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12/04/2024 | FRANCE | N°20/00306

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-3, 12 avril 2024, 20/00306


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3



ARRÊT AU FOND



DU 12 AVRIL 2024



N° 2024/ 65





RG 20/00306

N° Portalis DBVB-V-B7E-BFM3Y







SARL CORDAIX





C/



[Y] [T]

















Copie exécutoire délivrée le 12.04.2024 à :



- Me Eric TARLET, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

V99



- Me Odile LENZIANI, avocat au barreau de MARSEILLE





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Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 19 Décembre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 19/00089.





APPELANTE



SARL CORDAIX, demeurant [Adresse 2]



représentée p...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3

ARRÊT AU FOND

DU 12 AVRIL 2024

N° 2024/ 65

RG 20/00306

N° Portalis DBVB-V-B7E-BFM3Y

SARL CORDAIX

C/

[Y] [T]

Copie exécutoire délivrée le 12.04.2024 à :

- Me Eric TARLET, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

V99

- Me Odile LENZIANI, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 19 Décembre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 19/00089.

APPELANTE

SARL CORDAIX, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Eric TARLET de la SCP LIZEE- PETIT-TARLET, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Julien BRILLET, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIME

Monsieur [Y] [T], demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Odile LENZIANI, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Gilles BOUKHALFA, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 Janvier 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre, chargée du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre

Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant

Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 12 Avril 2024.

ARRÊT

CONTRADICTOIRE

Prononcé par mise à disposition au greffe le 12 Avril 2024

Signé par Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS- PROCEDURE-PRETENTIONS DES PARTIES

M.[Y] [T] a été recruté par la société Cordial, société intérimaire, pour être mis à disposition de la société Cordaix dont l'activité est «travaux de maçonnerie générale et gros oeuvre de bâtiment», appliquant la convention collective du bâtiment des entreprises de moins de 10 salariés, sur la période du 2 au 4 novembre 2016, pour accroissement temporaire d'activité, en qualité de technicien cordiste.

Pour le même motif, le salarié a été embauché par la société Cordaix, selon contrat à durée déterminée du 7 novembre au 23 décembre 2016, puis selon nouveau contrat à durée déterminée du 3 janvier au 24 février 2017.

Victime d'une chute de 6 mètres, déclarée en accident du travail le 10 février 2017, M.[T] a été hospitalisé du 10 au 23 février 2017 et a perçu des indemnités journalières de la caisse primaire d'assurance maladie jusqu'au 5 décembre 2017.

La société a délivré les documents de fin de contrat au salarié le 24 février 2017.

Par requête du 17 janvier 2019, M.[T] a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille aux fins notamment d'obtenir la requalification des contrats précaires, de voir déclarer le licenciement nul, sollicitant diverses sommes à caractère salarial et indemnitaire.

Selon jugement du 19 décembre 2019, le conseil de prud'hommes a statué ainsi :

Dit et Juge que le contrat à durée déterminée doit être requalifié en contrat de travail à durée indéterminée, les délais de carence n'ayant pas été respectés.

Dit et Juge que le licenciement est nul de plein droit.

Condamne la société Cordaix à verser à M.[T] les sommes suivantes :

- 2.463,32 € au titre de 1'indemnité de requalification

- 1.231,66 € au titre de l'indemnité conventionnelle de préavis

- 14.779,92 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul

- 124 € au titre du versement de l' indemnité trajet

- 2.463,32 € pour violation de l'obligation de sécurité

- 1.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Dit que la moyenne des trois derniers mois de salaire s'élève à la somme de 2.463,32 €.

Il a débouté le salarié de sa demande au titre de l'irrégularité de procédure et de toute autre demande et condamné la société aux dépens.

Le conseil de la société a interjeté appel par déclaration du 9 janvier 2020.

Dans ses dernières écritures transmises au greffe par voie électronique le 23 juillet 2020, la société demande à la cour de :

«DECLARER recevable l'appel interjeté par la Société CORDAIX (S.A.R.L.), à l'encontre du Jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Marseille le 19 décembre 2019 ;

STATUANT à NOUVEAU,

DECLARER PRESCRITE l'action de Monsieur [Y] [T] portant sur l'exécution de son contrat de travail du 7 novembre 2016 ;

Subsidiairement, si par extraordinaire, la Cour ne déclarait pas prescrite l'action de Monsieur [T] ;

INFIRMER le Jugement du Conseil de prud'hommes de Marseille du 19 décembre 2019 en ce qu'il a :

o JUGÉ que le Contrat de travail devait être requalifié en contrat à durée indéterminée, les délais de carence n'étant pas respectés ;

o CONDAMNÉ la SARL CORDAIX à verser à Monsieur [Y] [T] :

2.463,32 € au titre de l'indemnité de requalification ;

1.231,66 € au titre de l'indemnité conventionnelle de préavis ;

14.779,92 € au titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;

124 € au titre de versement d'indemnités trajet ;

2.463,32€ au titre de la violation de l'obligation de sécurité ;

1.000,00€ au titre des frais irrépétibles ;

DIRE MAL DIRIGEE la demande tendant à la condamnation de la Société CORDAIX à verser la somme de 2463,32€ pour violation de l'obligation de sécurité, cette demande étant une demande de réparation des préjudices personnels découlant d'un accident de travail et soumise à la compétence exclusive du Tribunal judiciaire (Pôle social), anciennement Tribunal des affaires de sécurité sociale ;

INFIMER le Jugement en ce qu'il a condamné la SARL CORDAIX à verser à Monsieur [Y] [T] la somme de 124€ de prime de petit trajet ;

REJETER L'APPEL INCIDENT de Monsieur [Y] [T]

Encore plus subsidiairement,

STATUER A NOUVEAU ET REDUIRE à de plus justes proportions les demandes de condamnation fondées sur le licenciement nul ;

INFIRMER le Jugement du Conseil de prud'hommes de Marseille du 19 décembre 2019 en ce qu'il a condamné la SARL CORDAIX à verser la somme de 2.463,32€ de dommages-intérêts pour violation par l'employeur de son obligation de sécurité, la faute inexcusable de la victime exonérant la responsabilité de l'employeur;

REDUIRE les demandes de condamnation en se fondant sur un salaire moyen de 2.329,92€.

CONDAMNER monsieur [Y] [T] à verser à la Société CORDAIX la somme de 2000€ au titre des frais irrépétibles de l'article 700 du Code de procédure civile

CONDAMNER Monsieur [Y] [T] aux dépens, distraits au profit de Me Eric TARLET, Avocat.»

Aux termes de ses dernières conclusions transmises au greffe par voie électronique le 8 décembre 2023, M.[T] demande à la cour de :

«CONFIRMER le jugement rendu en date du 19 décembre 2019 par le Conseil des Prud'hommes de Marseille en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a limité le quantum des dommages et intérêts sollicités au titre de l'exécution fautive du contrat de travail à la somme de 2 463,32 €.

REVISER le quantum des dommages et intérêts au titre de l'exécution fautive du contrat de travail

Et, statuant à nouveau, de :

JUGER que l'action en requalification de la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée est recevable et non prescrite

JUGER que la relation de travail doit être requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée

JUGER que la rupture du contrat de travail doit s'analyser de plein droit en un licenciement nul

JUGER que la SARL CORDAIX a exécuté de manière fautive et déloyale le contrat de travail de Monsieur [T]

JUGER que la SARL CORDAIX n'a pas versé l'intégralité des indemnités de petits déplacement prévus à l'article 8-11 de la convention collective

Par conséquent, de

CONDAMNER la société CORDAIX à verser à Monsieur [T] les sommes suivantes :

- 2.463,32 € au titre de l'indemnité de requalification

- 1.231,66 € au titre de l'indemnité conventionnelle de préavis

- 2.463,32 € au titre de l'irrégularité de procédure

- 14.779,92 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul

- 124 € au titre du versement de l'indemnité trajet

- 8.000 € pour exécution fautive du contrat de travail

JUGER que le montant des condamnations portera intérêts de droit à compter du jour de l'introduction de la demande en justice avec capitalisation.

CONDAMNER la SARL CORDAIX à verser la somme de 2 500 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, en sus de l'indemnité versée sur ce fondement en première instance

LA CONDAMNER aux dépens.»

Pour l'exposé plus détaillé des prétentions et moyens des parties, il sera renvoyé, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions des parties sus-visées.

MOTIFS DE L'ARRÊT

A titre liminaire, la cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile , elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et que les «dire et juger» et les «constater» ainsi que les «donner acte» ne sont pas des prétentions en ce que ces demandes ne confèrent pas de droit à la partie qui les requiert hormis les cas prévus par la loi; en conséquence, la cour ne statuera pas sur celles-ci, qui ne sont en réalité que le rappel des moyens invoqués.

Sur la requalification des contrats précaires

Le salarié invoque à l'appui de cette demande, deux motifs : le non respect du délai de carence entre les contrats et l'absence de preuve du motif invoqué à l'appui de ceux-ci.

1- Sur le délai de carence

La société soutient que le point de départ de la prescription est le 7 novembre 2016, soit la date du 1er contrat irrégulier, comme ne respectant pas le délai de carence et conclut dès lors que l'action est prescrite.

Le salarié, considérant qu'il s'agit d'une irrégularité de fond, fait valoir que le point de départ est le terme du dernier contrat à durée déterminée soit le 24 février 2017.

Selon l'article L.1244-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la cause :

« A l'expiration d'un contrat de travail à durée déterminée, il ne peut être recouru, pour pourvoir le poste du salarié dont le contrat a pris fin, ni à un contrat à durée déterminée ni à un contrat de travail temporaire, avant l'expiration d'un délai de carence calculé en fonction de la durée du contrat, renouvellement inclus (...)».

Selon le premier alinéa de l'article L.1251-36 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, à l'expiration d'un contrat de mission, il ne peut être recouru, pour pourvoir le poste du salarié dont le contrat a pris fin, ni à un contrat à durée déterminée ni à un contrat de mission, avant l'expiration d'un délai de carence calculé en fonction de la durée du contrat de mission incluant, le cas échéant, son ou ses deux renouvellements.

Aux termes de l'article L.1251-40 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, lorsqu'une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d'une entreprise de travail temporaire en méconnaissance des dispositions des articles L. 1251- 5 à L. 1251-7, L. 1251-10 à L. 1251-12, L. 1251-30 et L. 1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission.

Selon l'article L. 1245-1 du même code, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, est réputé à durée indéterminée tout contrat de travail conclu en méconnaissance des dispositions des articles L. 1242-1 à L. 1242-4, L. 1242-6, L. 1242-7, L. 1242-8-1, L. 1242-12 alinéa premier, L. 1243-11 alinéa premier, L. 1243-13-1, L. 1244-3-1 et L. 1244-4-1, et des stipulations des conventions ou accords de branche conclus en application des articles L. 1242-8, L. 1243-13, L. 1244-3 et L. 1244-4.

En conséquence, aucune disposition ne prévoit, dans le cas de la succession d'un contrat de travail temporaire et d'un contrat de travail à durée déterminée au bénéfice de l'ancienne entreprise utilisatrice, la sanction de la requalification en contrat de travail à durée indéterminée, en cas de non-respect du délai de carence.

Dès lors la première irrégularité - au demeurant reconnue par la société - qui doit être examinée, se situe non pas entre le 4 et le 7 novembre 2016 comme l'invoque l'employeur, mais entre le 23 décembre 2016 et le 3 janvier 2017, date de conclusion du 2ème contrat à durée déterminée.

L'article L.1471-1 du code du travail dans sa version applicable au litige, soit antérieurement à l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, dispose :

«Toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.»

Le point de départ du délai de prescription édicté par cet article est dit glissant comme lié à la connaissance potentielle de l'irrégularité en cause.

En application de l'article L.1244-1 du code du travail, un employeur ne peut conclure avec le même salarié des contrats à durée déterminée successifs que dans quatre hypothèses: pour remplacer des salariés absents, pour des emplois saisonniers ou pour des emplois pour lesquels il est d'usage constant de ne pas recourir aux contrats à durée indéterminée, pour remplacer l'une des personnes mentionnées aux 4 et 5 de l'article L. 1242-2 du code du travail.

Il résulte de l'énoncé des textes, d'une part, que la conclusion de contrats à durée déterminée pour un surcroît d'activité n'entre pas dans le champ d'application de l'article L.1244-1 du code du travail, et d'autre part, que le délai de prescription d'une action en requalification d'un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, fondée sur le non-respect du délai de carence entre deux contrats successifs prévu à l'article L. 1244-3 du code du travail, court à compter du premier jour d'exécution du second de ces contrats.

En conséquence, le point de départ de la prescription de l'action de M.[T] étant le 3 janvier 2017, son action initiée le 17 janvier 2019 se révèle prescrite.

2- Sur le motif des contrats

Le point de départ du délai de prescription de l'action en requalification fondée sur le motif du recours au contrat à durée déterminée énoncé au contrat est le terme du contrat ou, en cas de succession de contrats à durée déterminée, comme c'est le cas en l'espèce, le terme du dernier contrat, soit le 23 février 2017, de sorte que l'action est recevable.

Le salarié fait valoir que la seule attestation produite ne permet pas de justifier des accroissements temporaires d'activité invoqués, observant qu'il résulte des pièces adverses que l'employeur utilise le contrat à durée déterminée et les contrats de mission, comme mode de gestion normale de la main-d'oeuvre.

La société indique qu'étant un établissement de petite taille, employant moins de 10 salariés, il arrive régulièrement qu'elle soit contrainte de recourir à des contrats précaires, pour faire face à de nouveaux chantiers dont le déclenchement est imprévisible.

Pour justifier du caractère réel du motif, elle s'appuie sur l'attestation de son expert comptable démontrant l'augmentation du chiffre d'affaires au cours des mois de novembre et décembre 2016 puis février 2017, par rapport aux mêmes mois de l'année précédente.

Il résulte de l'article L.1242-1 du code du travail qu'un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise, et de l'article L. 1242-2 du même code qu'un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire, et seulement dans les cas énumérés par ce texte, parmi lesquels, l'accroissement temporaire d'activité de l'entreprise.

La société ne justifie par aucune pièce, telle que devis, factures, mails, d'un surcroît d'activité sur les périodes concernées soit de novembre 2016 à février 2017, le chiffre d'affaire en hausse d'une année sur l'autre étant insuffisant à lui seul, pour démontrer que le motif était justifié.

En outre, elle se déclare dans ses écritures, comme étant spécialisée dans les travaux à grande hauteur et lors de l'enquête de la DIRECTE, dans les travaux dits sur cordes, mais n'est pas identifiable ainsi au RCS, a accueilli M.[T] lors de son stage en 2015, lui ayant permis d'obtenir la qualification professionnelle de cordiste, et ne produit pas son registre du personnel alors qu'il résulte de ses propres pièces (4 et 11) qu'elle employait sur la même période, également au moins deux autres personnes ayant cette qualification, en contrat à durée déterminée ou en intérim.

En conséquence, la cour dit que le motif présenté dans les trois contrats successifs n'étant pas justifié, ceux-ci ayant en réalité pour objet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise, la requalification en contrat de travail à durée indéterminée s'impose et dès lors, M.[T] est en droit d'obtenir l'indemnité prévue à l'article L.1245-2 du code du travail.

Sur ce point, son montant fait débat, la société donnant le calcul de la moyenne de salaire sur la période de travail de novembre 2016 à février 2017, aboutissant à un total de 2 329,92 euros, reprochant au conseil de prud'hommes d'avoir intégré une prime exceptionnelle de 210 euros.

Le salarié fixe page 13 de ses conclusions, cette moyenne à 2 470,36 euros, représentant celle des deux derniers mois travaillés.

Il résulte du texte sus-visé que le montant minimum de l'indemnité de requalification est égal à un mois de salaire. Le mois de salaire correspond au dernier salaire perçu par le salarié pendant le contrat à durée déterminée ou à la moyenne des salaires perçus mensuellement dans le cadre du contrat à durée déterminée, avant la demande de requalification.

La cour constate que l'employeur a intégré dans ses calculs la prime dite «exceptionnelle» variant de 208,72 euros (décembre 2016) à 233,63 euros (novembre 2016) et payée à hauteur de 210,57 euros pour les mois de janvier et février 2017, et ne peut dès lors reprocher à la décision ce qu'il fait lui-même.

En tout état de cause, la cour n'est pas liée par ces calculs puisqu'il lui appartient d'allouer une somme qui ne soit pas inférieure à un mois de salaire.

La cour relève que le salarié, en première instance, avait fixé la moyenne à 2 463,32 euros, ce qu'a retenu le conseil de prud'hommes et, dans le dispositif de ses conclusions devant la cour, demande la confirmation du jugement et la condamnation de la société à payer ce montant, de sorte que la cour ne saurait statuer ultra petita.

Sur les conséquences financières de la rupture

La société ne disconvient pas que la requalification a pour effet de rendre la rupture nulle, en application des articles L.1226-9 & L.1226-13 du code du travail, celle-ci étant intervenue lors de la suspension du contrat de travail pour accident du travail.

1- sur le salaire de référence

L'employeur reprend le calcul fait ci-dessus et demande en conséquence, la réduction des sommes allouées.

La cour constate que le salarié revendique comme en 1ère instance, la somme de 2 463,32 euros, mais n'a produit aucun calcul à l'appui.

La requalification de la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée qui confère au salarié le statut de travailleur permanent de l'entreprise a pour effet de replacer ce dernier dans la situation qui aurait été la sienne s'il avait été recruté depuis l'origine, soit depuis le 2 novembre 2016, dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée.

En conséquence, le salaire de référence ne peut être fixé au regard des salaires perçus pendant l'exécution des contrats à durée déterminée, lesquels comprennent pour les mois de décembre 2016 et février 2017, une prime de précarité, qui si elle demeure acquise au salarié, ne peut être intégrée au calcul.

Par ailleurs, le mois de février 2017 est incomplet puisque dès le 10, le salarié a été victime de l'accident du travail, et ne peut dès lors être retenu pour le calcul.

En conséquence, après réintégration au mois de décembre, des heures de nuit payées en janvier mais aussi des jours non comptabilisés, la cour aboutit à un salaire de référence de 2 401,42 euros.

2- sur l'indemnité compensatrice de préavis

Le salarié avait une ancienneté de moins de six mois, de sorte qu'il est fondé à obtenir en application de l'article 10-1 de la convention collective applicable, l'équivalent de 2 semaines, de salaire soit la somme de 1 200,71 euros outre l'incidence de congés payés.

3- sur les dommages et intérêts

Le salarié dont le licenciement est nul, et qui ne demande pas sa réintégration, a droit, en toute hypothèse, en plus des indemnités de rupture, à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaire, quels que soient son ancienneté et l'effectif de l'entreprise.

La cour fixe son indemnisation à la somme de 14 500 euros.

4- sur l'irrégularité de procédure

Le salarié a maintenu ce chef de demande rejeté par le jugement mais ne consacre aucun développement à cette prétention, laquelle n'est pas fondée, l'absence de respect des règles de la procédure de licenciement, dans le cas présent, n'ayant pu porter à M.[T] un préjudice distinct, lequel n'est pas automatique.

Sur les indemnités de trajet

Au visa des articles 8-11 et 8-12 de la convention collective, l'employeur indique que la prime de trajet n'est pas due, les déplacements sur les chantiers s'effectuant après un passage impératif dans les locaux de l'entreprise pour obtenir les consignes, récupérer le matériel avant de se rendre sur les chantiers avec les véhicules de l'entreprise.

Le salarié indique que la seule restriction prévue par l'article 8-17 est celle où le salarié est logé gratuitement sur le chantier ou à proximité immédiate de celui-ci, rappelant qu'en réalité, il se rendait directement sur les chantiers.

L'indemnité de trajet prévue par la convention collective nationale applicable à la cause, qui a un caractère forfaitaire et a pour objet d'indemniser une sujétion pour le salarié obligé chaque jour de se rendre sur le chantier et d'en revenir, est due indépendamment de la rémunération par l'employeur du temps de trajet inclus dans l'horaire de travail et du moyen de transport utilisé.

En conséquence, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a alloué à M.[T] la somme de 124 euros, non autrement discutée dans son montant.

Sur l'exécution fautive du contrat de travail

La société reproche au conseil de prud'hommes d'avoir accueilli partiellement la demande du salarié, alors que la demande en réparation des préjudices subis suite à un accident du travail relève de la compétence exclusive du tribunal des affaires de sécurité sociale.

Il précise que l'enquête de police a été classée sans suite en raison «d'une mauvaise évaluation des risques par les salariés», le salarié ayant commis une faute qui exonère de toute responsabilité, l'employeur.

Au visa de l'article L.1222-1 du code du travail, M.[T] fait une demande indemnitaire, invoquant les manquements contractuels suivants :

- une relation de travail précaire fondée sur une succession illicite de contrats de mission et de contrats à durée déterminée,

- l'absence de versement des indemnités de trajet,

- l'absence de prévention des risques professionnels dans l'entreprise, de protection de la santé des salariés et plus globalement, un manquement à l'obligation de sécurité, qui a été à l'origine directe de l'accident du travail.

Il indique fonder sa demande sur l'obligation générale édictée par les articles L.4121-1 & suivants du code du travail, distincte de la faute inexcusable, se fondant notamment sur le constat de l'inspection du travail.

1- Celui qui réclame l'indemnisation d'un manquement doit prouver cumulativement l'existence d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice.

L'indemnité de requalification allouée est une compensation versée à un salarié qui obtient une décision de justice reconnaissant la requalification de son contrat de travail, de sorte que M.[T] ne peut solliciter une somme supplémentaire à ce titre, ne faisant pas en outre la démonstration d'un préjudice plus ample.

S'agissant du non paiement des indemnités de trajet, eu égard à la somme dûe et allouée, aucun préjudice distinct du paiement de celle-ci n'est établi en lien avec le manquement avéré.

2- Selon l'article L. 142-8 du code de la sécurité sociale, le juge judiciaire connaît des contestations relatives au contentieux de la sécurité sociale défini à l'article L. 142-1, parmi lesquelles figurent notamment les litiges relatifs à l'application des législations et réglementations de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole.

L'article L.1411-1 du code du travail dispose : « Le conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient. Il juge les litiges lorsque la conciliation n'a pas abouti ».

Il résulte de la combinaison de ces dispositions que le juge judiciaire du pôle social a compétence exclusive pour trancher les litiges relatifs à la réparation des conséquences d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, y compris lorsqu'ils portent sur l'indemnisation complémentaire pour faute inexcusable.

La cour constate qu'en l'espèce, la demande indemnitaire n'est pas relative à un préjudice découlant directement de la rupture, et que sous couvert d'une action en responsabilité pour exécution fautive du contrat de travail contre l'employeur pour manquement à son obligation de sécurité, le salarié demande en réalité la réparation d'un préjudice né de l'accident du travail dont il a été victime, de sorte que c'est à tort que le conseil de prud'hommes a retenu sa compétence, et a fait droit même partiellement à la demande de M.[T].

Sur les autres demandes

Les sommes allouées à titre de salaires porteront intérêts au taux légal à compter de la citation en justice (la convocation de l'employeur à l'audience de tentative de conciliation étant revenue non réclamée.

Compte tenu de l'absence d'exécution provisoire ordonnée et du délai s'étant écoulé depuis l'appel, les sommes allouées à titre indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du jugement de 1ère instance, par dérogation aux règles du 2ème alinéa de l'article 1153-1 du code civil.

La capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil .

La société succombant au principal doit s'acquitter des dépens d'appel, sans distraction, la procédure en matière sociale ne donnant pas l'exclusivité à l'avocat dans la représentation.

Elle doit être déboutée de sa demande faite sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à ce titre, payer à M.[T] la somme supplémentaire de 2 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, en matière prud'homale,

Infirme la décision déférée SAUF dans ses dispositions relatives à l'indemnité de requalification, à l'indemnité de trajet, l'article 700 du code de procédure civile et les dépens, ainsi qu'au rejet de la demande au titre de l'irrégularité de procédure,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et Y ajoutant,

Dit que l'action en requalification des contrats à durée déterminée, pour le motif tiré de l'absence de respect du délai de carence, est prescrite,

Requalifie la relation de travail, en raison d'un emploi durable, en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 2 novembre 2016,

Dit que la rupture intervenue le 24 février 2017, est nulle de plein droit,

Déclare irrecevable la demande à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

Condamne la société Cordaix à payer à M.[Y] [T], les sommes suivantes :

- 1 200,71 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis

- 120,07 euros au titre des congés payés afférents

- 14 500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul

Dit que les sommes allouées de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter du 25/02/2019 et la somme allouée à titre indemnitaire, à compter du 19/12/2019,

Ordonne la capitalisation des intérêts à condition qu'ils soient dus au moins pour une année entière,

Condamne la société Cordaix à payer à M.[T] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute M.[T] du surplus de ses demandes,

Condamne la société Cordaix aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-3
Numéro d'arrêt : 20/00306
Date de la décision : 12/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-12;20.00306 ?
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