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16/04/2024 | FRANCE | N°20/05371

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-1, 16 avril 2024, 20/05371


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-1



ARRÊT AU FOND

DU 16 AVRIL 2024



N° 2024/ 160









Rôle N° RG 20/05371 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BF42G







[N] [Y]





C/



S.C.P. [I] MARION EDME WINCKLEAZOULAY





















Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Julie FEHLMANN

Me Paul GUEDJ













Décision

déférée à la Cour :



Jugement du Tribunal de Grande Instance de GRASSE en date du 05 Novembre 2019 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 17/00485.





APPELANT



Monsieur [N] [Y]

né le [Date naissance 1] 1944 à [Localité 4]

de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]



représenté par Me ...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-1

ARRÊT AU FOND

DU 16 AVRIL 2024

N° 2024/ 160

Rôle N° RG 20/05371 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BF42G

[N] [Y]

C/

S.C.P. [I] MARION EDME WINCKLEAZOULAY

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Julie FEHLMANN

Me Paul GUEDJ

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Grande Instance de GRASSE en date du 05 Novembre 2019 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 17/00485.

APPELANT

Monsieur [N] [Y]

né le [Date naissance 1] 1944 à [Localité 4]

de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Julie FEHLMANN de la SELARL LEGIS-CONSEILS, avocat au barreau de GRASSE, et ayant pour avocat plaidant Me Jean-max VIALATTE, avocat au barreau de GRASSE

INTIMEE

S.C.P. [F] MARION EDME WINCKLEAZOULAY, Notaires

demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Paul GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ - MONTERO - DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, substitué par Me MONTERO, avocat au barreau D'AIX-EN-PROVENCE et ayant pour avocat plaidant Me Hélène BERLINER, avocat au barreau de NICE substitué par Me Laura CURRAN, avocat au barreau de NICE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 11 Mars 2024 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Mme Louise DE BECHILLON, conseillère, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Monsieur Olivier BRUE, Président

Madame Catherine OUVREL, Conseillère

Madame Louise DE BECHILLON, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Céline LITTERI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 16 Avril 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 16 Avril 2024,

Signé par Monsieur Olivier BRUE, Président et Madame Céline LITTERI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

Par acte en date du 15 février 2002 en l'étude de Me [F], notaire, M. [N] [Y] et Mme [W] [C] épouse [Y] ont cédé à la Sarl Beaulieu Patrimoine divers biens et droits immobiliers au prix de 457 347,05 euros.

L'acte précisait que le prix avait été réglé comptant aux vendeurs, hors la comptabilité du notaire, les vendeurs délivrant quittance sans réserve à l'acquéreur.

En pratique, cette somme a été portée au crédit d'un compte tiers ouvert au nom de M. [N] [Y] dans les livres de la société Beaulieu Patrimoine.

Le 30 juin 2003, M. [N] [Y] a cédé à la Sarl Dmn la créance qu'il détenait sur la Sarl Beaulieu Patrimoine pour un montant de 426 562,15 euros, l'acte de cession précisant que cette somme était également payée par l'inscritpon au compte courant de M. [N] [Y], associé, dans les livres de la société Dmn.

Par un protocole du 11 janvier 2005 entre M. [N] [Y] et la Sarl Dmn, il a été convenu que cette créance serait payée par l'attribution de chambres médicalisées, le créancier s'engageant à laisser en compte courant à disposition de la société le montant de sa créance jusqu'à livraison des chambres, cet investissement étant indemnisé de 36 600 euros par an.

Par acte sous seing privé du 14 février 2005, M. [N] [Y] a cédé à Mme [O] [V] la part sociale détenue dans la société Dmn, dont il n'a plus été associé.

Une procédure de sauvegarde puis de liquidation judiciaire de la Sarl Beaulieu Patrimoine a été ordonnée par jugements du 21 août 2013 et du 3 Avril 2015, et par jugement du tribunal de grande instance de Paris du 16 novembre 2017, la créance de M. [N] [Y] au passif de la société a été fixée à la somme de 383 203 euros.

Considérant que l'impossibilité de recouvrer cette créance était due à un manquement commis par le notaire dans la rédaction de l'acte authentique du 15 février 2002, par acte du 10 janvier 2017, M. [N] [Y] a assigné la Scp [F] Marion Edme Winckle Azoulay devant le tribunal de grande instance de Grasse, en responsabilité civile professionnelle et indemnisation de son préjudice.

Par jugement en date du 5 novembre 2019, le tribunal de grande instance de Grasse a :

- déclaré recevable M. [N] [Y] en son action ;

- débouté M. [N] [Y] de ses demandes ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement ;

- condamné M. [N] [Y] à payer à la Scp [F] Marion Edme Winckle Azoulay la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;

- laissé à M. [N] [Y] la charge des dépens exposés, distraits au profit de Me [X].

Le tribunal a considéré en substance que le demandeur n'avait eu connaissance du fait lui permettant d'agir que lorsque le tribunal de commerce de Paris a prononcé l'ouverture d'une procédure de sauvegarde de la Sas Beaulieu Patrimoine.

Sur le fond, le tribunal a jugé qu'aucune faute ne pouvait être retenue à l'encontre du notaire en raison des modalités de paiement du prix de vente, dès lors qu'il s'agissait d'une vente payée au comptant hors la comptabilité du notaire auquel il en a été donné quittance, le notaire ne pouvant imposer une clause de réserve de propriété et M. [N] [Y] étant associé de la Sas Beaulieu Patrimoine.

Il a par ailleurs retenu que le préjudice invoqué n'était pas davantage démontré en ce qu'il était sans lien avec la faute alléguée, celui-ci ayant eu pour origine les difficultés d'une autre société que celle à laquelle le demandeur avait vendu ses biens et que ce n'est que par l'effet de la cession de créance à laquelle le notaire n'a pas contribué que cette dernière société s'est trouvée en possession de la créance de M. [N] [Y].

Par déclaration en date du 11 juin 2020, M. [N] [Y] a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées par voie électronique en date du 30 janvier 2024, M. [N] [Y] demande à la cour de :

- constater qu'aux termes d'un acte en date du 15 février 2002, dressé par Me [F], il a cédé la pleine propriété de divers biens et droits immobiliers sis à [Localité 4], à la Sarl Beaulieu Patrimoine,

- constater que la somme correspondant au prix d'acquisition n'a pas été payée par la Sarl Beaulieu Patrimoine mais a été portée au crédit d'un compte tiers ouvert au nom de M. [N] [Y], dans les livres de la Sarl Beaulieu Patrimoine,

- constater qu'il n'a pas perçu le prix, correspondant à la vente de son bien immobilier,

- juger que la Scp [F] Marion Edme Winckle Azoulay a manifestement failli à son obligation d'efficacité ainsi qu'à son obligation de conseil,

- juger qu'il existe une relation causale entre cette faute et le préjudice qu'il a subi,

- réformer les termes du jugement rendu le 5 novembre 2019 ;

- condamner la Scp [F] - Edme à lui verser la somme de 383.203 euros correspondant au préjudice par lui subi ;

- condamner la Scp [F] - Edme à lui verser une somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

- débouter la Scp [F] - Edme de toutes ses demandes, fins et conclusions et notamment de sa demande tendant à voir déclarer forclose l'action introduite ;

- condamner la Scp [F] - Edme aux entiers dépens, avec distraction.

M. [N] [Y] sollicite en premier lieu le rejet de la fin de non recevoir tirée de la prescription telle que soulevée par l'intimée, et la confirmation du jugement ayant retenu qu'il ne pouvait agir à l'encontre du notaire qu'à compter du moment où la Sarl Beaulieu Patrimoine a cessé ses paiements, ayant jusqu'en 2013 reçu sa quote-part d'intérêts et son compte n'ayant pas été clôturé, en l'attente de l'attribution de chambres médicalisées.

Il estime en effet que son dommage résulte de la mise en liquidation judiciaire de la société BP qui n'a pas respecté ses engagements à son égard.

Sur le fond, M. [N] [Y], rappelant les obligations incombant aux officiers ministériels, considère que l'acte de vente passé par Me [F] est contraire à ses intérêts, que les conditions du versement du prix de vente devaient s'analyser en réalité en un prêt ; que le notaire a indiqué à l'acte qu'il déclarait être actionnaire de la Sarl Beaulieu Patrimoine, qualité qu'il n'a jamais eue ; que le notaire n'a pas annexé à l'acte justifiant du règlement, et qu'en faisant déclarer aux époux [Y] qu'ils reconnaissent avoir été intégralement payés du prix de la vente, il a tenté de se décharger de toute responsabilité sans les informer des risques de l'opération projetée, alors qu'il aurait dû vérifier une disproportion entre la valeur du patrimoine cédé et l'attribution du compte courant.

L'appelant considère qu'une faute résulte également du fait de n'avoir pas préconisé de garantie de cette dette, estimant qu'il appartient au notaire d'informer le vendeur si les modalités de paiement du prix sont particulièrement favorables à l'acquéreur, et d'attirer spécialement son attention sur le danger de l'opération.

M. [N] [Y] conteste également l'analyse du tribunal quant à son préjudice, exposant que les difficultés financières auxquelles il a été confronté ont pour origine l'acte passé par le notaire, inefficace et invoque la théorie de l'équivalence des conditions pour estimer que la faute du notaire engage sa responsabilité dès lors qu'elle a été une cause nécessaire de l'entier dommage, peu important que d'autres personnes soient à l'origine du dommage.

En effet, il considère que son préjudice a pour origine directe l'erreur de Me [F] et non les difficultés financières de la société DMN, qui a la même immatriculation que la société Beaulieu Patrimoine, celui-ci n'ayant conseillé aucune garantie quant au paiement du prix, et ce préjudice étant établi, la société liquidée ne pouvant assumer sa dette.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées par voie électronique en date du 15 octobre 2020, la Scp [F] Marion Edme Winckle Azoulay demande à la cour de :

- recevoir son appel incident concernant la prescription de l' action en responsabilité,

- juger l'action de M. [N] [Y] à son encontre prescrite,

Subsidiairement, sur le fond,

- confirmer la décision entreprise,

- juger en conséquence que Me [F] n'a commis aucune faute lorsqu'il a reçu la vente du 15 février 2002, n'ayant pas à s'immiscer dans les affaires des parties qui avaient décidé avant son intervention du montant du prix de vente et des modalités de paiement de ce prix par inscription au compte courant de la Sarl Beaulieu Patrimoine, ni à vérifier le paiement du prix que les parties ont déclaré réglé comptant hors la comptabilité de l'étude ce qui a donné lieu à une quittance délivrée à l' acquéreur par M. [N] [Y],

- juger également que Me [F] n'a pas commis de faute en ne prévoyant pas de garantie au profit de vendeur pour un paiement de prix indiqué comme ayant été effectué comptant,

- juger que l' économie des accords conclus entre vendeur et acquéreur avant la vente était de permettre à M. [N] [Y] de retirer des revenus sur le prix de vente immobilisé au sein de la Société acquéreuse, ce qui a été effectif pendant plus de dix ans, et que Maitre [F] n'avait pas à s'ingérer dans des accords auxquels les parties ne l'avaient pas associé et aucune raison de déconseiller cette opération,

Subsidiairement,

- juger que le manquement de conseil reproché au notaire concernant les modalités de paiement du prix de vente est sans lien causal avec le préjudice invoqué, qui a pour seule origine les actes sous seing privés signés par M.[Y] postérieurement à la vente en cause sans aucune intervention du notaire concluant, ainsi que la procédure collective touchant la Sarl Beaulieu Patrimoine depuis 2013,

Toujours très subsidiairement,

- juger que le préjudice invoqué par le demandeur n' est pas établi,

- confirmer en conséquence le jugement ce qu'il a débouté M. [N] [Y] de son action en responsabilité à son encontre ainsi que de toutes ses demandes et l'a condamné à une somme de 3000 euros au titre de I 'article 700 du code de procédure civile,

Y ajoutant,

- condamner M. [N] [Y] à lui payer la somme de 3000 euros en réparation des frais irrépétibles d'appel en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens avec distraction.

- débouter en conséquence M. [N] [Y] de son action et de ses demandes à son encontre.

L'intimée soulève en premier lieu la prescription de l'action considérant que le grief qui lui est fait, tenant aux modalités de paiement du prêt, était contenu dans l'act vente du 15 février 2002, de sorte que M. [N] [Y] était en mesure d'exercer son action en responsabilité dès cette date.

Elle rappelle que l'article 2224 du code civil évoque une connaissance objective des faits invoqués à l'appui d'une action, que tel est le cas en l'espèce.

En réponse au moyen adverse, elle indique que le fait que le TGI de Paris, dans son jugement du 16 novembre 2017, ait rejeté la prescription opposée par le mandataire liquidateur de la société Beaulieu Patrimoine en considérant que le délai de prescription de l'action en paiement à l'encontre de cette société n'avait commencé à courir que le 25 janvier 2016, date de mise en liquidation judiciaire de ladite société, est sans impact sur la prescription de l'action en responsabilité du notaire.

Sur le fond, la société intimée indique qu'elle n'a pu que prendre acte de la modalité de paiement décidée par les parties, dans un accord qui avait été librement pris avant son intervention.

Elle relève qu'en dépit de ce qu'indique aujourd'hui M. [Y] il a lui-même affirmé dans l'acte de vente qu'il était associé de la Sarl Beaulieu Patrimoine (ce qui apparaissait également dans le procès-verbal du conseil d'administration de la société remis au notaire) et a également reconnu dans ce même acte avoir été intégralement réglé du prix de vente par ce jeu d'écritures d'inscription au crédit de son compte courant de la société et en a délivré quittance à l'acquéreur.

Elle ajoute que ce paiement a bien eu lieu et que M. [Y] a perçu pendant plus de 10 ans les revenus de ce placement, et estime ainsi avoir reçu un acte efficace.

S'agissant d'un prix payé comptant, elle considère qu'elle n'avait aucune raison de conseiller au vendeur d'inscrire contre l'acquéreur une sureté pour garantir un paiement à terme qui n'existait pas, étant rappelé que son devoir de conseil ne s'étend pas aux risques purement économiques d'une opération, lorsque les conditions financières mentionnées dans l'acte sont parfaitement connues des parties et acceptées par elles.

Sur le lien de causalité et le préjudice invoqués, l'intimée précise que le simple doute subsistant sur le lien de causalité justifie le rejet de laction, qu'au cas d'espèce, l'acte de vente n'est pas préjudiciable, le préjudice résultant du fait que la société acquéreur et celle venant aux droits de ladite société aient cessé de faire face à leurs engagements, et relève en outre que M. [Y] n'avait entrepris aucune action à l'encontre de la société Beaulieu Patrimoine pour la contraindre à respecter ses engagements.

Enfin, elle conteste l'existence d'un préjudice définitif, la distribution de la liquidation n'étant pas terminée.

La mise en état a été clôturée par ordonnance du 12 février 2024.

MOTIFS

Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription

Aux termes de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Pour considérer que l'action de M. [N] [Y] est entâchée de prescription, la société notariale estime que celui-ci disposait dès la signature de l'acte de vente le 15 février 2002 des informations nécessaires à la mise en oeuvre de sa responsabilité civile.

Néanmoins, si les faits invoqués aujourd'hui dans le cadre de la présente instance trouvent leur origine dans l'intervention de Me [F] le 15 février 2002, c'est lorsque la procédure de sauvegarde judiciaire de la Sas Beaulieu a été ordonnée par le tribunal de commerce de Paris par jugement du 21 août 2013, lui faisant prendre conscience des difficultés financières de la société débitrice.

Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a écarté la fin de non recevoir tirée de la prescription soulevée par la Scp [F] - Marion.

Sur le droit à indemnisation

Conformément au droit commun de la responsabilité civile, trois conditions sont nécessaires pour mettre en ouvre la responsabilité notariale, une faute, un préjudice et un lien de causalité entre la faute et le préjudice.

La faute doit s'apprécier par référence aux devoirs professionnels du notaire , officier ministériel, soumis à une obligation d'efficacité et de sécurité juridique en ses fonctions d'authentificateur, ainsi qu'à une obligation de conseil et d'information.

Le devoir de conseil s'impose au notaire qui intervient dans l'accomplissement de sa mission traditionnelle de rédacteur d'actes, mais il est dû, également, et de façon tout aussi impérative, par le notaire mandataire ou gérant d'affaires.

Au cas d'espèce, pour reprocher à Me [F] un manquement à son devoir de conseil et à son obligation d'efficacité, M. [N] [Y] avance en premier lieu n'avoir jamais été actionnaire de la société Beaulieu Patrimoine, contrairement à ce qui est indiqué dans l'acte de vente.

Il apparaît néanmoins que ledit acte, qui comprend effectivement cette mention en page 7, a été paraphé par M. [Y] en toutes ses pages et que cette information résulte de la déclaration de ce dernier.

Par ailleurs, cette information était corroborée par le procès verbal du conseil d'administration de la société Beaulieu Patrimoine du 14 février 2002 qui a été annexée à l'acte de vente discuté, et dont il résulte que 'M. [N] [Y] a proposé, en sa qualité d'actionnaire de la société Beaulieu Patrimoine, de porter cette somme au crédit d'un compte courant à ouvrir à son nom dans les livres de la société, de sorte que la société n'aurait aucune avance à faire à ce titre sauf les frais relatifs à l'acquisition.'

En présence d'une telle pièce, conjuguée à l'affirmation par M. [N] [Y] de ce qu'il était actionnaire de la société Beaulieu Patrimoine, le notaire n'avait aucune raison de douter de la véracité de cette information.

Quant aux modalités du paiement du prix de vente, étant pareillement reproché au notaire de ne pas s'être assuré de la réalité, il apparaît en page 7 de l'acte que les parties ont fait le choix d'un règlement 'sans passer par la comptabilité de l'office notarial, au vendeur qui le reconnaît et lui en consent bonne et valable quittance.

Le prix de la vente a été réglé par la société acquéreur au moyen de l'attribution au crédit de son compte courant dans la comptabilité de la société acquéreur dont M. [Y] déclare être actionnaire.

Le vendeur et son épouse reconnaissent qu'au moyen de ce jeu d'écriture ils sont intégralement payés du prix de la présente vente, même si seul M. [Y] a la qualité d'actionnaire.'

Etant rappelé qu'il n'appartient pas au notaire de s'assurer de l'efficacité économique d'un acte passé (M. [Y] invoquant le caractère lésionnaire du prix), il n'est tenu par ailleurs de procéder à des investigations plus poussées que si un fait ou une information lui paraît douteuse. Or, les parties, et non le notaire, ont fait le choix de cette modalité de paiement, et M. [Y] ne conteste pas que ce crédit sur son compte courant ait réellement eu effet, puisque il admet avoir bénéficié des intérêts annuels prévus jusqu'en août 2012. Il s'en déduit que l'efficacité de cette clause ne peut être discutée.

Enfin, s'agissant du manquement au devoir de conseil reproché au notaire, tendant en substance à ne pas l'avoir alerté sur la nécessité de garantir le paiement de cette somme et les conditions qui auraient été particulièrement favorables à l'acquéreur, il doit également être rappelé que le notaire n'a pas à conseiller les parties sur les risques économiques d'une opération lorsque les conditions financières de celles-ci sont parfaitement connues de celles-ci.

En outre, s'agissant d'un paiement comptant, aucune garantie n'avait vocation à s'exercer.

Aucun élément ne démontre en tout état de cause au cas d'espèce que le prix convenu entre les parties était lésionnaire, étant au surplus justement relevé que ce même prix de cession a été retenu par M. [Y] lors de la cession de cette créance par acte sous seing privé à la Sarl Dmn intervenu le 11 janvier 2005.

Aucun manquement à son devoir de conseil ne peut donc davantage être retenu à l'encontre de Me [F].

En tout état de cause, c'est à juste titre que le tribunal a relevé que le préjudice allégué par M. [Y] est sans lien avec la faute reprochée au notaire, ledit préjudice ayant pour origine les difficultés financières d'une autre société que celle à laquelle M. [Y] a vendu ses biens, par l'effet de cessions sous seing privé auxquelles le notaire n'a pas contribué.

Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [Y] de ses demandes.

Sur la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive

L'article 32-1 du code de procédure civile sanctionne l'abus du droit d'agir ou de se défendre en justice par le versement d'une amende civile au Trésor public et de dommages et intérêts à l'adversaire.

L'abus suppose la caractérisation d'une faute susceptible de faire dégénérer en abus le droit d'ester ou de se défendre en justice.

En l'espèce, il ne peut se déduire de son seul positionnement procédural que la Scp [F] - Edme a entendu abuser de son droit d'agir en justice.

M. [Y] sera donc débouté de sa demande.

Sur les frais du procès

Succombant M. [Y] sera condamné aux entiers dépens d'appel.

Il sera par ailleurs condamné à régler la somme de 3 000 euros à la Scp [F] - Edme en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en matière civile et en dernier ressort,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions soumises à la cour ;

Y ajoutant,

Déboute M. [N] [Y] de sa demande indemnitaire ;

Condamne M. [N] [Y] aux entiers dépens d'appel et accorde aux avocats qui en ont fait la demande, le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile ;

Condamne M. [N] [Y] à régler à la Scp [F] - Edme la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute M. [N] [Y] de ses demandes au titre des frais irrépétibles et des dépens.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-1
Numéro d'arrêt : 20/05371
Date de la décision : 16/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 22/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-16;20.05371 ?
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