COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-2
ARRÊT
DU 07 MAI 2024
N° 2024/315
Rôle N° RG 23/06624 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BLJEW
[U] [M]
C/
[Y] [L]
S.E.L.A.R.L. BERTHOLET
DE SAINT RAPT
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Eric PASSET
Me Mickael CHEMLA
Me Karine DABOT RAMBOURG
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance de référé rendue par Monsieur le Président du TJ d'AIX-EN-PROVENCE en date du 02 Mai 2023 enregistrée au répertoire général sous le n° 22/01421.
APPELANT
Monsieur [U] [M]
pris personnellement et enqualité de gérant de la SCI MICHEL dont le sège social est sis [Adresse 8],
demeurant [Adresse 6]
représenté par Me Eric PASSET de la SELARL CABINET PASSET - BELUCH, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant
INTIMEES
Madame [Y] [L]
née le [Date naissance 1] 1978 à [Localité 5],
demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Mickael CHEMLA de la SELARL DENIAU AVOCATS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant
S.E.L.A.R.L. BERTHOLET DE SAINT RAPT
dont le siège social est [Adresse 2]
pris en sa qualité d'administrateur provisoire de la SCI [U] dont le siège social est [Adresse 7],
représentée par Me Karine DABOT RAMBOURG de la SELARL SELARL MATHIEU DABOT & ASSOCIÉS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
substituée par Me Bastien MARCHAL, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, plaidant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 19 Mars 2024 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Angélique NETO, Conseillère a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
M. Gilles PACAUD, Président
Mme Sophie LEYDIER, Conseillère
Mme Angélique NETO, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Caroline VAN-HULST.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 07 Mai 2024.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 07 Mai 2024,
Signé par M. Gilles PACAUD, Président et Mme Caroline VAN-HULST, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
La société civile immobilière (SCI) [U] a été constituée le 9 mai 2000 par M. [U] [M] et Mme [Y] [L], alors concubins. Elle est propriétaire d'un immeuble de rendement situé à [Localité 4].
La capital social est réparti par moitié entre M. [M] et Mme [L].
La gérance a été confiée à M. [M].
M. [M] et Mme [L] se sont séparés au cours de l'année 2020.
Par jugement en date du 29 avril 2020, le tribunal correctionnel d'Aix-en-Provence a condamné M. [M] pour des faits de violences commises à l'égard de Mme [L] à une peine de deux ans d'emprisonnement dont un an assorti d'un sursis probatoire pendant deux ans, avec notamment une interdiction de contact avec Mme [L].
Soutenant n'être destinataire d'aucune information concernant la société [U], Mme [L] a assigné, par acte d'huissier en date du 19 septembre 2022, M. [M] devant le juge des référés du tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence aux fins notamment de voir désigner un mandataire ad hoc avec pour mission de récupérer et voir communiquer un certain nombre d'éléments concernant la société [U]. Elle a, par la suite, sollicité la désignation, à titre principal, d'un administrateur provisoire et, à titre subsidiaire, d'un mandataire ad hoc.
Par acte d'huissier en date du 21 décembre 2022, Mme [L] a assigné en intervention forcée la société [U].
Par ordonnance en date du 2 mai 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence, après avoir joint les deux procédures, a :
- désigné la SELARL Bertholet de Saint Rapt en qualité d'administrateur provisoire de la SCI [U] avec mission :
* de récupérer les chéquiers, cartes bleues et la totalité de la comptabilité et des documents administratifs et commerciaux de la SCI [U], sous astreinte de 500 euros par document et jour de retard dans les 8 jours de la signification de la décision à intervenir ;
* de se voir communiquer les livres et documents sociaux des exercices clos depuis 2014 ;
* d'établir un rapport sur les bénéfices et les pertes réalisés par la société [U] ;
* d'établir l'état des comptes courants des associés de cette société ;
* de convoquer une assemblée générale ayant pour objet la désignation d'un nouveau gérant, l'approbation des comptes et l'affectation des dividendes ;
- condamné la société [U] à verser la somme de 2 000 euros directement à la SERLAL Bertholet de Saint Rapt à valoir sur sa rémunération dans un délai d'un mois, à défaut de quoi la nomination de l'administrateur judiciaire en qualité d'administrateur provisoire serait caduque et privée de tout effet ;
- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit que chacune des parties conserverait la charge de ses propres dépens.
Ce magistrat a fait droit à la demande de désignation d'un administrateur provisoire compte tenu de la rivalité existant entre les parties, source d'un désaccord total et persistant entre elles, annihilant l'affectio societatis, rendant impossible le fonctionnement régulier et normal de la société [U] et menaçant celle-ci d'un péril imminent au détriment des intérêts sociaux à bref délai. Il a considéré que la désignation d'un administrateur avec les pouvoirs les plus étendus constituait la seule issue pour permettre le rétablissement du fonctionnement normal de la société. Il a donc estimé qu'il n'y avait pas lieu de se prononcer sur la demande subsidiaire de désignation d'un mandataire ad hoc, et ce, d'autant que la mission sollicitée avait également pour effet de dessaisir les organes sociaux.
Suivant déclaration transmise au greffe le 15 mai 2023, M. [M], agissant personnellement et en tant que gérant de la société [U], a interjeté appel de cette ordonnance en toutes ses dispositions dûment reprises en intimant Mme [L] et l'administrateur provisoire désigné par le premier juge.
Aux termes de leurs dernières conclusions transmises le 10 août 2023, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des prétentions et moyens, M. [M] et la société [U] demandent à la cour d'infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :
- débouter en conséquence Mme [L] de ses demandes ;
- la condamner à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ;
- à titre subsidiaire, prononcer qu'il se trouve dans l'impossibilité de remettre à l'administrateur provisoire les documents qui ne sont pas en sa possession.
Il expose que les conditions requises, à savoir l'existence d'un péril imminent rendant impossible le fonctionnement normal de la société, pour la désignation d'un administrateur provisoire ne sont pas réunies. Il indique que la mésentente entre associés, de même que l'existence d'un conflit sur la détention des parts sociales ne suffisent pas à justifier l'existence d'un péril imminent. Il souligne que les biens appartenant à la société [U] étant loués, son patrimoine est valorisé, avec des recettes et loyers encaissés en 2019, 2020 et 2021 de montants respectifs de 83 884 euros, 59 883 euros et 55 431 euros, soit des bénéfices annuels de 75 117 euros, 56 297 euros et 27 971 euros. Il soutient que la comptabilité est également tenue, et ce, malgré les difficultés qu'il a rencontrées pour récupérer les documents sociaux de la société [U] qui se trouvaient à l'ancien domicile commun dans lequel Mme [L] est restée. Il expose que Mme [L] peut très bien exercer par écrit son droit de communication et d'information en qualité d'associée conformément aux dispositions de l'article 1855 du code civil. Il fait état de détournements de fonds par Mme [L] commis dans les années 2014, 2015 et 2016 à l'aide d'une carte bleue établie au nom de la société [U] à son insu, à la suite de quoi il a porté plainte le 22 février 2022. Il fait également état de l'ingérence de son ex-concubine dans la gestion de la société en ce qu'elle s'est rapprochée de l'agence immobilière qui gère la location des immeubles de la société [U] pour se faire communiquer le compte-rendu de gestion de la société, de l'expert-comptable de la société afin de procéder à un changement de gérance et de la banque CIC dans les livres desquels un compte est ouvert au nom de la société [U]. Il estime donc que, compte tenu des fautes commises par Mme [L], elle ne peut se prévaloir de sa propre turpitude pour solliciter la désignation d'un administrateur provisoire. Il insiste sur le fait avoir remis à ce dernier l'ensemble des documents en sa possession et n'avoir commis aucune faute.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises le 18 juillet 2023, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des prétentions et moyens, Mme [L] sollicite de la cour qu'elle :
- confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ;
- déboute M. [M] de l'ensemble de ses demandes ;
- le condamne à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- le condamne aux dépens avec distraction au profit de Me [N] [K] sur son affirmation de droit.
Elle expose, qu'en raison du conflit existant avec son ex-concubin, elle ne dispose d'aucun élément comptable, ni ne perçoit le moindre centime des revenus générés par l'activité de la société [U], et ce, alors même qu'elle est associée à hauteur de 50 %. Elle relève qu'aucune assemblée générale des associés n'est tenue depuis plusieurs années et que la comptabilité est tenue par un cabinet d'expertise comptable présidé par la cousine de son ex-concubin. Elle affirme que la vie sociale de la société [U] est paralysée. Elle indique que la Cour de cassation a admis que, dans le cadre d'une SCI familiale, la mésentente entre les associés, l'absence d'assemblée générale et d'accès aux documents comptables permettait de justifier la désignation d'un administrateur provisoire. Elle indique avoir remis, le 3 avril 2020, au cousin de son ex-concubin l'ensemble des archives de la société [U] en sa possession par l'intermédiaire de son conseil. Elle dément avoir détourné les fonds de la société et explique qu'elle disposait d'une procuration bancaire sur les comptes de la société et qu'elle effectuait des achats pour subvenir aux besoins du ménage qu'elle formait alors avec M. [M] en piochant dans les fonds de son compte courant d'associée.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises le 5 juillet 2023, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des prétentions et moyens, la SELARL Bertholet de Saint Rapt sollicite de la cour de lui donner acte qu'elle s'en rapporte à justice et de statuer ce que de droit sur les dépens.
La clôture de l'instruction de l'affaire a été prononcée le 5 mars 2024.
Par soit-transmis en date du 8 avril 2024, la cour a indiqué aux parties qu'elle s'interrogeait sur :
- la qualité d'intimée de la SELARL Bertholet De Saint Rapt, en tant d'administrateur provisoire de la SCI [U], résultant de la déclaration d'appel et de son assignation par les appelants, par acte d'huissier en date du 8 juin 2023, comme n'étant pas partie en première instance ;
- la recevabilité de son intervention forcée, en tant que tiers non partie en première instance, au regard de sa qualité et de son intérêt à intervenir en cause d'appel s'agissant d'une voie de recours formée par la SCI [U], prise en la personne de son représentant légal, M. [M] et M. [M] lui-même aux fins justement de voir contester la désignation de la SELARL Bertholet De Saint Rapt, en qualité d'administrateur provisoire de la SCI [U], par le premier juge, et ce, malgré le caractère immédiatement exécutoire de l'ordonnance de référé.
S'agissant d'une fin de non-recevoir qu'elle entend soulever d'office, la cour a imparti aux parties un délai expirant le 16 avril 2024 à midi pour lui transmettre, si cela leur semblait utile et/ou opportun, leurs observations sur ce point précis, par une note en délibéré (articles 444 et 445 du code de procédure civile).
Par une note en délibéré en date du 15 avril 2024, le conseil de Mme [L] indique s'en rapporter à justice sur la fin de non-recevoir que la cour entend soulever.
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire, il convient de relever qu'alors même qu'elle a formé, devant le premier juge, une demande principale de désignation d'un administrateur provisoire et une demande subsidiaire de désignation d'un mandataire ad hoc, Mme [L], qui a obtenu la désignation d'un administrateur provisoire, ne forme aucun appel incident aux fins de réitérer sa demande subsidiaire dans le cas où la cour infirmerait sa demande formée à titre principal.
Il y a donc lieu de ne statuer que dans les limites de l'appel.
Sur la recevabilité de l'intervention forcée de la SELARL Bertholet De Saint Rapt, en tant qu'administrateur provisoire de la société [U]
Devant le premier juge, comme devant la cour, l'intervention peut être volontaire ou forcée.
En application de l'article 554 du code de procédure civile, peuvent intervenir en cause d'appel dès lors qu'elles y ont intérêt les personnes qui n'ont été ni parties ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité.
L'article 555 du même code énonce que ces mêmes personnes peuvent être appelées devant la cour, même aux fins de condamnation, quand l'évolution du litige implique leur mise en cause.
En l'espèce, si la SELARL Bertholet De Saint Rapt, qui apparaît dans la déclaration d'appel en tant qu'intimée, a été assignée en cette qualité par les appelants à la présente procédure d'appel, par acte d'huissier en date du 8 juin 2023, à la suite de quoi elle a constitué avocat, il reste que cette société, agissant en qualité d'administrateur provisoire de la société [U], n'a été ni partie, ni représentée en première instance, dès lors qu'il a été désignée en cette qualité par le juge de première instance.
Or, c'est précisément cette désignation qui est contestée par les appelants, et en particulier par la société [U], représentée par M. [M].
Dans ces conditions, la qualité de tiers doit être nécessairement reconnue à la SELARL Bertholet De Saint Rapt, agissant en qualité d'administrateur provisoire de la société [U], et ce, peu important le caractère immédiatement exécutoire de l'ordonnance de référé.
L'intervention forcée applicable aux tiers non parties en première instance n'est possible que dans l'hypothèse d'une évolution du litige caractérisée par la révélation d'une circonstance de fait ou de droit née de la décision ou postérieure à celle-ci modifiant les données juridiques du litige.
Tel n'est pas le cas en la cause dès lors que le litige a toujours porté sur la désignation d'un administrateur provisoire pour représenter la société [U].
Il convient dès lors de déclarer irrecevable, pour absence d'évolution du litige, son intervention forcée en cause d'appel.
Sur la désignation d'un administrateur provisoire
L'article 835 alinéa 1 du code de procédure civile dispose que le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le dommage imminent s'entend du dommage qui n'est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer et le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit.
Si l'existence de contestations sérieuses n'interdit pas au juge de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser un dommage imminent ou un trouble manifestement illicite, il reste qu'une contestation réellement sérieuse sur l'existence même du trouble et sur son caractère manifestement illicite doit conduire le juge des référés à refuser de prescrire la mesure sollicitée.
La cour doit apprécier l'existence d'un dommage imminent ou d'un trouble manifestement illicite au moment où le premier juge a statué, peu important le fait que ce dernier ait cessé, en raison de l'exécution de l'ordonnance déférée, exécutoire de plein droit.
La désignation d'un administrateur provisoire chargé d'un mandat général de gestion est une mesure exceptionnelle, qui suppose que soient réunies cumulativement deux conditions relatives à la gravité de la crise sociale, de nature à rendre impossible le fonctionnement normal de la société, et à l'urgence, du fait d'un péril imminent menaçant l'intérêt social.
En l'espèce, il résulte des statuts de la société [U] que, sur les dix parts sociales de la société, Mme [L], associée, et M. [M], associé gérant, en détienne, chacun, cinq. Cette société a pour objet l'acquisition, l'administration et la gestion par location ou autrement de tous immeubles et biens immobiliers, et notamment d'une parcelle de terrain sur laquelle est édifiée un bâtiment à usage industriel, ayant une surface d'environ 2839 m2 sis [Adresse 7] ainsi que toutes opérations financières, mobilières ou immobilières se rattachant directement ou indirectement à cet objet susceptibles d'en favoriser la réalisation, à condition toutefois d'en respecter le caractère civil.
Les appelants versent aux débats des éléments comptables faisant ressortir que la location de ce bien a généré :
- en 2019, 83 884 euros de recettes avec un bénéfice annuel de 75 117 euros à répartir entre les associés ;
- en 2020, 59 883 euros de recettes avec un bénéfice annuel de 56 297 euros à répartir entre les associés ;
- en 2021, 55 431 euros de recettes avec un bénéfice annuel de 27 971 euros à répartir entre les associés.
De plus, Mme [W] [M], expert-comptable du cabinet Quantum Partners, atteste, par courrier en date du 10 novembre 2022, avoir établi, conformément à sa mission, les déclarations 2072 de la société [U] destinées à l'administration fiscale, mais que la mise à jour de la comptabilité pour les exercices 2018, 2019, 2020 et 2021 est en cours d'élaboration, dès lors qu'elle est contrainte de solliciter des copies de documents auprès de la banque dans laquelle la société [U] détient son compte bancaire, lesquels sont indispensables aux vérifications qui s'imposent, notamment pour la validation des comptes courants d'associés. Elle certifie, par courrier en date du 2 février 2023, avoir avancé sur la saisie de la comptabilité concernant les quatre exercices susvisés mais qu'elle se heurte à la reprise des 'à nouveaux' de 2017 pour lesquels elle n'a aucune comptabilité pertinente.
Plus que des difficultés financières qui seraient rencontrées par la société, de nature à compromettre son existence, ce qui ne résulte pas des éléments susvisés, l'intimée se prévaut d'un fonctionnement anormal de la société en raison d'un conflit existant entre associés à l'origine d'irrégularités de gestion de nature à compromettre son intérêt social.
Les statuts stipulent, dans un article 18, que les décisions excédant les pouvoirs de la gérance sont prises par les associés et résultent, soit d'une assemblée générale, soit d'une consultation écrite des associés. L'article 20 énonce que, dans le cas où la gérance déciderait de consulter les associés par correspondance, elle doit adresser à son associée, par lettre recommandée, le texte des résolutions proposées accompagné, s'il y a lieu, de tous renseignements et explications utiles, à la suite de quoi l'associée disposera d'un délai de 15 jours pour émettre son vote par écrit et la gérance dressera un procès-verbal de la consultation en y annexant les votes de l'associée. En application de l'article 21, le gérant doit, au moins une fois par an, réunir une assemblée générale ordinaire afin, d'une part, qu'elle puisse prendre connaissance du compte rendu de gestion de la gérance et du rapport écrit sur l'activité de la société au cours de l'exercice écoulé et, d'autre part, qu'elle statue sur cette reddition de compte, approuve ou redresse les comptes et décide de l'affectation et la répartition des bénéfices. L'article 24 stipule que le gérant doit soumettre à son associée, dans les six mois de la clôture de l'exercice, un inventaire de l'actif et du passif de la société, un bilan, un compte de résultat, une annexe et un rapport de la gérance sur l'activité de la société. Il résulte enfin de l'article 25 que les bénéfices de la société sont distribués proportionnellement au nombre de parts possédés par chacun d'eux. L'assemblée générale peut également décider de les mettre en réserve ou de le reporter à nouveau, en tout ou partie.
M. [M], qui vivait avec Mme [L], jusqu'en 2020, n'allègue ni ne démontre avoir entrepris la moindre démarche pour mettre en 'uvre les dispositions susvisées.
Il reste, qu'alors même que Mme [L] établit que M. [M] a eu l'interdiction d'entrer en contact avec elle, au moins jusqu'au 24 décembre 2022, après avoir été condamné, par jugement du tribunal correctionnel d'Aix-en-Provence, en date du 29 avril 2020, à deux ans d'emprisonnement, dont un an avec sursis probatoire pendant deux ans, pour des faits de violences commises à son encontre, M. [M] ayant été détenu, pour ces faits, jusqu'au 14 octobre 2020, elle n'apparaît pas lui avoir demandé, en application de l'article 1855 du code civil, la communication des livres et des documents sociaux, et/ou poser par écrit des questions sur la gestion sociale.
En tout état de cause, si les faits pour lesquels M. [M] a été condamné ont nécessairement eu un impact sur le fonctionnement normal de la société [U], en ce que le gérant ne pouvait, au moins, jusqu'au 24 décembre 2022, entrer directement en contact avec Mme [L], il n'en demeure pas moins que cette dernière ne rapporte pas la preuve d'anomalies graves mettant en péril l'intérêt social de la société.
Outre le fait que les bilans comptables de la société [U] révèlent qu'elle a encaissé des loyers, réalisé des bénéfices en 2019, 2020 et 2021 et que M. [M] a mandaté un expert-comptable pour reconstituer la comptabilité de la société [U] portant sur les exercices 2018, 2019, 2020 et 2021, et notamment les comptes courants d'associés, les éléments de la procédure ne permettent aucunement d'établir, à l'évidence, des détournements de fonds de la société [U] pour les besoins personnels de M. [M] mettant en péril l'intérêt social de ladite société.
Alors même que l'administration provisoire n'est pas faite pour protéger l'intérêt d'un associé, Mme [L] n'apporte pas la preuve que les faits dont elle a été victime de la part de M. [M] et leur séparation, dans le courant de l'année 2020, sont à l'origine d'anomalies de gestion de la part de M. [M] d'une gravité telle qu'elles constituent un péril menaçant l'intérêt social de la société [U] et/ou dans son existence.
Dans ces conditions, le seul fait pour M. [M] de ne pas respecter les dispositions statutaires relatives notamment à la tenue des assemblées générales, aux consultations par correspondance et à son obligation de rendre compte de sa gestion ne justifie pas de le dessaisir de ses pouvoirs au profit d'un administrateur provisoire chargé d'un mandat général de gestion de la société [U].
L'ordonnance entreprise sera donc infirmée en ce qu'elle a fait droit à la demande de Mme [L] de désignation d'un administrateur provisoire de la société [U].
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Mme [L], succombant en appel, il y a lieu d'infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a laissé les dépens à la charge de chaque partie par elle exposés.
Mme [L] sera condamnée aux dépens de première instance et de la procédure d'appel.
En revanche, l'équité commande de ne pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure en faveur des appelants pour les frais exposés en première instance et en appel non compris dans les dépens et Mme [L] sera déboutée de sa demande formée de ce chef en tant que partie perdante. L'ordonnance entreprise sera donc confirmée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à faire droit aux demandes formées de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déclare irrecevable l'intervention forcée en cause d'appel de la SELARL Bertholet De Saint Rapt, agissant en qualité d'administrateur provisoire de la SCI [U], pour absence d'évolution du litige ;
Statuant dans les limites de l'appel ;
Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions critiquées sauf en ce qu'elle a dit que chacune des parties conserverait la charge de ses propres dépens ;
Statuant à nouveau et y ajoutant ;
Déboute Mme [Y] [L] de sa demande visant à voir désigner un administrateur provisoire de la SCI [U] ;
Déboute les parties de leurs demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel non compris dans les dépens ;
Condamne Mme [Y] [L] aux dépens de première instance et d'appel.
La greffière, Le président,