
Aux termes d'un acte sous seing privé en date du 4 septembre 1997, le local commercial situé au rez-de-chaussée dudit immeuble a été donné à bail commercial à l'EURL Dan Déco, exploitant un fonds de commerce d'encadrement et de vente de lithographies, photographies et cartes postales.
Ledit bail, d'une durée de neuf années, s'est poursuivi par tacite reconduction.
Par acte du 21 décembre 2012, les bailleurs ont fait délivrer au preneur un commandement de payer pour une somme globale de 7.511,71 € au titre d'un arriéré de charges (dépenses d'eau et taxes foncières).
M. [O] [G] est décédé le 23 décembre 2012. Son épouse, Mme [T] dite [N] [S], a opté pour l'usufruit de la totalité des biens de la succession en application de l'article 757 du code civil.
Par acte du 15 décembre 2017, l'EURL Dan Déco a fait assigner Mme [T] dite [N] [S] veuve [G] devant le tribunal de grande instance de Marseille aux fins notamment de :
- dire et juger que le bail ne comporte qu'une obligation au paiement du loyer outre une provision sur charges initialement fixée à la somme de 800 francs et correspondant exclusivement à 40% de la taxe foncière et de la consommation d'eau,
- dire et juger que l'EURL Dan Déco est à jour de l'intégralité des loyers et charges mises à sa charge,
- condamner Mme [G] au remboursement des montants de taxe foncière répercutée à son locataire pour les années 2015, 2016 et 2017,
- condamner Mme [G] au paiement de la somme de 20.000 € à titre de dommages et intérêts, du fait de son attitude particulièrement abusive.
Par jugement en date du 20 janvier 2020, le tribunal judiciaire de Marseille a :
- débouté l'EURL Dan Déco de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- condamné l'EURL Dan Déco à verser à Mme [T] [S] veuve [G] la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté toute autre demande,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- condamné l'EURL Dan Déco aux dépens.
Le tribunal a retenu que :
- le bail commercial du 4 septembre 1997 comprend la clause suivante ' La présente location est consentie et acceptée moyennant un loyer annuel de 96.000 francs majoré de la TVA actuellement au taux de 20,60 % ainsi que des charges locatives évaluées forfaitairement à 800 francs mensuel, payables par mois et d'avance. De plus, le locataire prendra à sa charge 40% de l'impôt foncier de l'immeuble ainsi que les gros travaux et la consommation d'eau',
- cette clause est parfaitement claire, la formule ' De plus' indique très explicitement que la part de taxe foncière et les consommations d'eau ne sont pas comprises dans le forfait mensuel de 800 francs, soit 121,96 €,
- l'EURL Dan Déco doit être déboutée de sa demande d'interprétation et par là même de sa demande en remboursement des taxes foncières.
Par déclaration en date du 23 juillet 2020, l'EURL Dan Déco a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par RPVA le 19 mars 2024, l'EURL Dan Déco, appelante et, Mme [U] [J] épouse [Y], en qualité de liquidateur amiable de l'EURL Dan Déco, intervenante volontaire, demandent à la cour de :
- rabattre l'ordonnance de clôture,
- accueillir Mme [Y], en qualité de liquidateur amiable de l'EURL Dan Déco, en son intervention volontaire,
- réformer le jugement du tribunal judiciaire de Marseille du 20 janvier 2020,
Par conséquent,
- interpréter le bail comme ne comportant qu'une obligation au paiement du loyer outre une provision sur charges initialement fixée à la somme de 800 francs et correspondant exclusivement à 40% de la taxe foncière et de la consommation d'eau,
- condamner Mme [G], sous astreinte de 100 € par jour, à remettre à Mme [Y] ès qualités de liquidateur et à l'EURL Dan Déco des quittances de loyer pour les années 2013 à 2020, l'EURL Dan Déco étant à jour de l'intégralité des loyers et charges mis à sa charge,
- condamner Mme [G] au paiement de la somme de 7.977,60 € à Mme [Y] ès qualités de liquidateur et à l'EURL Dan Déco correspondant au remboursement des montants de taxe foncière répercutée à son locataire pour les années 2015, 2016, 2017 et 2018 dont elle a été exonérée,
- condamner Mme [G] au paiement de la somme de 20.000 € à Mme [Y] ès qualités de liquidateur et à l'EURL Dan Déco à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par l'EURL Dan Déco du fait de l'attitude particulièrement abusive de ce bailleur, et ce conformément aux dispositions de l'article 1147 du code civil,
- condamner Mme [G] au paiement de la somme de 2.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [G] aux dépens.
Mme [T] dite [N] [S] veuve [G], suivant ses dernières conclusions signifiées le 23 janvier 2021, demande à la cour de :
A titre principal,
- confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Marseille du 20 janvier 2020 en ce qu'il a :
* débouté l'EURL Dan Déco de toutes ses demandes, fins et conclusions,
* condamné l'EURL Dan Déco à verser à Mme [T] [S] veuve [G] la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
* rejeté toute autre demande,
A titre subsidiaire,
- dire irrecevable la demande formée contre Mme [T] [G]:
* en ce qu'elle n'est pas chiffrée pour ce qui est du montant des taxes foncières dont il est sollicité le remboursement,
* en l'état des stipulations du bail qui prévoient que 40% de l'impôt foncier de l'immeuble sera supporté par la société Dan Déco, locataire, en plus des 121,96 € de charges forfaitaires mensuelles,
* en ce que les demandes de dommages et intérêts ne sont pas justifiées dès lors qu'elles visent des dégâts des eaux et que ces mêmes demandes ont été formulées par une assignation distincte dont la cour d'appel d'Aix-en-Provence est saisie enrôlée sous le n° RG 20/06865,
- constater que l'EURL Dan Déco est en tout état de cause débitrice d'un arriéré de charges locatives qui ne lui permet en aucun cas de solliciter le remboursement d'un trop perçu,
En conséquence,
- débouter la demande formée contre Mme [T] [G] en ce qu'elle est infondée,
En tout état de cause,
- condamner l'EURL Dan Déco à verser à la concluante la somme de 3.000 € en applications de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
- condamner l'EURL Dan Déco aux entiers dépens distraits au profit du cabinet de Me Marina Da Cunha, avocat sous son affirmation de droit.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 14 novembre 2023. Elle a fait l'objet d'une révocation, par mention au dossier et avec l'accord des parties, afin d'accueillir les dernières conclusions et pièces des parties. Elle a été à nouveau clôturée le 20 mars 2024 avant l'ouverture des débats.
MOTIFS
Il convient de recevoir en son intervention volontaire, Mme [U] [J] épouse [Y], ès qualités de liquidateur amiable de l'EURL Dan Déco, laquelle a fait l'objet d'une dissolution anticipée par décision de l'associé unique du 12 juillet 2021, de la déclarer recevable et bien fondée.
L'EURL Dan Déco conclut à la nécessaire interprétation des clauses du bail et soutient que contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, les parties ont toujours considéré que le ' forfait 'de 800 francs était une provision sur les charges locatives lesquelles sont constituées exclusivement de 40% de la taxe foncière et de la consommation d'eau. Elle précise que jusqu'en novembre 2012, le bailleur a toujours délivré des quittances et que l'interprétation de Mme [G] est erronée en ce que ledit forfait, qui ne correspond pas à des charges réelles, aurait le caractère d'un complément de loyer sans aucune contrepartie. Elle ajoute qu'en tout état de cause, cette interprétation ne correspond pas à la commune intention des parties et qu'enfin, le bail doit s'interpréter en faveur du locataire.
Mme [G] conteste une telle analyse, sollicitant, à titre principal, la confirmation du jugement querellé. Elle soutient que la clause est particulièrement claire, que la jurisprudence considère que ce type de clause est licite et doit donner lieu à application dès lors qu'elle est stipulée de manière contractuelle. Elle en tire pour conséquence qu'il est loisible aux parties de prévoir une clause de forfait fixe de charges en sus d'un paiement de charges locatives normalement récupérables.
Les parties sont en l'état d'un bail commercial en date du 4 septembre 1997 et portant sur un local situé au rez-de-chaussée d'un immeuble sis [Adresse 3].
L'article 9 dudit bail intitulé ' loyer' est ainsi rédigé :
' La présente location est consentie et acceptée moyennant un loyer annuel de 96.000 francs, majorés de la TVA actuellement au taux de 20,6% ainsi que des charges locatives évaluées forfaitairement à 800 francs mensuels, payables par mois et d'avance.
De plus, le locataire prendra à sa charge à raison de 40% l'impôt foncier de l'immeuble ainsi que les gros travaux éventuels et la consommation d'eau.'
Comme l'a retenu à juste titre le premier juge, cette clause est parfaitement claire et la formule 'De plus' signifie que la part de la taxe foncière et les consommations d'eau ne sont pas comprises dans le forfait mensuel de 800 francs, soit 121,96 €.
Il y a lieu de rappeler que la pratique d'un forfait de charges a été admise par la jurisprudence, permettant aux parties de convenir d'un montant global et définitif de charges, le bailleur étant alors dispensé de justifier des prestations effectivement payées et permettant également d'éviter des calculs de régulation.
Les signataires d'un bail commercial sont, en effet, libres d'adopter conventionnellement le mode de répartition des charges et la détermination d'un forfait représentant les charges dues par le locataire constitue l'une des modalités du contrat qui s'impose aux parties.
Si effectivement la pratique du forfait, tout en restant admissible, peut être remise en cause pour les baux conclus ou renouvelés postérieurement au 4 novembre 2014, par l'obligation de l'article L 145-40-2 du code de commerce de fixer un inventaire précis des charges et obligations incombant respectivement aux parties, l'appelante n'en fait nullement état dans ses conclusions.
L'EURL Dan Déco ne soutient nullement que les dispositions contractuelles en cause seraient illicites mais uniquement qu'il convient de procéder à l'interprétation de l'article 9, clause qui est pourtant parfaitement claire.
En l'état de la convention des parties, la société locataire s'est engagée à s'acquitter cumulativement d'un forfait fixe de charges en sus d'un paiement de charges locatives normalement récupérables ( taxe foncière et consommation d'eau).
La société Dan Déco ne peut qu'être déboutée de sa demande d'interprétation de la clause litigieuse et par voie de conséquence de sa demande tendant à la condamnation de la bailleresse, sous astreinte, à lui remettre des quittances de loyer, mentionnant qu'elle est à jour dans le paiement des loyers et charges lui incombant.
S'agissant de sa demande de remboursement au titre de la taxe foncière, la partie appelante prétend que l'immeuble sis [Adresse 3] est situé dans le périmètre d'un quartier prioritaire de la politique de la ville ouvrant droit à une exonération de la taxe foncière du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2020, qu'elle a effectué des démarches auprès de l'administration pour obtenir cette exonération, laquelle ne lui a pas été répercutée par le bailleur, de sorte qu'elle est fondée à en réclamer le remboursement.
La cour observe, qu'à l'appui de telles allégations, elle ne produit strictement aucune pièce, qu'elle ne justifie ni de l'existence d'une telle exonération, ni d'une quelconque démarche de sa part, ni du fait que la bailleresse ait bénéficié d'une exonération ou réduction de taxes foncières et encore moins sur quelle période.
Elle ne peut qu'être déboutée de ce chef de demande.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en toutes ses dispositions.
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Vu l'article 696 du code de procédure civile,
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe et par arrêt contradictoire,
Reçoit Mme [U] [J] épouse [Y], ès qualités de liquidateur amiable de l'EURL Dan Déco, en son intervention forcée, la déclare recevable et bien fondée,
Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Marseille déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne l'EURL Dan Déco, représentée par son liquidateur amiable Mme [U] [J] épouse [Y], à payer à Mme [T] [S] veuve [G] la somme de 2.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,
Condamne l'EURL Dan Déco, représentée par son liquidateur amiable Mme [U] [J] épouse [Y], aux dépens de la procédure d'appel, qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT