COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-8
ARRÊT AU FOND
DU 03 AVRIL 2024
N° 2024/ 163
N° RG 23/09691
N° Portalis DBVB-V-B7H-BLVC4
[F] [M]
C/
Syndicat des copropriétaires de la résidence
[Adresse 6]
SARL ALDI MARCHE CAVAILLON
Copie exécutoire délivrée le :
à :
Me Thierry TROIN
Me Cécile JACQUEMET
Me Rachel COURT-MENIGOZ
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal Judiciaire en ate du 07 Juillet 2023 enregistrée au répertoire général sous le n° 22/02527.
APPELANT
Monsieur [F] [M]
né le 16 Février 1949 à [Localité 5] (36), demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Thierry TROIN, membre de la SELARL BENSA & TROIN AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de NICE
INTIMEES
Syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 6] sis à [Localité 7] [Adresse 2]
agissant poursuites et diligences de son syndic en exercice, la SAS CABINET CLARUS, dont le siège est à [Localité 7] [Adresse 1] prise en la personne de son représentant légal domicilié de droit audit siège
représentée par Me Cécile JACQUEMET, avocat au barreau de NICE
S.A.R.L. ALDI MARCHE CAVAILLON
prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège sis [Adresse 4]
représentée par Me Rachel COURT-MENIGOZ, membre de la SELARL CABINET FRANCOIS & ASSOCIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, ayant pour avocat plaidant Me Nicolas AYNES, membre de l'AARPI FAIRWAY, avocat au barreau de PARIS
Intervenante volontaire
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 06 Février 2024 en audience publique devant la cour composée de :
Monsieur Philippe COULANGE, Président
Madame Céline ROBIN-KARRER, Conseillère
Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Maria FREDON.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 03 Avril 2024.
ARRÊT
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 03 Avril 2024, signé par Monsieur Philippe COULANGE, Président et Madame Maria FREDON, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE ANTÉRIEURE
La SARL LEADER MENTON exploitait en vertu d'un bail commercial conclu avec la SCI SUAND un supermarché en rez-de-chaussée de la copropriété '[Adresse 6]', sise [Adresse 2].
Elle était également locataire d'un entrepôt au sein de la copropriété voisine dénommée 'LES GARAGES', appartenant à la SCI SARJEL IMMO (désormais HEIR INVEST).
Dans le courant de l'année 2008, elle a percé une ouverture dans un mur mitoyen entre les deux copropriétés afin de faire communiquer ces deux lots.
Suivant ordonnance rendue le 8 janvier 2009 et confirmée par un arrêt de la cour de céans du 3 décembre 2009, le juge des référés du tribunal de grande instance de Nice a condamné in solidum les sociétés LEADER MENTON, SUAND et SARJEL IMMO à remettre les lieux en leur état initial, considérant que lesdits travaux, réalisés sans autorisation de l'assemblée générale de la copropriété [Adresse 6], constituaient un trouble manifestement illicite.
Un contentieux nourri a opposé par la suite les parties quant à la liquidation de l'astreinte assortissant cette condamnation.
D'autre part, le syndicat des copropriétaires et 23 d'entre eux ont saisi à nouveau courant 2013 le tribunal de Nice, statuant cette fois au fond, au sujet de ces mêmes travaux.
Enfin, le syndicat a saisi courant 2020 le président du tribunal judiciaire de Nice pour se plaindre de nouveaux désordres, et une médiation a été ordonnée.
C'est dans ce contexte qu'un projet de protocole d'accord transactionnel a été conclu entre le syndicat des copropriétaires de l'immeuble [Adresse 6] d'une part, et les sociétés LEADER MENTON et SUAND d'autre part, aux termes duquel, entre autres dispositions, le syndicat a autorisé la suppression du mur mitoyen entre les deux copropriétés, sous réserve de la réalisation des études techniques nécessaires, en contrepartie de la réalisation de divers travaux de réfection et du versement d'une indemnité de 350.000 euros, les parties s'engageant en outre mutuellement à se désister de toutes les procédures en cours.
Ce protocole a été homologué par l'assemblée générale des copropriétaires suivant une résolution n° 14 adoptée le 28 mars 2022 à la majorité prévue par l'article 25 de la loi du 10 juillet 1965.
Par deux autres résolutions n° 15 et 16 votées à la majorité de l'article 24, l'assemblée a également donné mandat au syndic de se désister des instances en cours, de procéder à toutes les formalités nécessaires à l'exécution du protocole, et de placer les sommes à percevoir sur un compte-épargne.
Monsieur [F] [M], copropriétaire opposant, a saisi le tribunal judiciaire de Nice pour entendre annuler ces trois résolutions. Il a été débouté de cette action par un jugement rendu le 7 juillet 2023, qui l'a condamné en outre aux dépens et au paiement d'une indemnité de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles exposés par le syndicat, ce dernier ayant été d'autre part débouté de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour procédure abusive.
Monsieur [M] a interjeté appel de cette décision le 20 juillet 2023.
La société [Adresse 3], ayant entre-temps succédé aux droits et obligations de la société LEADER MENTON, est intervenue volontairement devant la cour conformément à l'article 554 du code de procédure civile.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses conclusions récapitulatives notifiées le 21 décembre 2023, Monsieur [F] [M] expose en premier lieu que la condamnation prononcée en référé n'a toujours pas été exécutée, et que le protocole litigieux remet en cause dix années de procédure initiées par le syndicat des copropriétaires, en contrepartie du paiement d'une indemnité bien inférieure au montant des astreintes.
Il soutient que son homologation ne pouvait intervenir qu'à l'unanimité des voix de tous les copropriétaires en application du dernier alinéa de l'article 26 de la loi du 10 juillet 1965, dans la mesure où l'autorisation accordée à l'exploitant emporte aliénation d'une partie commune dont la conservation est nécessaire au respect de la destination de l'immeuble. Il fait valoir à cet effet que la communication entre les deux copropriétés aurait pour conséquence de transformer le parking en zone de livraison et de porter atteinte à la destination bourgeoise de l'immeuble.
À tout le moins, il considère que l'assemblée ne pouvait se prononcer qu'à une majorité des deux-tiers des voix de ses membres conformément au premier alinéa de ce même article, dès lors que le protocole entraîne une cession de partie commune ou confère à l'exploitant un droit de jouissance exclusif sur celle-ci.
Il demande à la cour d'infirmer le jugement déféré et, statuant à nouveau, d'annuler les résolutions n° 14, 15 et 16 et de condamner le syndicat des copropriétaires aux entiers dépens, ainsi qu'à lui payer la somme de 3.600 euros au titre de ses frais irrépétibles.
Dans ses conclusions notifiées le 20 octobre 2023, le syndicat des copropriétaires, représenté par son syndic le Cabinet CLARUS, réplique tout d'abord que la société LEADER MENTON a bien déféré à l'injonction du juge des référés.
Il reprend à son compte et développe l'argumentation retenue par le premier juge, faisant valoir notamment :
- que les concessions faites dans le protocole transactionnel ne peuvent être assimilées à une cession de partie commune, ni n'affectent la destination de l'immeuble, de sorte que celui-ci a été valablement ratifié à la majorité prévue par l'article 25 b),
- que les emplacements de stationnement destinés, selon l'appelant, à être utilisées comme aire de livraison des marchandises constituent des parties privatives,
- et que la possibilité d'approvisionner le magasin par l'intérieur des locaux permettra au contraire de réduire les nuisances occasionnées aux résidents.
Il précise que l'entrée en vigueur du protocole est également subordonnée à son homologation par l'assemblée générale de la copropriété LES GARAGES.
Il demande à la cour de confirmer la décision entreprise, sauf quant au rejet de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour procédure abusive, qu'il réitère à hauteur de 10.000 euros. Il fait valoir à cet effet que le présent litige s'inscrit dans un processus d'opposition systématique de M. [M] à toutes les décisions votées en assemblée générale depuis que celle-ci lui a retiré le mandat exorbitant de gestion des procédures judiciaires de la copropriété. Il réclame en sus paiement d'une somme de 8.000 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel, outre ses dépens.
Dans ses dernières écritures notifiées le 28 décembre 2023, la société [Adresse 3] conclut également à la confirmation du jugement. Elle fait observer à cette fin que la destination de l'immeuble n'est pas exclusivement bourgeoise mais mixte, que les travaux autorisés visent simplement à réorganiser son magasin, et que le protocole permettra de réduire les nuisances occasionnées en encadrant plus précisément les livraisons. Elle réclame paiement de 2.000 euros au titre de ses frais irrépétibles, outre ses dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 23 janvier 2024.
DISCUSSION
Sur la demande principale :
La cour n'étant pas présentement saisie du contentieux de l'exécution, il est sans intérêt de rechercher si la société LEADER MENTON, à laquelle a succédé la société [Adresse 3], a effectivement procédé aux travaux de remise en état mis à sa charge par les précédentes décisions de justice.
En vertu de l'article 25 b) de la loi du 10 juillet 1965, l'assemblée générale peut adopter à la majorité des voix de l'ensemble de ses membres les décisions concernant l'autorisation donnée à certains copropriétaires d'effectuer à leurs frais des travaux affectant les parties communes ou l'aspect extérieur de l'immeuble, et conformes à la destination de celui-ci.
L'article 26 dispose de son côté que doivent être prises à la majorité des membres du syndicat représentant au moins les deux-tiers des voix les décisions concernant les actes de disposition ou les modifications du règlement de copropriété portant sur la jouissance, l'usage ou l'administration des parties communes.
Enfin, ne peuvent être décidées qu'à l'unanimité des voix l'aliénation des parties communes dont la conservation est nécessaire au respect de la destination de l'immeuble, ou la modification des stipulations du règlement de copropriété qui s'y rapportent.
En l'espèce, c'est par de justes motifs, adoptés par la cour, que le premier juge a considéré que l'exploitation d'un supermarché était conforme au règlement de copropriété ainsi qu'à la destination mixte de l'immeuble, et qu'il n'était pas démontré que la suppression du mur mitoyen entre les deux copropriétés, permettant de faire communiquer le magasin et l'entrepôt, serait génératrice de davantage de nuisances pour les résidents.
Il convient de relever à cet égard :
- qu'en vertu d'un acte notarié du 19 avril 1978, les copropriétaires ou occupants de l'immeuble LES GARAGES bénéficient d'ores et déjà d'une servitude de passage sur la copropriété [Adresse 6] pouvant être exercée à toute heure et au moyen de tous véhicules, de sorte que rien ne permet d'interdire les livraisons jusqu'à l'entrepôt loué par la société LEADER MENTON (désormais [Adresse 3]),
- que l'exploitant s'est engagé aux termes du protocole à interdire l'accès aux véhicules de plus de 3,5 tonnes ainsi que l'entreposage de palettes sur l'aire de stationnement,
- et que la possibilité d'approvisionner le magasin par l'intérieur des locaux communicants permettra au contraire de réduire les nuisances occasionnées aux résidents.
Le tribunal a également retenu à bon droit que l'autorisation de supprimer ce mur, donnée sous réserve de la réalisation des études techniques nécessaires, ne pouvait être assimilée à un acte de disposition dès lors qu'il pouvait être reconstruit à l'avenir, et que l'indemnité promise au syndicat ne constituait pas un prix de cession mais la contrepartie de l'abandon de toutes les procédures en cours.
Il y a lieu d'ajouter que l'assemblée délibérante n'a pas entendu modifier le règlement de copropriété, lequel dispose que le magasin pourra être utilisé pour l'exercice de n'importe quel commerce ou industrie à la condition que l'activité ne nuise pas à la sécurité de l'immeuble ni à la tranquillité des autres occupants.
Enfin le mur dont s'agit ne constitue pas une partie commune nécessaire au respect de la destination de l'immeuble.
Il apparaît en conséquence que la résolution n° 14, ayant recueilli les voix de 25 copropriétaires représentant 65.220/100.000 tantièmes, a été valablement adoptée à la majorité requise par l'article 25.
Quant aux résolutions n° 15 et 16, ayant simplement pour objet de mettre en oeuvre la résolution précédente, elles ont été régulièrement votées à la majorité simple de l'article 24.
Sur la demande reconventionnelle :
C'est également par de justes motifs, adoptés par la cour, que le premier juge a considéré que le contexte dans lequel M. [F] [M] avait exercé son recours en justice excluait toute faute de sa part, et débouté en conséquence le syndicat des copropriétaires de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour procédure abusive.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant, condamne Monsieur [F] [M] aux entiers dépens de l'instance d'appel, ainsi qu'à payer au syndicat des copropriétaires la somme de 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la société ALDI MARCHÉ CAVAILLON de sa demande formée au même titre.
LA GREFFIERE LE PRESIDENT