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04/04/2024 | FRANCE | N°23/04404

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-2, 04 avril 2024, 23/04404


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-2



ARRÊT

DU 04 AVRIL 2024



N°2024/231













Rôle N° RG 23/04404 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BLAQW







[C] [U]





C/



Etablissement Public ETAT SERVICE DES DOMAINES

L'ETAT FRANCAIS

Etablissement Public MUSEE DE L'HISTOIRE DE [Localité 5]





































C

opie exécutoire délivrée le :

à :



Me Joseph MAGNAN



Me Cédric-Aurélien BUREL





Décision déférée à la Cour :



Ordonnance de référé rendue par Monsieur le Président du TJ de MARSEILLE en date du 03 Mars 2023 enregistrée au répertoire général sous le n° 22/04866.





APPELANT



Monsieur [C] [U]

né...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-2

ARRÊT

DU 04 AVRIL 2024

N°2024/231

Rôle N° RG 23/04404 - N° Portalis DBVB-V-B7H-BLAQW

[C] [U]

C/

Etablissement Public ETAT SERVICE DES DOMAINES

L'ETAT FRANCAIS

Etablissement Public MUSEE DE L'HISTOIRE DE [Localité 5]

Copie exécutoire délivrée le :

à :

Me Joseph MAGNAN

Me Cédric-Aurélien BUREL

Décision déférée à la Cour :

Ordonnance de référé rendue par Monsieur le Président du TJ de MARSEILLE en date du 03 Mars 2023 enregistrée au répertoire général sous le n° 22/04866.

APPELANT

Monsieur [C] [U]

né le 09 Octobre 1948 à [Localité 4],

demeurant [Adresse 3] - SUISSE

représenté par Me Joseph MAGNAN de la SCP PAUL ET JOSEPH MAGNAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Anaïs KORSIA, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,

assisté par Me Nicolas MONNOT de la SELARL GASTAUD LELLOUCHE HANOUNE MONNOT, avocat au barreau de PARIS, plaidant

INTIMES

Etablissement Public ETAT SERVICE DES DOMAINES,

dont le siège social est [Adresse 1]

représenté par Me Romain ALLONGUE, avocat au barreau de MARSEILLE

assisté par Me Cédric-Aurélien BUREL de la SELARL D4 Avocats Associés, avocat au barreau de PARIS, plaidant

Etablissement Public MUSEE DE L'HISTOIRE DE [Localité 5]

pris en la personne de son Directeur en exercice domicilié en cette qualité audit siège, [Adresse 2]

défaillante

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Février 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Gilles PACAUD, Président, et Mme Angélique NETO, Conseillère, chargée du rapport.

Mme Angélique NETO, Conseillère, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

M. Gilles PACAUD, Président

Mme Sophie LEYDIER, Présidente

Mme Angélique NETO, Conseillère

Greffier lors des débats : Mme Caroline VAN-HULST.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 Avril 2024.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 Avril 2024,

Signé par Mme Sophie LEYDIER, Conseillère pour le président empêché et Mme Caroline VAN-HULST, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

M. [H] [U], domicilié en Suisse, a prêté au musée d'histoire de [Localité 5], dans le cadre d'une exposition se terminant le 3 juillet 2022, la sculpture Mademoiselle Rachel chantant la Marseillaise.

Considérant être propriétaire de celle-ci comme relevant de son domaine public, l'Etat a souhaité procéder à sa revendication.

Avant cela, il a demandé au président du tribunal judiciaire de Marseille, par requête en date du 22 juin 2022, que soit ordonné le séquestre de cette sculpture.

Par ordonnance sur requête en date du 23 juin 2022, le séquestre judiciaire de celle-ci a été ordonnée et confié, à titre gratuit, au musée d'histoire de [Localité 5].

Contestant cette décision, M. [U] a, par acte d'huissier en date du 5 octobre 2022, fait assigner l'Etat, agissant au nom et pour le compte de l'administration chargée du domaine, direction générale des finances publiques, et le musée d'histoire de [Localité 5], devant le président du tribunal judiciaire de Marseille aux fins d'obtenir sa rétractation.

Par ordonnance en date du 3 mars 2023, ce magistrat a :

- débouté M. [U] de l'intégralité de ses demandes, tant principales que subsidiaires, en rétraction de l'ordonnance rendue le 23 juin 2022 par le président du tribunal judiciaire de Marseille à la requête de l'Etat ;

- dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. [U] aux dépens.

Il a rejeté la demande de voir annuler la requête au motif que cette dernière avait été déposée par le service des domaines, qui a seul qualité pour poursuivre les biens de l'Etat, en application des articles R 2331-1 et R 2331-2 du code général de la propriété des personnes publiques.

Sur le fond, il a rejeté la demande de rétractation au motif que l'ordonnance sur requête étant de plein droit exécutoire par application de l'article 495 du code de procédure civile sans qu'il soit nécessaire qu'elle ait été préalablement notifiée, qu'il était urgent pour l'Etat de solliciter le séquestre au regard du risque pour la statue de quitter le territoire français, à la fin de l'exposition prévue le 3 juillet 2022, du fait de la domiciliation de M. [U] en Suisse qui en revendiquait également la propriété.

Suivant déclaration transmise au greffe le 24 mars 2023, M. [U] a interjeté appel de cette décision aux fins d'annulation ou de réformation.

Aux termes de ses dernières écritures transmises le 29 janvier 2024, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des moyens et prétentions, il demande à la cour d'infirmer l'ordonnance entreprise et statuant à nouveau de :

à titre principal,

- le déclarer recevable et bien fondé en son exception de nullité ;

- prononcer la nullité de la requête présentée par l'Etat au président du tribunal judiciaire le 22 juin 2022 ;

- la déclarer nulle et de nul effet ;

- rétracter en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ;

à titre subsidiaire,

- le déclarer recevable et bien fondé en ses demandes ;

- rétracter en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ;

en tout état de cause,

- ordonner au musée de l'histoire de [Localité 5], pris en la personne de son directeur, de lui restituer la sculpture Rachel chantant la Marseillaise ;

- débouter l'Etat français et le musée de l'histoire de [Localité 5] de toutes leurs demandes ;

- le condamner à lui verser la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- le condamner aux dépens de première instance et d'appel.

Concernant la nullité de la requête au visa de l'article 117 du code de procédure civile, il expose que seul l'Etat, représenté par le service des domaines, avait le pouvoir d'agir en justice, en application des articles R 2331-1 et R 2331-2 du code général de la propriété des personnes publiques, de sorte qu'il ne pouvait être représenté par le service des domaines, assisté du centre national des arts plastiques (CNAP).

Concernant sa demande de rétractation, il se prévaut tout d'abord de l'absence de notification préalable à l'exécution de l'ordonnance en méconnaissance des articles 495 et 503 du code de procédure civile et du principe du contradictoire. Il affirme qu'en matière d'ordonnances sur requête, l'exécution de la mesure prévue par l'ordonnance ne peut intervenir qu'une fois que la personne qui se la voit opposer a effectivement eu une copie de la requête et de l'ordonnance, c'est-à-dire à compter du jour où l'autorité de l'Etat requis a effectivement remis l'acte notifié selon les formes prescrites. Il souligne que l'ordonnance sur requête, en date du 23 juin 2022, lui a été notifiée le 11 juillet 2022, soit après que la mesure de séquestre ait été mis à exécution le 4 juillet 2022, et ce, alors même qu'il est la personne à qui l'Etat entend opposer l'ordonnance litigieuse dès lors qu'il s'agissait de placer sous séquestre une statue lui appartenant et qu'il avait prêtée. Il relève que la notification qui a été faite a posteriori n'est aucunement justifiée.

Ensuite, il relève qu'il n'y avait aucune urgence, ni aucune nécessité de déroger au principe du contradictoire, pour ordonner le séquestre. Il expose qu'il avait été informé, deux mois avant la requête, de l'intention de l'Etat de se voir restituer la sculpture, de sorte que ce dernier pouvait solliciter une mesure de séquestre, dès le 25 avril 2022, par la voie du référé d'heure à heure, selon une procédure contradictoire. De plus, il soutient que la requête ne comporte aucun développement expliquant concrètement les raisons pour lesquelles il était impossible de procéder autrement que par surprise, sachant qu'il avait déjà été informé de l'intention de l'Etat de se voir remettre la sculpture et que la statue n'avait pas pour autant quitter le territoire français. Il insiste sur le fait que les circonstances susceptibles de motiver une dérogation au principe de la contradiction doivent résulter de l'ordonnance sur requête elle-même et ne peuvent pas se justifier a posteriori lors de l'examen de la demande en rétractation.

Enfin, il indique, qu'en application de l'article 1961 du code civil, le séquestre d'une chose mobilière peut être ordonnée dès lors que la propriété ou la possession est litigieuse entre deux ou plusieurs personnes. Il expose avoir acquis la statue le 6 septembre 2003 auprès de la galerie Martin du Louvre, sachant que la deuxième statue similaire, réalisée par Carrier-Belleuse le 22 juin 1848, a intégré le mobilier du ministère de l'intérieur en 1848 avant d'être dérobée le 10 décembre 2008. Il indique avoir prêté à plusieurs reprises, depuis 2004, sa statue aux différents musées français à l'occasion d'expositions temporaires, sans que cela ne pose la moindre difficulté, jusqu'à ce que le centre national des arts plastiques (CNAP) lui a indiqué, par courrier du 25 avril 2022, que la sculpture, entreposée au musée d'histoire naturelle de [Localité 5], faisait partie du domaine public de l'Etat et qu'il souhaitait se la voir restituer.

Concernant la nullité de l'ordonnance dont appel, il expose que le premier juge n'a pas répondu à l'ensemble de ses moyens, et notamment au dernier moyen susvisé selon lequel la mesure de séquestre ordonnée n'était pas justifiée dans la mesure où il ne pouvait exister de litige sérieux quant à la propriété ou la possession de la statue au sens de l'article 1961 du code civil, ce qui constitue un défaut de motif, en application des articles 455 et 458 du code de procédure civile, que la cour peut relever d'office.

Aux termes de ses dernières écritures transmises le 21 juillet 2023, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des moyens et prétentions, l'Etat, agissant au nom et pour le compte de l'administration chargée du domaine, direction générale des finances publiques, demande à la cour de :

- confirmer l'ordonnance entreprise ;

- débouter l'appelant de ses demandes ;

- condamner l'appelant à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- le condamner aux dépens de première instance et d'appel.

Concernant la nullité de la requête, il se prévaut des articles R 2331-1 et R 2331-2 du code général de la propriété des personnes publiques pour soutenir que l'administration, chargée des domaines, a seule qualité pour suivre les instances intéressant les biens de l'Etat. Il relève que le fait que le service des domaines soit assisté du CNAP vient justifier du sérieux de la requête, à savoir que le requérant s'est fait assister dans la procédure par l'établissement public administratif qui a la garde des 'uvres constituant le domaine public de l'Etat.

Concernant la demande de rétractation, il affirme que l'ordonnance a été signifiée, le 28 juin et 11 juillet 2022, soit préalablement à l'exécution de la mesure, en date du 12 juillet 2022, date à laquelle la restitution de la statue a été programmée. De plus, il relève que l'ordonnance était exécutoire au seul vu de la minute en application de l'article 495 du code de procédure civile. Enfin, il souligne que l'ordonnance a bien été opposée, par acte d'huissier en date du 29 juin 2022, au musée d'histoire de [Localité 5], soit au séquestre judiciaire qui a été désigné, à qui il a été interdit de restituer la statue à M. [U], ce dernier n'étant qu'un tiers.

Ensuite, il insiste sur l'urgence de la situation étant donné que M. [U] n'a jamais fait savoir ses intentions après que le CNAP se soit rapproché de lui le 25 avril 2022 et qu'il était primordial que l''uvre reste en France pour que les juridictions françaises conservent leur compétence.

Enfin, il relève que l'appelant reconnait lui-même que la propriété de la statue présente un caractère litigieux dès lors que deux propriétaires potentiels en revendiquent la propriété, de sorte que le séquestre est justifié en application de l'article 1961 du code civil. Il souligne qu'il appartiendra à la juridiction du fond de trancher ce litige.

Bien que régulièrement intimé, par la signification de la déclaration d'appel les 7 avril et 24 juillet 2023, le musée d'histoire de [Localité 5] n'a pas constitué avocat.

L'affaire a été clôturée suivant ordonnance en date du 12 février 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande d'annulation de l'ordonnance entreprise

Alors même que l'appelant sollicite, dans le corps de ses écritures, l'annulation de l'ordonnance entreprise pour défaut de motif, en application des articles 455 et 458 du code de procédure d'office, conformément à la déclaration d'appel qui tend à l'annulation ou la réformation de l'ordonnance entreprise, il ne forme qu'une demande expresse d'infirmation dans le dispositif de ses conclusions.

Or, il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que lorsque l'appelant ne demande pas, dans le dispositif de ses conclusions, l'annulation ou la réformation de la décision entreprise, la cour ne peut que la confirmer.

En l'occurrence, dès lors qu'une demande expresse d'infirmation de l'ordonnance entreprise résulte du dispositif, il n'y a pas lieu de confirmer, d'emblée, l'ordonnance entreprise.

En revanche, en application de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.

En l'absence de prétentions formulées dans le dispositif portant sur l'annulation de l'ordonnance entreprise, la cour n'a pas à se prononcer sur une telle demande.

Sur la demande d'annulation de la requête pour irrégularité de fond

En application de l'article 117 du code de procédure civile, constituent des irrégularités de fond affectant la validité de l'acte le défaut de pouvoir d'une partie ou d'une personne figurant au procès comme représentant d'une personne morale.

Il résulte des articles R 2331-1 et R 2331-2 du code général de la propriété des personnes publiques que l'administration, chargée des domaines, a seule qualité pour suivre les instances intéressant les biens de l'Etat, et en particulier lorsque le litige porte sur le droit de propriété de l'Etat ou tous autres droits réels dont peuvent faire l'objet les biens mobiliers et immobiliers du domaine de l'Etat, l'étendue ou les conditions d'exercice de ces droits.

En l'espèce, la requête, en date du 22 juin 2022, émane de l'Etat, représenté par le service des domaines, direction générale des finances publiques, assisté du Centre National des Arts Plastiques (CNAP), ayant pour avocat postulant Me Allogue et pour avocat plaidant le cabinet D4 Avocats Associés.

Il en résulte que la requête a bien été déposée par le service des domaines de la direction générale des finances publiques, lequel est chargé, légalement, de représenter l'Etat dans des instances intéressant ses biens.

Le fait pour l'Etat, valablement représenté, d'être assisté du CNAP n'enlève rien à la régularité de la requête.

Si le premier juge a rejeté, dans le corps de sa décision, la demande de M. [U] tendant à l'annulation de la requête pour irrégularité de fond, il n'a pas repris cette prétention dans le dispositif.

Il y a donc lieu d'ajouter à l'ordonnance entreprise en rejetant cette demande.

Sur la demande de rétractation de l'ordonnance sur requête du 23 juin 2022

Il résulte de l'article 493 du code de procédure civile que l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse.

L'article 495 du même code énonce que l'ordonnance sur requête est motivée. Elle est exécutoire au seul vu de la minute. Copie de la requête et de l'ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée.

L'article 496 alinéa 2 du même code énonce que, s'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance.

Il ressort de l'article 497 du même code que le juge a la faculté de modifier ou de rétracter son ordonnance, même si le juge du fond est saisi de l'affaire.

Il est admis que le juge saisi d'une demande de rétractation d'une ordonnance sur requête ayant ordonné une mesure probatoire doit s'assurer de l'existence d'un motif légitime au jour du dépôt de la requête initiale à ordonner la mesure sollicitée ainsi que de sa nature légalement admissible.

Il reste que la régularité de la saisine du juge des requêtes et de la remise préalable de la requête et de l'ordonnance étant des conditions préalables à l'examen du bien-fondé de la mesure probatoire sollicitée, il convient, avant de statuer sur la validité de la mesure sollicitée et sur son contenu, de s'assurer, d'une part, qu'une copie de la requête et de l'ordonnance y faisant droit a été remis préalablement aux personnes concernées et, d'autre part, que la requête ou l'ordonnance qui y a fait droit a justifié de manière circonstanciée qu'il soit dérogé au principe de la contradiction.

Sur la régularité de la remise préalable de la requête et l'ordonnance

Il résulte de l'alinéa 3 de l'article 495 alinéa 2 du code de procédure civile que l'ordonnance sur requête est exécutoire au seul vu de la minute et de l'alinéa 2 qu'une copie de la requête et de l'ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée.

Il est constant que ces dispositions ne s'appliquent qu'à la personne qui supporte l'exécution de la mesure, qu'elle soit ou non défendeur potentiel au procès envisagé.

Seule l'ordonnance sur requête permet d'identifier la personne qui doit supporter la mesure d'instruction ordonnée.

En l'espèce, il résulte des pièces de la procédure qu'une copie de la requête et de l'ordonnance, en date du 23 juin 2022, a été signifiée, par acte d'huissier en date du 29 juin 2022, au Musée d'histoire de [Localité 5].

De plus, en application de l'article 684 du code de procédure civile, la copie de la requête et de l'ordonnance a été transmis, par acte d'huissier en date du 28 juin 2022, à l'autorité compétente de l'Etat de destination de l'acte, à savoir le tribunal de première instance de Genève. Il apparaît que cet acte a été remis à M. [U] le 11 juillet 2022.

Dès lors que l'exposition pour laquelle la statue litigieuse a été prêtée a pris fin le 3 juillet 2022, la mesure de séquestre a, de toute évidence, été exécutée avant que M. [U] ne reçoive une copie de la requête et de l'ordonnance.

Or, contrairement à ce que le premier juge a estimé, le fait que l'ordonnance sur requête soit exécutoire immédiatement au seul vu de la minute, c'est-à-dire sur simple présentation de l'ordonnance, tant qu'elle n'a pas été rétractée, de sorte qu'aucune notification ou signification préalable de la décision à celui contre lequel l'exécution est poursuivie n'est requise préalablement à son exécution, ne dispense pas celui qui exécute la mesure de son obligation de laisser, sous peine de nullité, une copie de la requête et de l'ordonnance à la personne à laquelle elle est opposée. La remise a lieu en principe immédiatement au début des opérations d'exécution de la mesure, sauf si le juge a expressément prévu qu'elle n'aura lieu qu'à l'issue de celles-ci, ce qui ne résulte pas de l'ordonnance sur requête.

Il reste que si M. [U] est sans nul doute la personne défenderesse au procès envisagé par l'Etat, qui entend revendiquer la propriété de la statue qu'il détient, il n'en demeure pas moins que la personne qui doit supporter l'exécution de la mesure ordonnée par le juge des requêtes n'est autre que le séquestre qui a été désigné, à savoir le Musée d'histoire de [Localité 5], à qui il a été demandé de collaborer à la mesure.

Il s'ensuit que la preuve étant rapportée du respect du principe de la contradiction résultant de la remise d'une copie de la requête et l'ordonnance préalablement à l'exécution de la mesure de séquestre judiciaire qui a été ordonnée au séquestre auquel la décision est opposée, l'ordonnance sur requête ne peut être rétractée de ce chef.

Il y a donc lieu, par substitution de motifs, de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle n'a pas rétracté l'ordonnance sur requête pour non respect des dispositions de l'article 495 du code de procédure civile.

Sur les circonstances exigeant que la mesure demandée ne soit pas prise contradictoirement

En application des articles 493 et 495 du code de procédure civile, le défaut de contradiction est inhérent à la raison d'être de la procédure sur requête, qui trouve sa justification dans le fait que la mesure demandée n'est efficace que si elle est ordonnée à l'insu de celui qui doit en subir les conséquences ou qu'elle doit être prise malgré l'impossibilité d'attraire ce dernier devant un juge. La procédure sur requête se caractérise donc par le fait que celui qui l'introduit a manifesté son intention de déroger à la contradiction. Il en résulte que l'ordonnance sur requête rendue non contradictoirement doit être motivée de façon précise, le cas échéant par l'adoption des motifs de la requête, s'agissant des circonstances qui exigent que la mesure d'instruction ne soit pas prise contradictoirement.

Il appartient au juge, saisi d'une demande de rétractation, de vérifier, même d'office, si la requête et l'ordonnance caractérisent de telles circonstances.

Si le juge de la rétractation doit apprécier l'existence du motif légitime de la mesure sollicitée au jour du dépôt de la requête initiale ainsi qu'à la lumière des éléments de preuve produits ultérieurement devant lui, il est tenu, en revanche, s'agissant de la nécessité de recourir à une procédure non contradictoire, d'apprécier les seuls éléments figurant dans la requête ou l'ordonnance, sans qu'il puisse en suppléer la carence en recherchant les circonstances justifiant qu'il soit dérogé au principe de la contradiction dans les pièces produites ou les déduire du contexte de l'affaire.

L'examen de la nécessité de recourir à une procédure non contradictoire ne doit donc être fait qu'à l'égard des énonciations et de la motivation figurant dans la requête ou l'ordonnance, motivation qui ne peut pas consister en une formule de style et qui doit s'opérer in concreto sur des faits qui, à ce stade de la procédure, n'ont pas besoin d'être établis et peuvent être contestés.

L'effet de surprise et le risque de dépérissement des preuves, s'ils sont circonstanciés, sont des motifs pouvant faire écarter le principe de la contradiction, dans un souci d'efficacité de la mesure sollicitée.

En l'espèce, l'ordonnance sur requête du 23 juin 2022 procède, non seulement, en son entête, par visa de la requête, mais également, dans sa motivation, au fait que les circonstances justifient le recours à une procédure non contradictoire pour éviter la disparition de l''uvre litigieuse.

Aux termes de sa requête, l'Etat expose :

- que la sculpture, dont il revendique la propriété, a été prêtée par M. [U], demeurant en Suisse, au Musée d'histoire de [Localité 5] dans le cadre d'une exposition devant se terminer le 3 juillet 2022 ;

- n'avoir eu connaissance du lieu d'exposition de la sculpture que lorsque la ville de [Localité 5] en a publié une photographie sur son compte twitter le 15 avril 2022 ;

- s'être rapproché, par l'intermédiaire de la CNAP, de M. [U], par courrier en date du 25 avril 2022, afin de convenir avec lui de la nécessité de restituer à l'Etat français la sculpture au motif qu'il en est l'unique propriétaire comme faisant partie du domaine public mobilier national ;

- que les biens appartenant au domaine public de l'Etat sont inaliénables et imprescriptibles ;

- qu'elle envisage d'exercer une action en revendication à l'encontre de M. [U] qui prétend en être propriétaire ;

- avoir procédé à un signalement à l'office central de lutte contre le trafic des biens culturels et à un dépôt de plainte ;

- avoir de très sérieuses raisons de craindre la disparition de cette 'uvre, et son retour en Suisse, sitôt l'exposition organisée par le Musée d'histoire de [Localité 5], prenant fin le 3 juillet 2022, clôturée.

Par courrier, en date du 25 avril 2022, le CNAP a pris attache avec M. [U] afin de l'informer avoir été interpellé sur la provenance de la sculpture figurant sur son site internet et présentée dans trois musées en France de juin 2021 à juillet 2022 et, en dernier lieu, au Musée d'histoire de [Localité 5]. Faisant valoir le caractère inaliénable et imprescriptible de l''uvre, il lui fait part de son souhait d'échanger avec lui sur la perspective d'une restitution et lui demande, dès lors, de prendre contact avec la conservatrice du patrimoine ou la personne chargée de la coordination de la mission.

Si M. [U] n'allègue ni ne démontre avoir répondu à ce courrier, il n'en demeure pas moins que l'Etat disposait d'un délai expirant le 3 juillet 2022, date de la fin de l'exposition, pour solliciter du juge des référés, dans le cadre d'une procédure contradictoire, le séquestre judiciaire de la sculpture dont la propriété ou la possession est litigieuse entre deux ou plusieurs personnes, en application de l'article 1961 2° du code civil.

En effet, alors même que M. [U] a été informé, dès la fin du mois d'avril 2022, de l'action en revendication que l'Etat français entendait exercer sur la sculpture qu'il avait prêtée à des musées français et, en dernier lieu, au Musée d'histoire de [Localité 5], il n'avait pas repris l''uvre litigieuse à la date du 22 juin 2022, date de la requête.

Il ne pouvait, à l'évidence, le faire, avant le 3 juillet 2022, date de la fin de l'exposition, sans la mise en 'uvre d'une procédure de résiliation préalable, compte tenu des termes du contrat de prêt versé aux débats signé entre M. et Mme [U] et les musées d'histoires de [Localité 5], pour l'exposition allant du 26 février au 24 mai 2021, de [Localité 7], pour l'exposition allant du 25 juin au 4 octobre 2021 et de [Localité 6], pour l'exposition allant du 5 novembre 2021 au 20 février 2022. Dès lors que l''uvre était exposée au musée d'histoire de [Localité 5] jusqu'au 3 juillet 2022, il apparaît qu'il a été fait application de l'article 9 du contrat de prêt qui autorise la prolongation de la durée du contrat de prêt, au-delà de la durée initiale, à la condition pour le prêteur de consentir à cette prolongation. Or, l'article 10 du même contrat stipule qu'en cas de non-respect du présent contrat par le musée emprunteur, le prêteur pourra résilier de plein droit le contrat de prêt. La résiliation se fait par courrier recommandé avec accusé réception. Dans les 15 jours qui suivent la réception du courrier de résiliation, l'emprunteur devra restituer l''uvre au prêteur. Dans le cas contraire, le prêteur se réserve le droit de rapatrier l''uvre à la charge de l'emprunteur.

En l'occurrence, dès lors que l'Etat n'allègue ni ne démontre la volonté de M. [U] de reprendre son 'uvre, avant le 3 juillet 2022, fin de l'exposition qui était en cours au moment où le CNAP s'est rapproché du prêteur, et ce, alors même qu'il savait que l'Etat français entendait en revendiquer la propriété dès la fin du mois d'avril 2022, il pouvait parfaitement, dans le délai dont il disposait, allant du 25 avril au 3 juillet 2022, saisir le juge des référés.

Même à considérer que la mesure sollicitée était indispensable et urgente, compte tenu du court délai séparant la date à laquelle l'Etat a eu connaissance du lieu dans lequel l''uvre était exposée et celle à laquelle l'exposition devait prendre fin, un débat contradictoire pouvait parfaitement se tenir dans le cadre d'une procédure de référé, et même à très bref délai, par suite d'une assignation en référé d'heure à heure.

La circonstance pour l'Etat d'avoir attendu le 22 juin 2022, soit quelques jours avant la fin de l'exposition et, dès lors, du contrat de prêt, ne saurait justifier le choix procédural qui a été fait de ne pas recourir à une procédure contradictoire qui était possible en l'absence de preuve d'un risque, de son rapatriement en Suisse, entre le 25 avril et le 3 juillet 2022, par la personne ayant prêté l'oeuvre.

L'Etat ne peut donc sérieusement arguer du silence opposé par l'appelant au courrier de la CNAP, en date du 25 avril 2022, attirant son attention sur le fait qu'il entendait revendiquer la propriété de l''uvre comme faisant partie de son domaine public et comme étant, en tant que tel, inaliénable et imprescriptible, pour justifier le recours à une procédure non contradictoire.

La nécessité d'éviter une procédure contradictoire n'étant dès lors établie avec pertinence ni par la motivation de la requête, ni par l'ordonnance entreprise, ni par les éléments de faits soumis au premier juge et à la cour, il échet d'infirmer l'ordonnance entreprise.

Le fait que le principe de la contradiction a été restauré à l'occasion de la procédure en rétractation ne permet pas de remédier à l'irrégularité affectant l'ordonnance sur requête litigieuse qui, doit être, de ce fait, rétractée.

En effet, ce n'est qu'en présence d'une ordonnance régulièrement motivée sur l'atteinte au principe du contradictoire que peut s'instaurer le débat relatif à l'existence, au jour du dépôt de la requête initiale, d'un motif légitime à ordonner la mesure probatoire et/ou sur la nature légalement admissible de la mesure sollicitée.

L'ordonnance sur requête sera donc rétractée, sans qu'il soit besoin d'examiner le bien-fondé de la mesure sollicitée.

Etant donné que la cour se doit de constater la perte de fondement juridique du séquestre judiciaire ordonnée par l'ordonnance ci-avant rétractée, elle doit, dès lors qu'elle est saisie d'une demande de remise en état qui découle de la nullité des actes réalisés sur le fondement de ladite ordonnance, ordonner au Musée de l'histoire de [Localité 5] de restituer la sculpture Rachel chantant la Marseillaise à M. [U].

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

L'Etat, succombant en appel, il y a lieu d'infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a condamné M. [U] aux dépens de première instance et dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

L'Etat sera condamné aux entiers dépens de première instance et de la procédure d'appel.

L'équité commande en outre de le condamner à verser à M. [U] la somme de 3 500 euros pour les frais exposés en première instance et en appel non compris dans les dépens en application de l'article 700 du code de procédure civile.

L'Etat, en tant que partie perdante, sera déboutée de sa demande formée sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Dit que la cour n'est pas saisie de la demande tendant à l'annulation de l'ordonnance entreprise qui n'a pas été reprise par M. [C] [U] dans le dispositif de ses conclusions ;

Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle n'a pas rétracté l'ordonnance sur requête, en date du 23 juin 2023, rendue par vice-président du tribunal judiciaire de Marseille, pour non-respect des dispositions de l'article 495 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau et y ajoutant ;

Rejette la demande de M. [C] [U] tendant à l'annulation de la requête pour irrégularité de fond ;

Rétracte l'ordonnance sur requête rendue le 23 juin 2022 par le vice-président du tribunal judiciaire de Marseille ;

Constate la perte de fondement juridique de la mesure de séquestre judiciaire ordonnée par l'ordonnance ci-avant rétractée ;

Ordonne, en conséquence, au Musée d'Histoire de [Localité 5] de restituer à M. [C] [U] la sculpture Rachel chantant la Marseillaise ;

Condamne l'Etat français à verser à verser à M. [C] [U] la somme de 3 500 euros pour les frais exposés en première instance et en appel non compris dans les dépens en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute l'Etat français de sa demande formée sur le même fondement ;

Condamne l'Etat français aux entiers dépens de première instance et de la procédure d'appel.

La greffière Pour le président empêché


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 1-2
Numéro d'arrêt : 23/04404
Date de la décision : 04/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 16/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-04;23.04404 ?
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