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15/04/2024 | FRANCE | N°22/11613

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-8b, 15 avril 2024, 22/11613


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8b



ARRÊT AVANT DIRE DROIT

DU 15 AVRIL 2024



N°2024/













Rôle N° RG 22/11613 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJ4ZQ







[G] [W]





C/



[21]

S.A.R.L. [15]



[21]









































Copie exécutoire délivrée

le :

à :
r>Me Samy ARAISSIA

Me Didier LODS

Me Carole MAROCHI















Décision déférée à la Cour :



Jugement du Pole social du TJ de NICE en date du 19 Juillet 2022, enregistré au répertoire général sous le n° 21/00727.





APPELANT



Monsieur [G] [W], demeurant [Adresse 14]



représenté par Me Samy ARAISSIA, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-8b

ARRÊT AVANT DIRE DROIT

DU 15 AVRIL 2024

N°2024/

Rôle N° RG 22/11613 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BJ4ZQ

[G] [W]

C/

[21]

S.A.R.L. [15]

[21]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Samy ARAISSIA

Me Didier LODS

Me Carole MAROCHI

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Pole social du TJ de NICE en date du 19 Juillet 2022, enregistré au répertoire général sous le n° 21/00727.

APPELANT

Monsieur [G] [W], demeurant [Adresse 14]

représenté par Me Samy ARAISSIA, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Clotilde COURATIER-BOUIS, avocat au barreau de PARIS

INTIMEES

S.A.R.L. [15], demeurant [Adresse 13]

représentée par Me Didier LODS, avocat au barreau de GRASSE

PARTIE INTERVENANTE

[21], demeurant [Adresse 9]

représentée par Me Carole MAROCHI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 Février 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Colette DECHAUX, Présidente de chambre, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Colette DECHAUX, Présidente de chambre

Madame Isabelle PERRIN, Conseiller

Monsieur Benjamin FAURE, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Anne BARBENES.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 15 Avril 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 15 Avril 2024

Signé par Madame Colette DECHAUX, Présidente de chambre et Madame Anne BARBENES, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

M. [G] [W] [le salarié], employé en qualité de conducteur poids lourd depuis le 11 mars 2015 par la société [15] [l'employeur], a été victime, le 20 mai 2016, d'un accident du travail pris en charge par la caisse de mutualité sociale agricole Provence-Azur [la caisse].

Celle-ci a fixé au 12 janvier 2018 la date de consolidation, puis sur proposition de sa commission des rentes, le 17 octobre 2018, à 30% le taux d'incapacité permanente partielle.

Le salarié a été licencié le 23 novembre 2018 pour inaptitude au travail d'origine professionnelle et impossibilité de reclassement.

Il a saisi le 29 juillet 2021 un tribunal judiciaire aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur dans son accident du travail.

Par jugement en date du 19 juillet 2022, le tribunal judiciaire de Nice, pôle social, après avoir déclaré son recours recevable, a :

* débouté le salarié de l'ensemble de ses demandes,

* condamné le salarié au paiement à l'employeur de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Le salarié a interjeté régulièrement appel dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas discutées.

Par conclusions remises par voie électronique le 4 juillet 2023, reprises et complétées oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, le salarié sollicite l'infirmation du jugement entrepris et demande à la cour de:

* dire que son accident du travail est dû à la faute inexcusable de son employeur,

* fixer à son maximum la majoration de la rente,

* ordonner une expertise médicale,

* lui allouer une indemnité provisionnelle de 20 000 euros,

* condamner l'employeur au paiement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Par conclusions remises par voie électronique le 7 juillet 2023, reprises oralement à l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, l'employeur sollicite la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et demande à la cour de débouter le salarié ainsi que la caisse de leurs prétentions, et de condamner le salarié au paiement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par conclusions remises par voie électronique le 6 juillet 2023, oralement soutenues l'audience, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé plus ample de ses moyens et arguments, la caisse indique s'en rapporter sur la reconnaissance de la faute inexcusable tout en sollicitant la confirmation du jugement entrepris.

Dans l'hypothèse où le jugement serait infirmé, elle demande à la cour de condamner l'employeur à lui rembourser les sommes dont elle sera amenée à faire l'avance au titre de la réparation de la faute inexcusable.

Elle sollicite la condamnation de toute partie succombante à lui payer la somme de 600 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre sa condamnation aux entiers dépens.

MOTIFS

1- sur la faute inexcusable :

Pour débouter le salarié de l'ensemble de ses demandes, les premiers juges ont retenu essentiellement qu'il a bénéficié d'une formation pratique pour la manipulation des chariots télescopiques, des grues de chargement, conduite des chargeuses pelleteuses et des plate-formes élévatrices mobiles, que sa fiche de poste prévoyait la vérification de l'arrimage du chargement, qu'aucune anomalie n'avait été relevée lors des vérifications de la grue, des équipements ou lors du contrôle technique, qu'il n'est pas établi qu'il aurait attiré l'attention de son employeur sur l'existence d'un danger particulier pour sa santé ni qu'un incident antérieur serait survenu, ce qui ne lui permet pas de bénéficier de la présomption de la faute inexcusable.

Ils ont également considéré que la chute d'une palette à l'ouverture de la ridelle, avant même toute opération de dessanglage a été la conséquence d'un mauvais arrimage, que le salarié ne saurait justifier par les dimensions du plateau du camion, alors qu'un chargement doit être correctement arrimé dans le véhicule de transport, ce qui relevait de sa responsabilité tant en raison de son contrat de travail que de sa fiche de poste, et qu'il ne résulte que de sa seule affirmation qu'il avait été obligé de placer les palettes en quinconce, aucune pièce produite ne venant étayer son affirmation selon laquelle les palettes chargées sur son camion avaient été réceptionnées plusieurs mois auparavant, déplacées plusieurs fois et se seraient, pour certaines, renversées par le vent.

Ils en ont déduit que les circonstances de l'accident du travail demeurent indéterminées et ne peuvent ouvrir droit à réparation au titre de la faute inexcusable.

Exposé des moyens des parties :

Se fondant sur les dispositions des articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail, le salarié conteste que les circonstances de son accident du travail soient indéterminées.

Il allègue avoir chargé quatre palettes sur son camion dont une, détériorée, qu'il a tenté de reconstituer, puis avoir ensuite sanglé les palettes avec une sangle à cliquet afin de les maintenir, et qu'arrivé au lieu du déchargement, après avoir dessanglé les palettes, lors de l'ouverture de la ridelle, une palette est tombée.

Il conteste que la chute de la palette soit liée à l'absence de sanglage lors du transport, soutenant qu'elle est imputable à son mauvais état, connu de son employeur, qui présentait un risque de chute.

Il argue que lors de sa visite en janvier 2018, l'inspecteur du travail a relevé le caractère bancal d'une palette du fait de l'absence d'un des cubes en bois servant à sa structure, pour soutenir que les palettes que les chauffeurs devaient livrer n'étaient pas stockées dans des conditions optimales, aboutissant à leur dégradation et amenant un risque de chute.

Il souligne que dans les documents d'évaluation des risques 2014 et 2016 le point de stockage est noté à améliorer, et que celui versé aux débats pour 2015 est incomplet, pour ne pas comporter ce point de stockage.

Il conteste avoir eu à sa disposition pour le chargement ou le déchargement un chariot Clark, et souligne que les autorisations de conduite produites par l'employeur ne portent pas un chariot élévateur, que l'entreprise n'avait pas.

Il allègue en outre que le camion mis à sa disposition pour la livraison ne pouvait pas supporter le poids des palettes sur toute sa surface, qu'il n'était pas possible de charger les palettes dans le même sens pour augmenter la stabilité, et qu'il n'y avait aucun moyen de caler les palettes sur la benne autrement que par un sanglage, soulignant que les ridelles latérales du camion-benne mis à sa disposition ont une hauteur moyenne de 80 à 100 cm, alors que les palettes transportées mesuraient en hauteur 220 cm et que pour assurer la sécurité de son chargement il a dû utiliser des sangles, que les palettes présentaient un fort risque de chute en raison de leur instabilité et ce dès le dessanglage, l'absence de fourche de déchargement augmentant le risque de chute, alors que l'ouverture de la ridelle et le dessanglage du chargement étaient un préalable indispensable à l'utilisation de la grue pour décharger le matériel.

Il impute son accident du travail aux manquements de son employeur à son obligation de sécurité, lui reprochant l'absence de matériel et de camion adapté, l'absence de protocole de sécurité chargement/déchargement, comme de cahier des charges.

Il soutient que son employeur ne pouvait ignorer les risques de chute de matériel qui constituent l'un des risques majeurs de cette activité.

Son employeur réplique qu'il n'est nullement démontré qu'un des cubes en bois manquait à une palette lors de l'accident du travail qui n'a pas pour cause l'absence de consignes spécifiques au déchargement de palettes.

Il argue avoir mis à la disposition du salarié un véhicule pouvant supporter 12 tonnes alors que le chargement représentait 270 kg par palette soit 1 080 kg, que le véhicule comportait une grue et que le déchargement devait être réalisé dans l'accès pompiers du site de livraison, approprié au déchargement de produits volumineux, pour soutenir son absence de conscience du danger.

Il ajoute avoir pris des mesures de prévention afin d'éviter des accidents lors du chargement/déchargement de matériel lourd, mentionnées dans les documents d'évaluation des risques qu'il produit aux débats, soulignant qu'à la date de survenance de l'accident les risques liés aux chargements et déchargements étaient maîtrisés et évalués comme un risque mineur.

Il souligne avoir mis à la disposition du salarié outre un camion doté d'une grue pour le transport et le déchargement, un chariot élévateur (type Clark) pour le chargement, et que la fiche de poste mentionne que le salarié était en charge du contrôle du bon arrimage des colis dans le camion et devait notamment rendre compte à son supérieur des problèmes rencontrés.

Il soutient que le chargement ayant été réalisé par le salarié, si selon lui à ce moment là, une palette était détériorée au niveau d'un angle et un des tasseaux était mobile, il devait le signaler afin que la palette défectueuse soit reconstituée à l'aide d'un clou et d'un marteau et que le salarié n'a pas respecté les consignes de sécurité, préférant remettre l'angle détérioré manuellement.

Réponse de la cour :

Dans le cadre de l'obligation de sécurité pesant sur l'employeur destinée, notamment, à prévenir les risques pour la santé et la sécurité des salariés, les dispositions des articles L.4121-1 et suivants du code du travail lui font obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Dans leur rédaction applicable antérieure au 1er octobre 2017, les articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail font obligation à l'employeur de :

- pendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, par des actions de :

* prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail,

* d'information et de formation,

ainsi que par la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés, de veiller à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

- mettre en oeuvre ces mesures sur le fondement des principes généraux de prévention suivants:

1° Eviter les risques,

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités,

3° Combattre les risques à la source,

4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique,

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux,

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral, tel qu'il est défini à l'article L. 1152-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.

Le manquement à son obligation de sécurité a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il suffit que la faute inexcusable de l'employeur soit une cause nécessaire de l'accident du travail pour engager sa responsabilité.

C'est au salarié qu'incombe la charge de la preuve de la faute inexcusable, et par voie de conséquence d'établir que son accident présente un lien avec une faute commise par son employeur dans le cadre de son obligation de sécurité.

Il est exact que la circonstance de la survenance d'un accident du travail est en elle-même insuffisante à établir la faute inexcusable de l'employeur.

En l'espèce, la déclaration d'accident du travail établie le 20 mai 2016 mentionne que ce jour là, à 11h10 le salarié devait 'livrer des plaques de stabilisateur de gravier à un client', 'arrivé sur le site, (il) a ouvert les ridelles du camion, une palette lui est tombée dessus (environ 500kg)'.

Le certificat médical initial établi par un médecin du service traumatologie du centre hospitalier de [Localité 22] le jour de l'accident du travail mentionne une fracture du rachis dorso-lombaire et prescrit un arrêt de travail.

Contrairement à ce qui a été retenu par les premiers juges, les circonstances de cet accident du travail ne sont pas indéterminées, sa cause résidant, lors de l'ouverture de la ridelle du camion, dans la chute d'une palette de matériaux, au poids conséquent, sur le salarié.

Il résulte également des circonstances de cet accident du travail que les formations à l'utilisation d'engins mécaniques, comme la mise à disposition de ceux-ci, sont sans lien avec la prévention du risque de chute de matériaux lors du déchargement d'un camion-benne sur un point de livraison, lequel doit s'effectuer avec la grue équipant ce camion et non point avec un chariot élévateur, étant observé cependant que les parties s'accordent sur la circonstance que, ni la grue, ni le chariot élévateur, n'ont eu un rôle causal dans cet accident du travail.

Lors de son audition le 23 septembre 2019 par les services de police, le salarié a déclaré qu'il lui semblait avoir chargé les palettes dans son camion, qu'elles étaient restées longtemps en stock à la pépinière et avaient été manipulées plusieurs fois, puis être parti les livrer, ayant sanglé le chargement, et qu'une fois sur le lieu de livraison, il a dessanglé et lorsqu'il a 'ouvert la ridelle, une palette (lui) est tombée complètement dessus'.

Il y a imputé son accident au caractère défectueux des palettes, 'les plaques dessus n'étaient fixées que par des serflex et du film plastique', précisant sur interrogation de l'enquêteur quant au signalement 'de doléances' qu'il 'n'y avait pas de cahier (...) On pouvait le dire verbalement mais ce n'était pas pris en compte ou alors à long terme'.

Le gérant de la société employeur a quant à lui lors de son audition par les mêmes services de police le 13 septembre 2019, déclaré que les quatre palettes à livrer pesaient chacune environ 270 kg, et que le salarié lui a expliqué, lorsqu'il est allé le voir à l'hôpital, qu'une 'palette était détériorée au niveau d'un angle, un des tasseaux était mobile', et qu'il lui a indiqué 'l'avoir remis manuellement', ajoutant que 'lorsqu'une palette en bois est abîmée, il faut la reconstituer, il y a un marteau et un clou mais on ne doit pas partir si le chargement est défectueux, la palette doit être signalée et réparée avant de partir'.

L'audition du client de l'employeur où s'effectuait la livraison le 20 septembre 2019, par les services de police confirme que la livraison portait sur des plaques en plastique de stabilisateurs de terre pour créer des zones végétales. Il a déclaré qu'il se trouvait à l'opposé de la ridelle lorsque le salarié l'a ouverte, mais qu'il a 'vu le chargement tomber du côté de la ridelle ouverte' et que le salarié 'avait une partie de la palette sur lui', précisant 'la palette était bien plastifiée'.

Il résulte donc de ces éléments, que l'accident du travail est dû à la chute de la palette après ouverture de la ridelle, et qu'au moment du déchargement la palette était plastifiée.

Les déclarations de l'employeur, bien que rapportant des propos qui lui ont été tenus son salarié peu de temps après l'accident, sont plus précises, pour attribuer le caractère défectueux, non point au film plastique, mais à la partie solide de la palette en assurant la stabilité, ce qui est corroboré par les constatations de l'inspecteur du travail.

Il résulte en effet du procès-verbal du 16 janvier 2018 de l'inspecteur du travail, que lors du contrôle du site de stockage et du camion utilisé lors de l'accident, il a constaté 'qu'une des deux palettes supportant des dalles de 'BERA Grass Fix ECO' est bancale du fait de l'absence d'un des cubes en bois servant à la structure de la palette' et qu'ayant demandé au gérant de lui expliquer la procédure dans le cas où l'une des palettes à charger est défectueuse, celui-ci lui a indiqué 'qu'il n'y a pas de procédure écrite mais que les salariés devraient aller chercher un marteau et s'en servir pour remettre en place le cube de bois de façon pérenne', que 'la pratique habituelle des chauffeurs est de caler la palette sans fixer la cale une fois chargée' et que le salarié 'aurait pu utiliser cette technique et que les mouvements lors du transport ont pu déséquilibrer la palette'.

Le caractère défectueux de la partie solide d'une palette, supportant un poids de plus de 200kg, au moment du chargement du camion-benne, caractérise l'existence d'un risque à l'issue du transport, en ce que les ridelles latérales, amovibles pour permettre les opérations de chargement et déchargement, qui font office de cales le temps du transport, sur leur hauteur, et contribuent au maintien du chargement en lien avec le sanglace effectué, ne remplissent plus cet office une fois rabattues et le dessanglage opéré.

Il est exact que le contrat de travail en date du 11 mars 2015, mentionne en article 2, que le salarié embauché sur un poste de conducteur poids lourd, 'est principalement chargé' notamment de 'préparer le véhicule aux opérations de chargement et/ou de déchargement', 'participer aux activités de chargement et/ou déchargement', 's'assurer de la conformité du chargement (poids, répartition de la charge, conformité au ADR-règlement de transport de matières dangereuses)', 'signaler toute défaillance de fonctionnement ou de conformité du véhicule'.

La fiche de poste 'chauffeur', qui n'est pas signée, précise notamment qu'il 'contrôle le bon arrimage des colis dans son camion' et 'rend compte de son travail et des problèmes rencontrés à son supérieur hiérarchique'.

Si l'employeur verse aux débats son document unique d'évaluation des risques pour les années 2014, 2015 et 2016, il est exact que celui de mai 2015 est incomplet pour ne pas comporter la partie relative au stockage mais aussi celle relative à l'évaluation des risques de l'activité transport, alors que l'accident du travail est survenu dans le cadre de celle-ci, et qu'ainsi que relevé par l'inspecteur du travail le document unique d'évaluation des risques de juin 2016, est postérieur à sa survenance.

La cour constate que le document unique d'évaluation des risques daté du 21/05/2014 comme celui de juin 2016, n'évaluent en réalité qu'un seul risque lié au chargement et déchargement des véhicules, relatif aux troubles musculo-squelettiques, lequel est distinct de celui lié à la chute d'objets transportés au moment de l'opération de déchargement, et que s'agissant du lieu de stockage de matériels et produits divers (engrais, terreau, pots, végétaux, ...) ces deux documents tout en mentionnant que l'organisation et la limitation de la hauteur de stockage est 'à améliorer', et ne précisent ni l'état des palettes stockées, ni les conditions de stockage.

Il s'ensuit que le risque lié au transport de palettes, et à l'état des palettes sur le lieu de stockage au moment de leur chargement, n'a été évalué, ni en 2014, ni en 2016, qu'aucune mesure de prévention n'a donc été définie pour le prévenir, ce qui caractérise un manquement de l'employeur à son obligation de prévention, l'inspecteur du travail ayant du reste relevé dans son procès-verbal précité que le document unique d'évaluation des risques 'ne comporte aucune mention de ce risque (lié à l'absence de procédure spécifique au déchargement de ces palettes ayant conduit à l'accident) alors même que le contrôle s'est déroulé plus d'un an après l'accident'.

Or le risque de chute de matériaux transportés sur des palettes, lors de l'ouverture des ridelles du camion ne peut pas être ignoré par un employeur dont l'activité consiste, notamment, à livrer des matériaux lourds, conditionnés sur des palettes, ce qui est établi par la fiche de livraison (sa pièce 4).

L'audition du gérant met par ailleurs en évidence sa conscience qu'une palette peut être 'déstabilisée par les mouvements lors du transport'.

Or si pendant le transport, une ridelle peut faire office de cale, une fois ouverte pour le déchargement, le risque de chute de la palette est réel, et l'employeur ne peut pas ne pas en avoir conscience.

La circonstance que le contrat de travail mentionne que le salarié est responsable du transport 'dans des conditions optimales de sécurité' des produits, n'est pas de nature à exonérer l'employeur de son obligation de prévention du risque lié au transport avec un camion benne, de matériaux lourds, sur des palettes, plus ou moins stables, alors qu'il lui incombe d'organiser le travail de ses salariés en tenant compte des conditions de stockage des matériaux à transporter pouvant conduire à une dégradation de palettes lors du transport.

Or il n'est nullement établi que l'employeur avait pris des dispositions permettant aux chauffeurs de signaler les défectuosités de palettes, ni donné des instructions sur le process à respecter lorsque l'instabilité d'une palette à transporter était constatée.

La circonstance que l'employeur justifie de la mise à disposition d'engins mécaniques (grues hydrauliques, chariot télescopique, grue auxiliaire de chargement, chargeuses à chenilles) ainsi que de leur bon état, est inopérante lorsque le risque qui s'est réalisé lors de l'accident du travail ne présente aucun lien avec leur utilisation.

De même, la circonstance qu'il ait évalué les risques portant sur les troubles musculo-squelettiques dans ses documents d'évaluation des risques professionnels, est inopérante à établir qu'il a évalué et mis en place des mesures pour prévenir pour le risque lié à la chute des matériaux transportés sur un camion benne à l'arrivée sur le point de livraison.

Faute pour l'employeur d'avoir évalué le risque auquel son salarié a été exposé lors de son accident du travail, comme d'avoir défini des mesures pour le prévenir, alors qu'il ne pouvait pas ne pas en avoir conscience, la cour juge que l'accident du travail survenu le 20 mai 2016 au salarié est imputable à sa faute inexcusable.

Le jugement doit en conséquence être infirmé.

2- sur les conséquences de la faute inexcusable :

Lorsque l'accident du travail est dû à la faute inexcusable de l'employeur, la victime a droit, en application des dispositions des articles L.452-1 et suivants du code de la sécurité sociale, à une indemnisation complémentaire de ses préjudices, et depuis la décision du conseil constitutionnel en date du 18 juin 2010, à une réparation de son préjudice au-delà des dispositions du livre IV du code de la sécurité sociale, ainsi qu'à une majoration de la rente.

Par ailleurs, il doit également être tenu compte de l'incidence des arrêts rendus le 20 janvier 2023 par l'assemblée plénière de la Cour de cassation (21-23947 et 20-23673).

La date de consolidation a été fixée par la caisse au 12 janvier 2018 et le taux d'incapacité permanente partielle à 30%.

La majoration de la rente servie doit être fixée à son taux maximum.

L'expertise médicale sollicitée est effectivement nécessaire pour évaluer les conséquences dommageables de l'accident, au sens des dispositions précitées et de la décision du conseil constitutionnel.

Compte tenu des éléments médicaux soumis à son appréciation, la cour fixe à 10 000 euros le montant de l'indemnité provisionnelle.

La présente décision doit être déclarée commune à la caisse qui fera, en application des dispositions des articles L.452-1 à L.452-3 du code de la sécurité sociale, l'avance de la majoration de la rente, de la provision allouée et des frais d'expertise et pourra en récupérer directement le montant auprès de l'employeur.

Compte tenu de l'expertise ordonnée, les dépens doivent être réservés en fin de cause.

Il serait inéquitable de laisser à la charge du salarié, comme de la caisse, les frais qu'ils ont été contraints d'exposer pour leur défense, ce qui justifie d'allouer au salarié la somme de 2 500 euros, et à la caisse celle de 600 euros, et ce sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

- Infirme le jugement entrepris en ses dispositions soumises à la cour,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

- Dit que l'accident du travail dont a été victime M. [G] [W] le 20 mai 2016 est dû à la faute inexcusable de la société [15],

- Fixe au maximum la majoration de la rente,

- Avant dire droit sur l'indemnisation des préjudices de M. [G] [W] :

- Ordonne une expertise médicale,

* Commet pour y procéder :

le docteur [K] [D]

[Adresse 12]

[Localité 6]

Tél : [XXXXXXXX03]

Port. : [XXXXXXXX04]

Mèl : [Courriel 17]

à défaut:

le docteur [C] [A]

[Adresse 10]

[Localité 7]

Tél : [XXXXXXXX01]

Mèl : [Courriel 23]

à défaut:

le docteur [F] [V]

Centre Hospitalier [19] - Service de SSR [Adresse 11]

[Localité 8]

Tél : [XXXXXXXX02]

Port. : [XXXXXXXX05]

Mèl : [Courriel 18]

tous trois inscrits sur la liste des experts de la cour d'appel d'Aix-en-Provence,

avec pour mission de :

- Convoquer, dans le respect des textes en vigueur, M. [G] [W],

- Après avoir recueilli les renseignements nécessaires sur l'identité de M. [G] [W] et sa situation, les conditions de son activité professionnelle, son statut et/ou sa formation s'il s'agit d'un demandeur d'emploi, son mode de vie antérieur à la maladie et sa situation actuelle,

- A partir des déclarations de M. [G] [W], au besoin de ses proches et de tout sachant, et des documents médicaux fournis, décrire en détail les lésions initiales, les modalités de traitement, en précisant le cas échéant, les durées exactes d'hospitalisation et, pour chaque période d'hospitalisation, le nom de l'établissement, les services concernés et la nature des soins,

- Recueillir les doléances de M. [G] [W] et au besoin de ses proches, l'interroger sur les conditions d'apparition des lésions, l'importance des douleurs, la gêne fonctionnelle subie et leurs conséquences,

- Décrire au besoin un état antérieur en ne retenant que les seuls antécédents qui peuvent avoir une incidence sur les lésions ou leurs séquelles,

- Procéder, en présence des médecins mandatés par les parties avec l'assentiment de M. [G] [W], à un examen clinique détaillé en fonction des lésions initiales et des doléances exprimées par elle,

- Analyser dans un exposé précis et synthétique :

* la réalité des lésions initiales,

* la réalité de l'état séquellaire,

* l'imputabilité directe et certaine des séquelles aux lésions initiales en précisant au besoin l'incidence d'un état antérieur déjà révélé,

- Tenir compte de la date de consolidation fixée par l'organisme social,

- Préciser les éléments des préjudices limitativement listés à l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale :

* Souffrances endurées temporaires et/ou définitives :

Décrire les souffrances physiques, psychiques ou morales découlant des blessures subies pendant la maladie traumatique en distinguant le préjudice temporaire et le préjudice définitif, les évaluer distinctement dans une échelle de 1 à 7,

* Préjudice esthétique temporaire et/ou définitif :

Donner un avis sur l'existence, la nature et l'importance du préjudice esthétique, en distinguant le préjudice temporaire et le préjudice définitif. Évaluer distinctement les préjudices temporaire et définitif dans une échelle de 1 à 7,

* Préjudice d'agrément :

Indiquer, notamment au vu des justificatifs produits, si la victime est empêchée en tout ou partie de se livrer à des activités spécifiques de sport ou de loisir, en distinguant les préjudices temporaires et définitif,

* Perte de chance de promotion professionnelle :

Indiquer s'il existait des chances de promotion professionnelle qui ont été perdues du fait des séquelles fonctionnelles,

- Préciser les éléments des préjudices suivants, non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale :

* Déficit fonctionnel temporaire :

Indiquer les périodes pendant lesquelles la victime a été, pour la période antérieure à la date de consolidation, affectée d'une incapacité fonctionnelle totale ou partielle, ainsi que le temps d'hospitalisation.

En cas d'incapacité partielle, préciser le taux et la durée,

* Assistance par tierce personne avant consolidation :

Indiquer le cas échéant si l'assistance constante ou occasionnelle d'une tierce personne (étrangère ou non à la famille) est ou a été nécessaire, avant consolidation, pour effectuer les démarches et plus généralement pour accomplir les actes de la vie quotidienne, préciser la nature de l'aide prodiguée et sa durée quotidienne,

* Déficit fonctionnel permanent :

Evaluer pour la période postérieure à la consolidation, la perte de qualité de vie, les souffrances

physiques et morales permanentes et les troubles ressentis par la victime dans ses conditions

d'existence (personnelles, familiales et sociales) du fait des séquelles tant physiques que mentales qu'elle conserve,

* Frais de logement et/ou de véhicule adaptés :

Donner son avis sur d'éventuels aménagements nécessaires pour permettre, le cas échéant, à la victime d'adapter son logement et/ou son véhicule à son handicap,

* Préjudices permanents exceptionnels :

Dire si la victime subit des préjudices permanents exceptionnels correspondant à des préjudices atypiques directement liés aux handicaps permanents,

* Préjudice sexuel :

Indiquer s'il existe ou s'il existera un préjudice sexuel (perte ou diminution de la libido, impuissance ou frigidité, perte de fertilité),

- Établir un état récapitulatif de l'ensemble des postes énumérés dans la mission,

- Dit que l'expert pourra s'adjoindre tout spécialiste de son choix, à charge pour lui d'en informer préalablement le magistrat chargé du contrôle des expertises et de joindre l'avis du sapiteur à son rapport, et que si le sapiteur n'a pas pu réaliser ses opérations de manière contradictoire, son avis devra être immédiatement communiqué aux parties par l'expert,

- Dit que l'expert devra communiquer un pré rapport aux parties en leur impartissant un délai raisonnable pour la production de leurs dires écrits auxquels il devra répondre dans son rapport définitif,

- Dit que l'expert déposera au greffe de la cour son rapport dans le délai de six mois à compter de sa saisine,

- Désigne le président ou le magistrat chargé d'instruire de la 4ème chambre section 8 B de la cour pour surveiller les opérations d'expertise,

- Dit que la caisse de mutualité sociale agricole Provence-Azur doit faire l'avance des frais de l'expertise médicale avec faculté de recours contre l'employeur en versant au Régisseur d'avances et de recettes (RIB : [XXXXXXXXXX016] Domiciliation TP [Localité 20]) de la cour d'appel la somme de 1 500 euros à titre de provision à valoir sur sa rémunération, et ce dans le délai de deux mois à compter du prononcé du présent arrêt,

- Alloue à M. [G] [W] une indemnité provisionnelle de 10 000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices,

- Dit que la caisse de mutualité sociale agricole Provence-Azur fera l'avance des sommes allouées à M. [G] [W] et pourra en récupérer directement et immédiatement les montants ainsi que les frais d'expertise auprès de la société [15],

-Déboute la société [15] de l'intégralité de ses demandes,

- Condamne la société [15] à payer à M. [G] [W] la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamne la société [15] à payer à la caisse de mutualité sociale agricole Provence-Azur la somme de 600 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Renvoie l'affaire à l'audience du 18 juin 2025 à 9 heures,

- Dit que les parties devront déposer et communiquer leurs conclusions selon le calendrier de procédure suivant :

- 28 février 2025 pour l'appelant,

- 31 mai 2025 pour les intimés,

- Réserve les dépens en fin de cause.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-8b
Numéro d'arrêt : 22/11613
Date de la décision : 15/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-15;22.11613 ?
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