La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/04/2024 | FRANCE | N°22/11945

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-8a, 25 avril 2024, 22/11945


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8a



ARRÊT MIXTE

DU 25 AVRIL 2024



N°2024/46













Rôle N° RG 22/11945 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJ6JB







[M] [U]





C/



SA [20]

[16]

























Copie exécutoire délivrée

le : 25/04/2024

à :





- Me Sandrine LAUGIER de la SELARL SLA, avocat au barreau de MARSEILLE





- Me Philippe-laurent SIDER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE



- [16]







Décision déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de MARSEILLE en date du 27 Juillet 2022,enregistré au répertoire général sous le n° 19/03975.





APPELANT



Monsieur [M] [U],...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8a

ARRÊT MIXTE

DU 25 AVRIL 2024

N°2024/46

Rôle N° RG 22/11945 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJ6JB

[M] [U]

C/

SA [20]

[16]

Copie exécutoire délivrée

le : 25/04/2024

à :

- Me Sandrine LAUGIER de la SELARL SLA, avocat au barreau de MARSEILLE

- Me Philippe-laurent SIDER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

- [16]

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de MARSEILLE en date du 27 Juillet 2022,enregistré au répertoire général sous le n° 19/03975.

APPELANT

Monsieur [M] [U], demeurant [Adresse 11] - [Localité 7]

représenté par Me Sandrine LAUGIER de la SELARL SLA, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Juliette GOLDMANN, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEES

SA [20], demeurant [Adresse 13] - [Localité 14]

représentée par Me Philippe-laurent SIDER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Nicolas FRANCOIS, avocat au barreau de MARSEILLE

CAISSE DE PREVOYANCE ET DE RETRAITE DU PERSONNEL DE LA SNCF, demeurant [Adresse 10] - [Localité 8]

non comparante, non représentée

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Mars 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Emmanuelle TRIOL, Présidente, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Emmanuelle TRIOL, Présidente

Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseiller

Monsieur Benjamin FAURE, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Aurore COMBERTON.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 25 Avril 2024.

ARRÊT

contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 25 Avril 2024

Signé par Mme Emmanuelle TRIOL, Présidente et Mme Aurore COMBERTON, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Monsieur [M] [U] employé depuis 1983 par la SNCF, a été victime d'un accident sur son lieu de travail, le 8 novembre 2015, dont le caractère professionnel a été reconnu par la Caisse de Prévoyance et de Retraite du Personnel de la SNCF.

Une première date de guérison a été fixée au 8 janvier 2016, laquelle a été contestée par l'intéressé.

Une nouvelle date de consolidation a été fixée au 22 août 2017, Monsieur [M] [U] bénéficiant d'une rente en raison d'un taux d'IPP fixé à 5%.

Dans la mesure où Monsieur [M] [U] n'était pas en mesure de reprendre le travail, en raison de son état de santé, il a sollicité sa mise à la réforme, par un courrier du 27 février 2018.

Le16 octobre 2018, l'employeur lui notifiait sa cessation de fonction définitive au 30 décembre 2018.

Dans l'intervalle, Monsieur [M] [U] recevait deux rapports médicaux d'invalidité, datés du 6 mars 2018, similaires.

Le Médecin conseil concluait au placement en invalidité catégorie 2 de l'intéressé.

Le 21 mai 2019, M. [M] [U] a saisi le pôle social du tribunal de grande instance de Marseille en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, l'EPIC SNCF Mobilités, aux droits duquel vient désormais la SA [20].

Par jugement contradictoire du 27 juillet 2022, le pôle social du tribunal judiciaire de Marseille a débouté le demandeur de l'intégralité de ses prétentions, dit n'y avoir lieu à article 700 du code de procédure civile et condamné le même aux dépens.

Le tribunal a considéré que si M. [U] rapportait un commencement de preuve de la défaillance du système d'éclairage sur certains sites de la SNCF entre 2011 et 2012, il n'établissait pas que l'accident du 8 novembre 2015 avait eu lieu sur une zone affectée par un manque ou un défaut d'éclairage.

Par déclaration électronique du 29 août 2022, M. [U] a relevé appel du jugement.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions remises par voie électronique le 28 novembre 2022, visées à l'audience, dûment notifiées à la partie adverse et auxquelles il s'est expressément référé, l'appelant demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de :

- juger que le caractère inexcusable de la faute de l'employeur soit reconnu,

- fixer la majoration maximale de la rente,

- nommer un médecin expert aux fins d'examiner Monsieur [U] et de déterminer toutes les conséquences médico-légales de l'accident en ce compris les conséquences psychologiques,

- condamner la SNCF MOBILITES à payer à Monsieur [U] la somme de 10.000,00 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation définitive de son entier préjudice.

Au soutien de ses prétentions, l'appelant fait valoir qu'il a eu son accident sur un chemin insuffisamment éclairé. Il souligne que l'employeur avait été alerté du défaut d'éclairage, mais n'a rien fait. Il estime bénéficier de la faute inexcusable de droit.

Si la cour ne retenait pas la faute inexcusable de droit, il fait valoir que l'employeur connaissait le danger mais ne l'a pas protégé.

Par conclusions remises par voie électronique le 27 février 2023et visées à l'audience, dûment notifiées à la partie adverse et auxquelles elle s'est expressément référée, la SA [20] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et, en conséquence, de dire les demandes de l'appelant infondées et le condamner aux dépens et à lui verser la somme de 1 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'intimée réplique que les dispositions de l'article L 4131-4 du code du travail ne sont pas applicables.

Elle fait valoir ensuite qu'aucune faute inexcusable ne lui est imputable et que le salarié n'en rapporte pas la preuve.

MOTIVATION

1- Sur la faute inexcusable :

Il résulte des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail que le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver (civ.2e, 8 octobre 2020, pourvoi n° 18-25.021 ; civ.2e, 8 octobre 2020, pourvoi n° 18-26.677). Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de la maladie survenue au salarié mais il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage (Cass . Ass plen, 24 juin 2005, pourvoi n°03-30.038).

Il est de jurisprudence constante qu'il appartient au salarié de rapporter la preuve que l'employeur avait conscience du danger auquel il était exposé et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver (civ.2e 8 juillet 2004, pourvoi no 02-30.984, Bull II no 394 ; civ.2e 22 mars 2005, pourvoi no 03-20.044, Bull II no 74). Cette preuve n'est pas rapportée lorsque les circonstances de l'accident dont il a été victime sont indéterminées. (Soc., 11 avril 2002, pourvoi n° 00-16.535).

Par contre, en application des dispositions de l'article L 4131-4 du code du travail, le bénéfice de la faute inexcusable de l'employeur prévue à l'article L 452-1 du code de la sécurité sociale est de droit pour le ou les travailleurs qui seraient victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle alors qu'eux-mêmes ou un représentant du personnel au comité social et économique avaient signalé à l'employeur le risque qui s'est matérialisé.

Ce dernier article établit donc une présomption irréfragable de faute inexcusable.

Cependant, elle nécessite que le salarié prouve que l'employeur avait été averti du risque avant la survenue de l'accident du travail.

Les premiers juges ont considéré que M. [U] rapportait un commencement de preuve de la défaillance du système d'éclairage sur certains sites de la SNCF depuis 2011 et 2012 et presistant en 2015 mais n'établissait pas que son accident avait eu lieu sur une zone affectée par un manque ou un défaut d'éclairage.

Pourtant, les pièces produites par l'appelant établissent parfaitement que le lieu de travail de M. [U] souffrait d'un défaut d'éclairage et que le risque de chute ou d'accidents divers (agressions, ...) était signalé depuis plusieurs années sans qu'aucune mesure pour y remédier n'intervienne. Le salarié produit de nombreuses pièces qui démontrent que la SNCF était régulièrement informée des problèmes de sécurité des lieux et particulièrement du problème de l'absence ou de la défectuosité de l'éclairage (alertes, droits de retrait, procès-verbaux de réunion du CHSCT). L'accident subi par M. [U] s'est produit au mois de novembre vers 4 heures du matin, heure où il faisait nécessairement nuit. L'employeur était dès lors parfaitement informé des risques encourus par les salariés du fait de l'absence d'éclairage suffisant des lieux de travail et des chemins et voies empruntés par ceux-ci.

Pour autant, l'employeur n'y a apporté aucun remède. Les pièces versées par la SNCF (nombreux procès-verbaux de CHSCT) ne font pas état de mesures mises en place pour remédier au défaut d'éclairage récurrent. A l'heure où l'accident s'est produit, le jour n'était pas encore levé. Il appartenait donc à la SNCF, soit d'équiper individuellement ses agents de lampes, soit de prévoir un éclairage collectif suffisant, de manière à ce que les déplacements des salariés et leur travail puissent s'effectuer en toute sécurité.

Dans ces conditions, et contrairement à ce que les premiers juges ont considéré, M. [U] bénéficie de la présomption de l'article L 4131-4 du code du travail. L'accident dont il a été victime est imputable à la faute inexcusable de la SA SNCF.

2- Sur les conséquences de la faute inexcusable :

Vu les dispositions de l'article L 452-2 du code de la sécurité sociale,

La faute inexcusable de la SA SNCF a pour conséquence la majoration la rente allouée à M. [U], suite à une décision du 31 octobre 2017, fixant son taux d'incapacité permanente partiel à 5 %.

Aux termes de l'article L 452-3 du code de la sécurité sociale, indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit en vertu de l'article L 452-2, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. (')

Il résulte de ces dispositions légales, telles qu'interprétées par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, qu'en cas de faute inexcusable, la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle peut demander à l'employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation d'autres chefs de préjudice que ceux énumérés par le texte précité, à la condition que ces préjudices ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

Elles doivent également être appliquées à l'aune de la dernière jurisprudence de la Cour de Cassation (Assemblée plénière 20 janvier 2023) qui considère désormais que la rente n'indemnise pas le déficit fonctionnel permanent de la victime.

M. [U] sollicite, à bon droit, la mise en 'uvre d'une expertise afin d'évaluer les préjudices subis.

La cour ordonne, selon les modalités détaillées dans le dispositif de l'arrêt une expertise médicale qui portera, d'une part, sur les chefs de réparations complémentaires énoncées à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale destinés à la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle, d'autre part, sur ceux qui ne sont pas déjà réparés par le livre IV du code de la sécurité sociale et, en particulier, le déficit fonctionnel permanent, aux frais de la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF.

En ce qui concerne la demande de provision, compte tenu des circonstances de l'espèce, l'allocation d'une provision de 3 000 € apparait justifiée, laquelle sera versée par la caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,

Statuant à nouveau,

Dit que l'accident de travail subi par M. [M] [U], le 8 novembre 2015, est imputable à la faute inexcusable de son employeur, la SA [20],

Ordonne la majoration de l'indemnisation servie à M. [M] [U] par la Caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF à son maximum,

FIXE à 3 000 € la provision à valoir sur la réparation définitive des préjudices subis par M. [M] versée par la Caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF,

Avant dire droit sur l'indemnisation des préjudices subis par M. [M] [U] autres que ceux prévus par le livre IV du code de la sécurité sociale,

ORDONNE une expertise médicale confiée à:

Dr [W] [G]

[Adresse 12]

[Localité 6]

Tél : [XXXXXXXX01]

Port. : [XXXXXXXX04]

Fax : [XXXXXXXX05]

Mail : [Courriel 19]

à défaut:

Dr [K] [V] née [Y]

Chez [17] [Adresse 15]

[Localité 9]

Tél : [XXXXXXXX03]

Port. : [XXXXXXXX02]

Mail : [Courriel 18]

avec pour mission de:

- entendre contradictoirement les parties et leurs conseils dans le respect des règles de déontologie médicale ou relatives au secret professionnel

- recueillir les renseignements nécessaires sur l'identité de la victime et sa situation, les conditions de son activité professionnelle, son statut exact, son mode de vie antérieure à l'accident et sa situation actuelle

- se faire communiquer par la victime tous documents médicaux la concernant notamment ceux consécutifs à l'accident litigieux et à son état de santé antérieur

- procéder, à un examen clinique détaillé en fonction des lésions initiales et des doléances exprimées par la victime

- d'évaluer le déficit fonctionnel temporaire antérieur à la consolidation fixée au 22 août 2017,

- d'évaluer le préjudice causé par les souffrances physiques et morales

- d'évaluer le préjudice esthétique

- d'évaluer le préjudice d'agrément

- d'évaluer le préjudice résultant de la perte ou de la diminution de possibilités de promotion professionnelle

- d'évaluer le préjudice sexuel,

- d'évaluer le déficit fonctionnel permanent (aspect non économique de l'IPP lié à la réduction du potentiel physique, psychosensoriel et intellectuel),

DIT que l'expert devra préciser contradictoirement aux parties et au magistrat chargé du contrôle de l'expertise la méthodologie, le coût et le calendrier prévisible de ses opérations et qu'il devra, en cas de difficultés ou de nécessité d'une extension de la mission en référer au magistrat chargé du contrôle de l'expertise qui appréciera la suite à y donner,

DIT que l'expert désigné pourra, en cas de besoin, s'adjoindre le concours de tout spécialiste de son choix, dans un domaine distinct du sien, après en avoir simplement avisé les conseils des parties et le magistrat chargé du contrôle des expertises,

DIT que l'expert adressera un pré-rapport aux conseils des parties qui, dans les quatre semaines de la réception, lui feront connaître leurs observations auxquelles il devra répondre dans son rapport définitif,

DIT que l'expert devra déposer son rapport au greffe de la cour dans les SIX MOIS à compter de l'acceptation de sa mission, sauf prorogation dûment sollicitée auprès du président de chambre chargé du contrôle des opérations d'expertise, et en adresser une copie aux conseils des parties,

FIXE à 900 euros la consignation des frais à valoir sur la rémunération de l'expert qui devra être versée au service de la régie d'avances et des recettes de la cour d'appel d'Aix-en-Provence,

DIT que ces frais seront avancés par la Caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF,

RESERVE les autres chefs de demandes et les dépens,

RENVOIE l'affaire à l'audience du 7 janvier 2025 à 9h00, la notification du présent arrêt valant convocation des parties à cette audience.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-8a
Numéro d'arrêt : 22/11945
Date de la décision : 25/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-25;22.11945 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award