COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-4
ARRÊT AU FOND
DU 23 MAI 2024
N° 2024/ 90
Rôle N° RG 20/04101 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BFYST
S.A.S. ATESA
C/
[D] [R]
S.E.L.A.R.L. ETUDE BALINCOURT
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Pascal ALIAS
Me Philippe MEIFFRET-DELSANTO
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de Tarascon en date du 27 Janvier 2020 enregistré au répertoire général sous le n° 2019002788.
APPELANTE
Société ATESA S.A.S. , prise en la personne de son représentant légal en exercice, dont le siège social est [Adresse 4]
représentée par Me Pascal ALIAS de la SELAS ALIAS AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
INTIME
Monsieur [D] [R]
né le [Date naissance 1] 1964 à [Localité 5] (83), demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Philippe MEIFFRET-DELSANTO de la SELARL CONSULTIS AVOCATS, avocat au barreau de TOULON
PARTIE INTERVENANTE
S.E.L.A.R.L. ETUDE BALINCOURT représentée par Me [N] [U] en qualité de liquidateur judiciaire de la SAS ATESA, assignée en intervention forcée le 27 octobre 2021, dont le siège social est sis [Adresse 3]
défaillante
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 19 Mars 2024 en audience publique devant la cour composée de :
Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président
Madame Laetitia VIGNON, Conseiller, magistrat rapporteur
Madame Gaëlle MARTIN, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Valérie VIOLET.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 23 Mai 2024.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 23 Mai 2024,
Signé par Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président et Madame Valérie VIOLET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
Aux termes d'un document appelé ' Mémorandum plan d' obligations convertibles en actions' en date du 12 mars 2018, M. [D] [R] a versé à la SAS Atesa la somme de 100.000 € à l'occasion de l'émission d'un plan d'obligations convertibles en actions de catégorie B de ladite société.
Cette souscription a donné lieu à l'attribution en échange de 100 obligations d'une valeur unitaire de 1.000 € chacune selon un bulletin de souscription du 13 mars 2018.
La durée du plan a été fixée à 5 ans et il était prévu que les obligations convertibles produiraient un intérêt annuel de 6% payable au 30 juin et au 31 décembre de chaque année, la première échéance devant être réglée le 31 décembre 2018.
La SAS Atesa n'a pas versé les intérêts convenus à M. [R] le 31 décembre 2018.
Exposant que la SAS Atesa n'avait pas établi deux bilans régulièrement approuvés par les actionnaires au 13 mars 2018 et ne lui avait pas communiqué davantage le rapport du commissaire aux comptes ayant procédé à la valorisation des actifs et des passifs, M. [D] [R] l'a fait assigner, par acte du 17 juin 2019, devant le tribunal de commerce de Tarascon aux fins d'obtenir le remboursement de la somme versée.
Par jugement en date du 27 janvier 2020, le tribunal de commerce de Tarascon a :
- déclaré l'acte dénommé 'Mémorandum plan d' obligations convertibles en actions' en date du 12 mars 2018 ayant pour objet l'émission par la société Atesa d'obligations convertibles en actions, nul en vertu des dispositions de l'article 1179 du code civil,
En conséquence,
- condamné la société Atesa à payer à M. [D] [R] les sommes de :
* 100.000 € en restitution du montant de la souscription à l'émission d'obligations effectuée par la société Atesa, outre intérêts au taux légal à compter du 12 mars 2018,
* 2.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire,
- débouté les parties de leurs conclusions plus amples ou contraires,
- laissé les dépens, dont les frais de greffe du présent jugement taxés et liquidés à la somme de 73,22 € TTC, à la charge de la partie défenderesse.
Le tribunal a retenu que :
- il est établi qu'au 12 mars 2018, date de la souscription par M. [D] [R] d'obligations convertibles, la société Atesa n'avait pas établi deux bilans régulièrement approuvés par ses actionnaires et que ne bénéficiant pas des exceptions au principe de vérification de l'actif et du passif prévues par les dispositions de l'article L 228-39 du code de commerce, il lui appartenait d'y procéder par la désignation d'un ou plusieurs commissaires à cette fin,
- en application des articles 1841 du code civil et L 412-3 du code monétaire et financier, le manquement aux interdictions prévues notamment par les dispositions de l'article L 228-39 du code de commerce est sanctionné par la nullité du contrat conclu ou des titres émis,
- la vérification de l'actif et du passif prévue à l'article L 228-39 du code de commerce a pour objet de garantir la situation financière de la société émettrice d'obligations et s'inscrit dans le cadre d'un ordre public de protection dont la transgression est sanctionnée par la nullité absolue du contrat conformément à l'article 1179 du code civil,
- c'est à bon droit que M. [R] fait plaider la nullité absolue du contrat, de sorte qu'il sera fait droit à sa demande de restitution de la somme de 100.000 € versée, le contrat étant réputé n'avoir jamais existé.
Par déclaration en date du 13 mars 2020, la SAS Atesa a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses conclusions déposées le 15 mai 2020, elle demande à la cour de :
- dire et juger l'appel diligenté par la société Atesa recevable et bien fondé,
- infirmer le jugement rendu le 27 janvier 2020 par le tribunal de commerce de Tarascon en ce qu'il a :
* déclaré l'acte dénommé 'Mémorandum plan d' obligations convertibles en actions ' en date du 12 mars 2018 ayant pour objet l'émission par la société Atesa d'obligations convertibles en actions, nul en vertu des dispositions de l'article 1179 du code civil,
En conséquence,
* condamné la société Atesa à payer à M. [D] [R] les sommes de 100.000 € en restitution du montant de la souscription à l'émission d'obligations effectuée par la société Atesa, outre intérêts au taux légal à compter du 12 mars 2018 et 2.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté la société Atesa de ses demandes plus amples ou contraires,
Statuant à nouveau,
- constater l'acceptation par M. [R] de l'ensemble des conditions du plan d'obligations convertibles en actions,
En conséquence,
- rejeter toutes les demandes, fins et prétentions de M. [D] [R],
En tout état de cause,
- condamner M. [D] [R] au paiement de la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et laisser les dépens à son entière charge.
Par jugement du tribunal de commerce de Tarascon en date du 8 octobre 2021, la société Atesa a été placée en liquidation judiciaire et la SELARL Etude Balincourt a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.
Par acte d'huissier en date du 27 octobre 2021, M. [D] [R] a assigné en intervention forcée la SELARL Etude Balincourt, prise en la personne de Me [N] [U], ès qualité de liquidateur judiciaire de la SAS Artesa.
Par courrier enregistré au greffe de la cour le 17 décembre 2021, Me [N] [U] a informé la cour qu'il ne serait ni présent, ni représenté, que M. [R] lui a adressé une déclaration de créance pour un montant de 120.650,64 € et que sur le fond, il entend, ès qualités, s'en rapporter à justice.
M. [D] [R], suivant ses dernières conclusions signifiées par RPVA le 12 mars 2024, demande à la cour de :
Vu les articles L 228-39, L 228-40, L 622-22 et L 641-3 du code de commerce,
Vu les articles 1178,1179, 1350, 1352-6 et 1841 du code civil,
Vu les articles L 412-2 et L 412-3 du code monétaire et financier,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 27 janvier 2020 par le tribunal de commerce de Tarascon,
- condamner la société Atesa à payer à M. [D] [R] la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 26 septembre 2023. Elle a fait l'objet d'une révocation par mention au dossier avant l'ouverture des débats afin d'admettre les dernières écritures de M. [D] [R] du 12 mars 2024, la SARL Epilogue venant aux droits de la SELARL Etude Balincourt, représentée par Me [N] [U], étant le nouveau liquidateur de la société Atesa.
La procédure a été à nouveau clôturée le 19 mars 2024 avant l'ouverture des débats.
MOTIFS
Il ressort des pièces produites que, le 12 mars 2018, M. [D] [R] a versé la somme de 100.000 €à la société Atesa dans le cadre de la souscription d'obligations convertibles en action, opération constatée par un bulletin de souscription en date du 13 mars 2018.
En vertu de l'article L 228-39 alinéa 1 et 2 du code de commerce, dans sa version en vigueur au moment de la souscription litigieuse, l'émission d'obligations par une société par actions n'ayant pas établi deux bilans régulièrement approuvés par les actionnaires doit être précédée d'une vérification de l'actif et du passif.
Cette vérification est assurée par un ou plusieurs commissaires désignés par l'organe de la société ayant qualité pour décider ou autoriser l'émission d'obligations. Ces commissaires sont soumis aux incompatibilités prévues à l'article L. 822-11-3. Le ou les commissaires établissent, sous leur responsabilité, un rapport sur la valeur des actifs et des passifs de la société, qui est soumis à l'organe de la société ayant qualité pour décider ou autoriser l'émission d'obligations préalablement à sa décision ou à son autorisation.
Il est établi que la SAS Atesa, au 12 mars 2018, n'avait pas établi deux bilans régulièrement approuvés par les actionnaires au 13 mars 2018, dès lors qu'il ressort de l'extrait K Bis de ladite société au 16 mars 2018, que la date de clôture du premier exercice a été fixée au 31 décembre 2017.
La société Atesa n'a pas davantage justifié d'une vérification de l'actif et du passif qui aurait été effectuée par un ou plusieurs commissaires aux comptes, en dépit d'une demande qui lui a été formée en ce sens par le conseil de M. [D] [R] par lettre recommandée en date du 1er février 2019 qu'elle a dûment réceptionnée le 4 février 2019.
L'article L 412-2 du code monétaire et financier, dans sa version applicable à la cause, dispose que les interdictions d'émettre des valeurs mobilières, de procéder à une offre au public de titres financiers ou de faire admettre des titres sur un marché réglementé sont édictées par les articles L. 223-11, L. 227-2, et le premier alinéa des articles L. 228-39 et L. 252-10 du code de commerce.
En application de l'article L 412-3 du même code, les manquements aux interdictions édictées aux articles du code de commerce sont sanctionnés par la nullité des contrats conclus ou des titres financiers émis.
Il ne peut être utilement soutenu que l'intimé aurait accepté les conditions de mise en place du plan d'obligations convertibles en actions, ce qui ne ressort d'aucun élément du dossier, étant précisé qu'il n'est pas contestable que M. [R] a accepté de participer à l'opération litigieuse alors qu'en tout état de cause, la société Atesa n'était pas en droit d'émettre des obligations et que par ailleurs, celui-ci n'a jamais perçu les intérêts qui avaient été convenus au 31 décembre 2018.
Conformément à l'article 1178 du code civil, le contrat annulé est censé n'avoir jamais existé.
Il s'ensuit que le 'mémorandum plan d'obligations convertibles en actions' du 12 mars 2018 ayant pour objet l'émission par la société Atesa d'obligations convertibles en actions est nul, ce qui a pour effet de remettre les parties dans la situation qui était la leur avant sa conclusion.
C'est donc à juste titre que les premiers juges ont condamné la société Atesa à payer à M. [D] [R] la somme de 100.000 € en restitution du montant de sa souscription à l'émission d'obligations effectuée au profit de la société Atesa, outre les intérêts au taux légal à compter du 12 mars 2018.
Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé sauf à préciser que compte tenu de l'ouverture de la liquidation judiciaire de la société Atesa par jugement du 8 octobre 2021, la créance de M. [D] [R], qui a été dûment déclarée par ce dernier pour un montant de 120.650,64 €, doit être fixée au passif de la société Atesa à hauteur de la somme de 100.000 € outre 2.000 € au titre des frais irrépétibles de première instance.
L'équité et la situation économique des parties commandent de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe et par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement du tribunal de commerce de Tarascon déféré sauf à :
- fixer au passif de la procédure collective ouverte au profit de la SAS Atesa la créance de M. [D] [R] à la somme de 100.000 € au titre de la restitution du montant de sa souscription à l'émission d'obligations effectuée au profit de la société Atesa, outre les intérêts au taux légal à compter du 12 mars 2018
- fixer au passif de la procédure collective ouverte au profit de la SAS Atesa la créance de M. [D] [R] à la somme de 2.000 € au titre des frais irrépétibles de première instance,
Y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Dit que les dépens de la procédure seront supportés par la SAS Atesa.
LE GREFFIER LE PRESIDENT