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22/03/2024 | FRANCE | N°19/17281

France | France, Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-3, 22 mars 2024, 19/17281


COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3



ARRÊT AU FOND



DU 22 MARS 2024



N° 2024/ 58



RG 19/17281

N° Portalis DBVB-V-B7D-BFEPQ







[D] [F]





C/



SAS GI GROUP AUTOMOTIVE























Copie exécutoire délivrée le 22 mars 2024 à :



-Me François GOMBERT, avocat au barreau de MARSEILLE



- Me Axelle TESTINI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
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Décision déférée à la Cour :



Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 18 Octobre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 19/00364.





APPELANTE



Madame [D] [F], demeurant [Adress...

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-3

ARRÊT AU FOND

DU 22 MARS 2024

N° 2024/ 58

RG 19/17281

N° Portalis DBVB-V-B7D-BFEPQ

[D] [F]

C/

SAS GI GROUP AUTOMOTIVE

Copie exécutoire délivrée le 22 mars 2024 à :

-Me François GOMBERT, avocat au barreau de MARSEILLE

- Me Axelle TESTINI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

V8

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 18 Octobre 2019 enregistré au répertoire général sous le n° 19/00364.

APPELANTE

Madame [D] [F], demeurant [Adresse 2]

représentée par Me François GOMBERT, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

SAS GI GROUP AUTOMOTIVE, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Axelle TESTINI, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Danaé LE LOSTEC, avocat au barreau de PARIS

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Janvier 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre, chargée du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre

Madame Isabelle MARTI, Président de Chambre suppléant

Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 22 Mars 2024.

ARRÊT

CONTRADICTOIRE

Prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Mars 2024

Signé par Madame Pascale MARTIN, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS- PROCEDURE-PRETENTIONS DES PARTIES

La société GI Group Automotive exerçant sous le nom commercial de «GI GROUP» est spécialisée dans le travail temporaire, dispose d'une dizaine d'agences sur le territoire national et applique la convention collective nationale des salariés permanents des entreprises de travail temporaire (accord national du 23 janvier 1986).

Mme [D] [F] a été embauchée par cette société selon contrat de travail à durée indéterminée du 4 avril 2016, en qualité de responsable d'agence, son poste étant basé sur [Localité 4].

Après six mois d'intégration et conformément au contrat signé, la salariée est devenue responsable régionale des opérations de la région sud, et bénéficiait d'un salaire mensuel brut de 4 077 euros, selon convention de forfait de 217 jours.

La salariée a été en arrêt pour maladie du 19 août au 8 septembre 2017, prolongé au 6 octobre puis au 3 novembre 2017.

Convoquée le 13 octobre à un entretien préalable au licenciement pour le 23 octobre 2017, Mme [F] a été licenciée par lettre recommandée du 2 novembre 2017, pour absences prolongées ayant désorganisé l'entreprise.

Par requête du 19 juin 2018, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille aux fins notamment d'obtenir la nullité de convention de forfait jours, le paiement d'heures supplémentaires et contester son licenciement.

Selon jugement du 18 octobre 2019, le conseil de prud'hommes a débouté Mme [F] de ses demandes et l'a condamnée aux dépens.

Le conseil de cette dernière a interjeté appel par déclaration du 12 novembre 2019.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises au greffe par voie électronique le 3 octobre 2023, Mme [F] demande à la cour de :

«REFORMER la décision rendue par le Juge Prud'homal,

STATUER à nouveau,

AU FOND

DIRE Madame [F] bien fondée en son action,

DIRE la convention de forfait de Madame [F] de nul effet,

DIRE que la société GI GROUP AUTOMITIVE s'est fautivement abstenue de régler les heures supplémentaires effectuées par Madame [F],

DIRE le licenciement de Madame [F] nul

EN CONSEQUENCE,

CONDAMNER la société GI GROUP AUTOMOTIVE au paiement des sommes suivantes :

- 11.538,00 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 1.153,80 € à titre d'incidence congés payés sur préavis

ORDONNER à la société GI GROUP AUTOMOTIVE, sous astreinte de 150,00 € par jour de retard, 15 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, d'avoir à délivrer à Madame [F] les documents suivants :

- Bulletins de salaire rectifiés du chef de la rémunération due

- Attestation Pôle emploi rectifiée du même chef et mentionnant au titre de la rupture un licenciement sans cause réelle et sérieuse

- Tout document probant attestant de la régularisation des cotisations auprès des organismes de retraite

DIRE que la Cour de céans se réservera le droit de liquider l'astreinte sur simple requête de Madame [F]

DIRE que les créances salariales précitées porteront intérêt au taux légal à compter de la saisine du Conseil de Prud'hommes

CONDAMNER en outre la société GI GROUP AUTOMOTIVE au paiement des sommes suivantes:

- rappel d'heures supplémentaires :

8348.05 € pour 2016

10782,48 € pour 2017

834.80 € pour 2016 et 1078.24 pour 2017 au titre des congés

- 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail

- 24.462,00 € à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé

- 30.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse

- 3500.00 € au titre de l'article 700 du CPC

DIRE que les créances indemnitaires précitées porteront intérêt au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir,

ORDONNER la capitalisation des intérêts en application des dispositions de l'article 1154 du Code civil,

CONDAMNER la société GI GROUP AUTOMOTIVE aux entiers dépens, y compris les honoraires d'Huissier qui pourraient être dus au titre de l'exécution du jugement à intervenir, ce en application des dispositions de Particle 10 du décret du 12 décembre 1996.»

Dans ses dernières écritures transmises au greffe par voie électronique le 2 férvier 2021, la société demande à la cour de :

«CONFIRMER le Jugement du Conseil de Prud'hommes de Marseille, en date du 18 octobre 2019 en toutes ses dispositions

DEBOUTER Madame [F] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions

CONDAMNER Madame [F] à verser à la Société GI GROUP AUTOMOTIVE une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile »

Pour l'exposé plus détaillé des prétentions et moyens des parties, il sera renvoyé, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions des parties sus-visées.

MOTIFS DE L'ARRÊT

Sur la convention de forfait jours

Au soutien d'une demande en nullité de la convention, Mme [F] indique que la société n'a mis en place aucune des modalités prévues par l'accord collectif et la Loi Travail, destinées à garantir la protection de la santé des salariés, et notamment pas l'entretien indivuel prévu à l'article L.3121-46 du code du travail.

Elle sollicite en conséquence le paiement d'heures supplémentaires.

La société indique avoir respecté les conditions légales en ayant mis en place les outils de contrôle nécessaires comme le démontrent les bulletins de salaire.

Elle dénie l'existence d'heures supplémentaires et subsidiairement demande le remboursement des jours de RTT.

1- sur la demande en nullité de la convention

Il ne résulte pas des dispositions conventionnelles nationales qui sont anciennes, que le forfait jours a été prévu, de sorte que c'est l'accord d'entreprise du 9 mai 2016 mettant en place une convention de forfait notamment pour les responsables d'agence et de région, qui régit, sur ce point, la relation de travail.

Au titre de l'article 5 consacré à la garantie liée au suivi de la charge du travail, il a été prévu :

« L'application du forfait-jours s'accompagne d'un contrôle du nombre de jours travaillés par an. Ce contrôle est opéré au moyen d'un suivi mensuel sur la présence des salariés dans l'entreprise faisant apparaître le nombre et les dates des jours travaillés, ainsi que la qualification des jours non travaillés en jours de repos (RTT), congés payés ou congés conventionnels.

En outre, et conformément à l'article L.3121-46 du code du travail, l'entretien individuel de chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l'année avec son supérieur hiérarchique prévoit d'aborder les thèmes suivants :

- la charge de travail du salarié, et son adéquation avec le nombre d jours travaillés,

- l'organisation du travail dans l'entreprise,

- l'amplitude des journées travaillées

- l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale du salarié,

- la rémunération du salarié

En cas de difficultés rencontrée en cours d'année quant à l'application du forfait cadre, un entretien sur ce thème peut être organisé à l'initiative du salarié.»

La convention individuelle a été intégrée au contrat de travail en son article 4 dédié à la durée du travail, et est rédigé ainsi :

«(...) L'application du forfait jours s'accompagne d'un contrôle du nombre de jours travaillés par an. Ce contrôle est opéré au moyen d'un document auto-déclaratif faisant apparaître le nombre et la date des jours travaillés, ainsi que la qualification des jours non travaillés en jours de repos (RTT), congés payés, ou congés conventionnels.(...)»

Il reprend pour le reste les dispositions conventionnelles notamment sur le bilan annuel.

Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles.

Il résulte des articles 17 § 1 et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur.

L'article L.3121-43 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, interprété à la lumière des dispositions supranationales visées ci-dessus et de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, dispose que toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.

La loi du 8 août 2016 a instauré un dispositif de sécurisation des conventions individuelles de forfait-jours, conclues antérieurement à son entrée en vigueur sur le fondement d'un accord collectif n'accordant pas de garanties suffisantes pour le salarié, en permettant une régularisation, à certaines conditions prévues par l'article L.3121-65 du code du travail.

En l'espèce, l'accord d'entreprise est antérieur à la Loi sus-visée mais aucune correction n'est intervenue de façon conventionnelle ou par décision unilatérale de l'employeur.

Or, aucune stipulation relative aux modalités d'exercice du droit à la déconnexion n'a été définie dans l'accord ni par l'employeur et communiquée à la salariée.

De même, aucune disposition spécifique propre à assurer le contrôle du repos quotidien de onze heures consécutives et du repos hebdomadaire de trente-cinq heures continues n'a été prévue, au moyen par exemple d'un document individuel de suivi permettant un point régulier, puisque le système repose exclusivement sur l'engagement du salarié de veiller lui-même au respect des temps de repos, par un document déclaratif.

La mention d'un entretien annuel avec le supérieur hiérarchique - ne serait-ce qu'en raison d'une fréquence non adaptée - ne constitue pas à elle seule, une garantie suffisante du contrôle du caractère raisonnable de l'amplitude et de la charge de travail.

Dès lors que les dispositions contractuelles et conventionnelles, telles que reproduites ci-dessus ne permettaient pas à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail

éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, et n'étaient pas de nature à garantir l'amplitude et la charge de travail raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de la salariée soumise à une convention de forfait en jours, celle-ci doit être déclarée nulle.

A titre surabondant, la cour relève qu'elle aurait été dénuée d'effet, en l'absence d'une part, de présentation par l'employeur des relevés mensuels déclaratifs, les bulletins de salaire étant dénués de toute indication sur ce point, et d'autre part, d'un compte-rendu de l'entretien annuel dédié sur l'année écoulée 2016-2017.

2- sur les heures supplémentaires

En cas d'illicéité de la convention de forfait jours, le salarié bénéficie du régime légal des 35 heures et de tous les droits y afférents, lui ouvrant droit à un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires effectuées.

En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

La salariée indique avoir tenu compte des observations faites par l'employeur sur les précédents décomptes, relève que la société ne produit aucune pièce de nature à déterminer son temps de travail ; elle précise avoir pris la base de sa rémunération brute cumulée sur 12 mois, la référence au fait que le minimum conventionnel soit moins important de 30% que son salaire, n'ayant aucune influence sur le montant de son salaire horaire.

Elle produit :

- les anciens décomptes établis par jour (pièces 19 & 20)

- des billets de train pour justifier de ses déplacements (pièce 21)

- les décomptes établis par mois et par semaine pour l'année 2016 (pièce 36) et pour l'année 2017 (pièce 37).

L'employeur reproche à Mme [F] de ne produire aucun élément matériel venant corroborer ses tableaux, estime ses calculs erronés «puisqu'elle n'hésite pas à décompter des heures supplémentaires sur des semaines où elle reconnaît n'avoir même pas travaillé 35 heures» donnant divers exemples.

Il ajoute que même s'il devait être considéré que la salariée a bien effectué les heures supplémentaires alléguées, ce qu'il conteste, il est manifeste que la rémunération de celles-ci est déjà couverte, par le niveau de rémunération dont Mme [F] a bénéficié.

Il demande à la cour, dans ce cas, de retenir pour calculer les heures supplémentaires, la rémunération minimale annuelle prévue par la convention collective pour un cadre positionné classification H, considérant qu'il faut comparer les données suivantes : (Rémunération minimale annuelle prévue par la convention collective pour un cadre au coefficient H pour les salariés hors forfait) + majorations pour heures supplémentaires sur la base de cette rémunération minimale, à la rémunération annuelle forfaitaire versée à Mme [F].

Il produit :

- la fiche d'entreprise de la médecine du travail visant pour l'agence de [Localité 4], les horaires bureaux : 9h-12h et 13h-17h (pièce 3)

- l'accord du 3 juillet 2015 relatif aux salaires minima au 1er juillet 2015 (pièce 7).

La cour constate que la salariée a modifié ses décomptes, en procédant au calcul des heures supplémentaires par semaine civile, de sorte que les erreurs relevées par la société ne sont plus d'actualité; les décomptes comportent les mentions de l'amplitude de ses horaires, jour par jour, des heures travaillées, soit des éléments préalables qui peuvent être discutés par l'employeur, lequel n'apporte aux débats, aucun élément pour les contredire.

En considération de l'ensemble de ces éléments, la cour a la conviction que, compte tenu de ses responsabilités, Mme [F] a effectué des heures supplémentaires qui ne lui ont pas été rémunérées.

La cour en fixe le volume à 176 heures pour l'année 2016 et 172 pour l'année 2017.

Ces heures accomplies au-delà de la durée légale du travail sont considérées comme des heures supplémentaires et doivent être rémunérées comme telles, avec une majoration portant sur le salaire de base réel de la salariée, l'employeur n'étant pas fondé à demander que la rémunération soit fixée sur la base du salaire minimum conventionnel, étant rappelé que le versement d'un salaire supérieur au minimum conventionnel ne vaut pas paiement des heures supplémentaires dues en application d'une convention de forfait-jours nulle.

En conséquence, la créance de Mme [F] s'établit à la somme de 5 779,75 euros pour l'année 2016 et 5 779,20 euros pour l'année 2017, outre l'incidence de congés payés.

3- sur les RTT

La cour a retenu que la convention de forfait à laquelle la salariée était soumise était nulle, de sorte que, pour la durée de la période de suspension de la convention individuelle de forfait, le paiement des jours de réduction du temps de travail accordés en exécution de la convention est devenu indû.

La cour constate que si la société excipe page 16 d'une créance à hauteur de 1 874,50 euros, elle n'a pas repris cette somme au titre d'une demande reconventionnelle dans le dispositif de ses écritures, et en conséquence la cour n'en est pas saisie.

Sur le travail dissimulé

L'article L.8221-5-2° du code du travail dispose notamment qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli.

Toutefois, la dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle.

En l'espèce, si l'employeur a démontré sa négligence dans le suivi de la charge de travail de la salariée, il ne peut en être déduit qu'il a entendu dissimuler son activité, en ce que la salariée était totalement autonome dans ses fonctions et qu'elle n'a formulé aucune demande en paiement pendant la période contractuelle, les parties s'estimant liées par une convention de forfait jours.

Par ailleurs, l'appelante ne saurait à l'appui de quelques mails échangés en mars 2016, soit avant son entrée en fonction, relatifs au choix de collaborateurs à recruter et à celui de sa voiture de fonction, démontrer qu'elle a fourni un travail effectif avant embauche qui aurait dû être déclaré, alors même qu'elle indiquait dans son mail du 17 mars 2016, être indisponible avant le 4 avril 2016.

Dès lors, Mme [F] doit être déboutée de sa demande indemnitaire forfaitaire formée sur le fondement de l'article L.8223-1 du code du travail.

Sur l'exécution fautive du contrat de travail

Au visa de l'article L.1222-1 du code du travail, la salariée invoque les manquements suivants :

- absence de réglement de l'intégralité de son salaire, ayant eu pour conséquence un pouvoir d'achat inférieur,

- non-respect de l'obligation de sécurité, malgré ses alertes nombreuses par mail sur le comportement de son supérieur hiérarchique M.[V], ayant abouti à un burn-out constaté médicalement.

A l'appui, elle produit :

- un courrier du Dr [W], médecin traitant de la salariée du 7/09/2017 adressé au médecin du travail, décrivant «un syndrome anxio dépressif dont l'origine est professionnelle» rendant Mme [F] incapable de reprendre son travail,

- un certificat du même médecin du 24/10/2017, indiquant que sa patiente souffre «d'un syndrome anxieux envahissant dont elle me rapportait une origine professionnelle»; «la patiente m'a fait part d'un ressenti d'harcèlement moral»,

- le certificat du 21/11/2017 du Dr [E], psychiatre, indiquant suivre Mme [F] depuis le 25/08/2017 pour un syndrome dépressif majeur (burn out, dépression d'épuisement),

- le certificat de la médecine du travail du 27/10/2017 attestant avoir reçu en consultation Mme [F] les 21/09 et 27/10, et avoir constaté «un état de grand désarroi psychologique, susceptible d'entraîner des réactions de stress et des symptômes qualifiables d'état dépressif.» (pièces 15 à 18).

L'employeur fait valoir que les manquements allégués ne sont pas caractérisés, considérant que la salariée avaient des exigences changeantes et contradictoires, à tel point qu'il devenait impossible de la manager, relevant une opposition systématique de sa part.

Il soutient que les constatations médicales viennent contredire les griefs émis par Mme [F], soulignant que les arrêts de travail ont été établis sur des formulaires réservés aux arrêts d'origine non professionnelle, et que les certificats des médecins de la salariée ne peuvent que relater ses allégations, et observant que le médecin du travail a délibérément refusé de faire le moindre lien entre l'état psychique de la salariée et sa situation professionnelle.

Il produit à l'appui :

- la pièce adverse 5 constituée par des échanges de courriels,

- les pièces adverses 15 et 18,

- la fiche d'entreprise de la médecine du travail du 18/04/2017.

La salariée ne saurait invoquer utilement un préjudice financier et moral distinct du rappel de salaires, occasionné par la nullité de la convention de forfait jours, alors que d'une part, elle percevait un salaire mensuel brut très au-dessus des minima conventionnels, et d'autre part n'a jamais contesté la convention pendant la relation de travail.

S'agissant de l'obligation de sécurité dont l'employeur doit assurer l'effectivité, la salariée - contrairement à ses affirmations - ne produit aucun mail ayant alerté avant la rupture, sur le comportement de son supérieur hiérarchique, les échanges regroupés sous sa pièce 5, révélant tout au plus de sa part, une insatisfaction ou un avis contraire à celui de M.[V], sur certains sujets.

En revanche, la cour relève qu'elle avait sollicité le 16 février 2017 la fixation de la date de son entretien individuel et que manifestement, aucune suite n'y a été donnée avant son arrêt maladie du 19 août 2017.

Alors que l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, il est manifeste que l'absence de contrôle de la charge de travail par le biais d'entretiens dédiés, doit être mise en lien avec l'état de santé dégradé de Mme [F], tel que décrit par les différents médecins.

En conséquence, il convient de faire droit partiellement à la demande indemnitaire de l'appelante.

Sur la rupture du contrat de travail

En vertu des dispositions de l'article L.1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement, comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur ; la motivation de cette lettre fixe les limites du litige.
 

En l'espèce, la lettre de licenciement est libellée de la manière suivante :

« Nous faisons suite à l 'entretien préalable qui s'est déroulé le 23 octobre 2017 à 17h dans nos locaux situés à [Localité 4], au cours duquel vous étiez assisté par Monsieur [M] [L].

Vous avez été embauchée, le 4 avril 2016 et vous occupez actuellement le poste de Responsable Régionale des Opérations pour la région Sud.

A ce titre, vous avez la responsabilité de l 'ensemble du secteur Sud, qui regroupe les agences de [Localité 5], [Localité 3] [Localité 7], [Localité 6] et [Localité 4].

Le 21 août dernier, vous avez contacté Madame [C] [S] [K], RRH, pour l'informer de votre absence.

Vous nous avez communiqué votre avis d'arrêt de travail pour maladie établi par votre médecin le 19 août jusqu 'au 8/09/2017.

Nous avons par la suite reçu en date du 10/09/2017 la prolongation de cet arrêt de travail jusqu'au 6/10/2017 par courrier.

Enfin, nous avons reçu le 6/10/2017 une nouvelle prolongation de votre arrêt, établi par un autre médecin le 2 octobre 2017, portant votre arrêt jusqu 'au 3/11/2017.

Ces absences consécutives et prolongées, sur plus de 2 mois, ont un fort impact sur l'activité et le suivi des agences qui dépendent de vous : suivi et accompagnement sur les activités commerciales, participation aux rendez-vous commerciaux locaux déterminants (RTM/KERRY), validation des propositions commerciales, management des équipes, suivi du recouvrement.

En votre absence, compte tenu de vos responsabilités et du poste que vous occupez, nous n 'avons pas pu vous remplacer et pour assurer la continuité de vos missions, certaines tâches ont été assurées provisoirement et pour partie seulement par votre manager, Mr [I] [V], en plus de ses missions actuelles.

Cette situation ne peut perdurer et nous devons trouver une solution pérenne qui permette aux agences et à l'entreprise de poursuivre leurs développements.

Compte tenu de la désorganisation engendrée par votre absence prolongée et la nécessité de vous remplacer de façon definitive, il ne nous est malheureusement plus possible d 'attendre plus longtemps votre retour au sein de notre entreprise, et nous sommes au regret de devoir vous notifier, par la présente, votre licenciement.

Conformément aux dispositions légales et conventionnelles, votre préavis d'une durée de 3 mois commencera à courir à la date de la présentation de ce courrier.

Nous vous remercions de continuer à nousfaire parvenir vos avis d 'arrêt de travail jusqu 'à la date d 'expiration de votre préavis(...)».

1- sur la garantie d'emploi

La salariée prétend que l'engagement de la procédure de licenciement est intervenu alors qu'elle bénéficiait de la garantie d'emploi conventionnelle de 60 jours, contestant l'interprétation faite par la société de l'article 13-2 de la convention collective.

L'employeur soutient que la notification du licenciement informant de la nécessité de remplacer Mme [F] est intervenue le 2 novembre 2017, soit 74 jours après le début de l'arrêt maladie du 19 août 2017.

L'accord national du 23 janvier 1986 a prévu en son article 13-2, les dispositions suivantes : «Si l'employeur est dans la nécessité de pourvoir au remplacement effectif du salarié absent, la notification du remplacement sera faite à l'intéressé par lettre recommandée avec accusé de réception. Il ne pourra cependant pas être procédé à cette notification tant que le salarié n'aura pas épuisé ses droits à indemnisation, sans préjudice des dispositions relatives à la protection des salariés victimes d'accidents du travail.

L'employeur, qui se trouve dans l'obligation de remplacer le salarié malade, devra au préalable respecter une procédure identique à celle prévue en cas de licenciement par les articles L.122-14 et suivants du code du travail, si les conditions d'effectifs et d'ancienneté posées par ces articles sont remplies.»

La durée d'indemnisation visée à l'article 13-1.B est de 60 jours.

Les termes de ce texte sont clairs et ne justifient pas une interprétation, le 2ème alinéa posant le préalable d'une procédure de licenciement avec convocation et n'autorisant la notification du remplacement et donc du licenciement qu'après l'écoulement du délai de 60 jours, de sorte que l'employeur en engageant la procédure le 13 octobre 2017 n'a pas commis de faute, puisque la notification du licenciement est intervenue par lettre recommandée du 2 novembre 2017, soit au-delà du délai de 60 jours.

2- Sur la nullité du licenciement

La salariée invoque avoir été victime du harcèlement managérial de M.[V] voire de discrimination, mais n'apporte pas aux débats, d'autres pièces que celles déjà examinées par la cour dans le cadre de sa demande indemnitaire pour exécution fautive du contrat de travail, lesquelles ne permettent aucunement de caractériser une situation de harcèlement moral ou de discrimination.

3- Sur le bien fondé du licenciement

En vertu des dispositions de l' article L 1232-1 du Code du travail , tout licenciement motivé dans les conditions prévues par ce code doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

Mme [F] invoque un licenciement abusif, son absence prolongée pour cause de maladie résultant du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat.

La cour a retenu, au vu notamment des éléments médicaux produits, que la salariée a été exposée à un stress important à raison de l'existence d'une situation de surcharge de travail non prise en compte par l'employeur du fait de l'absence d'entretien dédié et de mise en place de moyens de contrôle et de suivi, ayant conduit à un épuisement professionnel de nature à entraîner une dégradation de son état de santé, et donc le lien entre la maladie de la salariée et un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

Dès lors que l'absence prolongée de Mme [F] pour cause de maladie résulte d'un manquement préalable de l'employeur à l'obligation de sécurité, ses conséquences sur le fonctionnement de l'entreprise ne peuvent être invoquées pour justifier le licenciement, de sorte que celui-ci doit être déclaré sans cause réelle et sérieuse.

4- Sur les conséquences financières du licenciement

Par lettre du 1er décembre 2017 (pièce 13 salariée), l'employeur, compte tenu de la demande de Mme [F] d'une visite de reprise, a décidé de la dispenser de préavis et de payer celui-ci jusqu'à février 2018.

Dès lors, la salariée ne saurait solliciter à nouveau le paiement d'une indemnité compensatrice de préavis et ce d'autant que le conseil de prud'hommes a noté dans son jugement que Mme [F] avait abandonné cette demande, lors des débats devant le bureau de jugement le 14 juin 2019.

L'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 est applicable au licenciement prononcé le 2 novembre 2017, de sorte qu'au vu des dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail, la salariée qui avait une ancienneté de moins de deux ans dans l'entreprise, n'est pas en droit de réclamer une indemnité supérieure à deux mois de salaire.

En conséquence, celle-ci doit être fixée à la somme de 8 000 euros.

Sur les autres demandes

Les sommes allouées à titre de salaires porteront intérêts au taux légal à compter de la date de convocation de l'employeur (présentation de la lettre recommandée) à l'audience de tentative de conciliation valant mise en demeure.

  Les sommes allouées à titre indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter de la date de la présente décision.

La capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil (et non 1554 comme indiqué par Mme [F]).

Il convient d'ordonner, sans nécessité d'une astreinte, la remise d'un bulletin de salaire récapitulatif mentionnant les heures supplémentaires par année, une attestation Pôle Emploi conforme au présent arrêt mais la demande relative à un document sur la régularisation des cotisations est par trop générale pour être accueillie.

La société succombant au principal doit s'acquitter des dépens de la procédure, être déboutée de sa demande faite sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à ce titre payer à Mme [F] la somme de 2 000 euros.

La demande visant à mettre à la charge de la société défenderesse le droit proportionnel de l'huissier prévu à l'article 10 du Décret tarifant les actes d'huissier, en date du 12/12/96 et modifié le 08/03/01, doit être rejetée.

En effet, dans le cas précis, la Loi a mis à la charge du créancier ce droit et a en outre prévu en son article 8 un autre droit à la charge du débiteur, de sorte que la demande a non seulement un caractère hypothétique mais est contraire à la loi.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, en matière prud'homale,

Infirme le jugement déféré en toutes dispositions,

Statuant à nouveau et Y ajoutant,

Déclare nulle la convention de forfait-jours,

Dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Condamne la société GI Group Automotive à payer à Mme [D] [F], les sommes suivantes:

- 5 779,75 euros au titre des heures supplémentaires pour l'année 2016

- 577,98 euros au titre des congés payés afférents

- 5 779,20 euros au titre des heures supplémentaires pour l'année 2017

- 577,92 euros au titre des congés payés afférents

- 4 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail

- 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif

- 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que les sommes allouées de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter du 21/06/2018 et les sommes allouées à titre indemnitaire, à compter de la présente décision, et ordonne la capitalisation de ces intérêts, à condition qu'ils soient dus au moins pour une année entière,

Ordonne à la société GI Group Automotive de délivrer à Mme [F] un bulletin de salaire récapitulatif mentionnant les heures supplémentaires par année, une attestation Pôle Emploi, le tout conformément à la présente décision, mais dit n'y avoir lieu à astreinte,

Rejette les autres demandes de Mme [F],

Condamne la société GI Group Automotive aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Formation : Chambre 4-3
Numéro d'arrêt : 19/17281
Date de la décision : 22/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-22;19.17281 ?
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