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11/04/2024 | FRANCE | N°23/01260

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-4, 11 avril 2024, 23/01260


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-4



ARRET SUR RENVOI DE CASSATION



ARRÊT AU FOND

DU 11 AVRIL 2024



N°2024/















Rôle N° RG 23/01260 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BKVIN







[Z] [V]





C/



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Copie exécutoire délivrée

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Me Jean-louis SOURNY



Me Emmanuel BRANCALEONI




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DEMANDEUR SUR RENVOI DE CASSATION



Monsieur [Z] [V]

...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-4

ARRET SUR RENVOI DE CASSATION

ARRÊT AU FOND

DU 11 AVRIL 2024

N°2024/

Rôle N° RG 23/01260 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BKVIN

[Z] [V]

C/

[L] [A]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Jean-louis SOURNY

Me Emmanuel BRANCALEONI

Arrêt en date du 11 Avril 2024 prononcé sur saisine de la cour suite à l'arrêt rendu par la Cour de Cassation le 16 Novembre 2022, qui a cassé et annulé l'arrêt n° 18/11738 rendu le 5 janvier 2021 par la cour d'appel de AIX EN PROVENCE (Chambre 1-1).

DEMANDEUR SUR RENVOI DE CASSATION

Monsieur [Z] [V]

né le 25 Décembre 1964 à [Localité 4], demeurant [Adresse 3] (France)

représenté par Me Jean-louis SOURNY, avocat au barreau de NICE

DEFENDEUR SUR RENVOI DE CASSATION

Monsieur [L] [A]

né le 05 Juin 1937 à [Localité 2] (ALGERIE) (99), demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Emmanuel BRANCALEONI, avocat au barreau de NICE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 06 Février 2024 en audience publique devant la cour composée de:

Madame Inès BONAFOS, Présidente,

Mme Véronique MÖLLER, Conseillère

M. Adrian CANDAU, Conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Monsieur Achille TAMPREAU.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 11 Avril 2024.

ARRÊT

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte authentique du 17 avril 1990 la SCI ISIS, société de construction-vente, a vendu à monsieur [Y] [V] et madame [I] [T] épouse [V] aujourd'hui décédée, une maison individuelle en l'état futur d'achèvement constituant le lot 5 du plan de masse d'un ensemble immobilier à [Localité 5], devant être livré le 31 juillet 1990.

Une garantie d'achèvement avait été souscrite le 20 juillet 1989 auprès de la banque SOVAC IMMOBILIER. Cette dernière, devenue GE MONEY BANK accordait à la SCI ISIS les prêts nécessaires pour financer les constructions et assurait la garantie d'achèvement légale envers les acquéreurs.

La SCI rencontrant des difficultés pour achever l'immeuble conformément aux prescriptions du permis de construire puis financières, la société SOVAC IMMOBILIER est intervenue pour permettre la poursuite du chantier et a obtenu par ordonnance du juge des référés du 23 janvier 1991 l'organisation d'une expertise. Cette dernière était réalisée par monsieur [K] qui déposait son rapport le 21 octobre 1992 au sein duquel il indiquait que les ouvrages réalisés diffèrent des plans du permis de construire par suite de modifications importantes dans l'altimétrie ainsi que de l'implantation du gros-'uvre par rapport aux limites de la parcelle constituant le lot 5.

Les époux [V] se rapprochaient de Maître [L] [A] afin de le charger d'obtenir une indemnisation au regard du retard de livraison de la SCI ISIS ainsi qu'en raison du défaut de conformité de l'ouvrage.

Par ordonnance de référé du 16 décembre 1992, la SCI ISIS a été condamnée à verser à titre provisionnel aux époux [V] une somme de 93000francs à outre une somme de 5500francs par mois à compter de la date de l'ordonnance au titre du règlement de loyer.

Par ordonnance de référé du 07 juillet 1993 la SCI ISIS a été condamnée à achever l'immeuble conformément aux stipulations contractuelles. La SCI ISIS a terminé l'édifice, mais sur des fondations mal implantées. La déclaration d'achèvement été déposée le 23 janvier 1995.

Cette décision a été confirmée par arrêt de la Cour d'appel d'Aix en Provence du 29 juin 1994, décision elle-même confirmée par arrêt de la cour de cassation du 13 novembre 1996.

Un jugement du 23 janvier 2004 du tribunal de grande instance de Grasse a prononcé la liquidation judiciaire de la SAS ISIS.

La clôture pour insuffisance d'actif à été prononcée par jugement de ce même tribunal du 09 février 2009.

Le 12 novembre 2009, [Y] [V] et son fils, monsieur [Z] [V], en sa qualité d'ayant droit de sa mère décédée ont assigné la société SOVAC IMMOBILIER pour obtenir sa garantie.

Par arrêt du 05 juin 2014 a déclaré leur demande prescrite considérant la déclaration d'achèvement des travaux du 16 juin 1995 comme le point de départ du délai de prescription.

 Les consorts [V] ont alors assigné leur avocat, Me [A], par acte d'huissier du 06 octobre 2016 pour engager sa responsabilité civile professionnelle.

Monsieur [Y] [V] est décédé le 25 janvier 2022.

***

Procédure :

Par actes d'huissier en date du 06 octobre 2016, messieurs [Y] et [Z] [V], ont fait délivrer à Maître [L] [A] assignation d'avoir à comparaître devant le Tribunal de Grande Instance de NICE, en vue d'obtenir l'engagement de la responsabilité civile professionnelle de leur ancien avocat. 

Par jugement n°16/05415 en date du 14 juin 2018, le Tribunal de Grande Instance de NICE, a :

Vu la clôture au 6 mars 2018 ;

-          Révoqué l'ordonnance de clôture ;

-          Déclaré recevables les pièces et/ou conclusions notifiées après la clôture ;

-          Ordonné la clôture de l'instruction le 19 mars 2018 ;

-         Débouté messieurs [Y] [V] et [Z] [V] de l'intégralité de leurs demandes ;

-          Débouté Me [L] [A] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

-          Condamné in solidum monsieur [Y] [V] et monsieur [Z] [V] à payer à Me [L] [A] la somme globale de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

-          Débouté messieurs [Y] [V] et [Z] [V] de leur demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

-          Condamne in solidum messieurs [Y] [V] et [Z] [V] aux dépens ;

-          Dit que les dépens pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

-          Dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire de la présente décision

-          Rejette toutes demandes, fins ou prétentions, plus amples ou contraires.

Par déclaration d'appel en date du 12 juillet 2018, messieurs [Y] [V] et [Z] [V], ont interjeté appel du jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de NICE en date du 14 juin 2018, à l'encontre de Maître [L] [A].

Par arrêt n°18/11738 rendu en date du 05 janvier 2021 par le Cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, a :

-          Confirmé le jugement déféré en toutes ses dispositions,

y ajoutant

-          Dit que Me [A] a commis une faute en laissant prescrire l'action indemnitaire des consorts [V], mais que cette faute est dépourvue de lien de causalité avec le dommage que ces consorts ont subi,

-          Rejeté la demande reconventionnelle de Me [A] tendant à l'octroi de dommages et intérêts au titre d'un préjudice moral,

-          Condamné in solidum messieurs [Y] [V] et [Z] [V] aux dépens, et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, 

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

-          Dit n'y avoir lieu de faire application de ce texte.

 

Par pourvoi en cassation n° K21-14.629 en date du 02 avril 2021, messieurs [Y] [V] et [Z] [V] ont formé un pourvoi en cassation à l'encontre de l'arrêt n°18/11738 rendu en date du 05 janvier 2021 par la Cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE dont il est fait grief de dire que la faute commise par Me [A], pour avoir laissé prescrire leur action indemnitaire, est dépourvue de lien de causalité avec le préjudice évoqué par messieurs [Y] [V] et [Z] [V].  

Par arrêt n°782F-D en date du 16 novembre 2022, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation:

-          CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la faute commise par M. [A], pour avoir laissé prescrire l'action indemnitaire de [Y] [V] et de [Z] [V], est dépourvue de lien de causalité avec le dommage subi par eux et rejette leurs demandes, l'arrêt rendu le 5 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

-          Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état ou elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

-          Condamne M. [A] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [A] et le condamne à payer à M. [Z] [V] la somme de 3 000 euros ;

-          Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé.

Par déclaration de saisine après renvoi de cassation n° RG 23/011260 en date du 18 janvier 2023, messieurs [Y] [V] et [Z] [V] ont saisi la Cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, suite à la cassation partielle de l'arrêt rendu par la Cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE en date du 05 janvier 2022, à l'encontre de Me [A], en ce qu'il a :

-          Débouté monsieur [Y] [V] et monsieur [Z] [V] de l'ensemble de leurs demandes ayant pour objet de voir monsieur [L] [A] s'entendre condamner à leur payer la somme de 520.000 euros en réparation du préjudice subi pour manquement à son devoir de diligences et à son devoir de conseil, ainsi que la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles et les entiers dépens ;

-          Condamné in solidum monsieur [Y] [V] et monsieur [Z] [V] à payer à monsieur [L] [A] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi que les entiers dépens.

 

Par ordonnance de jonction n°2023/M205, en date du 21 septembre 2023, l'instance N° RG 23/01281 a été jointe à l'instance N°RG 23/1260

L'affaire a été fixée à bref délai par avis de fixation en date du 22 septembre 2023

L'intimé a constitué avocat le 30 janvier 2023

***

Les parties ont exposé leur demande ainsi qu'il suit, étant rappelé qu'au visa de l'article 455 du code de procédure civile, l'arrêt doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens :

Monsieur [Y] [V] et monsieur [Z] [V] par conclusions d'appelant déposées et notifiées par RPVA le 16 mars 2023, demandent à la Cour :

Vu l'article R 261-1 du Code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction applicable en l'espèce, ensemble l'article 1382 du Code civil, dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Vu l'arrêt rendu le 5 janvier 2021 par la Cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE (RG 18/11738 ' minute 2021/17) ;

Vu l'arrêt de cassation partielle rendu le 16 novembre 2022 par la Cour de cassation (pourvoi n° K 21-14629 ' arrêt n°782 F-D) ;

-          CONDAMNER Maître [L] [A] à payer à monsieur [Z] [V] la somme de 520.000 euros en réparation du préjudice subi avec intérêts de droit.

-          CONDAMNER Maître [L] [A] à payer à monsieur [Z] [V] la somme de 7.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens. 

 

Monsieur [Y] [V] et monsieur [Z] [V] considèrent que le lien de causalité entre la faute commise par Me [A] et le préjudice subi est caractérisé par la non-action de leur ancien avocat à l'encontre de la banque SOVAC IMMOBILIER, action actuellement prescrite. Les appelants font valoir que la Cour d'appel a fait une mauvaise appréciation du litige en considérant, au visa de l'article R.261-1 du Code de la construction et de l'habitation, que les non-conformités au permis de construire consacrées dans le rapport d'expertise de monsieur [K], n'étaient pas opposables à la SOVAC IMMOBILIER en sa qualité de garant financier. En effet, monsieur [Y] [V] et monsieur [Z] [V] font valoir que l'article R.261-1 du Code de la construction et de l'habitation oblige le vendeur mais également le garant qui doit le financement des travaux conformes au permis de construire, à hauteur du coût réel de la construction.  

Monsieur [Y] [V] et monsieur [Z] [V] estiment que le montant de leur préjudice se compose d'une dépréciation de leur bien immobilier à hauteur de 220.000 euros et d'un trouble de jouissance estimé à 300.000 euros. Ce dernier montant se fonde sur l'hypothèse au terme de laquelle, si Me [A] avait engagé une action à l'encontre de la SOVAC IMMOBILIER, le bien aurait pu être livré conforme dès 1996. Les appelants estiment le préjudice de jouissance à 20 années et considèrent que la valeur locative théorique de ce bien est de 1.250 euros par mois. Ils estiment que le préjudice total s'élève à 520.000 euros.

***

Maître [L] [A] par conclusions d'intimé déposées et notifiées par RPVA le 13 juin 2023, demandent à la Cour :

Vu les articles 1147 ancien et 1231-1 et suivants du Code Civil ;

Vu le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de NICE le 14 juin 2018 ;

Vu les pièces versées au débat ;

-          CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a débouté [Z] [V] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions au titre de la responsabilité civile professionnelle de Me [A] ;

-          DEBOUTER M. [Z] [V] de l'ensemble de ses demandes.

-          REFORMER LE JUGEMENT EN CE QU'IL A DEBOUTE Me [A] DE SA DEMANDE DE DOMMAGES ET INTERÊTS ET SATUANT A NOUVEAU :

-          CONDAMNER [Z] [V] à verser à Maître [A] la somme de 3000 Euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

-          CONDAMNER [Z] [V] à la somme de 5000 Euros sur le fondement de l'article 700 du CPC outre les entiers dépens dont distraction au profit de Me BRANCALEONI.

Me [A] ne conteste pas la faute caractérisée à son encontre par la cour d'appel dans son arrêt du 05 janvier 2021 non censuré sur ce point par la Cour de cassation ; il fait valoir qu'au regard du prix stipulé dans l'acte de vente conclu le 17 avril 1990, le bien immobilier devait être acquis par les époux [V] pour un montant de 218.002 euros sur lesquels ils n'ont payé, en réalité, que 92.763,85 euros. Monsieur [V] effectue un calcul non contradictoire de la moins-value du bien dont il réclame paiement par référence à une valeur estimée à 500000€ dont il déduit un prix de vente de 280 000€ motif pris de la perte de valeur liée à la non-conformité du bien aux dispositions du contrat et au permis de construire alors qu'il ne semble pas que cette non-conformité au PC aujourd'hui prescrite aient eu une quelconque conséquence.

En outre l'intimé liste à ce titre, de nombreuses décisions de justice aux bénéfices des monsieur [Y] [V] et monsieur [Z] [V] ayant permis la baisse de ce prix. Me [A] considère le montant de l'évaluation faite par les appelants est purement déclarative et non-établie.

S'agissant du préjudice de jouissance l'intimé considère qu'il n'est en réalité qu'une perte de chance et que celle-ci ne saurait remonter au-delà des cinq dernières années. En outre, Me [A], évoque un arrêt (Cass.civ.1ère 21 novembre 2006) qui a consacré que pour être réparable, la perte de chance doit être « actuelle et certaine », ce qui conforte la non réparation intégrale de la perte de chance applicable au cas d'espèce.

***

L'affaire a été fixée à l'audience du 06 février 2023.

 

MOTIVATION

Sur le fond :

Dans le litige opposant la SCI ISIS  aux époux [V] , par arrêt en date du 13 novembre 1996, la Cour de cassation a rejeté un pourvoi exercé par la SCI ISIS à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel d'Aix en Provence rendu le 29 juin 1994 ayant retenu   que les dispositions du PC n'ayant pas été respectées , la SCI ISIS était défaillante dans son obligation de livrer une villa conforme au PC et qu'il ne serait possible d'y remédier qu'en ordonnant la démolition de l'infrastructure déjà édifiée et la reconstruction de l'immeuble à son emplacement normal, les époux [V] étant en droit d'exiger cette mise en conformité et ayant par là-même écartée les difficultés alléguées par le promoteur faisant obstacle à l'exécution de l'obligation de livrer la villa.

Suite à l'assignation par monsieur [Y] [V] et monsieur [Z] [V], en sa qualité d'ayant droit de sa mère décédée, de la société SOVAC IMMOBILIER devant le TGI de Grasse le 12 novembre 2009, pour obtenir sa garantie, par arrêt du 05 juin 2014 la cour d'appel d'Aix en Provence a déclaré la demande des époux [V] prescrite considérant la déclaration d'achèvement des travaux du 16 juin 1995 comme le point de départ du délai de prescription.

Dans le présent litige, par arrêt en date du 16 novembre 2022 , la Cour de cassation a jugé au visa des articles R261-1  et R261-21 du code de la construction et de l'habitation dans sa version applicable au litige  que l'immeuble n'étant pas achevé lorsque subsistent des défauts de conformité présentant un caractère substantiel , la cour ne pouvait dire que la faute commise par maître [A] en laissant prescrire l'action indemnitaire des consorts [V] contre la société SOVAC , garant financier de l'achèvement, était dépourvue de lien de causalité avec les dommages subis correspondant à la reprise de défaut de conformité ou de malfaçons ne rendant pas les ouvrages impropres à leurs destinations .

La cour considère ainsi que le préjudice dont il est demandé réparation par les consorts [V] est en lien avec le défaut fautif de maître [A] de mise en 'uvre en temps utile d'une action contre le garant financier de l'achèvement de l'opération.

Le lien entre la faute reprochée à Me [A] et le défaut d'implantation de la villa conformément au permis de construire initial n'est ainsi plus contestable.

S'agissant du préjudice dont il est demandé réparation, il convient d'évaluer les chances de succès de l'action non exercée par le Conseil en temps utile et ensuite le préjudice réellement causé du fait de cette défaillance à la date à laquelle la Cour statue.

Au regard des arrêts de la cour de cassation  en date du 13 novembre 1996 et en date du 16 novembre 2022 précités, la probabilité d'obtenir gain de cause dans le litige les opposant au garant financier de l'opération est très importante dès lors que la haute cour retient que le défaut d'implantation de la villa conformément au permis de construire est un inachèvement et que sa sanction doit être la démolition et la reconstruction de la villa constituant le lot 5 du plan de masse de l'ensemble immobilier.

En ce qui concerne l'évaluation du préjudice, Les consorts [V] demandent l'indemnisation d'une part de la perte de valeur du bien à hauteur de 220.000€ et d'autre part du préjudice de jouissance à hauteur de 300.000 €.

Me [A] fait valoir que dans le cadre de la défense des intérêts des consorts [V], il leur a permis de percevoir des indemnisations importantes.

Toutefois, le fait que Me [A] ait pu défendre les consorts [V] au mieux de leurs intérêts dans le cadre d'autres procédures est sans incidence sur la constitution de la faute dont il est demandé réparation.

Le prix d'acquisition du bien par les époux [V] est au 31/07/1990 de 1 430 000francs soit 218 002€.

Le bien a été vendu le 29 juin 2017 soit 27 ans plus tard moyennant un prix de 280 000 euros soit une différence prix positive de 61 998€ représentant +28% du prix d'achat.

A titre d'élément de comparaison, il verse aux débats une offre de vente d'une villa à [Localité 5] entièrement rénovée dans un lotissement de 8 maisons avec jardin privatif arboré de 1500m² et une vue sur mer alors que le terrain acquis a une surface de 635m² et la maison 129m².

Les biens ne sont ainsi pas de la même catégorie et une seule offre de vente qui n'est au surplus pas une vente ne peut être retenu à titre de référence.

Les consorts [V] ne produisent pas l'acte de vente mais une simple attestation notariée ne mentionnant ni l'état du bien, ni les données fiscales relatives à la plus-value ni les conditions dans lesquelles il a été pris en compte une perte de la valeur du bien alors qu'à la date de la vente du bien comme à ce jour la conformité des constructions aux autorisations administratives a perdu de son intérêt en termes de préjudice au regard des délai de prescription des poursuites et de l'absence de justification de suites données dans le cadre de l'infraction constatée en 2003.

Ils ne produisent pas davantage d'estimation du bien par un professionnel de l'immobilier réalisée dans le cadre de cette vente, attestant de l'état de rénovation du bien édifié depuis 20ans comme l'élément de comparaison et de nature à justifier une perte de valeur ayant pour origine son implantation.

Les pièces susvisées ne sont manifestement pas de nature à démontrer concrètement la perte de valeur du bien à hauteur de 220 000€   dont les consorts [V] se prévalent du fait de la modification de l'implantation de la villa.

De même monsieur [V] ne produit aucune pièce pour établir un préjudice de jouissance à hauteur de  300 000 euros sur vingt ans et notamment de la valeur locative retenue alors qu'il taisant sur les sommes perçues du fait de l'attribution par le juge des référés  d'indemnités correspondantes  à des loyers  , qu'il n'est pas rapporté la preuve qu'à compter de l'achèvement de l'ouvrage, le défaut d'implantation du bien a occasionné un trouble à son habitabilité de nature à faire obstacle à son utilisation conformément à sa destination de logement soit dans le cadre de baux soit par ses propriétaires.

Le caractère non justifié des évaluations du préjudice des consorts [V] résultant de la faute de leur conseil est confirmé par les expertises de monsieur [K] et monsieur [D].

Monsieur [K] a déposé son rapport le 21 octobre 1992

Il constate que les plans d'exécution mentionnent une surface hors d''uvre (shon) de 136,1 au lieu de 129 au permis de construire au PC, qu'à cette date seul a été réalisée le gros 'uvre de l'infrastructure de la villa. Les travaux ne sont pas atteints de désordres autres que la non-conformité de l'implantation.

Sur ce point, cet expert indique que la villa a été édifiée à une cote plus basse de 189,5 NGF au lieu de 192,5 NGF soit une cote plus basse d'environ 3 mètres à celle qui était initialement prévue et rapprochée de la voie d'accès.

Il s'agit d'une inadaptation des constructions au terrain constitutive d'une erreur de conception qui concerne l'ensemble de l'opération et a entraîné un surcoût important.

L'expert concluait à la démolition et a la reconstruction avec un remblaiement de 3mètres.

Monsieur [D], expert désigné par ordonnances des 29/03/1995 et 04/07/1996 qui a réalisé un rapport en date du 31 mars 1999 soit postérieurement à la déclaration d'achèvement nuance les conclusions de l'expert monsieur [K].

Si l'on se réfère au compte rendu du procès-verbal d'infraction aux règles d'urbanisme dressé le 28/04/2003, le rapport ne fait aucune observation sur le lot des époux [V] non occupé à la différence d'autres lots et des parties communes dont la réalisation d'une piscine et d'aménagements des abords. 

Il indique, en ce qui concerne la villa 5, que l'estimation de la différence de la cote réelle d'implantation plus basse de 3 mètres que celle initialement prévue doit être nuancée compte tenu de la difficulté de déterminer le niveau naturel du terrain non sérieusement renseigné sur les documents techniques de l'opération et du dossier de permis de construire après la réalisation des travaux d'aménagement du terrain.

Il précise que la villa a été implantée à une cote raisonnable par rapport à celle de la voie d'accès, que la hauteur de 7 mètres de l'égout du toit a été respectée mais qu'il persiste une différence de cote d'implantation de la villa avec les pièces contractuelles.

Il précise que le respect des prescriptions contractuelles d'implantation dont se prévalent les époux [V] aurait supposé une augmentation du soutènement de la voie d'accès non prévue au permis de construire dont l'acceptation n'est pas acquise et aurait eu pour conséquence une dénivellation très importante du bien par rapport à la voie d'accès.

Il ajoute que les époux [V] ont accepté d'enlever toute valeur à l'indication terrain naturel si était construit à la place d'un balcon un mur de soutènement permettant d'être de plain-pied avec un jardin sur tout le pourtour de la villa supposant également de solliciter une demande de permis de construire.

Ainsi, les deux hypothèses de régularisation supposaient une modification du permis de construire.

L'hypothèse où l'on estime que la livraison d'un jardin en façade en aval est exigible conformément aux pièces contractuelles et aux désidératas des acquéreurs manifestés lors de l'expertise, suppose que ce jardin ne peut dépasser une largeur de 2 mètres au regard du profil du terrain, de démolir le balcon, de modifier les réseaux d'évacuation soit des travaux pour un montant de 370 000 francs HT.

A la date de la vente du bien comme à ce jour, le risque administratif en raison de la violation de la règle d'urbanisme est quasi inexistant compte tenu de l'ancienneté des travaux dont la déclaration d'achèvement est en date du 23 janvier 1995 et l'infraction constatée en avril 2003 dont on ignore l'issue de la procédure n'a pas d'incidence sur le litige puisqu'il s'agit d'un dépassement de SHON, de SHOB et de surface construite ne concernant pas le lot [V].

Par voie de conséquence, la cour qui ne peut refuser d'évaluer le montant d'un dommage dont elle a constaté l'existence en son principe malgré l'insuffisance des pièces produites à l'appui de sa demande par monsieur [V],se réfèrera à l'expertise de monsieur [D] et il sera alloué la somme de 45124,91 € , somme correspondant à 80% du coût des travaux de reprise acceptés par les époux [V] lors de l'expertise, paraissant en cohérence avec l'incidence modérée de la non-conformité de l'implantation de la construction notamment sur son habitabilité conformément à sa destination et la quasi-certitude de gagner le procès compte tenu de l'arrêt de la cour de cassation précité.  

Au regard de l'ancienneté du litige et du principe d'indemnisation de l'intégralité du préjudice, cette somme doit être indexée sur l'indice BT O1 à compter du 31/03/1999 (ou l'indice précédent équivalent antérieurement à la publication du BT01) et jusqu'au jour du paiement.

Maître [A] demande à ce que l'indemnisation du préjudice soit diminué en considération du défaut de paiement de l'intégralité du prix d'acquisition du bien par les consorts [V].

Le défaut de paiement de l'intégralité du prix d'acquisition du bien par les époux [V] aurait eu une incidence dans le cadre d'une instance entre les opposants à la SCI ISIS ou au garant financier de l'achèvement de l'ouvrage mais est sans lien avec l'action en responsabilité dirigée contre leur conseil.

Sur les autres demandes :

Sa faute étant caractérisée et le préjudice qui en résulte établi et évalué, la demande de dommages intérêts de maître [A] doit être rejetée ;

En effet la demande réparation du préjudice résultant de cette faute ne constitue pas un exercice abusif d'une voie de droit source d'un préjudice moral réparable.

Le jugement de première instance étant essentiellement infirmé, il y a lieu d'infirmer également ses dispositions au titre des dépens et de l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Partie perdante, monsieur [A] sera ainsi condamné aux dépens de première instance et d'appel.

L'équité commande en outre d'allouer à monsieur [Z] [V] la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe

Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Nice en date du 14 juin 2018 en ce qu'il a débouté Me [L] [A] de sa demande de dommages intérêts en réparation du préjudice moral occasionné par la mise en cause de sa responsabilité professionnelle.

 Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Nice en date du 14 juin 2018 en ce qu'il a :

-Débouté messieurs [Y] [V] et [Z] [V] de l'intégralité de leurs demandes ;

-Condamné in solidum monsieur [Y] [V] et monsieur [Z] [V] à payer à Me [L] [A] la somme globale de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

-Débouté messieurs [Y] [V] et [Z] [V] de leur demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

-Condamne in solidum messieurs [Y] [V] et [Z] [V] aux dépens.

Statuant à nouveau,

Condamne Maître [L] [A] à payer à monsieur [Z] [V] en qualité d'héritier de ses parents, monsieur [Y] [V] et madame [I] [T] épouse [V], la somme de 45124,91 euros indexée sur l'indice BT O1 à compter du 31/03/1999 (ou l'indice précédent équivalent antérieurement à la publication du BT01) et jusqu'au jour du paiement.

Y ajoutant,

Condamne Me [L] [A] à payer à monsieur [Z] [V] en qualité d'héritier de ses parents monsieur [Y] [V] et madame [I] [T] épouse [V] la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne Me [L] [A] à payer les dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit des avocats en ayant fait l'avance.

Prononcé par mise à disposition au greffe le 11 Avril 2024.

Signé par Madame Inès BONAFOS, Présidente et Madame Patricia CARTHIEUX, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, La Présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-4
Numéro d'arrêt : 23/01260
Date de la décision : 11/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 17/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-11;23.01260 ?
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