La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/04/2024 | FRANCE | N°19/19429

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-2, 19 avril 2024, 19/19429


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-2



ARRÊT AU FOND

DU 19 AVRIL 2024



N° 2024/075













Rôle N° RG 19/19429 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BFKOC







SA LA POSTE





C/



[H] [M]

















Copie exécutoire délivrée

le : 19 avril 2024

à :



Me Denis FERRE de la SELARL ABEILLE & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE



Me Vanessa MARTI

NEZ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

(Vestiaire 228)

























Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARTIGUES en date du 29 Octobre 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 18/00366.





APPE...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-2

ARRÊT AU FOND

DU 19 AVRIL 2024

N° 2024/075

Rôle N° RG 19/19429 - N° Portalis DBVB-V-B7D-BFKOC

SA LA POSTE

C/

[H] [M]

Copie exécutoire délivrée

le : 19 avril 2024

à :

Me Denis FERRE de la SELARL ABEILLE & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE

Me Vanessa MARTINEZ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

(Vestiaire 228)

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARTIGUES en date du 29 Octobre 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 18/00366.

APPELANTE

SA LA POSTE, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Denis FERRE de la SELARL ABEILLE & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIME

Monsieur [H] [M], demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Vanessa MARTINEZ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 Février 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Marianne FEBVRE, Présidente de chambre suppléante, chargée du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Marianne FEBVRE, Présidente de chambre suppléante

Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre

Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Cyrielle GOUNAUD.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 05 Avril 2024, délibéré prorogé au 19 avril 2024

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 19 Avril 2024

Signé par Mme Marianne FEBVRE, Présidente de chambre suppléante et Mme Cyrielle GOUNAUD, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

M. [H] [M] a été engagé par la société La Poste le 8 juillet 1997 en qualité de facteur d'abord dans le cadre de plusieurs contrats à durée déterminée puis dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée.

Le salarié a été reconnu travailleur handicapé à compter de 2012. Au dernier état de la relation contractuelle, il était affecté au sein de l'établissement de [Localité 3] Etang et bénéficiait d'un temps partiel thérapeutique.

Le 1er juillet 2017, M. [M] a fait l'objet d'une mise à pied conservatoire suite à une altercation avec un facteur titulaire, M. [G] [S], le 30 juin précédent.

Le 13 juillet 2017, il a été convoqué à un entretien préalable à éventuel licenciement qui s'est tenu le 27 juillet suivant puis devant la commission consultative paritaire le 17 août 2017.

Le 1er septembre 2017, la société La Poste l'a informé qu'elle renonçait à un licenciement pour faute grave mais qu'elle lui notifiait une mise à pied disciplinaire de trois mois, par une lettre rédigée en ces termes :

'(...) Le 30 juin 2017, M. [S] se plaignait de vos erreurs dans le tri des objets signalés, ce qui engendrait beaucoup de fausses directions dans sa tournée. Il indique que vous avez alors commencé à l'insulter et qu 'en réponse, il a jeté des lettres recommandées dans votre direction. Cette attitude certes inappropriée sur le lieu du travail a alors engendré une réaction totalement disproportionnée et intolérable de votre part.

En effet, vous avez alors poussé si fortement votre collègue qu'il s'est heurté violemment la tête sur le casier de tri. Cette chute lui a occasionné une plaie ouverte à l'arcade sourcilière gauche, nécessitant trois points de suture. Mais votre réaction ne s'est pas simplement arrêtée à ce geste d'énervement, puisque M. [S] affirme qu'elle a été accompagnée d'un coup de poing porté à son visage alors que celui-ci était en train de se relever. A l'issue deux jours d'arrêt maladie ont été délivrés à la victime.

Votre comportement fautif va décider votre Directrice d'établissement, lorsqu'elle aura connaissance de vos agissements, à vous placer en mise à pied à titre conservatoire, ce qui constituera la première étape de la procédure disciplinaire diligentée à votre encontre.

En conséquence, vous avez été convoqué à un entretien préalable au licenciement qui s 'est tenu le 13 juillet 2017.

Lors de cet entretien, vous étiez assisté de M. [J], représentant SUD. Vous avez contesté la version des faits décrits par M. [S], reconnaissant l'avoir poussé et fait tomber contre le casier de tri mais niant avoir porté un coup de poing.

Conformément aux dispositions de la convention commune, nous avons recueilli l'avis de la commission consultatíve paritaire, le mardi 29 août 2017.

Lors de la tenue du conseil de discipline, vous étiez représenté par M. [J], représentant syndical SUD qui a maintenu votre version de l'entretien préalable, rejetant à la fois la notion de coup porté et le caractère volontaire des lésions engendrées par votre geste.

Il n'en demeure pas moins que vous reconnaissez expressément avoir poussé suffisamment brutalement votre collèguepour lui provoquer blessures et arrêt de travail, ce que ne saurait tolérer un employeur au regard de son obligation de sécurité à l 'égard de l'ensemble de son personnel. (...)'

Après avoir vainement contesté cette sanction par un courrier en date du 9 octobre 2017, M. [M] a saisi le conseil des prud'hommes de Martigues le 25 juin 2018 pour voir juger cette sanction injustifiée et obtenir le paiement d'un rappel de salaire durant la mise à pied (4.800 € en brut) et les congés payés afférents et de dommages et intérêts en réparation de son préjudice.

Vu le jugement en date du 29 octobre 2019 qui a :

- annulé la mise à pied disciplinaire injustifiée,

- condamné la société La Poste à payer à M. [M] les sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à compter du jugement :

- 4.800 € bruts à titre de rappel de salaire sur la mise à pied,

- 480 € bruts à titre d'indemnité de congés payés sur rappel de salaire,

- 3.000 € à titre de dommages et intérêts pour sanction abusive,

- 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rappelé l'exécution provisoire de droit et ordonné l'exécution provisoire facultative en application des dispositions de l'artic1e 515 du code de procédure civile,

- dit que le salaire moyen mensuel s'étab1issait à la somme de 1.600 € bruts,

- débouté le salarié de ses autres demandes et l'employeur de sa demande reconventionnelle,

- condamné ce dernier aux entiers dépens.

Vu la déclaration d'appel de la société La Poste en date du 20 décembre 2019,

Vu ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 22 janvier 2024 par lesquelles l'appelante demande à la cour de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a annulé la mise à pied disciplinaire et l'a condamnée à payer un rappel de salaire sur la mise à pied, les congés payés afférents, des dommages et pour sanction abusive ainsi qu'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il a rejeté sa demande de condamnation au titre de ses frais irrépétibles, et - en substance - de :

- débouter le salarié de l'ensemble de ses demandes,

- condamner ce dernier au paiement d'une somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance,

- le condamner reconventionnellement en cause d'appel au paiement d'une somme de 2.000 € au même titre ainsi qu'aux entiers dépens.

Vu l'ordonnance de clôture en date du 23 janvier 2024,

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites susvisées.

A l'issue de l'audience, les parties présentes ont été avisées que la décision était mise en délibéré pour être rendue le 5 avril 2024 par mise à disposition au greffe. Elles ont été informées par le greffe du prorogé du délibéré au 19 avril 2024.

SUR CE :

Sur l'annulation de la sanction disciplinaire :

Comme justement rappelé par le conseil des prud'hommes de Martigues, en cas de litige sur une sanction disciplinaire, la juridiction saisie apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. Elle peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise. Un comportement fautif ne peut résulter que d'un fait imputable au salarié.

L'employeur fournit au juge les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utile. Si un doute subsiste il profite au salarié.

En l'espèce, le conseil des prud'hommes a pris en considération que la version des faits entre M. [M] et son collègue M. [S] était différente, que l'attestation de M. [K] [B] produite par la société La Poste n'était pas probante car ce dernier n'avait pas été témoin direct de l'altercation physique entre ses collègues tandis que la déclaration d'accident du travail relatant les faits avait été établie à partir des propos de M. [S], qui étaient contestés par le salarié. Il en a été déduit que l'imputabilité de la faute n'était pas démontrée du fait que l'employeur ne versait aux débats aucun élément permettant de conforter l'une ou l'autre version des faits.

Au soutien de son appel, la société La Poste réitère que, après que son collègue de travail excédé par ses erreurs lui avait jeté un paquet de lettres qui ne devaient pas être dans ses casiers, le salarié avait porté un coup violent à ce collègue, lui causant ainsi une plaie ouverte à l'arcade sourcilière, nécessitant 3 points de suture.

L'appelante soutient que la reconnaissance a minima des faits par M. [M] suffit à consacrer sa faute et sa responsabilité dans la chute de M. [S] et ses conséquences corporelles.

Par ailleurs, elle s'appuie notamment sur la position des représentants du personnel à l'occasion de la commission consultative paritaire pour en déduire que la mise à pied était une sanction justifiée et proportionnée, compte tenu de ce que les deux représentants du personnel eux-même avaient voté pour la sanction de mise à pied de trois mois proposée par la direction en subsidiaire de celle du licenciement initialement envisagée.

La cour constate au vu des pièces versées aux débats et de ses écritures, que M. [M] ne conteste pas l'existence de l'altercation du 30 juin 2017 : il affirme ne pas avoir donné le coup de poing qui lui est reproché et soutient pour le surplus que, s'étant vu agressé par M. [S] qui avait pénétré dans sa cabine et lui avait jeté une liasse de lettres recommandées au visage, il avait repoussé son collègue, par réflexe et pour se protéger.

Cette version n'a pas varié et résulte autant de son courrier du 3 juillet 2017 suite à la notification de la mise à pied conservatoire dont il a fait l'objet, que de son écrit non daté produit en pièce 6 par la société appelante et du compte rendu de l'entretien préalable, non signé, également produit par l'employeur en pièce 5, ou encore du positionnement qui a été le sien devant la commission consultative paritaire à laquelle il était représenté.

Par ailleurs, M. [S] lui-même confirme avoir eu - le premier - un comportement physiquement agressif puisqu'il rédige ceci dans sa déclaration d'accident du travail : « Alors que je signalais à M. [M] qu'il avait mis des lettres mal adressées et qui ne correspondaient pas à ma tournée, celui-ci a commencé à m'agresser verbalement sur ce je lui ai jeté les 5 lettres. Aussitôt, il m'a violemment poussé et j'ai heurté un casier de tri situé derrière moi (...) »

Si M. [S] évoque ensuite avoir subi un coup de poing de la part de M. [M], ce dernier le conteste formellement et aucune des pièces produites ne permet de confirmer la version de M. [S] sur ce point. Notamment, l'attestation de M. [B] qui n'a pas assisté directement à la scène ne permet pas de confirmer la matérialité de ce grief puisqu'il n'a rien vu et seulement entendu « en pleine dispute. J'ai donc décidé de me rendre en cabine, lorsque j'ai entendu des bruits de coup non liés aux bruits habituels. Une fois arrivé en Cabine, M.[S] et M. [M] étaient proches l'un de l'autre et continuaient leur dispute. Je me suis interposé entre eux et je leur ai demandé de bien vouloir se calmer. J'ai constaté à ce moment que M.[S] était blessé, je lui ai donc demandé de me suivre pour lui apporter les premiers soins et alerter mon encadrante sur site. »

Il ressort par ailleurs du compte-rendu de la commission consultative paritaire que M. [S] n'aurait pas dû se rendre dans la cabine de tri dans laquelle se trouvait M. [M]. Et il résulte également du compte rendu de l'entretien préalable produit par l'employeur que M. [S] était entré en criant sur son collègue ; après quoi il lui avait jeté une liasse de courriers au visage.

Dans ce contexte et vu des pièces produites, la cour estime que le grief formulé par l'employeur et se résumant à 'une réaction totalement disproportionnée et intolérable de (la) part' de M. [M] ne justifiait pas la mise à pied disciplinaire litigieuse.

En conséquence le jugement entrepris mérite d'être confirmé en ce qu'il a annulé cette sanction.

Sur l'indemnisation du préjudice subi :

A titre subsidiaire, la société La Poste conteste sa condamnation à payer à M. [M] 3.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation d'un préjudice qu'elle estime non établi.

Le salarié a effectivement subi une perte de salaire durant les trois mois de sa mise à pied et il affirme que cela l'a mis en grande difficulté financière et qu'il a dû faire appel à sa famille pour pouvoir survivre, d'autant qu'il est lui-même soutien de famille.

La cour constate cependant que M. [M] ne produit aucun élément de preuve à ce sujet et qu'il ne justifie donc pas du préjudice économique invoqué. Par ailleurs, il ne fait nullement état d'un préjudice moral susceptible de résulter de la notification d'une sanction disciplinaire injustifiée.

Le jugement sera donc infirmé sur l'allocation des dommages et intérêts.

En revanche, et ceci n'est d'ailleurs pas contesté, le salarié est fondé à réclamer le rappel de son salaire correspondant à la durée de la mise à pied annulée, outre les congés payés afférents.

Sur les autres demandes :

En l'état de l'infirmation partielle du jugement entrepris, M. [M] sera condamné aux dépens d'appel.

En revanche, l'équité et la situation économique des parties commandent de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement et par arrêt mis à la disposition des parties au greffe et dans les limites de sa saisine :

- Infirme le jugement rendu le 29 octobre 2019 par le conseil des prud'hommes de Martigues, mais seulement en ce qu'il a condamné la société La Poste à payer à M. [H] [M] la somme de 3.000 € à titre de dommages et intérêts pour sanction abusive ;

- Le confirme pour le pruplus ;

Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,

- Déboute M. [H] [M] de sa demande indemnitaire ;

- Condamne M. [H] [M] aux dépens d'appel ;

- Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-2
Numéro d'arrêt : 19/19429
Date de la décision : 19/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 27/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-19;19.19429 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award