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17/04/2024 | FRANCE | N°20/07109

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-1, 17 avril 2024, 20/07109


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-1



ARRÊT AU FOND

DU 17 AVRIL 2024



N° 2024/ 170









Rôle N° RG 20/07109 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BGC5C







S.C.I. ARPEGE





C/



[U] [H]



























Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Elodie FONTAINE

Me Joseph MAGNAN














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Décision déférée à la Cour :



Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de TOULON en date du 02 Juillet 2020 enregistrée au répertoire général sous le n° 17/04199.





APPELANTE



S.C.I. ARPEGE prise en la personne de son représentant légal en exercice, demeurant [Adresse 8]



représentée et assisté par Me ...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-1

ARRÊT AU FOND

DU 17 AVRIL 2024

N° 2024/ 170

Rôle N° RG 20/07109 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BGC5C

S.C.I. ARPEGE

C/

[U] [H]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Elodie FONTAINE

Me Joseph MAGNAN

Décision déférée à la Cour :

Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de TOULON en date du 02 Juillet 2020 enregistrée au répertoire général sous le n° 17/04199.

APPELANTE

S.C.I. ARPEGE prise en la personne de son représentant légal en exercice, demeurant [Adresse 8]

représentée et assisté par Me Elodie FONTAINE de la SELAS B & F, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, ayant plaidé

INTIME

Monsieur [U] [H]

né le 05 Juin 1956 à [Localité 7] ([Localité 7]), demeurant [Adresse 5]

représenté par Me Joseph MAGNAN de la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, et ayant pour avocat paidant Me Bruno CHOFFRUT, avocat au barreau de REIMS substitué par Me Camille ASSAILLY, avocat au barreau de CHALONS-EN-CHAMPAGNE, ayant plaidé

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Mars 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Louise DE BECHILLON, Conseillère, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Olivier BRUE, Président

Madame Fabienne ALLARD, Conseillère

Madame Louise DE BECHILLON, Conseillère

Greffier lors des débats : Madame Céline LITTERI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 17 Avril 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 17 Avril 2024

Signé par Monsieur Olivier BRUE, Président et Madame Céline LITTERI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La société civile immobilière (SCI) Arpège était propriétaire de deux parcelles de terre contiguës et inconstructibles au regard du seuil de constructibilité fixé à 10 000 m², sises à [Localité 6] cadastrées AW[Cadastre 1] et AW[Cadastre 2] mesurant 5 000 m² chacune.

Par acte authentique du 29 mai 1996, reçu par Me [I], notaire, M. [U] [H] a acquis de la SCI Arpège les deux parcelles au prix de 360 000 francs.

Un protocole d'accord a également été signé le même jour entre les parties par lequel M.[U] [H] s'est engagé à rétrocéder gracieusement et à ses frais la parcelle AW[Cadastre 2] à la SCI Arpège au plus tard dans l'année suivant la modification du plan d'occupation des sols (POS) rendant constructible la zone à partir de 5 000 m², ainsi qu'à déposer une demande de permis de construire dès que la législation en vigueur le lui permettrait.

Par acte authentique du 15 avril 1997, M. [H] a signé un acte d'affectation hypothécaire au profit de la SCI Arpège concernant le bien vendu pour un montant de 60 979, 61 euros.

Par lettre recommandée du 21 décembre 1999, la SCI Arpège a informé M. [H] que le nouveau POS de [Localité 6] avait classé la parcelle AW[Cadastre 2] en zone INBr, constructible pour 5 000 m², et l'a invité à respecter les termes de la convention dans les meilleurs délais.

Le POS de [Localité 6] a été révisé et approuvé le 26 juin 2000.

La SCI Arpège a alors formulé plusieurs relances à M. [U] [H], ainsi qu'une mise en demeure par lettre recommandée du 31 janvier 2001 d'avoir à respecter ses engagements en initiant les démarches nécessaires pour procéder par acte authentique à la restitution de la parcelle.

Par lettre recommandée du 27 février 2001, M. [U] [H] a informé la SCI Arpège qu'il avait effectué une demande d'information auprès du service de l'urbanisme de la commune de [Localité 6].

Par courrier du 27 avril 2001, M. [H] a adressé à la SCI Arpège le courrier de Me [I], notaire, l'informant que la rétrocession pourrait impliquer une requalification de l'acte par l'administration en donation, un rappel de l'administration fiscale et une préemption de la commune.

Par courrier du 23 juin 2001, M. [U] [H] a proposé à la SCI Arpège de vendre la parcelle AW[Cadastre 2] et de l'indemniser à titre compensatoire par le produit de la vente au lieu de procéder à la rétrocession.

Par courrier du 30 septembre 2002, la SCI Arpège a demandé à M. [H] de confirmer qu'il se tenait prêt à signer les actes de rétrocession en l'étude de M. [Z], notaire.

M. [H] a refusé de procéder à la rétrocession pour garder le terrain et par l'intermédiaire de son conseil par un courrier du 20 novembre 2002, il a formulé une offre de transaction au prix de 60 979, 61 euros au titre du solde de la dette hypothécaire.

Par courrier du 26 novembre 2022, Me [Z], notaire, a informé Me [S], notaire de M. [H] qu'il se chargeait de préparer l'acte de rétrocession, ainsi que la mainlevée de l'inscription d'hypothèque en demandant le titre de propriété de M. [H]. Aucun projet d'acte n'a ensuite été établi.

Par courrier du 9 décembre 2002, la SCI Arpège a accepté l'offre de transaction de M. [H].

M. [H] a signé un compromis de vente avec un acheteur pour la parcelle AW[Cadastre 2] sous condition suspensive de l'obtention d'un permis de construire, dont la demande a été déposée le 27 janvier 2003 et qui a été refusé à cet acheteur par arrêté du 19 mai 2003.

Par assignation du 7 août 2017, la SCI Arpège a fait citer M. [H] devant le tribunal de grande instance de Toulon en responsabilité contractuelle aux fins de le voir condamner à lui verser la somme de 60 979,60 euros en exécution du protocole d'accord signé entre les parties le 29 mai 1996 ainsi que des dommages et intérêts.

Par jugement rendu le 2 juillet 2020, le tribunal judiciaire de Toulon a :

- débouté la SCI Arpège des fins de sa demande,

- condamné la SCI Arpège à payer à M. [U] [H] la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SCI Arpège aux dépens.

Pour statuer ainsi, le tribunal a considéré que M. [H] n'était pas tenu de rétrocéder la parcelle AW[Cadastre 2] à la SCI Arpège, puisque la condition du protocole d'accord tenant à l'obtention d'un permis de construire n'était pas remplie. De plus, il a jugé que l'identité du déposant et la date du dépôt n'avaient pas causé de préjudice à la SCI Arpège, le motif de refus du permis de construire n'étant pas dépendant de ces deux caractéristiques.

Par déclaration transmise au greffe le 29 juillet 2020, la SCI Arpège a relevé appel de cette décision en visant chacun des chefs de son dispositif.

Vu les conclusions transmises le 16 décembre 2022 au visa des anciens articles 1134, 1147, 1150 et 1156 du code civil, par l'appelante, la SCI Arpège, qui demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Toulon le 2 juillet 2020 en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau,

- dire et juger que le tribunal judiciaire de Toulon n'a pas recherché la commune intention des parties au protocole d'accord du 29 mai 1996,

- dire et juger que la commune intention des parties était de lui restituer la parcelle AW[Cadastre 2],

- écarter l'application de la clause 2.1 du protocole d'accord du 29 mai 1996,

- dire et juger que M. [H] a commis une faute dolosive dans l'exécution du protocole d'accord du 29 mai 1996 en ne procédant pas à la restitution de la parcelle AW[Cadastre 2],

En conséquence,

- condamner M. [H] à lui payer la somme de 60 979, 60 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant du défaut de restitution de la parcelle AW[Cadastre 2] dans les délais impartis, avec intérêt au taux légal à compter de l'assignation du 7 août 2017,

- condamner M. [H] à lui payer la somme de 900 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice de perte de chance et de son préjudice de jouissance,

- débouter M. [H] de l'ensemble de ses prétentions, fins et conclusions,

- condamner M. [H] à lui payer la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [H] aux entiers dépens.

La SCI Arpège fait valoir que le juge n'a pas respecté la commune intention des parties telle que prévue par l'ancien article 1156 du code civil en se fondant seulement sur la clause 2.1 du protocole sans analyser l'économie générale du contrat. Selon elle, les clauses du contrat ne sont pas des conditions mais des engagements de M. [H] qui n'avaient pas pour objectif de bloquer ou de suspendre la transaction. Ainsi, elle considère que la volonté des contractants était de ne céder définitivement que la parcelle AW[Cadastre 1] et de récupérer quoi qu'il advienne la parcelle AW[Cadastre 2] une fois qu'elle ne serait plus nécessaire à M. [H] pour obtenir un permis de construire.

De plus, la SCI Arpège soutient que M. [H] a donné un caractère potestatif à la clause 2.1 du protocole prohibé par l'article 1304-2 du code civil puisque, selon elle, la réalisation de la condition ne dépendait que de la seule volonté de M. [H].

La SCI Arpège considère que M. [H] a commis une faute dans l'exécution du contrat permettant d'engager sa responsabilité contractuelle.

Ainsi, elle soutient que, contrairement à son engagement, il n'a pas déposé de demande de permis de construire pour la parcelle AW[Cadastre 1] mais que la demande dont il justifie concerne la parcelle AW[Cadastre 2]. L'appelante considère qu'il s'agit de la preuve qu'il a tenté de vendre et de faire construire sur cette parcelle contrairement aux engagements prévus par le protocole. Elle lui reproche ainsi de n'avoir pas formulé de demande de permis de construire ni lorsque le seuil de constructibilité était de 10 000 m² en possession des deux parcelles ni lorsque le seuil a été abaissé par le POS de [Localité 6] à 5 000 m².

De plus, la SCI Arpège soutient que le fait que la demande de permis de construire ait été déposée par des tiers au contrat a eu une influence sur l'issue de cette demande, puisqu'ils n'avaient pas les mêmes intérêts à la voir acceptée et n'ont dès lors pas déposé de recours contre la décision de refus.

Or, l'appelante fait valoir qu'une contestation de cette décision avait des chances de prospérer à plusieurs égards. Elle expose en effet que cette dernière s'appuie sur un seul avis du service gestionnaire de voirie de 2003 selon lequel le chemin d'accès faisait moins de 4 mètres de large et ne remplissait donc pas les conditions requises par les articles R. 111-2 et R. 111-4 du code de l'urbanisme. Toutefois, la SCI Arpège fait valoir que ces dispositions ne mentionnent aucunement une telle règle, que cet avis rendu à titre expérimental pouvait donc être contesté et que de nombreux recours ont d'ailleurs été déposés à ce titre par d'autres propriétaires.

De plus, l'appelante fait valoir qu'il était possible de remédier à cette contrainte par l'obtention d'une servitude de passage correspondant à la largeur manquante tel qu'il ressort d'un courrier du maire de [Localité 6] du 19 mars 2004.

La SCI Arpège conclut également à la possibilité d'obtenir un permis de construire pour les parcelles litigieuses au regard à la fois de la constructibilité des parcelles voisines mais également au fait qu'avant la division, la parcelle B[Cadastre 4] qui englobait les parcelles litigieuses était devenue constructible à la suite de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 5 décembre 1995 ayant annulé un arrêté de refus de permis de construire.

Enfin, l'appelante fait valoir que le dépôt tardif du permis de construire a eu une incidence sur l'issue de la décision, puisqu'entre le 26 juin 2000, date d'approbation du POS révisé, et le 28 février 2003, date de l'avis imposant la règle des 4 mètres, la parcelle AW[Cadastre 1] de 5 000 m² était constructible sans condition.

La SCI Arpège fait valoir que M. [H] n'a pas respecté l'engagement pris à l'article 2.3 du protocole, puisqu'il a consenti une modification de la servitude de passage traversant la parcelle AW[Cadastre 2] et oblitérant le terrain de près de 200 m², mais a également sollicité l'enlèvement du coffret EDF et du compteur d'eau.

La SCI Arpège soutient qu'au regard de ces éléments, M. [H] n'a pas respecté le principe de la bonne foi contractuelle qui induit le devoir de loyauté ainsi que l'obligation de faire preuve de persévérance, selon la jurisprudence qu'elle invoque, dans l'exécution du contrat. Selon elle, le comportement de M. [H] relève d'une inexécution dolosive au regard du caractère volontaire de l'inexécution contractuelle.

L'appelante soutient qu'elle est de bonne foi, puisqu'elle n'a caché aucune information à M. [H]. Elle fait ainsi valoir que la division dont est issue la parcelle B[Cadastre 4] est légale au regard de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 5 décembre 1995, la parcelle n'étant donc frappée d'aucune interdiction de construire. La SCI Arpège soutient que le certificat d'urbanisme négatif date de 1995 et n'a donc pas pris en compte le changement inhérent à l'arrêt précité.

Elle considère également qu'elle a parfaitement exécuté les obligations lui incombant, puisqu'elle a effectué toutes les diligences nécessaires pour parvenir à la rétrocession alors même que cette obligation ne lui incombait pas.

La SCI Arpège fait valoir qu'elle a subi un préjudice causé par le comportement de M. [H] qui doit être réparé à plusieurs titres. Elle soutient, en contestation des arguments de l'intimé, que ces demandes indemnitaires ne sont pas nouvelles en cause d'appel, puisqu'en application des articles 564 et suivants du code de procédure civile, elle sont seulement la conséquence et le compléments nécessaires des prétentions présentées devant le tribunal.

Ainsi, la SCI Arpège sollicite la condamnation de M. [H], d'une part à hauteur de la valeur de l'hypothèque prise sur la parcelle à la date de cession soit 60 979,1 euros et d'autre part au titre de son préjudice de perte de chance et de jouissance.

L'appelante fait alors valoir qu'en ne rétrocédant pas la parcelle AW [Cadastre 2], M. [H] l'a privée de la chance de pouvoir la vendre une fois construite à une valeur bien plus importante de celle à laquelle elle lui avait été cédée. Elle soutient que cette perte de chance est devenue certaine le 4 août 2016, date de la modification du plan local d'urbanisme rendant inconstructible la zone dans laquelle se situent les parcelles litigieuses.

Elle sollicite donc, en se fondant sur la valeur des parcelles voisines vendues ces dernières années, la condamnation de M. [H] au paiement de la somme de 900 000 euros au titre à la fois de la perte de chance mais aussi de son préjudice de jouissance puisqu'elle n'est plus propriétaire de la parcelle et ne pourra ni en jouir, ni en user.

Vu les conclusions transmises le 15 novembre 2022, par l'intimé, M. [U] [H], qui demande à la cour de :

- déclarer la SCI Arpège recevable, mais mal fondée en son appel,

- débouter la SCI Arpège de l'ensemble de ses demandes,

- confirmer la décision de première instance en toutes ses dispositions,

- lui donner acte de sa proposition de rétrocession à la SCI Arpège des deux parcelles AW[Cadastre 1] et AW[Cadastre 2] au prix d'achat de 1995 indexé sur l'indice INSEE de la construction,

- condamner la SCI Arpège à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SCI Arpège aux entiers dépens de la procédure d'appel qui comprendront le timbre fiscal de 225 euros.

M. [U] [H] fait valoir que les parcelles AW[Cadastre 1] et AW[Cadastre 2] étaient inconstructibles au jour de la vente. Il soutient que l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 5 décembre 1995 ne concernait pas la parcelle AW[Cadastre 1] qui est elle issue d'une division non autorisée de la parcelle B[Cadastre 4] effectuée trois mois après cet arrêt, division qui a donné lieu à un certificat d'urbanisme négatif du 1er mars 1996. Il expose que le chemin des Hautes constitue l'unique voie d'accès commune aux parcelles AW[Cadastre 1] et AW[Cadastre 2] et ne satisfait pas à la condition de disposer d'une voie de desserte de plus de 4 mètres de largeur adaptée à la circulation des secours.

L'intimé expose que même après la modification du plan local d'urbanisme fixant le seuil de constructibilité à 5000 m², ni la parcelle AW[Cadastre 1] ni la parcelle AW[Cadastre 2] ne sont devenues constructibles, puisque le permis de construire a tout de même été refusé à l'acquéreur de la parcelle AW[Cadastre 2] pour la même raison que précédemment relative à la largeur insuffisante du chemin valable également pour la parcelle AW[Cadastre 1]. M. [H] affirme que la décision de vendre avec rétrocession du prix de vente de la parcelle est intervenue puisque la SCI Arpège n'a pas donné suite à la restitution de la parcelle par peur de régler des droits de donation importants, ainsi qu'une préemption de la commune.

M. [H] fait également valoir qu'au regard du classement de la parcelle en secteur naturel protégé de zone 1, la parcelle resterait inconstructible pour l'avenir et que l'article 2-1 du protocole ne peut recevoir application.

L'intimé considère qu'il n'est pas possible de rapprocher la situation des parcelles voisines constructibles de celles litigieuses, puisqu'elles ne possèdent pas les mêmes caractéristiques d'accès et de division initiales.

M. [H] soutient qu'il n'a commis aucune faute liée au dommage allégué par la SCI Arpège et considère même qu'elle en est la seule responsable.

Ainsi, il fait valoir que si le permis de construire n'a pas été déposé c'est du fait de M. [F] [D], représentant de l'appelante qui avait déposé, en qualité de mandataire de M. [H], une demande d'autorisation de défrichement en vue d'instruire une demande de permis de construire le 10 août 1999 à la direction départementale de l'agriculture et de la forêt. L'intimé estime qu'il appartenait donc à M. [D] de déposer la demande de permis de construire.

De plus, il considère que c'est l'absence de diligences de l'appelante qui a empêché la réalisation de la rétrocession puisqu'il avait contacté son notaire pour la préparer mais le notaire de la SCI Arpège ne lui a jamais adressé de projet d'acte.

M. [H] fait valoir qu'il a fait preuve de bonne foi dans le cadre de la procédure et réfute les arguments de la SCI Arpège. Selon lui, il a exécuté ses engagements puisque l'obligation consistait à déposer une demande de permis de construire lorsque la législation le lui permettrait. Or, il considère que le refus de permis de construire pour la parcelle AW[Cadastre 2] prouve que la législation en vigueur ne permet pas l'obtention d'un permis de construire, peu importe qu'il s'agisse de la parcelle AW[Cadastre 1] ou AW[Cadastre 2], puisqu'elles sont concernées par les mêmes difficultés.

M. [H] considère que la SCI Arpège n'est pas fondée à solliciter l'indemnisation d'un préjudice de jouissance puisque l'inconstructibilité des parcelles est avérée depuis le début et résulte de son propre fait, celle-ci ayant réalisé une division de plus de deux lots sans créer de lotissements, entraînant une inconstructibilité des parcelles pendant 10 ans soit jusqu'en 2006.

Ainsi, M. [H] estime que l'appelante a manqué à son obligation de loyauté contractuelle et lui fait subir une perte de chance de construire sur le terrain acheté. Il propose dès lors que les parties soient replacées dans leur situation originelle en lui vendant les deux parcelles pour le prix de 60 979, 60 euros, arguant que l'occupation illégale par une ferme sera réglée puisqu'elle s'est engagée à quitter la parcelle.

De plus, l'intimé fait valoir que l'indemnisation du préjudice de la SCI Arpège ne pourrait dépasser la valeur vénale de la parcelle qui, en l'absence de caractère constructible, pourrait s'établir à 5 000 euros au regard du prix d'une surface agricole libre dans la région concernée.

Il considère en outre que sa demande indemnitaire à hauteur de 900 000 euros doit être déclarée irrecevable puisqu'il s'agit d'une demande nouvelle formée à hauteur d'appel.

Vu l'avis de fixation pour l'audience du 6 mars 2024 et l'ordonnance de clôture rendue le 7 février 2024.

MOTIFS

Sur l'engagement de la responsabilité contractuelle de M. [H]

Aux termes de l'article 1134 ancien du code civil en sa version applicable au litige, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.

Elles doivent être exécutées de bonne foi.

Au cas d'espèce, la Sci Arpège reproche à M. [H] de n'avoir pas exécuté le protocole d'accord signé avec celui-ci le 29 mai 1996.

Ledit protocole stipule, en son article 1 'Objet', 'que la parcelle AW [Cadastre 1] acquise par M. [H] étant inconstructible en raison de sa surface, celui-ci a souhaité que le vendeur lui cède une seconde parcelle d'une surface complémentaire à la sienne, qui resterait sa propriété dans l'attente de son permis de construire et de la modification du POS abaissant à 5 000 m2 la surface minimum autorisée pour construire.

Ayant obtenu la cession des deux parcelles AW [Cadastre 1] et AW [Cadastre 2] pour un prix de 400 000 francs, M. [H] a pris les engagements suivants :

Article 2 'Engagements'

.2.1 M. [U] [H] s'engage à rétrocéder, gracieusement, la parcelle AW [Cadastre 2] à la Sci Arpège une fois son permis de construire obtenu et et la modification du POS intervenue.

.2.2 M. [U] [H] s'engage à rétrocéder ladite parcelle dès que la surface minimum pour construire sur la zone III NB sera abaissée à 5.000 m2, et au plus tard dans l'année suivant la modification du POS rendant constructibles les surfaces de 5.000 m2, à charge pour la partie la plus diligente d'aviser l'autre de ce changement.

.2.3 M. [U] [H] s'engage à ne pas construire sur la parcelle AW [Cadastre 2] et à respecter le COS correspondant aux possibilités offerte par la seule parcelle A W [Cadastre 1] .

. 2.4 M. [U] [H] s'engage à respecter tous les droits de passage nécessaires aux parcelles contiguës ou dépendantes.

. 2.5 M. [U] [H] s'engage à laisse la libre gestion de la bande de terrain de 5 mètres longeant la parcelle de [Cadastre 3], dans le cadre notamment de la réunification de plusieurs parcelles limitrophes appartenant à la SCI ARPEGE ou à ses associés, M. et/ou Mme [D], ou à leurs ayants-droit.

.2.6 M. [U] [H] s'engage à accepter que la SCI ARPEGE maintienne son siège social sur ladite parcelle dans cette période intermédiaire.'

Il convient donc de rechercher si M. [U] [H] a respecté ses engagements contractuels susmentionnés.

S'agissant de la clause 2.1, visant à la rétrocession de la parcelle AW[Cadastre 2] après obtention de son permis de construire et intervention de la modification du POS, il apparaît en cause d'appel, sans contestation formelle de M. [H], à cet égard, que celui-ci n'a pas déposé de demande de permis de construire pour la parcelle AW[Cadastre 1] à laquelle il aurait été opposé un refus, mais que ce sont les époux [N], à qui il envisageait de céder la parcelle AW[Cadastre 2], qui ont formulé une telle requête ayant fait l'objet d'un refus de permis par arrêté municipal du 19 mai 2003.

Il est exactement relevé par M. [H] que ce refus est motivé par la desserte de la parcelle par un chemin d'une largeur inférieure à 4 mètres, de sorte qu'il en déduit qu'une même décision aurait été rendue pour la parcelle AW[Cadastre 1], celle-ci jouxtant le même chemin.

Ce seul argument ne peut permettre à l'intimé de se défaire de sa responsabilité contractuelle,dès lors qu'il ne justifie pas avoir déposé, en son nom, une demande de permis de construire pour la parcelle AW[Cadastre 1], outre que le projet de cession de la parcelle AW[Cadastre 2] contrevient clairement à l'engagement contractuel pris avec la Sci Arpège.

Par ailleurs, M. [H] s'était engagé à céder la parcelle au plus tard un an après la motification du plan d'occupation des sols de la commune rendant constructibles les surfaces de 5 000 m² (article 2.2).

Or, il apparaît que cette révision a été approuvée par le conseil municipal de la commune de [Localité 6] du 26 juin 2000, ce dont la Sci Arpège a informé M. [H] comme exigé par la stipulation susvisée, ce qu'il n'a d'ailleurs pas contesté, puisqu'il a pris attache avec son notaire en vue de l'organisation de la cession de la parcelle AW[Cadastre 2] en lui précisant que celle-ci devait intervenir avant le mois de juin 2001.

Il est ainsi établi, et au demeurant non contesté, que M. [H] n'a déposé aucune demande de permis de construire pour la parcelle AW[Cadastre 1] dans le délai d'un an faisant suite à la modification du POS de la commune de [Localité 6].

L'intimé ne peut valablement s'estimer déchargé de toute responsabilité arguant de ce qu'une demande de permis de construire pour la parcelle AW[Cadastre 1] aurait subi le même sort dès lors qu'il est démontré par la Sci Arpège que les conditions tenant au chemin d'accès ont été ajoutées au POS postérieurement à la date limite à laquelle la demande de permis aurait dû être faite.

M. [H] a par conséquent engagé sa responsabilité contractuelle en n'exécutant pas les obligations auxquelles il avait pourtant accepté de se soumettre par le protocole signé le 29 mai 1996.

Sur la demande de dommages et intérêts

L'article 1147 ancien du code civil dispose que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

L'article 1150 du même code dispose pour sa part que le débiteur n'est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n'est point par son dol que l'obligation n'est point exécutée.

Il a été jugé plus avant que M. [H] n'avait pas exécuté son obligation, justifiant qu'il soit condamné à régler la somme de 60 979,60 euros initialement convenue entre les parties et correspondant à l'hypothèque prise sur la parcelle à la date de la cession.

Quant au caractère dolosif du comportement de M. [H] dans l'inexécution de son obligation contractuelle, il est établi, par les manquements retenus à son encontre, que celui-ci n'a pas agi comme il s'y était engagé, et a même envisagé la cession de la parcelle AW[Cadastre 2] à des tiers au protocole, en violation de l'accord passé avec la Sci Arpège, ces manquements ne provenant pas d'une cause étrangère ne pouvant lui être imputée.

Il est sollicité par M. [H] l'irrecevabilité de la demande indemnitaire de 900 000 euros au titre de la perte de chance subie par la société Arpège et de son préjudice de jouissance. Le dispositif de ses conclusions ne reprenant pas la demande d'irrecevabilité de ladite demande, mais demande à l'inverse, à la cour de 'déclarer la Sci Arpège recevable mais mal fondée en son appel', la cour n'est n'est pas saisie et ne statuera pas.

Sur le fond de la demande, il n'apparaît pas, à la lecture des pièces produites, que la Sci Arpège ait eu le souhait d'établir une construction sur la parcelle AW[Cadastre 2], ni de céder celle-ci à un tiers après la rétrocession envisagée, de sorte que l'invocation d'un préjudice de perte de chance de céder un terrain devenu constructible n'est pas démontré.

En revanche, il n'est pas contestable que la Sci a perdu la propriété d'une parcelle dont elle ne peut plus jouir ni user, quelques que soient les évolutions à venir du POS de la commune de [Localité 6], ce qui constitue un préjudice de jouissance. Celui-ci sera réparé par l'allocation de la somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur les frais du procès

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a mis à la charge de la Sci Arpège les dépens et frais irrépétibles.

Succombant M. [U] [H] sera condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Il sera par ailleurs condamné à régler la somme de 4 000 euros à la Sci Arpège en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en matière civile et en dernier ressort,

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions soumises à la cour ;

Statuant à nouveau,

Dit que M. [U] [H] a engagé sa responsabilité contractuelle à l'égard de la Sci Arpège ;

Condamne M. [U] [H] à régler à la Sci Arpège la somme de 60 979, 60 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du défaut de restitution de la parcelle AW[Cadastre 2] dans les délais impartis, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 7 août 2017 ;

Condamne M. [U] [H] à régler à la Sci Arpège la somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice de jouissance ;

Condamne M. [U] [H] aux entiers dépens de première instance et accorde aux avocats qui en ont fait la demande, le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile ;

Condamne M. [U] [H] à régler à la Sci Arpège la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile exposés en première instance ;

Y ajoutant,

Condamne M. [U] [H] aux entiers dépens d'appel et accorde aux avocats qui en ont fait la demande, le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile ;

Condamne M. [U] [H] à régler à la Sci Arpège la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute M. [U] [H] de ses demandes au titre des dépens et des frais irrépétibles.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-1
Numéro d'arrêt : 20/07109
Date de la décision : 17/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-17;20.07109 ?
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